dimanche 14 février 2010

mais non ! - textes du jour

Dimanche 14 Février 2010

Endormi avec Vercors à nouveau : cette étrange pièce ou ces nouvelles [1], avec des formules frappantes ; ces années 30 à 50 – qu’à mon sens symbolisent très bien les pièces et films de Sartre – sont rudes et tranchées en idées, en politique, en événement. On est à raisonner dans les cas-limites, la torture, la liberté, la contrainte, on ne se paye pas de mots, les situations sont analysées en face, engagements divers mais engagements, aucune rente de situation, critères de discernement et d’estime publique totalement abrupts : la morale est à nu, pas d’indifférence. L’époque n’est pas passive. Prolongé… avec Huguenin [2], récit auquel s’apparente le mien dix ans plus tard dans mon journal 67-71 : celui d’un travail d’écrivain en puissance, le roman à composer, des articles à donner et les amours, les filles ou les femmes, sont secondaires et à rejeter comme une dispersion. Loin du donjuanisme ou de l’addiction à la conquête ou au plaisir, la curiosité est blasée et il y a une forte dose d’inexpérience de la vie, cette immaturité des adolescences qui se prennent au sérieux, se croient informées. Mais on se juge avec rudesse, on attend plus de soi que de la vie… – Prier… participation à la messe aujourd’hui impossible. Prière de désir, déséquilibre dans les habitudes, une messe dite de mémoire sur un de ses chantiers chinois par Teilhard de Chardin et pendant laquelle il déraille, me semble-t-il. Textes et silence sont un maintien de cap. Silence intérieur. L’étalon de ma vie, le criètre, la mesure qui sera mise sur la balance, l’échelle de valeurs. Mes aimées, là alors, pour me racheter. Communion des pécheurs, c’est-à-dire des saints. Paul remonte aux sources, sa foi, la sienne et celle qu’il propage, tient-elle ? il raisonne en syllogisme et selon la méthode grecque. A l’envers comme si notre foi opérait la résurrection du Christ lui-même ! Si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi ne mène à rien. Applaudissements de l’incroyant, Paul a public gagné. Nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. Et voici la leçon du texte et de toute la vie de Paul et sans doute de toute vie humaine, car je crois à la foi de chacun et à l’intimité de la rencontre et de l’appel à un moment ou à un autre de cette vie ou de l’autre, sans rien de figé jamais, sans rien d’impossible, jamais. Paul ne triomphe pas par la raison mais précisément par cette foi qui le fait ressurgir… et puis, ceux qui sont morts dans le Christ, sont perdus… Mais non ! le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité. Et en cela, même si c’est paradoxal, il est plus homme que Dieu, Jésus se montre pleinement homme, pas tant par sa mort que par sa résurrection. Seulement Dieu, il n’avait pas à ressusciter pour vivre. Et nous faire triompher par lui. Béni soit l’homme qui met sa confiance dans le Seigneur, dont le Seigneur est l’espoir… Maudit soit l’homme qui met sa confiance dans un être mortel, qui s’appuie sur un être de chair, tandis que son cœur se détourne du Seigneur… il ne verra pas venir le bonheur. Qui ne sait que l’amour – humain – ne tient pas s’il n’est fondé que sur l’humain. Malheureux, vous les riches : vous avez votre consolation ! Malheureux, vous qui êtres repus maintenant : vous aurez faim ! Malheureux, vous qui riez maintenant : vous serez dans le deuil et vous pleurerez ! … Regardant alors ses disciples, Jésus dit : heureux, vous les pauvres… Aucun texte ne mentionne une discussion des béatitudes (et des malédictions) par les apôtres : ceux-ci les ont-ils comprises ? Luc place ce discours juste après qu’ils aient été choisis, fait longuement continue Jésus comme si celui-ci décrivait tout ministère, toute parabole, mais l’application ne vient qu’avec la foi du centurion. La réponse à l’exhortation divine n’est pas dans le public mais chez l’étranger, l’occupant, le « païen » qui ne craint pas d’être demandeur [3].


