mercredi 21 avril 2010

chair & religion - l'Eglise catholique en question ?

Le seau du puits ne s'emplit pas à moins qu'il ne s'abaisse ; moi, je reste vide faute de m'abaisser.
bienheureuse Marie de l’Incarnation – veuve et carmélite – 1545 + 1618 . fêtée le 18 avril

Il y aura toujours des pauvres parmi vous,
mais moi, vous ne m’aurez pas toujours
évangile selon saint Jean . XII 1 à 11


chair & religion

réflexion d’actualité et d’une vie, sinon de toutes



Vendredi-Saint 2 Avril 2010

A r g u m e n t
découvert-ressenti au fur et à mesure de l’écriture et aussi des « événements » des deux semaines avant Pâques – de cette réflexion-méditation qu’a provoquée en moi la vague médiatique sur les scandales et actes de pédophilie, je crois indispensable que « le peuple », les laïcs prennent le relais à deux points de vue : l’Eglise, au plan de sa hiérarchie et de ce qu’elle dit d’elle-même, n’est plus comprise et ne sait pas communiquer (elle ne sait même plus vraiment prêcher, en tout cas pour les paîens, elle ne retient plus, elle n’attire plus), elle ne sait plus ou ne sait pas former l’affectivité et la relation au monde de ses ministres, elle parle ou plutôt sa hiérarchie, soi-disant servante et pauvre, et assurément de bonne foi en se voulant telle et en l’étant quand même le plus souvent, elle parle pro domo. Le « peuple » doit prendre le relais pour la communication sur l’Eglise, telle qu’il la vit, la voit et la veut, et il doit aussi prendre le relais pour la formation affective et sociale du religieux, du consacré au masculin et au féminin, du prêtre. Ces questions commandent la crédibilité et le rayonnement de l’évangile aujourd’hui, leur solution changera par contagion évangélisation et communication. L’agent du changement et l’introduction en grand du peuple dans la vie de l’Eglise est certainement l’évêque dont le rôle de père spirituel pour les prêtres, les religieux, les consacrés, directement et quotidiennement, et évidemment en appel est décisif, mais les vies diverses et si incarnées quotidiennement sont affaire très approfondie de nouvelle compréhension du couple, de l’amour sexué, de l’amour sublimé, des expressions diverses de notre humanité et de notre affectivité. Le chantier est immense, l’Eglise par un magistère mal perçu depuis un demi-siècle est assimilée à la répression sexuelle et par conséquent, elle s’est exposée – sciemment – à l’adage : médecin, soigne-toi toi-même. Pourtant les errements et les péchés, les crimes de certains de ses ministres sont le signe – paradoxalement positif – de l’humanité de l’Eglise, donc de l’incarnation perpétuée de son maître, seigneur et fondateur. Le chemin est là, assumer l’incarnation mais la traiter en adulte et ensemble.


Jeudi de Pâques 8 Avril 2010 - La mise ou la remise au jour de crimes et délits sexuels commis par des membres du clergé catholique n’est pas nouvelle et recommencera, autant que ces faits. Face à eux, face aux commentaires médiatisés, il y a les victimes, il y a les auteurs, il y a la hiérarchie cléricale et il y a une seconde catégorie de victimes – non qualifiables puisque le préjudice qu’elles subissent n’est pas qualifié et ne peut probablement l’être jamais – les victimes de l’amalgame, le clergé entier et ceux qui lui sont fidèles, et une troisième catégorie : les scandalisés. Ces derniers sont de deux sortes : ceux qui ne se veulent pas de l’Eglise et ceux qui s’en réclament. Les agnostiques, les indifférents, ceux qui selon qu’ils n’ont pas la foi chrétienne ni même un sentiment religieux, ce qui est leur droit et ce qui les regarde, ne peuvent considérer la médiatisation et les faits incriminés qu’au sens de la loi humaine et des mœurs liés aujourd’hui à nos modes de communication. Position confortable mais qui ne prend pas en compte la gravité des faits et ne contribuera pas à remédier aux déficiences d’une institution ayant un rôle dans la société et qu’il importe donc de rendre ou de maintenir positif. Et il y a les chrétiens, le peuple formant l’Eglise et administré, à beaucoup d’égards, pas seulement spirituel, par son clergé. J’ose dire – parce que je l’ai fortement ressenti pendant ces quinze jours – que ce sont ces chrétiens, ce peuple qui ont le plus et le mieux à dire, et que les remèdes à toujours réactualiser viendront d’eux. Communication, réforme des mœurs, accompagnement affectif et spirituel du clergé, expérience de la chair en situation de retenue, de mystère ou de bonheur, la hiérarchie cléricale doit être seconde. Instituée divinement : c’est la foi de ses fidèles, elle ne procède pas d’eux, mais c’est le peuple entier qui a les solutions et qui doit prendre le relais. Ces scandales ne sont que des signes – terribles, mais parmi d’autres – d’une crise profonde, que manifeste aussi la crise du recrutement clérical. Cette crise n’est pas propre à l’Eglise, elle est la marque de notre époque : les dysfonctionnements économiques et sociaux, les profonds déséquilibres stratégiques, la relève par le terrorisme des tentations totalitaires et le dépérissement de toute participation à la politique devenue accaparement et carrière partout dans le monde appellent de nombreux types de réponse et de remède. L’Eglise a le privilège – pas étonnant pour ses fidèles – d’avoir en même temps la plus grave responsabilité dans les dérèglements des siens, car la loi naturelle n’est pas seule en cause, celle de Dieu l’est bien davantage, et quelques-uns des chemins de guérison. Sa crise et celle du monde qui lui est contemporain, s’accentuera encore d’ici un renouveau aussi certain que l’humanité a les promesses de l’éternité. C’est à ce renouveau qu’il faut commencer de travailler tout de suite, même s’il est probable que nos générations ne verront pas l’entier de cette nouvelle renaissance.

Réfléchissant sans conseil – malgré l’adresse à quelques clercs, notamment, de cet écrit encore en gestation, adresse demeurée sans réponse – et n’ayant d’a priori, constamment vérifié pendant mon cheminement, que ma foi chrétienne se révélant, en cette matière triste mais propice à de forts rebonds, un outil très performant, j’ai été convaincu que ces drames, irréparables dans le cœur, le corps et la psyché des victimes, péniblement ressentis par le clergé vivant un injuste amalgame (Souverain Pontife compris), peuvent faire réfléchir sur le fonctionnement et sur le caractère sacré de ses ministères et de ses ministres, donc sur sa responsabilité humaine et contingente dans la vie des siens, dans celle de ses fidèles, dans celle de tous ses contemporains.

Je donne ici ce cheminement en forme d’observations personnelles et d’hypothèses.



Mardi-saint 30 Mars 2010

L’Eglise catholique romaine – sciemment ? – s’est exposée depuis une cinquantaine d’années à la critique la plus forte, celle qui court les évangiles : ne pas pratiquer ce que l’on enseigne [1], et qui peut faire de ceux-ci, à ce point de vue, un pamphlet anticlérical d’une inégalable violence.

La réalisation du message pacifiste ou le rappel des fondements de toute société humaine – actualisés depuis la fin du XIXème – offraient peu de prises à la critique puisque la pratique de ces recommandations dépend peu de l’Eglise en tant que telle et qu’il ne manque pas – à toutes époques et en tous pays – d’individualités à la pointe d’initiatives sociales, rachetant toutes les déceptions tenant aux institutions ou aux hiérarchies, et que le Vatican s’illustre de plus en plus souvent par la qualité et l’objectivité de sa diplomatie. En revanche, l’insistance croissante du magistère en matière de mœurs, reçue souvent à contre-courant de cultures de plus en plus libertaires et sans éthique discernable, a mis l’Eglise en situation de probation, et lui fait risquer constamment le scandale dans des domaines qu’elle ne maîtrise pas, simplement parce qu’ils sont du ressort des libertés ou des détraquements individuels. Des condamnations doctrinales – aux fondements qui ne paraissent pas toujours très approfondis [2] – et des comportements individuels en contradiction, couverts par le silence, sinon le déni, selon une loi tacite, celle des régimes totalitaires et fermés. Un enseignement peu compris, des parcours scandaleux. La médiatisation est moins ravageuse que la révélation locale par le fait ou par la rumeur. La distinction – laxiste ? – entre la règle et la pastorale se conçoit et se pratique pour les laïcs, elle ne peut s’accepter pour le clergé. Le divorce, l’adultère, l’inconduite conjugale ne sont pas jugés par les tiers comme le fait de chrétiens infidèles à leur foi et à leur catéchisme, l’exemplarité et la densité de fidélités de couples ne sont pas regardés forcément comme le fruit d’une vie spirituelle. La société contemporaine n’a pas de références religieuses pour pratiquer ou juger la vie sexuelle : c’est un fait qui conduit à des paradoxes, notamment pour le regard des tiers sur la vie pratique du clergé [3]. L’homosexualité ou le concubinage, dans un état de vie censément religieux ou sacerdotal, peut prêter à ergoter sur le libellé des vœux de chasteté ou de célibat. Ils ont cessé de scandaliser et même d’interroger, ils nourrissent seulement le simplisme consistant à voir dans le mariage des prêtres le remède à la baisse des effectifs autant qu’à la concupiscence. Le débat sur la pédophilie a étrangement, en peu de jours, viré à cette interrogation « technique ».

Les scandales qui secouent ces temps-ci certaines églises locales et qui mettent en cause, aussi, le Vatican sont d’un autre ordre, mais paradoxalement ils suggèrent des réflexions et des comportements pouvant remède aux difficultés plus habituelles de la vie affective et sexuelle de celles et ceux que leur vocation a appelés – accessoirement ? – au célibat.

Depuis la légalisation du divorce et de l’avortement, depuis la relative banalisation de l’homosexualité au moins en milieu urbain, les mœurs conjugales et les entorses au célibat sacerdotal et aux vœux religieux de chasteté ne posent plus que des questions de morale individuelle – qu’on le déplore ou pas. En revanche, les violences sexuelles, le tourisme sexuel, la pédophilie sont qualifiés pénalement de plus en plus lourdement, sans d’ailleurs que soient réfléchis en quoi et comment ces abus, délits, crimes ont des causes psychologiques chez ceux qui les commettent et des conséquences psychologiques pour les victimes. L’approximation est partout, la médiatisation des écarts ou des atteintes plus ou moins graves à l’intégrité d’autrui procède en fait du même laxisme que celui qui a, censément, « libéralisé » les mœurs. L’Eglise, en tant que telle et selon l’image, l’incarnation qu’en offrent son clergé et ses religieux, est donc une cible à presque tous les points de vue. A croire qu’elle s’est choisie comme telle puisque son enseignement est sans indulgence ni tolérance, qu’il est même perçu comme étant mal informé des réalités humaines selon nos civilisations et nos cultures actuelles : les écarts de ceux et celles qui paraissent davantage siens que les chrétiens du rang ne peuvent donc être traités et compris avec charité et relativité – simple réciprocité. Elle-même ne semble ni comprendre ni connaître – en officialité – alors que…

Faute de stratégie – qui ne semble pas encore en voie d’élaboration [4] – la tactique de l’Eglise reproduit les systèmes de défense en communication quand une institution politique ou une entité économique ou financière sont en cause : apaiser la tempête par quelques sanctions nominatives sans répondre au fond des critique, compter sur le temps pour l’oubli, observer qu’une hirondelle ne fait pas le printemps et que les cas – le plus souvent non contemporains et parfois exhumés à des fins partisanes de la part de l’investigateur ou de celle de la victime – sont peu nombreux au regard de l’ensemble du cléricat catholique. Sans doute…

Les critiques et le scandale – différents d’expression selon qu’il s’agit de commentaires médiatisés ou d’opinions personnelles exprimées entre les gens – ont porté ces semaines-ci sur des débordements pédophiles et sur l’impunité organisée de facto par les autorités hiérarchiques. Les deux faits – crime ou délit, et dissimulation organisée – sont punissables pénalement dans les sociétés où se meut l’Eglise, mais leur occultation peut faire croire à une zone de non-droit ou d’un droit différent de celui de la société civile, et faire craindre que ces zones soient dangereuses pour les tiers. L’Eglise ne serait d’ailleurs pas de nos jours seule suspecte. L’univers carcéral, les milieux bancaires, le « show biz », certaines strates des milieux hospitaliers, l’armée à certaines époques troublées comme celles des guerres coloniales, voire au temps de l’affaire Dreyfus, le « monde du sport » aujourd’hui sont des sociétés échappant de fait au droit commun et à une connaissance publique de déonotologies ou d’absence de déontologies. Droit et morale ne sont pas socialement universels. Fonctionnement peu transparent, difficulté pour les victimes de faire connaître ce dont elles pâtissent : la corruption mentale obscurcit les jugements, chacun se prend dans un engrenage. Mais en juger trop simplement fait oublier des situations particulières où le coupable, s’il n’est d’une certaine manière compris, devient autant victime que sa victime : différents, les dégâts sont d’intensité et de pérennité comparables.

Par un magistère – trop orienté, selon la perception que les fidèles et surtout les tiers en ont eu, comparativement à l’ensemble de son message et de ses enseignements – l’Eglise s’est attachée à traiter des sujets qui lui sont devenus, sans qu’elle l’ai cherché, emblématiques alors même que ces sujets pour l’ensemble des contemporains devenaient les lieux de liberté ou de déviation, les lieux du laxisme autant que des mises au pilori. Moquée ou réduite pour ce qui semble une hantise : la chair, le sexe – ce qui est un paradoxe pour une organisation religieuse dont l’originalité suprême est l’incarnation du Dieu qu’elle prêche et le dogme convivial au possible de la résurrection de la chair – l’Eglise n’a pas, je crois, à réduire l’actualité à deux problématiques, celle de sa communication, celle de ses disciplines internes.

