dimanche 1 février 2009

état de vie - textes du jour & dialogues

Dimanche 1er Février 2008


08 heures 48 + Prier…[1] J’aimerais vous voir libres de tout souci, écrit Paul à ses ouailles. Il commande même aux esprits mauvais et ils lui obéissent. La « solution » de vie pratique pour Paul était radicale, selon une analyse sommaire de la vie conjugale. Comment sera-t-elle lue tout à l’heure dans ma petite église médiévale d’Ambon, une trentaine de personnes dans un froid relatif… l’argument de Paul : les époux absorbés par le souci de se plaire mutuellement ou les affaires de cette vie, tandis que les célibataires n’ont que le souci des affaires du Seigneur, et la femme sans mari, ou celle qui reste vierge, a le souci des affaires du Seigneur, elle veut lui consacrer son corps et son esprit. Soit… mais je n’ai vu que souci de la promiscuité en communauté, persécutions petites ou grandes par inadéquation des modes actuels de gouvernement, et des épanouissements qui semblent plus tenir à un tempérament naturellement adapté à un certain état de vie, que le contraire : une sainteté produite par l’état de vie volontairement choisi. Mon appréciation est lapidaire. Elle vaut moins pour le clergé séculier, mais aucun état de vie ne mène par lui-même à une consécration à Dieu, tandis qu’au contraire la vie conjugale est une épreuve – autant qu’une gratification – constante. Disons qu’il y a certainement à refonder aujourd’hui la vie consacrée – qu’elle le soit volontairement ou par défaut de compagnon ou compagne. Et l’argument n’est pas le manque de vocations, mais les échecs du système. L’Eglise cherche aujourd’hui sa forme et sa communication. Le problème du couple est tout autant criant avec des engagements qui n’en sont plus, des souffrances sans nom que je constate presque quotidiennement, soit les enfants souffrant à jamais de la séparation de leurs parents (quand ce n’est pas le défaut de reconnaissance), soit les conjoints diminués par leur érosion mutuelle dans des conflits d’objets minucules mais aux effets mortels. Il est pour moi certain que le bonheur tient à notre relation à Dieu, mais celle-ci intime n’est aisée dans aucun état, et interdite dans aucun état. Trop d’époques ont privilégié la recherche de l’état de vie pour ne pas étudier l’essentiel : comment vivre une fois dans un état, quel qu’il soit. La réponse me semble la prière, la tolérance, l’espérance, l’amour autrement dit nos vieilles vertus théologales. Et probablement davantage d’échanges et de portances mutuelles entre états de vie différents, comme entre sexes et âges différents. Et demain – mûe du monde et des relations internationales – entre races, civilisations, cultures, religions. L’école véritable, sereine, et décapante est alors – comme le Christ au tympan de nos églises médiévales ou le Pantocrator des icônes – celui qui enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. Alors nos maladies, nos chutes à chacun, l’imperfection actuelle de la plupart de nos institutions, la péremption de tant d’habitudes et de relations, les esprits mauvais, sont réduits à l’obéissance. Un prophète qui oserait dire en mon nom une parole que je ne lui aurais pas prescrite, ou qui parlerait au nom d’autres dieux, ce prophète-là mourra.

10 heures 49 + Je reviens sur ma vive réaction à la lecture de Paul ce matin. Mon cher recteur, Denis M., dans sa petite église d’Ambon – environnement évoquant la guerre de Vendée, mais pas vingt cinq personnes, dont six hommes et un garçonnet – n’a prêché que sur Marc et l’autorité du Christ, mystérieuse mais décisive pour ses contemporains. Trois genres de rencontre dans ma vie. Des religieux qui en entretiens spirituels ou en écoûte de conseils de vie, selon l’âge que j’avais, m’ont paru détenir un trésor, qui était le fruit autant d’une consécration que d’un discernement. Vieillissant ou expérimentant à mon tour l’existence humaine et nos multiples conditionnalités, je n’ai progressivement plus vu que l’extérieur, le cœur, l’âme, le nerf d’une consécration m’étaient moins visibles à mesure sourdaient les difficultés de vivre, propres non à un état de vie, mais aux limites et aux angoisses humaines. Ce n’est que récemment que j’ai perçu, en sus, les difficultés propres aux institutions, tant diocésaines, rapports de l’évêque toujours parachuté autoritairement avec des prêtres, à vie dans un territoire pas grand et très déterminé sociologiquement et économiquement, culturellement, que monastiques. Au total, je suis plus enclin au partage fraternel qu’à une mise à l’école. Deuxième genre, les grands serviteurs de notre pays, et les exemples aujourd’hui a contrario : la constellation de Gaulle, pour résumer. Presque toujours chez ces personnages dont beaucoup sont morts, dont quelques-uns survivent admirables de lucidité, de détachement, de longévité pour travailler, penser et témoigner, il y a une austérité de mœurs, une stabilité affective, de véritables structures éthiques je les ai interrogés pour comprendre ce qui allait être mon époque, une France oubliant de Gaulle et dédaignant (avec superbe et bêtise) son legs. Ils m’ont plus appris et formé que les premiers, alors que la démarche était la même : évoquer un personnage d’exception et en tirer des conséquences pratiques et de vie personnelle. Le troisième est la misère du monde qui, quand elle est dialoguée, main dans la main, le regard donné, est un inoubliable appel à l’espérance et à la compassion mutuelles. Misères nobles et extrêmement intelligentes de l’Afrique saharienne, détresses des solitaires, des maltraitées, des exclus qui nous mettent dans la vraie situation : d’un monde qui ne va pas et dont nous sommes chacun responsables. J’en conclus que l’assemblée de prière et d’attente, que l’écoûte mutuelle, sans esprit de supériorité, sans complexe d’infériorité importe plus que les statuts, les hiérarchies, les règles de vie. Et je reviens à Paul, dévoré de zèle, rencontrant mille épreuves (qu’il a racontées et énumérées lui-même, non sans une complaisance qui serait déplaisante et narcissique s’il ne rapportait tout, et notamment sa capacité à ainsi supporter, au seul Christ, son maître et Seigneur). Que retenir alors : libres de tout souci… attachés au Seigneur sans partage. C’est cet attachement qui nous libère, où que nous soyons et vivions, quoi que nous vivions. La psychanalyse avec sa dialectique de la perte pour acquérir, de la séparation pour se constrruire, a la même intuition. Il lui manque la forte affirmation de l’Ecriture, que tout est à la fois éminemment personnalisé – le caillou brûlant au front ou aux lèvres, l’appel de chacun par son nom du lac de Tibériade à la pierre roulée du tombeau – et collectif, la soif de postérité, la Jérusalem céleste, le peuple entier. Notre salut ensemble, chacun vecteur du Christ et de ses promesses, mais rien ne valant, rien n’étant assuré s’il n’y avait les promesses à Abraham, l’alliance avec Noé, le sacrement donné à la dernière Cène. Ainsi soit-il.


[1] - Deuténonome XVIII 15 à 20 ; psaume XCV ; 1ère lettre de Paul aux Corinthiens VII 32 à 35 ; évangile selon saint Marc I 21 à 28

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