[1] - Vercors, Les yeux et la lumière . mystère à six voix (Albin Michel . Octobre 1950 . 247 pages)
. . . une fenêtre ouvrait sur une courette où poussait un jeune arbre obstiné, qui lançait vers le ciel ses branches et ses feuilles légères dans un mouvement d’offrande et d’allégresse. p. 210
Je suis le maître dans ce pays. Je fais ce que je veux ! Non, vous faites ce que vous vous êtes mis dans le cas de faire. p. 226

[2] - Jean-René Huguenin, Journal édition intégrale (Seuil . Janvier 1993 . 354 pages) – surtout connu pour son unique roman La côte sauvage – comme Camus, se tue en voiture mais à 26 ans – Gracq dit de lui trente ans après sa mort « Sa disparition précoce a creusé dans la production du temps un vide qui, selon moi, se laisse encore ressentir ». Je ne sais rien de sa vie, il me semble qu’il a préparé l’ENA… en 1958 ou 1959… époque qu’il juge plate alors que de Gaulle revient au pouvoir et qu’il y a la guerre d’Algérie… spleen toujours
ce qui me rend si triste, c’est qu’un retour offensif de ma médiocrité soit encore possible, aujourd’hui, après tout ce que j’ai fait, vêcu, aimé, souffert. Je vais me serrer la vis, vivre de fer. Travail continu, discipline – c’est bien la moindre douleur. Dimanche 27 Avril 1958
Il y a toujours eu en moi un mélange de volontré ardente et de veulerie. Je suis incapable de me réserver, de faire le mort : quand à va mal, j’en remets. Je ne sais pas me replier, me battre sur de nouvelles lignes de défense, je n’ai pas encore conquis le courage de ce qui est au fond la suprême victoire : une reraite en bon ordre. Ma fâcheuse tendance à être lâche, à transformer une défaite en déroute. Dimanche 4 Mai 1958
On ne prépare rien, on ne prévoit rien : on assiste à sa vie. Mercredi 7 Mai 1958 en pleine crise du retour du Général « aux affaires »
. . . une part de mon âme tient fermement à Dieu, une grâce m’a été accordée dans l’enfance qui ne me sera point reprise, il faudrait vraiment que je la rejette de toutes mes forces. Pécher n’est pas succomber à la tentation, mais résister à la Grâce.
Dimanche 8 Mars 1959
L’immense, la prodigieuse tristesse qui rôde autour de mi descend parfois au fond de mon cœur, me possède tout entier, m’étouffe, et, ivre de découragement, de souvenir, de désolation, je me laisse tomber, tout m’abandonne, je me laisse mourir.
Samedi 14 Mars 1959
Tout amour essaie d’inventer un langage : c’est l’origine de la création littéraire. Vendredi 7 Avril 1961 cf. Journal de deuil de Roland Barthes
Il faut juger les femmes à la première seconde, avant qu’elles n’aient eu le temps de mettre l’âme qui vous plaira. même jour
. . . Soirée avec M.-F. de C., qui m’entraîne dans la faune, inconnue pour moi, de Saint-Germain. Visages dont le vide est insupportable. Morgue où les morts sont debout, mais parlent peu et ne semblent voir et entendre qu’avec peine. Fumé du haschisch. Comme ces paradis artificiels sont médiocres auprès des paradis spontanés que je connais parfois ! M.-F. : la volonté de puissance est en train de passer chez les femmes. Vendredi 31 Août 1962
L’amour : partager avec quelqu’un le sentiment d’être mortel. Vendredi 14 Septembre 1962
La grandeur de Dieu : nous avoir donné le pouvoir de le faire souffrir ou de le faire sourire. Samedi 15 Septembre 1962
Aggraver le quotidien. Attention créatrice. Pouvoir répondre du dernier instant. Lundi 17 Septembre 1962
Il faut en finir avec la bouillabaisse sentimentale où je mijote depuis un an. En finir avec l’auto-analyse, l’autocritique, l’autocontestation, qui ne sont la plupart du temps que de bonnes excuses pour ne pas m’affirmer, ne pas agir.
Mercredi 19 Septembre 1962
Le plus urgent est de durcir ma vie : il me faut deux cents heures de travail dans les trente jours qui viennent. … Avant tote chose, retrouver ma puissance et mon cœur. L’enfer, c’estr d’agir malgré soi. Je suis fratigué des hantises, des scrupules, des arrière-pensées, des retours en arrière, qui me divisent. Je suis fatigué de me remettre en question. J’ai envie d’attaquer. Ne plus hésiter, ne plus reculer devant rien. Aller jusqu’au bout de toute chose, quelle qu’elle soit, de toutes mes forces. N’écouter que mon impérialisme. Mercredi 19 Septembre 1962
L’éditeur – c’est la dernière ligne – donne « ici Jean-René Huguein a tiré u trait horizonatl et laissé un blanc sur le reste de la la page » … et c’est l’accident de voiture
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[3] - Jérémie XVII 5 à 8 ; psaume I ; 1ère lettre de Paul aux Corinthiens XV 12 à XVI 20 ; évangile selon saint Luc VI 17 à 26 passim

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