Encore faut-il regarder brièvement celles-ci.





L’Eglise ne sait plus communiquer.

Dans l’exemple français – actuellement peu touché par les scandales qui ravagent l’Irlande et l’Allemagne notamment, mais les Etats-Unis et le Brésil aussi, semble-t-il – la communication de l’Eglise tenait à sa participation au pouvoir temporel et à la contribution dominante du clergé catholique au système éducatif. Cette époque est révolue. La communication selon les médias écrits et maintenant audio-visuels et virtuels, est bien maîtrisée pour ce qui est des supports, elle l’est peu pour que soit reçu et compris le message chrétien quand il s’agit du cœur de la foi. Elle est irresponsable et inexpérimentée en défense pro domo [5] . L’obédience des supports d’inspiration catholique est irrégulièrement perceptible : davantage reflet de l’opinion que vecteur du message ou du communiqué, ces supports ne peuvent être des relais privilégiés. L’Eglise – comme le curé de paroisse, comme les évêques en conférence nationale ou chacun en son diocèse – ne peut plus communiquer qu’en tant que telle, directement et ses ministres ne sont plus entendus qu’à titre personnel et selon un rayonnement qui doit bien plus à chacun qu’à leur fonction. On touche d’ailleurs à la donnée de fait qui commande – au moins en France et en Europe occidentale – la « nouvelle évangélisation ». Comment a-t-on d’ailleurs pu oublier, pendant les deux derniers siècles, que l’Eglise offrait le visage d’une classe sociale et – outre-mer – d’un système économique et politique précis : le colonialisme ? Elle s’en est émancipée heureusement mais pour tomber dans de nouveaux liens. Car « l’alliance du trône et de l’autel » demeure souvent pour elle, dans l’analyse des situations locales et pour l’élaboration de stratégie dans les pays d’ancienne chrétienté, une nostalgie lui faisant manquer soit son témoignage, soit de fortes opportunités institutionnelles. Ainsi, dans le cas de la France, Benoît XVI aurait pu imiter Paul VI refusant son audience à Valéry Giscard d’Estaing pour avoir légalisé l’avortement. Ne pas recevoir le président français à la veille du troisième mariage de celui-ci, ne pas se rendre à l’Elysée puisque son homologue en autorité religieuse : le Dalaï-Lama n’y avait pas été, auparavant, invité lors de sa propre visite pastorale, se solidariser ouvertement avec l’épiscopat national à propos du droit de l’immigration, du droit d’asile, des tests racistes et des camps de rétention, dont les démarches auprès des parlementaires avaient été contrecarrés par le pouvoir en place – une telle série d’attitudes aurait parlé fort et fait socle pour des interventions plus difficiles de fond.

La communication ne doit être ni en défense ni en réplique, sauf à mettre le parterre de son côté et à le placer en situation de demande. La communication du général de Gaulle est l’exemple parfait – valable pas seulement en politique. Donner à l’opinion autant qu’aux commentateurs les structures permanente ou du long terme qui permettent l’analyse du quotidien et le classement des éphémérides. Etre attendu périodiquement et en temps de crise. Avoir le sens de la formule. Ne pas donner prise à des interprétations ad personam, c’est-à-dire n’être pas impliqué par sa vie et son parcours personnels dans le sujet traité. Assurer sa crédibilité par la continuité, la cohérence du propos, une fidélité à son style, à son vocabulaire et – dans le cas de l’homme du 18-Juin, qui est l’idéal – allier le prophétisme et le suspense. Une manière d’imprévisibilité qui consacre l’indépendance de la parole et une lecture aisée renvoyant aux précédents pour conforter le dire du nouveau moment. Pour le clergé – à l’imitation du Christ – le précédent de toute parole est une conformité de vie à l’Evangile, pas seulement présumable mais constatable, surtout dans une époque de banalisation de la vie courante, du costume, et des tâches du prêtre séculier. L’indépendance tient à une appropriation de l’Ecriture, du magistère mais aussi de l’actualité vêcue par le peuple sans cependant tomber dans une personnalisation et donc une précarité du propos mettant trop en valeur celui ou celle qui s’exprime et pas assez le contenu de ce qui est proposé [6].

Jean XXXIII aurait pu prêter à la caricature par son physique et par son âge : sa communication a répondu à tous ces canons, l’art de l’imprévisible, le don du mot, l’évidente sainteté de mœurs et de vie quotidienne. Le grand public planétaire ne s’y trompa pas. Ses successeurs en bénéficièrent et eurent, d’emblée ce que lui-même n’avait pas eu : leur élection heureusement caractérisée. La liberté de ton de l’archevêque de Milan pendant l’inter-règne valait programme et l’inauguration de déplacements pontificaux hors le Vatican, la forte démarche œcuménique, la jonction habile de l’Eglise avec l’Islam pour la sauvegarde des Lieux-Saints à Jérusalem ont fait de Paul VI un pape écoûté dont l’encyclique de mœurs ne fut pas autant brocardée – quoiqu’on dise rétropsectivement – que les mandements de ses successeurs, parce qu’elle stupéfia à raison des risques que prenait le Vatican : le contraire de l’air du temps sinon de la démagogie. Précisément, Jean Paul Ier fut élu par les représentants du tiers-monde sur la régulation des naissances et Jean Paul II selon ceux qui anticipaient la chute de l’Union soviétique et du communisme par le choix d’un prélat polonais. Benoît XVI pâtit au contraire de toutes les comparaisons avec le positif de ses précédecesseurs, de tous les héritages et caricatures dont le message moral de ceux-ci a été vctime, et en sus de son équation personnelle : fonctions juste antérieures à son élection présentées comme répressives dans l’Eglise, nationalité et même date de naissance emblématiques. Le pape régnant n’a démontré jusqu’à présent de maîtrise que d’un seul atout, en sus d’une bonté que son visage, son regard font transparaître : la puissance de sa pensée, l’audace d’une plume et de propositions, mais ni l’une ni l’autre ne sont grand public, et elles demeurent dans le registre de l’enseignement.

L’écrit est un appui, une mémoire, la matière pour attester de la solidité d’un parcours, d’un dire. L’étonnement réjoui de François Mauriac ouvrant le premier tome des mémoires de guerre de l’homme du 18-Juin : il salue aussitôt le confrère en littérature. Benoît XVI excelle aux écrits scientifiques, à la vulgarisation des grands auteurs et s’il peut être critiqué en intuition – ainsi son livre d’antipathie lui faisant mésestimer et donc condamner, et faire condamner les théologies de la libération – il ne peut honnêtement l’être sur des capacités innovatrices, pourtant très solidement fondées : ainsi est-il le premier pape à placer à égalité dans son propos eros et agapè, à énoncer un droit humain au plaisir (sexuel) et à creuser ce qui distingue et ce qui relie charité et amour [7]. Mais il n’est pas lu, pas même par le clergé en position pastorale… les énoncés des évêques de France dans les années 1970 portent parce qu’ils coincident – chronologiquement – avec les programmes de la gauche et parfois même thématiquement : la critique de l’arme nucléaire [8]. Un document de même finalité : comment annoncer l’évangile dans le moment social et politique du pays, publié il y a quelques années, n’a eu aucun retentissement ni médiatique ni chez les chrétiens de France [9]. L’écrit n’est plus entendu, encore moins en défense, il est parlant quand il fait caractériser médiatiquement et schématiquement une attitude, une vue sur une question d’actualité ou de sensibilité. Ainsi l’encyclique Humanae vitae est mise à charge de l’Eglise comme Rerum novarum à son crédit – au moment de leur publication, mais qui les a lues ou relues ? Comment se défaire de l’amalgame : spirale dans laquelle s’enferma l’Abbé Pierre, pourtant au sommet de sa popularité et dans un moment où il soutenait avec éclat les débuts de la lutte en faveur des « sans-papiers » ? Le fondement d’une position ne peut plus être dit sereinement et, s’il est écrit par prudence, il ne retient pas. J’ai vêcu personnellement ces engrenages, cette impuissance autant que la persistance des imprudences – aux côtés de l’Abbé Pierre, seul, dans un petit hôtel de Zermatt puis à l’abbaye bénédictine de Praglia. Unique omparaison possible, le raz de marée naturel ou le krach boursier : plus rien ne tient.





Le prêche ne peut plus être erga omnes que d’exemple.

L’état de vie – consacré, religieux, sacerdotal : le cléricat – aggrave et la faute et le scandale. Envers soi, envers les autres, envers Dieu. La loi humaine, de plus en plus permissive, qualifie les faits et les punit avec de plus en plus de nuances, alors que la médiatisation et l’agnosticisme croissants schématisent de plus en plus, comptant pour rien ce qui reste décisif au regard de Dieu et de celui/celle qui change de cap ou contrevient à son orientation (son choix ?) initiale, réduisant à la haine et à la condamnation sans la moindre réflexion circonstancielle d’autres écarts et chutes. En gros, les rapports de couple auxquels s’adonnent certains membres du clergé ne portent plus à réprobation (seulement à chagrin ou à effort de compréhension personnalisée de la part de l’entourage religieux ou laïc de celui qui « change » ou qui « pèche » ou qui « tombe » : j’hésite sur les mots et n’en trouve pas, aucun n’est juste, comment dire et voir ces chemins ?), tandis que l’abus d’autorité, d’influence, de prestige à des fins toutes personnelles et ne correspondant en rien ni à un état de vie ni à un ministère, est – à juste titre – criminalisé. Mais ces deux attitudes qui montrent – accessoirement – que la société ne juge plus que selon sa propre évolution si floue et sans référence, ne sont pas propices à la thérapie de l’Eglise et de ses membres, tous exposés et pas tous héroïques ou simplement spirituels et intelligents, lucides sur eux-mêmes et prudents.

La technique de l’homélie, la rédaction pastorale, le livre apologétique sont des communications religieuses, le talent peut y faire beaucoup : la communication politique, économique et sociale est d’un autre genre, le talent y fait peu, la tactique, la stratégie y sont décisives. La communication en morale doit encore s’inventer ; elle n’est entendue dans la vie des Etats que selon les procédures mettant en œuvres des textes législatifs. Comment la faire retentir dans la vie des âmes ?

L’Eglise a un moyen, sa propre sainteté, et celle de ses fidèles les plus en vue dans l’ordre d’énumération au canon de la messe, donc la hiérarchie, le clergé. La réponse au scandale ou sa prévention ont donc deux formulations : le clergé est de droit commun pour tout manquement aux lois et règlements de la société, tant que les sanctions correspondent à ces manquements dûment vérifiés, non à la qualité sacerdotale ou religieuse de l’incrimination, auquel cas on serait dans un système et un régime de persécution religieuse, et l’Eglise pourrait d’ailleurs se protéger et elle et ses ouailles, selon les droits de l’homme de plus en plus reconnus en droit et en compétences juridictionnelles. Sa police intérieure la regarde peut-être mais la revendiquer ne la grandit pas ni aux yeux de ses fidèles ni pour ceux des tiers. Le droit canonique n’organise que ce que ne peut régir – par construction – le droit public et le droit privé des Etats. Cette compétence sur soi-même ne peut être une exemption ; elle est catastrophique s’il s’agit de soustraire au droit et aux juridictions de la société civile des délinquants ou des criminels. La compassion n’est pas absolutoire et elle n’est guère régie en droit. Elle est mal reue des victimes et des tiers, le grand public. Elle ne peut être invoquée a priori : l’épisode de la femme adultère montre la prudence et l’habileté du Christ, modèle de communication autant spirituelle que pratique comme son propre procès le montre, devant deux ordres de juridictions différents.

L’exposé pro domo et uniquement d’autorité – reconnue par les fidèles, caricaturée par les tiers – n’est pas propice, aujourd’hui, à une réflexion en fidélité aux sources et au sens. Notamment, le discours sur les états de vie et plus encore sur les fonctions ordonnées dans l’Eglise, théologiquement vêcus avec reconnaissance et en action de grâce (thème par excellence du Jeudi-Saint, et plus encore dans une année à laquelle le sacerdoce ministériel a été donnée comme thème), gagnerait à être tenus autant par les laïcs que par les prêtres : puisqu’il s’agit d’un don divin à tout le peuple, que le peuple bénéficiaire s’exprime donc ! dans ses attentes, ses besoins, son action de grâce et, éventuellement, sa prière pour que la relève reste assurée.
L’Eglise trop masculine de hiérarchie, trop référentielle de raisonnements et d’exposé, trop habituée à s’exprimer ès fonctions, a peu le sens du délibératif et encore moins la curiosité du difficile, de l’irréductible. Enseignant par fondation le divin, elle n’est pas assez sensible à la condition dans laquelle son fondateur enseignait lui-même humainement ; elle sait peu l’humain, elle s’en préserve et ne peut donc apprendre aux siens – les fidèles et les ministres ordonnées, les consacrés aussi, toutes les états de vie et toutes les missions en son sein – comment vivre ? là est d’ailleurs l’attrait de ce qui, du dehors, peut être considéré comme ses rivaux, toutes les morales et toutes les psychologies du comportement, du calme intérieur et du discernement de l’essentiel. Les retraites, les récollections, la direction spirituelle, le renouveau des Exercices donnés selon saint Ignace de Loyola lui ont fait croire – depuis les années 30 et plus encore depuis les années 50 – qu’elle aussi avait ce trésor de la conduite de soi-même, et mieux que d’autres, puisqu’elle en a la référence surnaturelle. Elle est donc entraînée à s’exprimer comme si elle parlait à des convaincus, donc psychologiquement, des adhérents, des subordonnés ou à des ennemis, sans point commun avec elle. Elle ne partage pas une problématique ou un legs, elle l’impose à ceux qui recourent à elle – du moins, est-ce ainsi qu’en termes de communication ou de formation elle donne prise à une évaluation négative de sa manière de procéder. Institution humaine, elle est trop imbue de ses fondements et de sa mission pour vivre que sa précarité, à raison de celles et ceux qui pèchent comme les autres femmes et les autres hommes, peut constituer sa chance de renouveau, sa chance de retour sur elle-même, son chemin de fidélité.

