jeudi 6 novembre 2008

Dom Amédée Hallier, moine de Bricquebec . 25 Mars 1913 + 6 Novembre 2002





Post Amadei mortem

(Notre Dame de Grâce de Bricquebec, après Complies – vendredi 8 Novembre 2002)

C’est en écrivant ainsi ce prénom que j’en reçois la prédestination. Comment être rempli de Dieu, le donner à ressentir et cependant n’en parler jamais ex cathedra ou selon les manières habituelles de l’apologie ou du zèle ? Comment être aussi proche de la pulsation du siècle, de la vie de chacun de ceux qui viennent au monastère autant que de ceux qui n’y viennent pas. Ce n’était pas un homme inquiet, ce n’était pas non plus un homme forçant ou se forçant, il y avait chez lui le parfum – il avait d’ailleurs une eau de toilette et était de chemise, de barbe, de mains, de visage parfaitement tenu – d’une grande disposition de soi. Il avait vaincu manifestement ce qui astreint la plupart des humains : des infirmités, des hantises et des nostalgies, des choses à faire ou à ne pas faire. Il ne vivait pas dans un monde d’obligations, de devoirs et d’échéances, pourtant il était précis dans ses horaires et son agenda, il déclinait ou reportait, combinait des engagements au téléphone, il y était souvent appelé dans nos entretiens, de l’intérieur de sa communauté ou du dehors. Il n’était pas non plus ce qu’on dirait un homme organisé ou d’ordre, c’eût été encore trop personnel et de l’ordre trop humain, au sens d’une organisation de vie qui n’aurait que de l’enveloppe, de la fonctionnalité et pas de fond, de contenu. Il était tout simplement dépouillé du superflu, s’appuyait sur le rythme monastique et la clôture, sur un état de vie mis au service de son évidente vocation à accompagner, recevoir, répondre, guider. Il avait le charisme de ce qui est davantage que le dialogue, un respect d’autrui et de Dieu, il savait mettre en présence, et il commençait par une mise en présence de soi à soi, là s’arfêtait le chemin, mais il l’avait approfondi, fait s’approfondir avec celui qui était venu s’entretenir avec lui. A l’église, il pouvait aussi bien présider, sans que je l’ai jamais vu célébrer en propre la messe – il n’en avait plus tout ce mois de Novembre, le rôle – que seulement faire nombre au chœur. Naturel, vigilant autant au déroulement de l’heure qu’à ses amis dans la nef. Pas d’ostentation, pas de méthode, mais du dire et de l’être. Revenir sur sa manière de noter, de constituer des dossiers sur trente ou cinquante ans de vie spirituelle et intellectuelle, d’écrire et de quasiment peindre ses aphorismes, ses schémas, ses résumés, ses recommandations en fait, je l’ai déjà fait et le referai, c’est inépuisable et facile, c’est l’aspect visible de sa communication et de ce qu’il recevait du monde et de l’époque.

C’est la pudeur et la discrétion de l’homme dans son itinéraire, hors son charisme, hors ce qu’il prodiguait aux autres, qui vont me retenir. La joie était constante, je ne l’ai jamais vu ni pessimiste ni abattu. Tant d’intelligences, notamment chez des religieux, des spirituels, des philosophes sont soit égotistes – ce que j’ai découvert ou mis au point… - soit pessimistes : il est tellement mode, paradoxe de voir les choses en noir, en fait de les considérer hors providence, hors sens, hors Dieu, hors foi en l’amour et en l’homme. Il élucidait en tout ce qui en chacun fait ressort et permet le rebond, le salut, l’ouverture à ce qui sauve et qui guérit. Sachant lire et écoûter, ce qui, dans sa vie, était presque voisin, et ne l’est chez d’autres ou chez moi que rare et difficile, il ne donnait jamais à penser qu’il eût mieux dit ou inventé ce qu’il lisait ou ce qu’il écoûtait. Sa faculté de s’enthousiasmer, d’admirer, d’encadrer dans du nombreux, du profus ce qui est beau et porteur de verticalité et d’envol, vient de là ; il n’est jamais en tiers entre ce qui lui est confié et celui qui se confie, il est en profonde sympathie, il reçoit totalement sans commenter, sans ajouter, sans prétendre perfectionner ou prolonger.

