dimanche 24 janvier 2010

dans la perplexité et dans la peine, recevoir d'un ami

Lundi 15 Mai, 11 h. 1967

Mon cher Bertrand, la paix du Christ.

Je prends la plume après ton départ, afin de te préciser ce que je t’ai mal exprimé oralement.

Les difficultés présentes proviennent d’erreurs commises de la part de Nicole comme de la tienne. Mais, pour toi, il peut être précieux de comprendre pourquoi tu as fait erreur. Il ne s’agit pas de chercher les raisons extérieures ou même intérieures immédiates : pourquoi, en fait, tu t’es trompé dans ce cas précis. Si, au contraire, la crise présente (ou peut-être déjà dénouée) pouvait te conduire à rechercher les racines en toi dont elle provient, elle contribuerait à fortifier et à approfondir votre amour.

Comme moi, je crois que tu vois trop les êtres qui t’entourent à travers toi-même. Tu es lucide sur toi-même, lucide sur les autres, mais tu as trop confiance en ta lucidité. Je l’ai ressenti pour moi ; c’est probablement plus vrai pour d’autres : tu penses trop comprendre l’attitude, la difficulté intérieure de l’autre, sa confiance, son enthousiasme ou son inquiétude. Tu ne fais pas assez attention à la toute petite part de l’autre qui t’échappe et que pourtant tu pressens. Une attitude donnée à bien des motifs : tu en comprends la complexité, mais je crois que tu n’écoutes pas assez la résonnance intérieure qu’a le motif le plus secondaire apparemment. Mais du fait même que ce motif n’est que pressenti et non entièrement compris par toi, tu dois comprendre qu’il est important : car ce qui est le plus profondément personnel, ce qui est le plus secret et le plus intime, ce qui est le moins compréhensible pour une intelligence extérieure ou même pour l’affectivité d’un autre, c’est pourtant cela qu’il faut écouter avec attention, en sortant de soi, car c’est cela qui anime en vérité et en profondeur l’autre.

Je suis très franc et pas très clair. Que ce double risque soit une preuve de mon amitié pour toi.

Devant l’autre, il ya donc une continuelle conversion à faire. Tous les deux, nous avons beaucoup trop tendance à agir avec promptitude et efficacité et même nous avons tendance à vouloir aider les autres à faire de même. Agir, il le faut évidemment mais l’action ne peut aller sans un effort incessat d’écoute, de dépouillement de soi. Accueillir, recevoir l’autre comme il est, se laisser pénétrer par lui. L’amour est un don réciproque, certes, il est peut-être lus encore un accueil réciproque. Recueillir avec le plus grand soin le plus petit pressentiment d’incompréhension, comme une invitation à accueillir ce que nous ne comprenons pas, à accueillir ce que l’autre est. C’rest difficile car ce qui ne rentre pas dans nos propres structures, nous irrite et nous sommes tentés de n’en pas tenir compte ou d’en donner une explication qui le fasse rentrer dans ce que nous ne pouvons concevoir parce que c’est cela qui lui est vraiment propre.

Cet effort d’accueil est pour moi le principal depuis deux mois, il le sera probablement pour longtemps car il concrétise à mon avis la conversion intérieure qu’il est nécessaire de faire. Cette sortie de soi indispensable pour accueillir Dieu comme pour accueillir les hommes. Je crois que cet effort t’est plus nécessaire encore qu’à moi, en cette difficile période de fiançailles, mais surtout pour ce que tu es. Tes difficultés dans les rapports avec nicole et avec les autres, viendront principalement de là. Elles ne viendront en tous cas ni du manque de cœur, ni du manque d’intelligence, ni du manque d’intuition ou de lucidité.

Voilà ce que tu m’as demandé de te mettre par écrit. Je souhaite que cela t’aide autant que m’aidera ce que tu mas dit et dont je te remercie vivement : erreur commise dans ma dernière lettre, risque d’en rester à un optimisme confiant et ssuperficiel, de ne pas comprendre et pénétrer les difficultés de l’autre avec tout ce qu’elles comportent d’incertain, penser trop vite que tout s’arrangera et bien d’autres choses dont je bénéficierai.

Je prie pour toi et Nicole tous les jours et j’ai gardé précieusement dans mon cœur tout ce que tu m’as dit : je porte avec moi tes difficultés, dans la faible mesure où je peux le faire.

Que le Seigneur vous guide tous les deux dans une compréhension mutuelle plus profonde et sereine.

Ton ami et frère dans le Christ, Michel



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Vendredi 19 Mai 1967

Mon cher Bertrand, la paix du Christ.

Je viens d’ouvrir ta lettre, je partage ta peine autant que je le peux. Je te promets de prier beaucoup. La souffrance exprimée par ton mot m’a fait mal. Je ne comprends pas. Je n’ai d’ailleurs pas à chercher à comprendre mais à prier. Le sacrifice de la messe et le chapelet quotidien m’uniront particulièrement à toi. Ta peine est ma peine, je la mettrai chaque jour devant le Seigneur toute droite, toute nue.

Que le Christ, mort sur la Croix par amour pour nous t’accorde la paix, nous accorde la paix.

ton frère dans le Seigneur, Michel

PS Sois assuré de ma totale discrétion

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