Si la principale responsabilité de l’Eglise – l’évangélisation des tiers et le maintien en vie spirituelle des siens – était davantage assumée par le peuple, la formation du clergé en général, des pasteurs en particulier, quelles que soient leurs affectations – occasions de tentations et de chutes, le prêtre et l’autorité objet de la provocation ou du désir d’autrui, le prêtre et l’autorité sujet à imposer leur propre pulsion ou leurs propres désarrois et déséquilibres – deviendrait plus réaliste et surtout serait en situation. Selon les tempéraments, selon les spiritualités, selon les appels et vocations, selon les talents ou les vulnérabilités, certains – clercs ou laïc – auront la retenue ou la chasteté naturelles et donc aisées, sauf extraordinaire, mais d’autres seront toute leur vie, suscités : faiblesse ou puissant moteur de rencontre, de créativité. Les catastrophes, les écarts, les éblouissements, les fidélités, le bonheur du cœur et la paix du corps tout entier ne distinguent pas entre état de vie, que le clergé, que les âmes (et corps) consacrés y soient sujets comme « tout le monde » est gage d’humanité. Mais la mission d’Eglise impose à ses ministres – comme d’ailleurs à tout chrétien – d’être conformes aux références invoquées ou à celles que les tiers leur attribuent.

Cette conformation est plus facile si une préparation et un suivi dans les états de vie consacrée sont enfin prévus, proposés, même imposés. Le peuple offre à ses prêtres, à ses religieux, à ses vierges consacrées, à toutes vocations qu’éclaire le surnaturel directement en état pratique, le soutien affectif, l’accueil, le dialogue. Chaque état de vie est pour l’autre, non un face-à-face sans communion et hérissé d’interdits, mais la parabole de l’amour divin, du particularisme de de toute existence humaine. Le sacerdoce, le monachisme, la virginité enseignent la nécessité du spirituel et de l’offrande de soi, aux couples et à leurs enfants, ces derniers rencontrés pratiquement ou mentalement en famille. Le peuple enseigne à ses pasteurs et à son avant-garde vouée à certains apostolats ou au service le plus dépouillé l’expérience et la densité de la chair, de l’argent, des conflits sociaux, de la précarité de tout choix quand il n’est pas uniquement celui du spirituel. Le peuple, le couple humain, la grâce et la dépendance libertaire de l’enfant apprennent que l’appel et la consécration au célibat est une disponibilité à autrui à tous égards, mais nullement une supériorité ou une autorité.




L’Eglise ne vit pas encore la nécessité d’une formation humaine générale de son clergé – à terme plus vitale que l’éducation spirituelle et intellectuelle. Les recrutements sacerdotaux et religieux des précédentes générations portaient dans leur immense majorité sur des personnes certes très jeunes mais que la cléricature protégerait du monde : vie commune, même pour les séculiers, costume particulier – les débats parlementaires sur l’interdiction des congrégations puis la séparation de l’Eglise et de l’Etat, si on les lit aujourd’hui, évoque ceux de maintenant à propos des revendications et des critiques vestimentaires liées à l’Islam. La soutane, moyen pour l’Eglise de pister ses ministres et aussi d’afficher qu’ils sont interdits de fréquentation aux tiers…

La relation du consacré avec le sexe, avec l’autre sexe, avec soi-même n’est enseignée – semble-t-il – qu’en droit ou qu’en prudence. Elle n’est pas analysée selon une nécessité et une réalité quotidiennes. L’apostolat suppose la rencontre d’autrui, la vie commune, plus ou moins claustrale, implique la promiscuité. Les contacts sont donc obligés, mais ils ont – dans l’Eglise catholique romaine – la limite du célibat et/ou des vœux de chasteté. Ce qui doit faire considérer la part de l’affectivité dans toute relation humaine et le fondement – vrai – de toute expression sexuelle, surtout si elle est ordonnée, maîtrisée, orientée. Les femmes ont un regard – et donc une relation, s’il s’en noue une – complexe sur le consacré, sujet de dérision ou de curiosité, de compassion pour des personnalités supposées mutilées ou en manque ; leur propre identité serait niée ou diminuée à proportion de l’interdit incarné par l’autre. Les hommes ont moins l’occasion de relations avec la femme consacrée, mais deux cas se présentent qui ne sont pas théoriques : l’amour et l’attirance entre religieux de sexe opposé (pas différent de la relation homosexuelle entre consacrés, puisque dans l’une et l’autre identité sexuelle, la chasteté est en cause), la violence en milieu professionnel où la femme consacrée exerçant une activité sociale ou pédagogique, est agressée par des collègues ou des supérieurs, sans être reconnue victime ni par sa congrégation ni par les tribunaux. Si la solitude physique est devenue très rare qui exempterait de toute entorse pratique à l’état de vie célibataire, la solitude affective et le risque d’atrophie de certaines des manières d’être et de demeurer humain sont une réalité courante. C’est ce qu’il me semble dans les rencontres que je fais, bien plus que selon des confidences qui sont, précisément, rares, car la carence affective est davantage combattu dans l’Eglise par le refoulement que par l’expression. Les manquements aux règles du célibat ou de la chasteté sont humainement moins graves que la sécheresse de cœur et de chair qui en protègent, mais évidemment ils ne scandalisent pas a priori.

Les religieux et le clergé séculier les plus contagieux pour l’ensemble du peuple – chrétien ou environnant les chrétiens – sont, à toutes époques, ceux qui vivent spirituellement le Cantique des cantiques et savent discerner, rencontrer, et entretenir de grandes amitiés tout à fait sexuées, sans limite d’âme et que la maîtrise physique et le respect mutuel des états de vie rendent encore plus solidaires et compagnons : les exemples abondent de ces couples dans la chronologie des saints, surtout des grands fondateurs et fondatrices, et j’en connais quelques contemporains. Les aventures qui scandalisent ne sont pas de cet ordre – ces années-ci – et ressemblent davantage à un divorce ou à des liaisons parallèles, ou encore à la découverte d’un choix de vie peu éclairé. Le prêtre en concubinage, les réductions à l’état laïc accordées avec compréhension et affection par Paul VI, pratiquement jamais par Jean Paul II (j’ai entendu avancer le chiffre de cinq …), des situations complexes chacune particulière sont généralement résolues dans l’hypocrisie du consacré et le mensonge à lui-même, sinon à son entourage : c’est le conjoint qui en pâtit. Il existe des associations de femmes de prêtre, femmes de fait et de vie, dont l’existence est gâchée autant pendant la période de relations, que pendant celles de l’oubli par le consacré de celle qui a été victime de sa faiblesse ou de son imprudence.

L’éducation du consacré doit-elle être une accoutumance au non-sexe dans sa vie intime ? ne doit-elle pas être un apprentissage des données de l’affectivité, une connaissance de toutes les formes de son expression ? et surtout la reconnaissance que la trinité n’est pas une figure arithmétique dont la nécessité logique a été souvent démontrée ou le dogme décrivant Dieu lui-même, que la trinité contient le duel, que le couple est aussi naturel que conflictuel et qu’aucun état de vie n’échappe au risque de tout ce qui lui est extérieur et de tout ce qui lui est intérieur.

La réflexion sur la consécration d’une existence humaine, entraînant donc des obligations autant vis-à-vis de lois qui s’imposent civiquement que de lois choisies en même temps que l’orientation de sa vie, peut aujourd’hui porter sur le mariage comme sur le sacerdoce ou les vœux religieux : à la racine et quotidiennement, il y a la personne humaine au défi de la fidélité. Donc une maîtrise de soi et du temps, l’écriture d’un partenariat dont l’aspect intime fait – accessoirement pour le couple marié, décisivement pour le prêtre et le religieux, la religieuse – l’aspect extérieur, visible sinon compréhensible pour les tiers. Les défaillances – juridictionnellement évaluées par rapport à un droit positif laïc – sont fondamentalement à examiner selon la relation du défaillant à autrui et à Dieu, donc à lui-même, à sa dignité propre, à la cohérence de sa vie personnelle. Le péché, l’agression sont inhumains et font de nous des renégats ; ce sont spirituellement des suicides autant que le meurtre ou la violation de l’autre. Nous sommes tout à fait au-delà du scandale ou de la solidarité prétendue pour empêcher le scandale. Celui-ci atteint la victime, le partenaire, le défaillant bien plus que les tiers.




Le péché du consacré est autant perpétré contre la victime ou le/la partenaire que contre soi et contre Dieu. Le comprendre fait chercher la prévention ou le remède dans deux dimensions : le personnel et le collectif , l’humain et l’institutionnel, le psychologique et l’éducation.

Les personnes ne sont pas seulement les coupables et les victimes. Les victimes peuvent être celui que le droit positif reconnaîtra et qualifiera coupable. Il y a aussi – beaucoup plus couramment que la violence infligée par l’un à l’autre qui la subit – des relations de partenariats où chacun viole l’autre en le reconnaissant pas pour ce qu’il est : enfant en développement pas encore complet de son discernement, femme tentant avec persévérance ou perte de conscience d’une certaine perversité un clergé démuni affectivement ou physiologiquement, et ainsi de suite. Chacun au jeu de la séduction – consciente ou inconsciente, la séduction ne s’organise pas – ou de l’abandon à la permissivité de l’instant ou de circonstances plus durables, a sa part de culpabilité, de manquement, d’abus. Fondamentalement, il y a irrespect de l’autre et soi, entre adultes et méconnaissance de ce qui est trahi. Quant à la pédophilie, elle résulte – j’ai été élève des Jésuites de mes sept à dix-sept ans – d’imprudence institutionnelle et familiale autant que du déséquilibre (ou de la détresse) de l’agresseur se présentant – je le suppose faute d’expérience – d’abord en tentateur.

L’attirance pour l’extrême jeunesse et l’abus d’influence et d’autorité sur celle-ci constituent le cas d’école où bouillonnent toutes les nostalgies natives de l’homme (mais sans doute aussi de la femme) célibataire ou pas. Alors que le clergé séculier ou religieux concubinant occasionnellement ou en état de vie parallèle, semble pour les tiers simplement humain et obéissant à la nature… [10] La pente dévalée est pourtant la même, aussi destructrice à « l’arrivée » que simple à son commencement. En commun partage d’expérience et de nostalgie, de tension de vie où la libido, le fantasme et l’humour d’un certain recul ont leur part, il y a la condition humaine, la chair, le cœur, l’affectivité, les sentiments aussi naturellement qu’il y a les sensations, le plaisir sensuel ou intellectuel, esthétique. Et donc les chutes. Elles sont du même ordre pour les ordonnés, les consacrés, les croyants, les incroyants. Tout serait absolutoire, si le fondement de l’attitude n’était la projection de soi seulement et absolument, l’oubli de l’autre, la prédation. Que le prêtre, que le religieux, que la personne consacrée ignorent ainsi la liberté et le pourquoi de la liberté, qui est le rapport de toute créature à son créateur, constitue vraiment la faute vis-à-vis de soi et vis-à-vis de l’état de vie choisi – intimement et publiquement. L’adultère, la pédophilie sont des négations de soi autant que du partenaire ou de la victime, même si … et surtout si la séduction, plus ou moins consciemment, qu’exerce l’autre sur le prédateur, a détruit pour chacun la référence identitaire essentielle, la liberté. L’abus de quelques-unes des formes de la relation à autrui – charnelles, sexuelles mais il en est d’autres et pour n’être pas sensuelles ou sexuelles sont aussi corrosives – ne doit pas dissuader de toute expression de l’affectivité, de la dilection, de la sympathie. Discipline collective et lucidité sur soi dans la vie sacerdotale et religieuse, le chemin est escarpé entre atrophie et débordement, mais le primat donné à la prière, à la contemplation, au souci du salut et du bien de tous – qui devraient caractériser la pensée et l’agenda de chaque jour pour la personne consacrée ou le ministre de l’Eglise – fait accueillir, j’en suis sûr, l’inventivité et le secours de la grâce. La rédemption n’est pas seulement rachat, elle est restauration de notre nature humaine.

Deux expériences ou parcours montrent bien ce que faussent l’esprit de prédation et la projection de soi, et d’où il provient : le champ d’application n’est pas premièrement sexuel ni même sensuel ou affectif.

Le désir de perfection en soi, le désir de consécration ou d’un état de vie religieuse ou d’une vocation sacerdotale enferme celui/celle qui les cultivent sans appel vrai – et cet appel n’est pas toujours aisé à discerner et à valider ni pour soi, ni selon les conseils ou évaluations sollicités. L’enfermement est une mûtilation que l’on s’inflige à soi-même, perdant le sens du réel, manquant ce que la vie donne d’expérience. On a défini de force l’objet à atteindre, sans véritable écoute, sans vie quotidienne. Etait-ce Dieu qui ne s’assiège ni ne se réduit à nous ? Et il y a toute forme de beauté, de l’esprit de collection matérielle, à la séduction éprouvée qui simplifie si totalement qu’elle peut devenir un choix de vie s’il y a réciprocité et respect mutuel du consentement, mais qui peut – tout aussi bien – devenir un mutuel esclavage, le désir ne s’assouvit que dans une possession toujours à réassurer et l’objet possédé, autrui réduit à une part de lui-même et sans acquiescement, a l’inertie de la mort. Addiction à soi-même, autisme qui ne sera décelé par les tiers que le drame perpétré. Dieu, objet de péché ? le paradoxe s’explique. Il se trouve que Dieu séduit parce qu’il est absolu, mais que la beauté inscrite en creux dans chaque âme – pierre d’attente – a souvent son apparition incarnée, qui, dans l’instant, semble, elle aussi, absolue. D’un absolu à l’autre, pour certains religieux qui s’égarent ou qui s’étaient trompés dans leur orientation de vie ? cela semble leur affaire quand ils ne sont pas en situation de témoignage de leur absolu d’initiation ou quand ils ne prêchent pas la fidélité à des ouailles.