Je l’ai peu vu hors l’église et hors son antre, quelque fois dehors dans la cour autre fois arborée, au second seuil du monastère, là où les voitures des hôtes se garent. C’est dire que c’était une silhouette qu’on ne voyait que mentalement une fois le monastère quitté ou maintenant que s’est faite la séparation provisoire, je ne l’ai pas vu dans une foule de loin, ou marcher dans quelque paysage, alors que l’étendue plane avec un unique chemin entre le monastère et le bourg que précède une semi-forêt, se prête à des images d’hommes dans le monde et la vie, à travers champs, presque à travers ciel, revenant de loin vers l’église, le cimetière, les bâtiments, la ferme, l’état religieux en tant que matérialité des horaires, du costume, etc…. Son rayonnement physique tenait donc à une acuité de visage contrastant avec une attention à la fois sévère, austère et malicieuse de son regard. Cette sévéréité relative était bonté, car il se gardait de juger mais il voulait qu’arrive au jour le tréfond d’une expérience, l’expérience vitale, vécue de celui ou celle qu’il recevait. Il ne s’y attachait pas par curiosité ou pour s’aider lui-même à se comprendre en tant que partie du genre humain, non il ne cherchait pas, il ne cherchait rien ni personne, il recevait, certain que tout comble, peut combler et que ce ne sont ni la quête, ni le désir, ni l’intensité d’attente et de recherche qui produisent quoi que ce soit mais le consentement. Le discernement porte, selon lui, sur notre capacité à consentir, notre aptitude au fiat, mais il n’en faisait ni une obligation dans le vide ni un enseignement en forme de « truc » ; il y voit notre nature, la nature humaine, la dialectique toute évidente d’une vie ancrée dans le réel qui est espérance. Si vallée de larmes, il y a, elle n’est pas pour lui un état définitif même humainement. Il ne conseillait rien, il donnait un moment de vie.

Il ne désignait même pas, donnant ainsi la conviction prodigieuse que celui ou celle qui le visitait ou le consultait avait autant à montrer, à témoigner et à dire de solide que lui, homme, vieillard, lettré expérimentés et construit. Il démontrait qu’on peut être parfaitement au fait de l’actualité sous tous aspects, du spirituel au profane, et pourtant hors du temps et des circonstances, ailleurs et dans l’éternité, car il faisait voir toute vie dans son être et son sens, plutôt que dans sa dialectique ou sa contingence. On était auprès de lui et avec lui dans la contemplation, qui n’a pas de frange ni d’écart, qui ne se borde pas de temporalité ou d’états d’âme. On anticipait l’éternité tandis que la rencontre durait tranquillement l’heure prévue entre les Heures monastiques. On faisait subtilement et naturellement les exercices spirituels les plus structurants en commençant par le monde que l’on s’entre-exposait, peu de questions et du dire que l’enthousiasme ou une exclamation concluait au moment où continuer dans ce registre eût été verbeux. Alors, on creusait ensemble et l’on arrivait vite au salut, à la croix, à bien davantage qu’un choix, à une communion entre hommes, personnes humaines se reconnaissant ensemble animées par Dieu et y allant main dans la main. Il y avait là de l’amour, nulle prédation, nul artifice, nulle illusion que le temps de mettre fin à l’entretien ou de quitter le monastère aurait immanquablement dissipée.

C’était de l’équilibre chez un homme équilibré, humainement doué pour la concentration, l’imagination, une sorte de poésie apte au classcisme et au romantisme que ne démangeaient aucun souci de notoriété, aucune précaution pour sauvegarder une image. Il ne refusait rien et ne demandait rien, il était d’une présence entière, gratifiante par elle-même pour celui ou celle qui en bénéficiait. La bienfaisance ne s’arrêtait pas aux limites chronologiques d’une correspondance ou de retours au monastère et dans son antre. Le moine prenait le relais de l’ami, sans pose ni allusion déplacée à des macérations ou à des temps donnés à la prière, il donnait la certitude qu’entré dans son cœur, on demeurerait dans une pensée tout entière tournée vers Dieu. Amédée n’aurait rien dit sur l’art de méditer, sur la façon de prier, pas même sur la conversion quotidienne car il disait tout en emportant l’ensemble d’un dialogue en un mot final, ce oui qu’il formulait, explicitait comme étant une élévation totale, soudaine, irrépressible vers… l’indicible. L’entendre alors lire un texte de la liturgie ou le lire dans son dernier écrit faisait contraste, on était basculé dans l’explicite et lui au charme si prenant parce qu’apparemment fait d’une tournure personnelle exceptionnellement apte à l’accompagnement et à la compréhension d’autrui, était devenu serviteur de réalités et d’un Dieu dont les mots, l’explicitation sont le fait d’une institution. Il y avait là un témoignage saisissant d’humilité, achevant de convaincre le retraitant ou l’ami qu’Amédée ne se voyait supérieur à personne mais frère de beaucoup.

