mercredi 5 novembre 2008

abjects - textes du jour

Jeudi 6 Novembre 2008


Prier… seulement l’évangile, encore aujourd’hui [1]. Il faut bien, chacun, trouver les moyens de se soutenir. En « retraite d’élection », à la villa Manrèse des Jésuites, environs de Paris, Jean Gouvernaire donnant ce moment, je tombais sur un obstacle à ma prière, à mon abandon surtout entre les mains de Dieu. Les guillemets aux mains de Dieu, sans doute, mais Jésus fut incarné. J’écrivais en effet « ma » prière, j’achetai aussi le texte des Exercices d’Ignace, la jolie collection IHS en donnait une version, c’était à mes vingt ans, en 1963, ma mère m’avait vu partir avec chagrin convaincue que j’en reviendrai avec la conviction d’une vocation religieuse que je souhaitais « avoir ». Je revins sans mais ces jours avaient perturbés par cette question : ne me posséais-je pas encore trop à écrire ainsi ? Thérèse de Lisieux écrivit sur ordre son Journal de l’âme et découvrant celui-ci, édition des alentours de 1903 avec « culs-de-lampe », bloqué que j’étais sans autre lecture dans l’île de Samothrace que battait une tempête comme souvent en mer Egée, je fus stupéfait : ce n’était pas « cul-cul », j’avais quarante-et-un ans. Les effusions de Charles de Foucauld ne m’ont jamais paru, sauf ambiance spéciale pour les lire, particulièrement contagieuses, c’est son histoire propre, c’est sa complétude d’homme qui a connu les maîtresses, la haute mission du renseignement militaire, qui avait une vue prophétique et plus que généreuse intellectuellement et politiquement de la « colonisation » que j’admire, sa solitude enfin dont je n’ai pas encore visité le cadre, mais d’esprit – tant j’ai comme lui erré – et de paysage – par mon expérience de la Mauritanie, j’ai quelque idée de ses joies, de ses chutes et de la manière dont la lumière se fait juste assez pour qu’on croit qu’elle existe sans cependant en bénéficier encore. de même tous les textes que nous prendrions pour une prédilection – demandée et ressentie puérilement – que Dieu a pour nous, pauvres « petits êtres », ne me paraissent pas justes. Il y a la brebis perdue, nous ne le sommes que par inconsistance plus que par péché « grave », mais il y a la solidarité du troupeau, c’est le berger qu’il faut regarder et non nous-mêmes, un berger qui ne voit pas dans son troupeau une entité statistique (celle des sondés pour les dirigeants politiques ou commerciaux en quête de popularité ou de marché) mais un ensemble d’individualités, de destinées, ce qui nous amène à nous considérer les uns les autres, ce prix que nous avons pour Dieu et dont nous nous réjouissons de l’avoir ainsi… le donnons-nous à notre prochain, au pluriel ? et si nous sommes unqiues dans la prédilection divine, il y a ce texte de François Mauriac, qu’avait lu, cette fois j’étais en « retraite de fin d’études », un autre Jésuite, Letellier. Chaque goutte du sang versé par le Christ en croix, l’a été pour moi ? mais oui ! mais aussi chaque goutte a été répandu du fait de mon péché, à moi. Oui, aussi et surtout, ou tout autant. J’écris… prostré par l’expérience vêcue – une fois de plus – hier après-midi de l’injustice, et particulièrement de l’injustice produite par l’institution judiciaire. On s’y retrouve seul car ce qui nous arrive, n’arrive jamais aux autres, n’est-ce pas. Le raconter à quelqu’un fait manifestement venir en lui, et cela se voit à son visage, cette pensée « forte » : ce n’est pas à moi que cela arriverait. La solidarité et la compassion entre brebis du troupeau n’est pas notre pente naturelle, il n’y a bien que Dieu pour partir ainsi à la recherche de la centième… la joie chez les anges pour un seul pécheur qui se convertit. Rappel fréquent dans les évangiles de l’existence des anges ; fondement spirituel de l’utilité marginale, concept décisif en économie ; indication que ce sont les rebuts sociaux, ceux que nous jugeons les moins intéressants ou dignes qui ont la prédilection de Dieu. Nous : nous, moi… nous nous en estimons tellement dignes. Mais l’injustice surtout quand elle frappe qui nous aimons… et qu’elle profite à vraiment qui est abject… dans tous les aspects que nous pouvons connaître de son comportement. Mais celui-là que je hais... n'est-ce pas le publicain, cible des pharisiens et des scribes ? Fondamentalement, ce sont les systèmes qui font les abjects et les bourreaux, dans un autre contexte, ils seraient inoffensifs voire civiques et justes. J'ai à l'esprit un exemple, pourtant fort notoire, de ce qu'aurait donné en camp nazi l'inversion des rôles, cette victime rescapée aurait-elle été compatissante si elle avait eu l'uniforme et le petit pouvoir de faire souffrir et de tuer à terme : elle est si dure et imbue dans sa gloire. Mais d'elle à moi, nous sommes bien dans la relation de l'évangile, l'autre si souvent le publicain, et c'est pourtant celui-là qui est décisivement aimé. Si tu n'aimes que ceux qui te font du bien... les païens n'en font-ils pas autant ? En revanche, travailler à changer le système et à le faire devenir le Royaume !


[1] - Luc XV 1 à 10

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