Cette pratique déviée de l’absolu permet la casuistique par laquelle je suppose que se protège, en conscience, le religieux ou le prêtre qui prend femme, ou qui s’assouvit par le corps d’un enfant – ou même celui d’un adolescent légalement en âge de discerner et choisir mais cédant à l’expression, qu’il croit, de l’amitié si chaleureuse. Il serait utile pour définir les éléments d’éducation au célibat et à la chasteté d’entendre, autant pour les comprendre que pour connaître le mécanisme du comportement, ceux qui quittent l’état religieux ou sacerdotal pour se marier ou pour avoir une vie partagée avec femme ou mari, et, de la même manière même si le méfait est tout autre, les pédophiles d’exercice et pas seulement de penchant. Cette écoûte que l’Eglise pourrait mener encore mieux qu’une rééducation judiciaire ou un suivi psychothérapeutique, dans les cas de pédophilie, mais qu’elle aurait avantage à entreprendre ou à systématiser à propos du mariage, plus ou moins avoué, plus ou moins en règle avec le droit canon et une « réduction à l’état laïc », aboutira à une meilleure connaissance des difficultés et des tentations contemporaines.

Si les engagements religieux ou sacerdotaux aggravent la rersponsabilité de celui/celle qui y manquent, ils donnent aussi la manière de se garder et d’aller à l’essentiel de toute vie. L’action de grâces ne s’apprend que si l’on est déjà comblé. L’amour crée la beauté et trouve l’absolu. Il ne dépend pas d’une objectivité reconnue ni par celui qui s’éprend et se consacre – humainement ou religieusement (mais la chair et la religion sont mariées en incarnation, quel que soit l’état de vie choisi ou subi, tel que le célibat non consacré) – ni par les tiers. L’amour résulte de la liberté, il est apparemment duel, il est trinitaire, Dieu, l’enfant, source, résultat : il n’y a pas de tête-à-tête qui tienne. Le problème à résoudre par l’Eglise l’est tout autant par la société, mais l’Eglise a des références et ceux qui, en elle, sont défaillants peuvent, même punis par la société et par elle, y revenir. La société cultive encore, sans l’avouer toujours, le vieux talion et ne parvient pas à obtenir l’inocuité à venir du coupable d’hier, mais l’Eglise peut garder l’utilité ministérielle ou spirituelle du défaillant et lui permettre son retour à Dieu et à sa vocation.

Après que le peuple chrétien ait été appelé à constituer, à inventer, à maintenir pour très vite et très complètement un environnement et un accompagnement de son avant-garde et de ses serviteurs ou servantes que constitue son clergé ministériel ou religieux, l’évêque doit vivre une vocation et une fonction qu’il semble – aujourd’hui – peu assumer, par lacune personnelle ou par manque d’une orientation générale et délibérée de l’Eglise contemporaine. Devenir et redevenir, prioritairement dans leur prière et dans leur agenda, le père et le frères spirituel de son clergé, son formateur, son confident. Un diocèse n’est pas une matière à administrer ou des ressources humaines à répartir ou un faire-valoir devant les financiers et les pouvoirs publics. La communauté de destin religieux et sacerdotal ne m’a jusqu’à présent pas paru vêcue, en tout cas pas assez d’une manière dont les prêtres surtout, dans leur isolement ou dans leur regroupement guère choisi, aient conscience, et surtout espérance quand ils manquent d’aliments d’âme. Pour les fidèles laïcs, la communion n’apparaît pas. Il ne s’agit ni de surveiller la vie personnelle, ni d’encadrer l’initiative pastorale mais d’une bonté, d’une écoûte, d’une intelligence du type d’existence et des caractères et problèmes qui en découlent. L’abbatiat monastique n’est pas forcément un modèle ; il me semble qu’il y a dans l’Eglise quelque chose à inventer que les textes ne disent pas encore. Père et frère de ses prêtres, avant-garde des combats de société et d’intelligence dans son diocèse. Militant du cœur et du progrès social, saint dans le secret. Exemple.



samedi 3 avril 2010

Restent trois points décisfs, qui sont la vérité.

Vérité de l’événement – ce n’est pas le thème qui est systématique, c’est l’attaque, elle vise continûment le pape actuel et tout ce qui dans l’histoire contemporaine de l’Eglise favorise des amalgames dont il n’est pas caché qu’ils sont politiques et orientés. La cause en procès est bien davantage que le reproche du moment. Mais l’Eglise s’est mise souvent dans le piège. Les attaquants ne cherchent évidemment pas sa sanctification, ils ne la comprennent pas et ne l’aiment pas. L’occasion est cependant là pour que les chrétiens – car protestants et orthodoxes sont autant concernés que les catholiques par une juste compréhension du dedans et au dehors, de ce qu’est l’Eglise – montrent ce qu’est, ce que doit être et ce que peut être l’Eglise pour le salut du monde. Démonstration exigeante dont Vatican II a eu l’intuition mais que la suite n’a pas développé en pastorale, en approfondissement de l’état sacerdotal ou religieux, en compréhension renouvelée de la nature humaine. Annoncer le salut, pendant longtemps et depuis les premiers chrétiens, il s’est agi de savoir Qui annoncer ? depuis un demi-siècle, nous cherchons le comment et la manière, et nous ne les trouvons pas, parce que nous ne comprenons pas que la religion est étymologiquement une relation et que ce qui importe ce sont les personnes impliquées par la relation, et non la relation pour elle-même. A qui donc annoncer le salut et notre foi ? aux attaquants, car au moins ils sont motivés. Humilité et certitude en réponse, inventaire et mise au jour du trésor en regard des déballages – justifié – de nos péchés.

Vérité d’un état de vie et de ceux/celles qui l’ont embrassé. Les exemples abondent qui répètent la simplicité, la diversité, l’ingéniosité, la sérénité de tant de parcours. Le célibat sacerdotal, la vie en communauté sont gros d’un amour qui échappe à beaucoup de tiers et même à ceux qui le vivent. Sans véritable métier de prophète ou de psychologue, le consacré est si souvent celui, pour le laïc, pour l’étranger, pour le pauvre en esprit, qui sait écouter et accueillir et surtout qui, se disant lui aussi, montre l’analogie de toute attente de Dieu. Et rien que cela fait avancer des vies, fait prospérer le monde en humanité plus espérante.

J’ai le projet d’écrire – documents vêcus ou recueillis, à l’appui – quelques éléments de la biographie de religieux ou de prêtres, aujourd’ui décédés, et à l’inverse de dire aussi ce que j’ai ressenti (avec douleur) de l’impasse de quelques frères d’enfance dans l’élucidation d’un appel de Dieu à une vocation que finalement ils ne suivirent pas. Projet montrant que l’exemple, surtout s’il est particulier, fait plus que l’apologétique la mieux dite ou écrite, la plus réfléchie. Retour – par là – à ma remarque initiale : ne prêcher que d’exemple. La joie, la vérité ne se miment pas. En regard des écarts ou scandales publics d’aujourd’hui ou de cette décennie – selon tous états de vie cléricale et même responsabilités dans la hiérarchie – ces témoignages ne sont pas sollicités, ces rayonnements paraissent normaux et ne retiennent pas, surtout post mortem : l’Eglise-même ne les sollicitent pas. Banaux ? s’ils étaient la généralité ! Rancé et M. Pouget ont, aujourd’hui, leurs analogues. Je n’écrirai que ce que j’ai vu et que je sais, d’eux. Compréhension discutable mais édifiante, je l’espère.

Vérité d’une institution bi-millénaire, fondatrice continue d’un monde au cœur situé mais qui bat universellement. Les remous médiatiques montrent en fait qu’un monde sans repères rend hommage indirectement à ce dont il a besoin pour combler ses manques grandissants, et l’Eglise n’est attaquée qu’à raison d’avoir failli, ou de faillir dans une mission confusément reconnue, même si elle le partage probablement avec d’autres : religions, procédés, idéologies. L’Eglise, caractérisée et appréhensible humainement, n’a pas su être tolérante là où il le faut pour rencontrer ceux qu’elle doit toucher, et devenir intransigeante avec ceux, les gens de pouvoir en politique et en économie, qui portent la responsabilité des dévoiements et des souffrances.

Ce serait – en défense qu’il faut améliorer, et en attaque qui devrait mieux s’identifier – accepter une contre-vérité que de réduire l’Eglise catholique romaine aux débats de ces semaines-ci. Mais la mise en cause serait plus aisée à désarmer si l’Eglise avait mieux su – depuis quelque temps – ajuster ses cibles et dire de manière forte et imagée ce qu’elle réprouve et ce qu’elle apprécie même quand elle ne l’inspire pas. Et doit maintenant être vêcue comme l’attente générale de notre inventivité et de notre sainteté. Le péché se ressemble toujours, la grâce – parce qu’elle est de personne à personne, de Dieu à l’homme – jamais.




Felix culpa ? La réitération de drames – abominables pour ceux qui les vêcurent et honteux pour ceux qui s’en servent à des fins peu claires, s’ils ne sont les victimes directes – et les dérives auxquelles cèdent trop de clercs, inconscients de leur privilège d’autorité morale… permettrait, au-delà des sanctions, des réparations et de l’étude des moyens de prévention, une réflexion enfin documentée et franche sur chair et religion, Eglise et sexe…

samedi 17 avril 2010 A mesure que je réfléchissais et écrivais, deux séries d’événements se produisaient : la hiérarchie de l’Eglise partait en contre-offensive et des troupes de la base laïque se sont mobilisées, d’autre part il me semblait de plus en plus que la question est beaucoup plus vaste que les étroitesses d’une catéchèse du sexe par des gens censés pratiquer la chasteté à défaut de la mystique – encore que du dehors personne ne puisse décider de l’authenticité de qui que ce soit – et les chutes ou rechutes dans un clergé certainement moins peccamineux que la moyenne sociale dans les pays développés, mais qui est regardé précisément en fonction de son abstinence et de sa consécration. – L’actualité qui médiatise et dévie en partie les questions, puis mon propre pèlerinage ces trois derniers jours.

L’Eglise et son chef en accusation

AFP - 13/03/2010 à 09h56
Benoît XVI fit héberger dans son archevêché un prêtre pédophile présumé

AFP - 14/03/2010 à 19h56
Abus sexuels : Des associations réclament la démission du primat d'Irlande

AFP - 17/03/2010 à 12h59
Pédophilie: le primat d'Irlande présente ses excuses et exprime sa "honte"

AFP - 20/03/2010 à 15h06
Pédophilie dans le clergé irlandais: le pape Benoît XVI reconnaît la responsabilité de l'Eglise

AFP - 25/03/2010 à 19h09
Le pape à son tour éclaboussé par les scandales de pédophilie

AFP - 26/03/2010 à 13h07
Pédophilie: les évêques de France disent "tous éprouver honte et regrets"

AFP - 26/03/2010 à 14h51
Le pape accusé d'avoir couvert les abus sexuels d'un prêtre en Allemagne

AFP - 26/03/2010 à 20h43
Pédophilie: le Vatican dément les accusations du New York Times contre le pape

AFP - 26/03/2010 à 21h23
Déjà controversé, Benoît XVI dans la tourmente des scandales pédophiles

AFP - 27/03/2010 à 13h22
Pédophilie : le pape Benoît XVI au coeur de la polémique

AFP - 02/04/2010 à 15h49
Pâques: chemin de croix pour le pape sur fond de scandales pédophiles

AFP - 03/04/2010 à 18h44
Le Vatican, dans la tourmente, s'attire les critiques de responsables juifs

AFP - 04/04/2010 à 10h19
Fêtes de Pâques ternies pour les catholiques, excuses du prédicateur du Vatican

AFP - 05/04/2010 à 09h51
Accueil de prêtres pédophiles : "l'Eglise fonctionnait ainsi" , selon Mgr Gaillot

AFP - 05/04/2010 à 13h13
Les prêtres doivent être "des messagers de la victoire sur le mal"

AFP - 09/04/2010 à 14h48
Vatican: L'Eglise doit collaborer avec la justice

AFP - 09/04/2010 à 15h36
Vatican: l'Eglise doit collaborer avec la justice pour rétablir la confiance

AFP - 10/04/2010 à 07h55
Benoît XVI a traîné des pieds pour défroquer un prêtre pédophile californien, révèlent des lettres

AFP - 10/04/2010 à 15h43
Pédophilie: le pape insulté sur des affiches annonçant sa visite à Malte

AFP - 10/04/2010 à 21h17
Pédophilie: Jean Paul II était contre le départ des prêtres dit un ex-évêque

AFP - 10/04/2010 à 15h43
Pédophilie: le pape insulté sur des affiches annonçant sa visite à Malte

AFP - 12/04/2010 à 19h54
Pédophilie: le Vatican clarifie ses procédures pour punir les coupables

AFP - 13/04/2010 à 21h10
Le N.2 du Vatican scandalise en établissant un lien pédophilie/homosexualité