Post Amadei mortem

(Notre Dame de Grâce de Bricquebec, après Matines – samedi 9 Novembre 2002)


Si la vocation de cet homme – un vrai géant par la puissance, la fluidité, la continuité, la cohérence de son témoignage et de sa vie – fut vraiment l’enseignement, un enseignement par l’écoûte du monde et de l’autre, rien n’eût été possible sans l’état monastique. La bifurcation de la guerre, permise et vue grâce à la guerre, n’est pas de l’ordre professionnel, mais bien de celui d’une construction pour contenir un trop-plein, pour aménager un cours si puissant. Enseignant l’enfance, Amédée eût certainement rayonné parmi ses élèves et ses confrères, mais il eût manqué l’évidence d’une référence. Celle-ci est donnée par le monastère en soi, et par ce à quoi une abbaye et la règle de saint Benoît font aboutir : une claire lumière, située et précise, comme l’a chantée saint Bernard. Amédée est situé plus dans un lieu que dans un temps. Et il y est fidèle, il ne s’est pas répandu en livre et certainement celui à paraître et qu’il a chéri, voulu, placé en exergue rétrospectif de tout son parcours, de cette existence humaine qu’il eût peut-être plus de difficulté à abandonner, à quitter, donc à offrir vraiment, n’est encore qu’un don, derrière lequel il s’est ingénié à disparaître. Il y écrit universellement, il ne parle que de l’objet de sa contemplation, de celle qu’il propose, et non de lui-même ou d’une expérience personnelle, il sait offrir sans même paraître, les mains et le sourire, la voix ne s’y entendent, seul le produit est offert. On serait tenté de penser, le résidu. Le résidu, le produit d’une vie consumée, d’un homme donné et dédié. La théologie de l’heure d’à présent, celle des Vigiles du premier samedi à vivre après qu’il ait disparu, à vivre sans lui apparemment, expose la maison, le temple, l’habitation de l’âme humaine par Dieu Créateur et force, commencement et continuité. Amédée était transparent, il ne prenait pas de place indûment mais il était là où il fallait qu’il fût, là dans la vie de ceux qui recoururent à lui, là aux offices monastiques et dans sa communauté. Dépouillement sévère de la vie et de la croix qu’ornaient et adoucissaient ses propensions à la joie, à la fête, à la célébration.

L’état monastique n’était pas un aménagement providentiel du temps de vie d’un homme qui autrement eût pu être débordé, se dispersé, s’éteindre dans la foule quotidienne, ce fut pour Amédée une pédagogie dont il avait besoin, qu’il y convenait, à laquelle il contribuait et que sa fidélité validait pour autrui, offrait à autrui. Jamais un moine ne m’est autant apparu homme de départ, homme d’envol, le lieu, la piste d’envol amoureux et cosmique sont ainsi nécessaires, sa manière d’être, d’écoûter avant de dire indiquait ce lieu et l’accueil par une tradition, par des pierres, par un passé renvoyant au passé personnel, à l’acquis culturel d’un pays, d’une civilisation, d’un siècle ; ainsi, sur ce socle, et avec lui en maître tranquille et apaisant, le débutant ou le reclus ou l’âme fatiguée venaient apprendre l’élan, l’envie, la foi, la plénitude. On n’arrivait jamais, on se situait mieux, on commençait et partait immanquablement. Cela dans la foi, dans l’espérance et dans une tolérance de soi et des autres produisant que plus rien ne gênait l’âme cherchant à continuer de vivre. Il ne prêchait ni la rupture ni une quelconque transformation de soi, il donnait tout le mouvement à accomplir, le mouvement d’une libération de soi et de la connaissance du monde, en résumant la circonstance de la rencontre et la vie entière de celui qu’il enseignait en l’écoûtant par ce oui proféré en jaillissement, poussé comme une fleure offre ses pétales au haut de sa tige, ouvert comme les mains qui prient.