AFP - 13/04/2010 à 22h20
Le général Germanos condamné à 10 mois de prison avec sursis pour détention d'images pédophiles

AFP - 14/04/2010 à 17h10
Homosexualité et pédophilie: le tollé contraint le Vatican à s'expliquer

AFP - 15/04/2010 à 18h11
Pédophilie: Benoît XVI appelle les chrétiens à "faire pénitence"

AFP - 17/04/2010 à 19h38
Benoît XVI évoque "les blessures" de l'Eglise en arrivant à Malte
AFP - 21/04/2010 à 13h16
Un prêtre retrouvé mort dans la chambre de son presbytère à Marseille

pèlerinage d’un chrétien – édifices, moments, sacrements, Ecriture

jeudi 15 avril – un début d’après-midi dans Rennes, sans rien à « faire » entre deux rendez-vous. J’entre dans trois églises successivement, Vau Saint-Germain, puis la cathédrale Saint-Pierre, enfin Saint-Aubin puisque depuis mon séjour diplomatique en Autriche (1988-1992), je suis un dévôt de Marcel Callo, le jéciste mort de mauvais traitements à Mauthausen, un mois avant la capitulation allemande. Un tract au présentoir de Saint-Germain : carême 2010 – année sacerdotale – le Prêtre, un homme incontournable : « configuré à Jésus-Christ pour le service de l’Eglise et du monde » … le lieu est splendide, qui servit un temps d’écuries pendant la Révolution et l’Empire, fragments des vitraux médiévaux assemblées en verrière au haut du chœur, l’orgue joue. Saint-Pierre, les tombeaux ou les effigies en bronze présentant quelques-uns des cardinaux archevêques au XXème siècle, l’Eglise triomphante, existante, l’Etat a le préfet, les élus le président du conseil général, les catholiques l’évêque. Moyenne à Rennes, la dizaine d’années pour un prélat, rayonnement national parfois (Mgr. Gouyon). Saint-Aubin, le mouvement ds’action catholique, scoutisme et JEC : Edith Stein, le père Kolbe, tant d’anonymes aussi, les chrétiens dans la cohorte des héros, pas plus que d’autres, mais cela se remarque. L’achevêque actuel, un des poulains de l’ « école cathédrale » du cardinal Lustiger. Le vivier des évêques, des cooptations, des carrières et des réseaux analogues à ceux des grandes entreprises et de l’Etat. Dans chacun des édifices, je me sens à l’aise : la maison de Dieu que j’aime, elle m’est familière, je l’ai souvent habitée … par grâce.

Tandis que je suis au cœur de la Bretagne, un de mes anciens scouts a sa messe de funérailles à Neuilly. Je ne l’ai pas revu depuis nos adolescences, soit quarante-cinq ans. Il m’est dit que l’église était pleine. Une de mes cousines chez qui je vais après ma tournée des églises, me rappelle, entre autres, que pour les obsèques de son père mort très jeune, les paysans – normands – s’étaient déplacés à Paris.

samedi 17 avril – à nouveau un creux entre deux engagements, l’église de mon village, sans doute de mes funérailles, ma mère inhumée au cimetière d’ici : notre tombe. J’entre dans l’église pour y prier puis y lire, une demi-heure de « battement », la chapelle du confessionnal et du baptême, des gens, une famille, né le 17 juin 2009, le petit Hellio est présenté par ses parents, jeunes, à un prêtre de la famille, chauve, ventripotent, ressemblance avec Margerie, le PDG sujet à caution de Total, moustache et couronne grise à la nuque. Il parle avec familiarité extrême mais une belle sûreté, du charisme, je reste, debout, derrière la grille de la chapelle. Une petite quinzaine d’adultes et de vieillards : on chante faux, mais on se pénètre manifestement des lectures et le commentaire du prêtre est clair, l’eau agglomère, noie, lave, abreuve, quatre fonctions et l’huile consacre. J’ai pris la parole de là où j’étais, une fois la liturgie terminée : l’Eglise, hors la famille, a été là puisque le hasard m’a fait venir. J’ai félicité non en manière votive mais en constat d’existence chrétienne. – Sorti, je passe devant la mairie, un mariage s’y conclut, j’ai failli demander à l’asistance si l’on passerait ensuite à l’église : le jour-même, cela ne paraissait manifestement pas. Début de soirée, chapelle de l’estuaire, elle est belle et simple, magnifiquement située, blanche et bleue, portail ouvert quand la messe a été dite. Une femme sans âge ni rien de remarquable, en pantalon comme la généralité contemporaine en France, est debout sur le seuil à contre-jour, perplexe : vous pouvez entrer, madame ! – Oh, non… je ne suis pas… (je ne lui ai pas demandé de préciser, mais elle n’entre pas), puis elle conclut son silence : C’est joli !

Mon expérience des funérailles est celle des sanglots pas de la prière ni de l’espérance, le fait écrase, il est tout humain même et surtout en communion tandis que le baptême de mes filleules, de notre fille et de ce enfant inconnu est un moment intense et surnaturel…présent, à vivre. Les funérailles en rite, le baptême un sacrement.


dimanche 18 avril 2010

Pour un concile ne définissant aucun dogme mais réorganisant l’Eglise pour que le peuple en soit le cœur et – par l’esprit, E majuscule et e minuscule – la dirige.

Objectif : réaliser cette prière du Canon – messe de ce soir – devenir ou redevenir un signe prophétique au milieu de l’humanité qui se déchire et se divise. Quelles que soient la sincérité ou la nature des attaques, la vérité des accusations ou des comportements, l’Eglise aujourd’hui divise et son clergé divise les ouailles. Ces dures semaines le révèlent, si on avait oublié cette simple constatation : le Concile (Vatican II) le plus empressé et adroit pour « réconcilier » l’Eglise avec le monde, et le premier à définir à fond la nature et la mission de l’Eglise en tant que telle, n’a pas empêché la désertion massive des catholiques dans les pays dits occidentaux et développés.

Sans aller loin et en rester au plus visible, la nomination de grands responsables – indépendamment de leur ordination sacerdotale ou de leur état de vie religieux – doit se faire selon d’autres modes, particulièrement celle des évêques, dont il est miraculeux qu’ils conservent à ce point autorité sur leur clergé et sur les ouailles, alors qu’ils sont « parachutés » comme les candidats des partis à une élection dans une circonscription sûre. Election mais par qui ? pour le moment, la nonciature apostolique et les services de renseignement des Etats sont décisifs. Il existe un vivier d’épiscopables constitué selon des filières auxquelles ont accès aussi les intéressés. La « transparence » n’est pas un but en soi, l’objectif est de créer la communion et la synergie dans un diocèse. Les consultations sur le profil souhaité pas seulement par les diverses autorités mais par les futurs administrés ne suffisent pas. Les colloques synodaux ne sont des formes de participation qu’à huis pas assez ouvert. Idéalement, il faut l’Esprit et sa manifestation, donc soit le surgissement dans le troupeau de l’un des derniers à prétendre (les premiers rois d’Israël), soit le hasard faisant acclamer Ambroise arrivant préfet de César à Milan et, dans la même journée, baptisé, ordonné, sacré sous les vivats. Dans les deux cas, fécondité avérée. Je ne propose rien, je pose la question.

Le mariage des prêtres, l’ordination des hommes mariés, la multiplication des diacres et autres ministères ordonnés posent la question de la disponibilité et plus encore de l’accessibilité du ministre. Sa vie de couple, le coefficient de son épouse, le soin des enfants : il me semble que pour mieux trouver un saint, on se donne à en trouver deux et plus. Mon enfance – peut-être intégriste avant la lettre – a été structurée par l’idéal du « plus haut service » et non par un problème de ressources humaines, par l’appel de Dieu discernant ou discriminant chez les hommes et non par des entretiens d’embauche (ma génération) ou le recrutement (autrefois) à tout-va proche du racolage village par village avec l’élevage ad hoc en séminaire sans plus de sortie du parcours que le service militaire : je reconnais que les résultats selon la méthode la plus antérieure ont été plus probants que ceux obtenus par le laborieux et parfois douloureux décryptage des vocations (j’ai vêcu la vocation de trois camarades d’enfance et d’adolescence, aucune n’a prospéré malgré des années de formation et pour deux d’entre eux, malgé l’ordination sacerdotale). Prêtre un jour, prêtre toujours, et vingt-quatre heures sur vingt-quatre heures : s’il n’y a plus de Jésuites dans les collèges, comment y contractera-t-on le goût d’entrer dans la Compagnie ? celle-ci a failli s’en rendre compte, au moins en France. S’il n’y a plus de prêtres accompagnant famille et proches, quand le cercueil bascule dans la tombe et que ce sont des préposés laïcs qui officient, comment brûlera-t-on de contribuer à combler le besoin de présence sacerdotale à tous instants de la vie humaine ?

Il me semble que ces temps-ci, on s’organise selon Malthus. Moins de prêtres, moins de vocations religieuses, vraiment de moins en moins et donc une extrapolation des tendances, au moins dans les pays riches matériellement (mais bien peu spirituellement), faisant que les espèces seraient en extinction. Mais elles ne le sont pas moins que celle des pénitents au confessionnal, des candidats au mariage sacramentel, et des simples (mais bientôt héroïques) participants aux liturgies dominicales. Alors, on confédère les paroisses, on diminue le nombre des offices, on fait de la préparation au mariage une longue scolarité qu’elle donne tout loisir aux amoureux de fêter Pâques avant les Rameaux et de se séparer avant terme. Sans doute, est-ce là mettre la dragée plus haute alors que paradoxalement on veut l’abaisser pour le recrutement sacerdotal. Il faut au contraire aller partout demander de l’aide pour qu’il y ait pasteurs et monastères, comme autrefois Paul allait aux extrêmités du monde en sorte que personne ne puisse dire n’avoir jamais entendu parler du Christ. Aujourd’hui, assourdissement médiatique et harrassement social, certes, mais défaut de pastorale aussi, beaucoup de contemporains n’ont plus la moindre idée – même philosophique – de Dieu. Les scandales actuels, en ce sens, ont un effet mineur, ils mettent en cause une institution et des états de vie, on ne les relie plus comme dans les camps d’extermination à Dieu, permettant, voire voulant le mal.

Les femmes ? L’égoisme et le dévouement ont sans doute des formes sexuées, entre autres, mais ils ne sont pas l’apanage ni d’un sexe, ni d’un âge, ni d’une culture, ni d’une religion. Deux institutions dans l’Eglise me paraissent indépendantes de l’ordination et du célibat. Le diaconat et la participation au gouvernement suprême de l’Eglise, au Sacré collège. Faire ou refaire (il y en eut, je crois, dans l’Eglise des siècles passés) des cardinaux laïcs aurait deux conséquences : d’une part, déterminer un collège électoral pour le pape et une délibération gouvernementale, voire dogmatique, beaucoup moins professionnelle et donc plus directement au fait de la vie des fidèles, l’universalité serait en chemin, et d’autre part, pourquoi parmi ces laïcs n’y aurait-il pas de femmes ? Au sommet de l’Eglise, nous serions donc amenés à mieux discerner ce qui est le caractère propre d’un ministère ordonné et l’ensemble de l’Eglise pratiquerait – se mettrait en route pour pratiquer, car il y a beaucoup à inventer – authentiquement les ministères communs que le baptême attribue à chacun des fidèles : prêtre, prophète et roi. Quant au diaconat, mieux défini et plus proche des origines de l’institution, pourquoi ne pas l’ouvrir aux femmes, mariées ou célibataires ?

Chercher ces ajustements, en imaginer quelques autres devrait se faire selon des consultations et des élaborations collégiales dont j’avoue ne pas savoir les formes. Le problème est du même ordre que pour maintenir et augmenter la disponibilité et l’accessibilité des pasteurs. Comment échapper au huis-clos, comment échapper à l’accaparement de l’Eglise – localement – par quelques fidèles ou bien intentionnés mais ne tenant pas à se multiplier par leur ouverture à d’autres bonnes volontés, ou en manque de responsabilités familiales et sociales qu’ils assouvissent donc en paroisse ou en communautés et associations diverses.




Pour une intelligence vêcue de l’incarnation et donc une écoûte des fidèles par les pasteurs plutôt qu’une éducation des laïcs par les clercs, de manière à montrer ensemble quelle société humaine est souhaitable et possible. Lumière de Dieu mais vérité de la vie et de la grâce. Lumen gentium, certes, mais à condition que clercs et laïcs partagent vraiment leur expérience, avant de partir en mission, ou tout en étant regardés – ensemble – par le monde, et par eux-mêmes. Les deux états de vie – consacrée ou conjugale, vie en communauté ou vie en couple et en famille – sont à s’entre-connaître : ils réclament également et quotidiennement, chasteté (au tant en vie de couple qu’en vie célibataire) et respect d’autrui. Il manque à l’Eglise une pastorale fondée sur l’expérience vêcue, et donc communiquée, une pastorale de la chair et du sexe. Chair et sexe en famille, chair et sexe en couple, chair et sexe en communauté de célibat consacré, chair et sexe pour le célibat non voulu et non consacré. Misères et difficultés des états de vie et aussi des situations de vie, notamment les vies en manque ou en attente ou en deuil : l’adolescence, le veuvage, les abandonnés et les dédaignés (masculin et féminin).

Les crimes et délits pénalement qualifiés, mais aussi les abus de position en influence morale (situations de pédagogues, de directeurs spirituels, d’animateurs de groupe de recherche et de vie ou prestige de la fonction en Eglise et de la réputation personnelle) ne sont pas seuls en cause. La liberté forcée est ce qu’il y a de plus choquant pour les tiers et pour la victime. Mais il a ces situations fausses où la personne consacrée (prêtre, religieux, religieuse) ou ayant vocation à se consacrer sont induits en tentation par des laïcs, eux aussi en, recherche d’équilibre affectif et sexuel. Il y a ces relations de séduction, ces relations de curiosité qui sont mutuelles quoique dissymétriques en termes d’autorité ou de relations sociales. Il y a la perversité, pas assez reconnue en conscience par les acteurs et pas assez méditée par les tiers, dans l’Eglise et chez ceux qui propagent le fait et l’événement scandaleux sans aller au cœur de la situation peccamineuse, perversité car dans le couple qui pêche, victime totalement ou victime en partie consentante ou personne adulte et avertie qui transgresse pour elle et pour l’autre, l’ambiance dominante est celle du péché et du sacré. Parfaitement identifiée mais on passe outre, et pour se jusifié la personne consacré et son/sa partenaire refont l’Eglise, la morale, l’évangile au besoin pour, « au nom de l’amour » ou par découverte de soi et de la nature, justifier et même célébrer ce que l’on fait plus d’ailleurs que ce que l’on vit. Du crime contre l’autre, par abus de l’autre, à ce que je crois plus grave et dommageable car il y entre bien plus de spirituel que de sexe et de psychologie : la dénaturation d’une vie au nom de la nature, au nom d’un libre-arbitre reniant les choix et les vœux antérieurs. Crimes selon et contre la société que certains des abus sexuels et d’autorité, mais péché contre soi et contre son état de vie, contre son identité et donc contre Dieu voulant son Eglise et les vœux et consécrations qui, à chaque génération et en chaque civilisation, la constituent, l’incarnent, péché que sont des unions de fait entre religieux et non religieux, entre prêtres et maîtresses ou avec un ami homoseuxel.

S’arrêter à la seule pédophilie et accepter de penser et de régir, réagir seulement dans le périmètre délimité par le Code pénal, c’est soumettre ontologiquement l’Eglise à la société, légitimer tout le reste, qui n’est pas puni socialement, mais qui défigure l’Eglise, abîme les choix de vie. Le scandale – peut-être plus vis-à-vis du monde et de la société, mais certainement vis-à-vis des chrétiens – est ravageur que celui des abandons de poste, des bifurcations de vie alors que les engagements et consécrations avaient mobilisé les entoutages et les fidèles, et que s’était constituée la chaîne des baptisés, des mariés, des pardonnés qu’administrait et enseignait le pasteur. L’Eglise ne peut abandonner – pas seulement par compassion pour le pécheur parmi les siens, mais aussi par responsabilité envers ceux qu’elle avait reçus dans l’état religieux ou clérical ou sacerdotal – ceux qui transgressent des vœux, des états de vie, des engagements librement contractés mais ayant, chez elle, des effets sociaux. L’Eglise est plus exigeante et elle engage davantage les siens que la seule société laïque.

Il y a donc à réfléchir autant sur la prévention de ces fautes, relâchements non réprimés par la justice des hommes que sur ceux prévus par le Code pénal. D’essence et de nature, ils sont analogues : celui ou celle qui manque, manque à soi et à Dieu, scandalise les chrétiens et les païens. En cause, des maladresses pédagogiques, des carences de la vie en Eglise, carences très pratiques sur les plans affectifs, financiers – car le recel de ressources d’Eglise, commis par des membres du clergé est, lui, aussi scandaleux et révélateur d’organisation indigente et d’une formation morale laxiste, parce que trop centrée sur quelques points et trop indulgente pour des casuistiques qui ne sont pas évangéliques.

Les remèdes sont dans la mûe de l’Eglise, pas du tout aux plans dogmatique, sacramentel, missionnaire – certainement comme dit plus haut sur le plan institutionnel – mais fondamentalement dans un retour à l’authenticité des vertus, à des vies vraiment relationnées à Dieu et au service des autres. Les relations humaines doivent changer. La connaissance de soi, la part du cœur et du sexe, aussi bien que les éléments banaux de la vie dans une époque et une société déchristianisés et sans aucun sens du sacré (ce qui ne signifie pas le manque d’appétit), doivent être objets d’éducation et de partage.

La houle de ces semaines-ci a fait revenir les habituels considérants sur l’avantage en recrutement et en naturel de vie de l’ordination d’hommes mariés, et pourquoi pas – dans cette ligne – de l’ordination de femmes, voire du mariage des prêtres. Aller par là n’opèrera aucun changement ni dans les chemins menant occasionnellement au péché et au scandale : le mariage des laïcs n’éradique en rien le divorce, le concubinage, la polygamie et la pédophilie. Les annales des cours d’assises ou la main courante des commissariats de police et de gendarmerie le montrent. Ce n’est pas non plus en diminuant les exigences que l’on renforcera – dans une âme – l’attrait de l’absolu et le besoin du sacré. La banalité ou la banalisation des états de vie correspondant à certains ministères, ne les rendra pas plus attirants que ne repoussait la difficulté.



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La preuve est faite – une énième fois – que l’Eglise, notamment dans sa version catholique romaine, la plus proche (dans la forme) de celle voulue par le Fondateur ? est bien du monde et que pour sauver le monde, au moins l’éclairer et lui donner des repères, il lui faut être du monde… sinon pécher par beaucoup des siens ?

L’ensemble des institutions humaines – actuellement – est en difficulté et fonctionne de façon fermée tant aux idées autres qu’homologuées (mais par qui ?) qu’aux personnes morales et physiques non prévues ou d’une consistance et d’une nature si nouvelles que les admettre perturberait. Le remède des politiques, des économies et des sociétés est le travesti : ouverture et accueil sont feints. Cela va de l’écologie depuis une vingtaine d’années avec ses déclinaisons en développement durable et en gestion solidaire, à bien antérieurement le pullulement des comités d’éthique en biologie, en médecine, en impact de la recherche sur la vie humaine, notamment naissance, mort, voire « clonage ». Le trompe-l’œil n’est pas efficace, personnes et concepts sont mésestimés puisqu’ils sont annexés, supposés à vendre et à gratifier en échange de caution pour le public (naguère, on disait le gogo). L’Eglise – quoiqu’en aient prétendu les « intégristes » – s’y est refusé.

Mais elle a – dans sa manière d’être au monde – ou bien contracté les défauts des autres institutions humaines, ou bien trop peu analysé ce qui chez celles-ci a de l’efficacité ou au contraire est pervers. Elle n’use pas assez de l’expérience du monde contemporain, ou elle est suiviste, donc maladroite. A sa décharge, elle ne se gère et ne communique pas mieux que les politiques dans les pays dits avancés ou démocratiques. Ses hiérarques ou ses personnels – cooptés et encore moins élus que dans la société politique ou syndicale – ne sont pas – pour certains d’entre eux – assez consacrés à leur tâche, pas assez voués à la foi qu’ils sont censés répandre et entretenir puisqu’il leur faut bien plus que les « nourritures terrestres » des laïcs et que leur consécration et leur vocation leur donnent le triste privilège de scandaliser, de pécher contre la société humaine, contre celle de Dieu et contre eux-mêmes. Mais en cela l’Eglise qui se veut lumière et exemple, proclame – avec tristesse – l’état actuel du monde, de la société et surtout de la dégénérescence de toute perspicacité affective et morale. Qu’elle ne sache pas communiquer sur le malheur qui lui advient devrait la retenir de communiquer sur le malheur du monde d’une manière hiérarchique. Partageant le péché, elle peut discerner bien mieux ce qui le cause et probablement encore mieux ce qui ruine les sociétés, les économies et même les idéologies.

La principale faille – dans tous les états de vie, dans toutes les sociétés contemporaines, dans la dogmatique et la pratique de l’économie et des finances aujourd’hui – est le double langage, la dissimulation des difficultés les plus naturelles et des tendances partout à l’abus de position et au recel d’intérêt. Il y avait Judas qui dérobait l’argent que l’on mettait dans la bourse et il y a eu David – le grand ancêtre – qui assassina pour camoufler l’adultère celui de ses soldats dont il avait convoité et obtenu la femme, et il y eut même Abraham prostituant de fait sa femme alors dans sa jeunesse et sa beauté. Tous les vices, toutes les chutes sont connus. Ils ne distinguent pas l’Eglise et ne la séparent pas du monde. Mais, comme elle est le sel de la terre, elle doit être précautionneuse. Je n’ai ni la compétence ni l’espace pour suggérer les voies et moyens pour chacun – dans un état de vie consacré qui n’a pas été et n’est pas le mien, et que je ne pressens que de l’extérieur, c’est-à-dire probablement bien peu ou pas du tout – de se gérer mieux et de se rapprocher de Dieu et des hommes suffisamment pour rester équilibré et disponible seulement à la grâce et pas à la tentation.

Je rêve du dialogue de la femme qui – en d’autres circonstances serait devenu la maîtresse du religieux – serait capable d’une voix douce et avec profondeur et amour dans le regard de dire : tu perds le meilleur de la vie et tu te renies si tu cèdes à une séduction qui n’est pas la mienne mais celle contre qui tu prêches jusqu’à présent, l’ange de beauté, et du cri de ce garçonnet ou de la fillette : laisse-moi à Celui que tu prêches et qui sait m’aimer d’une simple croix à mon front sans m’apprendre ce que je ne sais pas encore et que j’attends d’autre que toi. Et dans les deux cas : mais regarde-toi, toi qui as commencé de te trahir et de détruire. Je crois bien que ces dialogues ont plus souvent lieu qu’on ne l’imagine et qu’il y a plus de clercs triomphant de la tentation qu’y succombant, malgré que de plus en plus de situations y inclinent.

L’intimité du sexe appelle un dialogue d’âme en vérité. Qui n’en est pas capable ? et qui souhaite être esclave muet d’un autre, même prestigieux et affectionné ?

Pas plus que la société, l’entreprise, la politique, l’Eglise ne sait développer son vrai fonds et le mener à toutes ses conséquences – dans le comportement de ses ministres et de ses fidèles, dans les thèmes de son enseignement, dans l’adaptation de son organisation pas du tout pour en rabattre mais pour retrouver les ancrages de sa fidélité. Le magistère économique et social est tolérant. Les témoins d’Eglise se rangeant aux côtés des révoltés et des sans-voix ou dénonçant les textes et les pratiques inhumains ne sont pas assez nombreux. Comme la société, l’entreprise, la politique, les Etats, l’Eglise ne vit pas assez son fondement et sa nature.Si elle n’y parvient pas pour elle-même, comment rappeler aux institutions et aux hiérarchies de celles-ci, qui ne sont pas de fondements divins directement, l’objet ultime qu’est le bien commun.

L’attachement – fondé – à la dignité de l’homme et au respect de la vie d’un terme à l’autre pour chaque personne n’est pas assez marqué d’un autre, qui lui est analogue et conséquent : l’attachement à la liberté. Tout ce qui a trait à la morale et au comportement sexuels, aux affections est une déclinaison de la liberté. Ce n’est pas le péché qu’il faut définir et punir, c’est la liberté qu’il faut susciter et rétablir. Défendre.

Partis, syndicats, associations et tous les systèmes démocratiques et électifs recherchent la participation, la militance, la part d’intérêt pour la collectivité chez toute personne humaine : pas mieux, et souvent moins bien que l’Eglise, en tout cas dans les pays riches matériellement, ils n’y arrivent. Le déclin est général, les coques sont vides, abstention ou désertion dans tout ce qui est d’intérêt commun. Les mécanismes engendrant la passivité – et semblant même la souhaiter et l’augmenter aux fins d’accaparement d’un pouvoir ou d’enrichissement sans plus aucun contrôle des semblables qui ne sont plus que des assujettis – produisent les mêmes effets partout. Les résultats – si novateurs dans les textes – de Vatican II ont été assénés aux fidèles, une fois de plus par voie d’autorité. La mûe par des élections et une dose grandissante de démocratie dans l’Eglise sur tous le sujets de vie ensemble et pour la désignation des chefs et pasteurs n’est certainement pas à rechercher dans des solutions simplistes, une fois encore décrétées par des cooptés et des hiérarchies. L’Esprit ne souffle et la graine ne fructifie que dans des contextes qui ne sont pas encore les nôtres.

La réflexion – commune avec les sociétés, les économies, les Etats – doit porter sur l’édification de ces nouvelles ambiances propres à générer des consensus qui ne soient pas des facilités, mais réellement des docilités et des retours à une véritable inspiration concernant l’homme, sa liberté, son être (sexué entre autres, mais pas seulement). Concile tellement œcuménique qu’il convoquerait aussi tous les hommes, toutes les femmes, tous les enfants : forcément de bonne volonté, s’ils répondent. Et le cri du scandale ces semaines-ci est bien évidemment suscité par nos systèmes de propagation qui ne sont pas de la communication mais du déversement selon la loi de rentabilité par accumulation jusqu’à saturation (heureusement ce point est médiatiquement atteint, et le Souverain pontife est parvenu à prendre, après quelques difficultés, la posture la plus propre à lasser les attaquants pour ne plus s’adresser qu’aux vrais souffrants). Ce cri correspond cependant à un modèle résiduel qui était favorable à l’Eglise et il manifeste que le sens du sacré existe encore aujourd’hui. Le scandale n’est pas né du crime mais du criminel.


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De la mûe institutionnelle et pédagogique peut venir – enfin – un rebond dans les approfondissements théologiques.

Combien de vies spirituelles – et c’est peut-être là une des causes de dérives personnelles vers le laxisme des relations affectives et sexuelles, et vers la criminalité sexuelle, vers toutes formes d’attentats à l’identité d’autrui et de soi – sont marquées par quelques hantises. Le sexe est moins en cause qu’on le croit généralement : d’ailleurs, c’est dans la vie intime un interlocuteur identifié qui laisse beaucoup d’espace entre le marchandage avec lui et une conduite selon la nature, la faiblesse ou la force, celles-ci fonction du moment et de ses ambiances.