C’était sérieux, audible, serein. Le voir à l’église persuadait qu’à terme tout rentrer dans l’ordre. Il était prêtre sans le répéter, le montrer, sans insigne, fondu dans sa communauté pour ce qui est d’exercer le sacerdoce. Le monastère, l’état de vie religieuse était son sacerdoce, il s’effaçait une fois qu’il avait ouvert la porte et s’était assuré que l’homme mis par Dieu à cette école franchirait bien le seuil ; dès lors, la communion savoureuse, la prière silencieuse suffiraient, tout serait exprimé par là et d’abord la reconnaissance qu’une naissance de plus, que des retrouvailles « divino-humaines » aient eu lieu. Le lieu permet d’être. Et cet homme par son type de culture, par sa manière de recueillir et de travail, par son accueil offrait un lieu spirituel et mental à la fois intangible, objectif et tout à fait adapté au moment d’une psyché, à la recherche d’une âme dolente ou ressentant ses limites propres. Il était tourné vers les autres et en référait lumineusement à Dieu. Il avait la comparaison mariale, l’engouement fraternel, la fraîcheur d’un commencement, la densité et l’autorité d’une expérience de longue date, sans cesse confirmée parce qu’intérieure. Il était simple et consentant à tout humainement, il ne reprenait ni ne corrigeait jamais, il convainquait que la chance est permanente et savait l’appeler, la faire reconnaître comme un don, un signe de Dieu.

D’autres, on assemble des fioretti, on rappelle et recueille des traits, de cet homme, éminemment religieux mais libre de tout, entier dans son mouvement, on retient qu’il portait au dialogue, à la confiance, à l’optimisme, on aura la mémoire qu’il était agissant quand la grâce avait amené à lui une âme.




Post Amadei mortem

(Notre Dame de Grâce de Bricquebec, après Laudes – samedi 9 Novembre 2002)


L’office de Laudes et toute la liturgie des dédicaces permettent des adieux qui n’en sont pas, la construction, l’œuvre pérennisent les vies et les destins, hiérarchisent et magnifient les apports. S’il y a combat spirituel des derniers, des derniers moments de lucidité et encore de volonté, ce doit être celui qui donne sa valeur et sa valeur au consentement, à ce oui « amédéen ». Etre dépassé paar l’œuvre à laquelle on a voulu, reçu de participer, que s’éteigne une chanson propre et personelle, qu’elle ne se répète et dure désormais que dans l’écho retenu par le cœur des autres et fleurissant en belle frise aux principaux panneaux du temple commun. Accepter de rentrer dans le cortège est autrement difficile que d’en dire et vivre l’attrait ; car alors on observe le but, la fin de la procession et l’on peut se sembler à soi-même unique dans ce dialogue avec la vie, avec la beauté, avec la laideur, avec la réussite, avec Dieu faisant tout de tout, mais mourir c’est accepter d’être dépassé, repris, c’est accepter de renaître. Cet homme n’avait nulle crainte et pas celle de mourir. Il ne cherchait pas, il avait trouvé, il ne phrasait pas une logique de résurrection, une philosophie du mal vaincu par le bien, il vivait un au-delà déjà perceptible quotidiennement, il témoignait de la lumière et renvoyait à elle, il avait fait vœu de stabilité et incarnait magnifiquement cette résolution par la quiétude, la régularité de sa vie, de ses propos, il surprenait par un combiné, à première expérience impossible, d’attention à autrui et de placidité. Vif, il était le contraire d’un agité ou d’un profus. Il revenait sans cesse au centre, il ne déifiait rien ni personne, pas même Dieu si l’on peut écrire ainsi, car il était proche de ce qu’il savait constituer notre source, il ne se posait pas en centre lui-même, en génie qui nomme et assemble les plus belles choses dans le monde des idées ou dans l’apologétique. Il contemplait un agencement qui lui avait pré-existé comme à tout être vivant et lui survivrait, et il y voyait, vivait tranquillement la place que Dieu, la vie nous y donne. Il ne se posait pas de questions insolubles, il ne prenait personne au piège d’une connaissance, d’une culture, d’une dialectique, d’une spiritualité qui lui conféraient cepndant une évidente aînesse dans le parcours du bonheur. Il était autant désincarné que charnel, répondant volontiers à des demandes factuelles, et même à des interrogations sur sa propre biographie, il ouvrait alors, presque par hasard et sans redondance, les portes retirées de grandes amitiés, de rencontres qu’il avait faites, il appréciait de ceux dont il esquissait le portrait leur diversité, ce qu’il y avait eu en eux d’aigu, il admirait les écrits d’autrui, il communiquait les hauts faits de tiers anonymes dont il avait perçu la souffrance ou l’entrain et le secret qui permet ceci ou provoque cela, mais il restait toujours discret, pour ne pas envahir et pour demeurer lui-même assez ouvert et tranquille au point de toujours accueillir sans que ce soit jamais vraiment pareil. On le regardait du dehors et il n’invitait pas à ce qu’on le pénètre tant il se voulait secondaire, simple introducteur de l’autre à lui-même et à ce mouvement du oui qui fait approcher de tout. Il aurait voloniers admis qu’on résume son enseignement, s’il y en avait un, et c’était ses graphismes et ses sigles, en un seul trait coiuffé et aiguisé d’une flèche. D’une certaine manière, cet homme fixé en un lieu aima la vitesse, celle de la lumière, celle du bond en Dieu, celle de la visitation soudaine et sans apprêt, totale et défiant tout mpot, y compris les comparaisons avec le feu et la lumière, la visite que Diueu rend à l’âme en lui faisant prendre conscience et en lui donnant vision qu’Il l’habite. Irruption de soi en soi, trouvaile alors de l’essentiel en personne et en chose.

Mystique ? je ne le dirai pas. Contemplatif ? oui, mais pas à la manière courante ni à celles qui se prêtent aux classifications et à des auscultations les amoindrissant et en faisant une affaire de spécialiste. Ecrivain, pas vraiment, puisqu’il était abréviatif, allusif, qu’il corrigeait du texte, de la matière plus qu’il ne composait. Il était rapide parce qu’il était toujours au centre, la périphérie l’eût intéressé mais son don et sa vocation était d’amener au centre et d’en faire vivre et comprendre la force et la vérité, centre qui était partout et à toute heure et en tout être. Certainement pas philosophe. On eût dit un sage à la façon antique s’il n’avait été si présent, si disponible, si éloigné d’accepter d’être statufié. Il n’impressionnait pas par les éléments reconnus et habituels d’un prestige humain, il n’avait de titres qu’immédiats et à la démonstration desquels on assistait, participait. Ce qu’il examinait et voyait, c’était la vie. Oui, ce qui le définit le mieux, c’est qu’il était intensément vivant, moine vivant, religieux vivant, pédagogue vivant, ami vivant et prévenant. Ce qui parfois demande une formulation quand on regarde un autre ou qu’on l’évoque : la conscience qu’il peut avoir de soi, de ses capacités, de ses lacunes, se résolvait à son propos en ce que ces questions ne se posaient pas : précisément parce qu’il était vivant et qu’il n’y avait pas à le conformer, il n’était ni humble ni fier, il allait mais nullement seul, il accompagnait. Il accompagnait tout le monde, Dieu et le monde. Essentiellement ami, il était encore plus relation que personne et ce qu’il donnait était un meilleur, plus fort, plus chaleureux relationnement avec tout. Ce qu’il apportait, c’était une autre relation. Les scientifiques de la psyché savent depuis un grand siècle formuler que le bien-être et la normalité sont dans la relation, la relation à autrui, à la réalité. Lui, ce qu’il ajoutait décisivement, était qu’il n’y a pas de relation sans consentement, sans oui, sans fiat, et que c’est ce sursaut qui signifie et authentifie un accueil, donc une rencontre et qu’on ne connaît rien ni personne sans cette décisive ouverture qu’est l’acquiescement. De là, la louange, la joie, les heures monastiques, l’amitié qui est retour et fruit du consentement et de l’accueil.

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