Hantises… sous les masques les plus dorés. Je l’ai vêcu personnellement et constaté chez d’autres, compagnons d’adolescence ou religieux et consacrés de rencontre. La beauté comme l’attente et l’aimantation de toute la vie. La perfection. Notions différentes mais semblant voisines, bien entendu passant pour des attributs décisifs de Dieu, mais dont la culture et le désir de les possession sont destructeurs. Il ne s’agit plus que de prédation et non d’une relation de personne à personne (libres également), celle de la créature à son créateur enfin accepté et reconnu. Sans doute les grands textes peuvent – en certains passages – justifier ces objets et de les poursuivre, mais Dieu n’est réductible à aucun de ses attributs ni à leur somme. La beauté – ainsi comprise –pousserait à la course, à la multiplication des recherches et vérifications, qui conduirait aussi, si l’on croit l’avoir en possession, à tout le contraire de la contemplation : la passivité et le repli sur soi. La perfection ferait choisir les pires moyens, antinaturels et même scandaleux : la souffrance pour ses soi-disants fruits, le dénuement par orgueil et défi, et ainsi de suite, mais surtout des états de vie censés la produire automatiquement. Des vocations fondées sur l’avoir et non sur la rencontre. Or, le commandement de devenir parfait – qui est évangélique – n’est donné que pour notre retour ou notre aboutissement à la ressemblance de Dieu : nous fûmes créés tels et nous ne le redevenons (parfaits) que par grâce et rédemption, pas par acharnement vertueux ou égocenté, et nous ne pouvons, en fait, humainement y parvenir que par relation à Dieu et aux autres. Aucun bien – fut-il spirituel – ne vaut en soi.

Pour le vivre et le comprendre, nous avons certainement à reprendre tout l’enseignement christologique et à abandonner ce qui nous faisait donner trop d’importance aux moyens – y compris la chasteté, la pauvreté, l’obéissance – pour revenir ou venir à la fin qui est la participation à Dieu et la communion des saints. Les assemblées, liturgies et scansions diverses présentées par l’Apocalypse donneraient a priori raison aux émus de la beauté et aux épris de la perfection, mais c’est ne pas lire le texte dans son entier : message aux églises, très caractérisé pour chacune, message incarné et conclusion, Viens, Seigneur Jésus.
L’Eglise, la théologie – dans des vieillissements pas assez irrigués – ont peut-être mené troupeaux et pasteurs, consacrés et laïcs à une certaine avarice : parce que nous nous sommes repliés sur des expériences et d’authentiques trésors, les origines de notre richesse et la raison de notre aimantation vers Dieu et vers autrui, en Dieu et parce que nous vivons le même destin et avons soif d’une unique communion, ont été perdus de vue et surtout de prière. La première perte du sens spirituel est celle du discernement. Il n’a pas manqué seulement à ceux qui ont brisé leur vie en même temps qu’ils blessaient gravement des âmes, des corps et handicapaient des destinés, il nous manque aussi. La liberté, quand elle est souveraine, jouit de ses propres limites et le discernement de la beauté et de la perfection, chemins entre autres vers Dieu, n’est possible et juste qu’en amour. L’expérience religieuse sans doute – mais je ne l’ai pas – et l’expérience conjugale certainement – puisque par grâce je l’ai reçue, il y peu mais déjà assez d’années pour connaître les miracles qu’elle a accomplis en moi – le confirment : l’amour fait voir, l’amour retient, l’amour préserve, l’amour crée. Non selon nous, mais selon – mystérieusement – ce qui nous dépasse, et qui est sans doute nommé par les chrétiens et quelques autres : Dieu notre Seigneur Jésus Christ.

Mais on ne parle pas de l’amour, on ne l’enseigne pas, on le vit et on en vit. Comme les modes visibles de l’amour sensuel ou intellectuel, les modalités relationnelles amoureuses sont aujourd’hui décevantes et relativisées par beaucoup, l’entrée de prêcheurs d’absolu et célibataires consacrés dans cette médiocrité – contre laquelle notre époque ne cherche de remèdes que vaguement et dans le secret des personnes – est doublement choquante. Elle met à mort la mission. Si le sel s’affadit, avec quoi le salera-t-on ?



lu pour le baptême auquel j’assistais fortuitement – texte choisi par les parents
On lui présentait des petits enfants pour qu’il les touchât, mais les disciples les rabrouèrent. Ce que voyant, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les petits enfants venir à moi ; ne les empêchez pas, car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume de Dieu. En vérité, je vous le dis : quiconque n’acueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant, n’y entrera pas. » Puis il les embrassa et les bénit en leur imposant les mains. Evangile selon saint Marc X 13 à 16

Lu, dans sa reprise par
Zenit, l’éditorial pour le bulletin de son diocèse de Guy Bagnard, évêque de Belley-Ars, résidant à Bourg-en-Bresse. Nous avions eu le privilège, et vite l’émotion, de près de deux heures d’entretien avec Mgr. Bagnard, ma femme et moi, en Juillet 2003. Rarement nous avons rencontré un homme prenant autant à cœur la vie de l’Eglise, sous tous ses aspects, prise à cœur intense et si contagieuse que nous nous agenouillâmes, en le quittant, pour communier avec lui dans sa bénédiction. Incarnation vive de l’évêque de Digne, selon les misérables de Victor Hugo. Cf. le feuilleton de ces mercredis soir… J’en retiens : On mesure, en effet, l'impact d'un homme à la puissance des forces qu'il déclenche contre lui. On ne cherche pas à réduire au silence celui qui n'a rien à dire (…) Dans cette humanité qui s'organise sans Dieu, voilà ce que, justement, viennent contredire les propos de ce Pape qui disait naguère : « Celui qui ne donne pas Dieu donne toujours trop peu ! » Ou encore : « Le monde veut voir chez les chrétiens ce qu'il ne voit nulle part ailleurs ».


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Mobiliser tranquillement une bibliothèque personnelle – de quarante ans – à l’appui ou en écho d’une réflexion sur ce qui seraient faits divers s’il ne s’agissait d’une institution et d’un personnel, en partie constitutifs de la foi de celui qui réfléchit au sens de l’actualité, est instructif. J’en sors – sinon changé – du moins renouvelé. Deux éléments. Le premier : dès les années 1960, l’Eglise sait la problématique de pratiquement tous les sujets qui la traversent et l’interrogent ces semaines-ci et dont la sexualité, en ambiance générale et en comportements des personnes, consacrées ou tout venant, semble le point de référence, et elle sait les solutions. Mais, alors qu’elle vit le Concile et que se disent, admirablement, la nature et la mission de l’Eglise pour l’humanité entière, elle ne pense pas à ce pan immense de la vie incarnée de ses fidèles et même de ses ministres et elle va persévérer dans cet oubli jusqu’aujourd’hui : elle définira de mieux en mieux le sacerdoce et l’escathologie, elle se voudra prophétique par nature, elle sera eucharistique comme aucune autre époque c’est-à-dire sacrée et significative, sacramentelle, mais – par son silence ou son oubli – elle ne comprend pas le mariage, le couple humain consacré par le mariage mais aussi tous les couples de raccroc que leur fidélité à l’Eglise et leur expérience de la chair (et du cœur, plus encore…) écartèle faute que la synthèse et ses moyens, faute que le terme soit vraiment élucidé, elle ne comprendra ses ministres et ses religieux quand l’affectivité et le désir n’ont pas ou plus de point d’application.

Lacune qu’il faut réparer d’urgence, mais en prenant le sujet au plus large : la pédophilie, le mariage des prêtres, les entorses à la chasteté, ce qu’est le symbolisme mais surtout le concret et la vérité de la femme pour elle-même, pour la société et pour les hommes sont à comprendre et à prendre en charge. Du crime à la chance et que tout pécheur soit grâce et lumière… Et second élément : à mesure (y a-t-il eu et y a-t-il encore un lien de cause à effet ?) que les églises se vident, que la pratique sacramentelle est désertée, que l’union de fait éphémère et donc la « famille recomposée » deviennent d’aberrantes et si pauvres cellules premières de la société dans les pays riches, se révèle l’immaturité en comportement, et – rétrospectivement – en description doctrinale, du clergé et tout autant du mariage.

Dans ce que je viens de lire ou de parcourir, parce que je l’avais lu il y a trente ou quarante ans, je trouve des écrits prophétiques, des sagesses plus actuelles et efficaces aujourd’hui qu’à leur expression il y a quarante ou cinquante ans, mais aussi des digressions effrayantes qui me paraissent une des explications de ce dont nous souffrons aujourd’hui : ces vestiges anciens d’une sorte de supériorité acquise et indiscutée du clergé sur le laïcat, cette ignorance cléricale de l’amour humain et du mariage, cette obsession de la pureté (laquelle à considérer tout dans le détail : rite, hygiène, fétichisme sinon négation même de toute propension religieuse de l’humanité la plus ancienne) à laquelle est seulement concédée la procréation quelque instant d’étreinte. Plus dramatique encore le flou sur les notions les plus pratiques, parce qu’orientant nos vies : qu’est-ce qu’une vocation ? la vocation ? qu’est-ce qu’une relation entre deux personnes ? qu’est-ce que le désir, quelles qu’en soient la forme et l’expression, quel qu’en soit l’objet : divin, terre-à-terre, poétique, sublime, matériel mais tension et habitation toutes naturelles.

Mais si je prends l’ensemble de ces livres – un groupe de trois ou quatre acheté et sans doute médité tandis que je manquais mes premières fiançailles, sans que cet enseignement livresque soit en cause, mais il avait dû contribuer à ce que je manque d’écoûter celle qui avait consenti d’abord avec joie autant qu’avec curiosité d’elle-même et de moi, à notre rencontre – et si je le rapporte à la problématique de l’Eglise, je vois bien que celle-ci se conduit en véritable responsable du progrès et de l’histoire des hommes. On arrive en 1968, on entre dans des déferlements qui ne sont pas des permissivités, mais un découplage toujours existant entre une conduite responsable de la société et des avancées scientifiques (biologie génétique, psychiâtrie notamment de la dépression, sociologie du pouvoir, des hiérarchies et cooptations, de la participation) en sorte que l’homme complet – homme et femme, avec la trinité que symbolise et appelle l’enfant à peine conçu – est rare, en tout cas n’est pas au pouvoir.

Il me semble pour conclure cette réflexion aimante sur l’Eglise face à l’événement qui n’est pas d’aujourd’hui, d’une évidente incompréhension de la chair, de la liberté et de la sacralité des vœux religieux ou de l’ordination sacerdotale par ceux même qui devraient en être les hérauts, les modèles et les témoins, que beaucoup est à mettre en ordre pour encourager ce qui se vit bien, pour répondre à ce qui fait crier dans l’Eglise et au dehors, mais au total – si pratiquement nous venons toujours de loin – nous n’avons, tous ensemble, jamais perdu le sens. Le monde nous le rappelle, il a raison.

Quel contraste entre des maladresses ravageuses – le plus souvent par esprit de supériorité et de bonne foi : ainsi la pastorale du mariage quand j’avais vingt-ving-cinq ans, ainsi à la même époque l’accueil en séminaire de trois de mes amis les plus chers – et des lucidités pédagogiques (ainsi les enseignements de ce Jésuite en exercices spirituels, ainsi presque toutes les encycliques de Paul VI, pas très nombreuses et toujours chaleureuses) qui sont autant de môles, tout à fait solides et bienvenus pour aujourd’hui, et immédiatement demain. Signe que le peuple doit garder ses pasteurs d’une assurance maladive d’être dans le vrai, sinon le révélé, pour tous sujet qu’ils traitent, et d’être avisés pour tout ce qu’ils ne traitent pas et, selon eux, ne vaut que silence sinon mépris, au regard des fins dont ils ont la clé et le secret. Les scandales, anciens, mais mis au jour maintenant, obligent ces hiérarques à passer le relais au peuple, ne serait-ce que pour leur salut propre. En fait et bien plus pour le salut du genre humain grâce au travail d’Eglise. Car aujourd’hui, quelle institution humaine compte sur le papier un tel nombre d’adhérents ? et laquelle est organisée pour parler, comme l’Eglise peut le faire, d’une seule voix. Legs humain d’une fondation divine, disent les croyants. Miracle sociologique et psychologique, disent les sociologues et politologues. La discipline la plus exigeante se tait – à laquelle l’Eglise, dans ses états de vie et ses institutions concrètes, a de plus en plus recours – la psychologie. Il est temps qu’elle soit cultivée par les chrétiens et leurs pasteurs, assimilée par l’escathologie que constituent les états de vie consacrés et que revienne à l’honneur la connaissance du cœur, puisque c’est là que Dieu regarde, frappe, réfléchit à nous depuis le chapitre IV de la Genèse.

Il est nécessaire – immédiatement – que l’Eglise en tout chrétien et chez ses hiérarques et pasteurs, n’ait plus peur de la chair, du cœur, des hommes, des femmes – chacun en tant que tel lumineux et précaire, en demande – n’aient plus peur de la vie, à fleur de peau, en toute rencontre et que le tabernacle ne soit plus une chose, mais le sens de tout, les yeux dans les yeux, entre gens de cette époque-ci. Il y a une langue à apprendre autant qu’une crainte à éradiquer.

Ce me paraît assez facile si le peuple est appelé à participer à cette mûe, et lui-même sait s’élargir de tous côtés et rétrospectivement en tous temps. Il ne s’agit pas d’expériences à étudier, de concertations à initier, il s’agit d’une liberté telle qu’elle nous rende compréhensible de tous, l’œcuménisme ne nous a pas attendus, l’admirable constitution du pécheur de chair – dont au féminin grouille l’évangile – nous est connue de toujours. L’Eglise n’est pas une hiérarchie, elle est une assemblée en prière que visite inopinément l’Esprit saint. Dans ce que j’ai lu – limité ou lumineux, erratique, même faux ou hésitant – tout est pierre d’attente. Chambre haute pourvu qu’on y soit à l’écoûte et disponible, ce qui suppose tout le contraire de la peur et n’a pas sa description ni sa recette.

Mais l’environnement et le temps – que savait si bien la « primitive » Eglise – nous sont aujourd’hui inconnus : presque toutes les certitudes d’il y a un demi-siècle bientôt (l’époque de Vatican II) sont apparemment périmées, en tout cas ne sont plus reçues pour telles : la soif de sens, « l’angoisse de l’homme expression de son désir de Dieu » ne sont plus tant elles ont été transposées dans d’autres domaines eux-mêmes pollués comme l’économie et le social. Sur les questions de maintenant, posées de la manière la plus fruste, parce que seulement en apparition puis énoncés médiatiques, le fond des dossiers manquent – du moins à ma connaissance. La condition du prêtre actuellement et la conscience qu’il en a : il a plu des romans de Bernanos à Michel de Saint-Pierre ou Quéffelec, mais aujourd’hui ? La pédophilie, le tourisme sexuel sont qualifiés pénalement, mais la relation elle-même, naissance, transgression, communion, viol et séduction, toutes les nuances, causes, conséquences – je n’en ai rien lu, et je n’en ai pas vu d’études. L’homosexualité dans le clergé comme dans la vie courante et quel que soit le sexe, semble être passée d’une schématisation tant religieuse que médicale, proche de la persécution à une culture révérentielle pas mieux fondée, au point qu’elle engendre une nouvelle législation du mariage et une jurisprudence de l’adoption, mais les études ne sont pas répandues qui la décrirait, l’expliquerait et la montrerait autonome ou liée à d’autres inclinations et tempéraments sexuels. Le couple marié, hétérosexuel, lui-même n’est pas décrit dans son état actuel, statistique et psychologique tandis que tous les facteurs de résolution et de précarité l’assaillent. L’impact social de la précarité du couple ne semble pas encore mesuré, alors même que les ravages pédagogiques sont constatés. Enfin, les grandes notions – qui concernent autant la société humaine en général que l’Eglise – ne sont plus ni claires ni communément admises : la démocratie, le droit naturel et les valeurs qui en découlent, l’autorité, le devoir de rébellion et d’insoumission dans certains cas, certaines circonstances, pour certains sujets sont devenus d’expression et de contenus variables et relatifs. Encenser des valeurs est de mode, mais aucune n’est définie ni en contenu ni en pratique. Les sociétés humaines sont passées du manichéisme au dégradé et au flou pour tout ce qui doit faire référence. Les référents-mêmes – ceux qui restent d’évidence – ne sont pas étudiés pour eux-mêmes, notamment en psychologie et en sociologie : l’âge adulte, l’âge d’homme, ce qui précarise toute définition de quelqu’autre référent. Il ne semble plus possible de définir ce qui conduit au laxisme des comportements et au repliement de ceux qui se croient situés. Crise de méthodes, crise des concepts : notre époque peine à se dire, le discours politique et le discours religieux semblent plaqués sur elle, le rappel du réel surprend donc chaque fois alors même qu’il est de plus en plus fréquent. Scandales, cataclysmes, faillites, tout ce qui est institutionnel est constamment requis en expression et en remèdes

Autant de raisons pour que l’Eglise s’associe à tout homme, à toute institution, à tout mouvement de bonne volonté, les rejoignent et les appellent pour des réflexions et des expressions restaurant dans notre époque un minimum de langage commun et d’objectifs à tenir, ensemble. Elle y est bien plus prête qu’elle ne l’imagine elle-même : un simple regard en arrière, vers l’après-guerre tandis que le rideau de fer et les guerres de décolonisation aveuglaient tout, que le marxisme n’avait de pratique que soviétique, que le clergé était numériquement encore très abondant même en Europe, fait constater une explosion libertaire de jeunesse et de vie dans le laïcat. Les temps ne sont plus totalitaires, le mépris de l’homme – s’il continue de courir le monde – est aujourd’hui hors la loi et aucune casuistique ne peut plus prétendre le justifier soi-disant pour quelque bien commun à quelques-uns. Et la crise de toutes les idéologies économiques et sociales autant que la difficulté de l’ordre politique de trouver ses repères moraux et ses modes de participation pour l’ensemble de ses ressortissants, rapproche le profane du religieux en termes sociologiques. La morale sexuelle trouve ainsi sa place – éminemment symbolique et révélatrice de l’état d’une civilisation – mais aussi ses fondements que sont la liberté et la conscience, et non la répression qui ne sera jamais préventive. Ainsi, l’Eglise émerge-t-elle, aussi pauvre dans ses fidèles et ses ministres que toute institution humaine actuellement, mais – au contraire de celle-ci – disposant nativement de tous les repères. Sans compter – je le crois plus directement encore que je l’espère – la grâce.

soir du lundi 19 Avril 2010


13°


Me relisant avant de courieller cette réflexion – d’abord seulement réactive, puis progressivement suggérant la convocation de tous pour une nouvelle ère, la nôtre – et ayant repris des dizaines d’auteurs, donc autant de compagnons, géants et chefs ou bien experts, essayistes et autres, je comprends le génie de l’Eglise et en quoi elle irrite et dérange profondément qu’elle soit sainte ou pécheresse. En dehors des « promesses de l’éternité » que lui rappelait de Gaulle, à son sortir de l’audience de Paul VI, l’Eglise parce qu’elle est partout et de tous les lieux et de tous les âges depuis deux mille ans et un peu plus a une expertise particulièrement en phase avec notre début d’époque. La science d’analyse n’est plus aujourd’hui la sociologie, encore moins l’économétrie, elle est la psychologie. Le changement ne se fera pas – révolution – par l’édiction de nouvelles lois ou par quelques renversement ou prise du pouvoir dans les sociétés et les Etats, il est appelé à se faire, et chacun le sent, par des conversions de comportements individuels : essentiellement la relation au sexe (la libido autant que la volonté de puissance) et la relation à l’argent (le matérialisme qui n’en finit toujours pas). Les politiques, même de grande envergure, continuent aujourd’hui de regarder le gouvernement des hommes (et la lutte pour le pouvoir en termes de sociologie, même s’il y a des règlements de comptes personnels) simplement parce que nos démocraties sont électives et non pas participatives.

L’Eglise, par nature et parce que son objet est le bien d’abord spirituel de ses ouailles et de tout le genre humain, est psychologue. Même si elle manque bien souvent sa communication ou une bonne gestion de son image tant vis-à-vis de ses fidèles que du monde. Elle a le contact des âmes, elle sait ce qu’est une conversion, puisqu’elle s’est fondée là-dessus à la Pentecôte, conversion des Apôtres et conversion des auditeurs de ceux-ci attirés par le bruit. Dieu peut en faire… Cette expertise surnaturelle, cette organisation supranationale mais très enracinée localement en de multiples rameaux et sarments sont très supérieurs et ne tombent dans les mains de personne ni d’aucune organisation, au contraire des Etats et de tous les systèmes sociaux humains. Qu’il y a des tares institutionnels et des « tarés » parmi ses ministres faute de soins, de prudence et au fond de véritable vie spirituelle, c’est certain, mais cela ne change rien à ce don qu’a l’Eglise – humainement – de pouvoir faire beaucoup dans un monde qui peut de moins en moins se sauver et se repérer par lui-même. Elle est donc attaquée par tout ce qu’il y a de nihilisme dans une époque vivant de libido et de prédation et sachant parfaitement son néant quels que soient les éclairs de conscience que chacun peut déceler par intermittences.

L’histoire des cent ou cent cinquante ans écoulés montre que ses chefs – les papes successifs depuis Léon XIII – ont presque toujours mieux compris l’époque et ses travers, les opportunités de salut, le concret des situations, les obstacles systémiques que n’importe quelle autorité morale ou cénacle politique, diplomatique, philosophique, d’ailleurs tous éphémères au regard de sa pérennité. Benoît XVI – contrairement aux apparences – n’est pas attaqué ad personam même si son « profil » s’y prête, il est attaqué parce qu’à l’instar de ses prédécesseurs, c’est lui qui recèle l’initiative de la mûe, c’est qui peut convoquer le changement, c’est lui – fonctionnellement – qui peut le garantir et le conduire. Or, il se trouve – et je crois que cela va apparaître, sauf dramatique accident – qu’il a également le coefficient personnel. Rien qu’à mettre en regard Deus caritas est avec Sacra virginitatis… 1954 – 2005. L’éternité – par la résurrection – suppose que l’on soit pleinement de son temps et incarné.

Je ne crois pas du tout à la souffrance recherchée pour quelque vertu rédemptrice – ce serait prendre Dieu pour un échangiste et nous-mêmes, devenir fétichistes – mais ces drames venus au jour qui firent souffrir et qui font souffrir, sont gros d’une réorganisation et d’une remise en route, d’une intense et confiante délibération qui aurait dû suivre, pour la pratique et pour le peuple, Vatican II et qui, n’ayant pas eu lieu ou n’ayant pas été suscitée ou souhaitée, a finalement laissé le Concile aussi inachevé que Vatican I ./.

soir du mardi 20 Avril 2010

Semaine Sainte 2010 – lundi 29 Mars au samedi 3 Avril 2010
& relecture puis annexe bibliographique le mercredi de Pâques 7 Avril
& ajouts samedi 17 et dimanche 18 Avril 2010
mobilisation de ma bibliothèque du samedi 17 au mercredi 21 Avril


Bertrand Fessard de Foucault . 67 ans .
premier et unique mariage il y a six ans bientôt . père d’une fille de cinq ans .
après quarante ans de séductions, rencontres, curiosités et X liaisons .
& auparavant puis pendant : interrogation intime sur une vocation religieuse .

militances :
scoutisme avant la réforme,
civisme en forme d’éditoriaux politiques (Le Monde, La Croix, Le Calame),
établissement des relations entre l’Asie centrale et le Saint-Siège,
accompagnement de l’Abbé Pierre pris dans « l’affaire Garaudy », approfondissement en couple du concept et de la pratique d’une gestion de portefeuilles éthique et solidaire
diffusion quotidienne d’une méditation écrite des textes de la messe
et périodique d’une lecture du Coran par un chrétien
[1] - l’admonestation sans indulgence du Christ à ceux qui le pressent : ne vous réglez pas sur leurs actes car ils disent et ne font pas. Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt. Matthieu XXIII « & 4 – A vous aussi, les légistes, malheur parce que vous chargez les gens de fardeaux impossibles à porter et vous-mêmes ne touchez pas à ces fardeaux d’un seul de vos doigts. Luc XI 46

[2] - ainsi celles de l’homosexualité ou de certaines pratiques intimes même hétérosexuelles

[3] - les évocations écrites par deux des icônes populaires du clergé contemporain : l’Abbé Pierre et la Sœur Emmanuelle, sur leurs aventures, penchants ou pratiques intimes, ont au moins surpris le grand public

[4] - je n’ai lu l’entier de la lettre apostolique de Benoît XVI aux catholiques d’Irlande que le mardi 20 Avril, alors qu’elle remonte au samedi 20 Mars…

[5] - les « jacasseries » selon un mot rapporté du Pape AFP - 28/03/2010 à 20h56, que de Gaulle aurait pu se permettre n’étant pas en cause, et surtout le rapprochement fait par le Père Cantalamessa en prêche officiel au Vatican entre la déferlante actuelle et l’antisémitisme ordinaire AFP - 03/04/2010 à 07h35 (au cours de la liturgie de la Passion du Christ à la basilique Saint-Pierre, présidée par Benoît XVI, le père Raniero Cantalamessa a donné lecture d'une lettre de "solidarité" au pape et à l'Eglise, qu'il a dit avoir reçu récemment d'un "ami juif". "Je suis avec dégoût l'attaque violente et concentrique contre l'Eglise (et) le pape", écrit l'auteur de la lettre cité par le prédicateur de la maison pontificale." L'utilisation du stéréotype, le passage de la responsabilité et de la faute personnelles à la faute collective me rappellent les aspects les plus honteux de l'antisémitisme", poursuit-il. Aux Etats-Unis, une association de victimes de prêtres pédophiles a jugé que ces déclarations constituaient "une insulte aussi bien pour les victimes d'agressions sexuelles que pour les juifs" tandis que le rabbin Gary Greenebaum, chargé des relations interreligieuses au sein de l'American Jewish Comittee, les a qualifiées de "malvenues" – prolongeant la posture pontificale du persécuté (« même couvert d’insultes, le Christ n’insultait pas » AFP - 01/04/2010 à 13h28) puis flot d’excuses (Le Vatican a admis le caractère inapproprié d'une telle analogie, affirmant que ce n'est en aucun cas la position du Saint-Siège. Et le père Cantalamessa a assuré au Corriere della Sera que ni le pape ni le Vatican n'étaient au courant du contenu de son sermon. AFP - 04/04/2010 à 10h16 )

[6] - exemple-type, Jean-Claude Barreau, un moment chargé de donner et superviser la catéchèse dans le diocèse de Paris (1968-1969) : on croyait au Christ parce qu’on croyait au prêtre beau et charismatique, enthousiasmant. Inséré ensuite dans le parcours de vie et les écrits successifs, le tableau devient celui d’une pauvreté sans repères et un enseignement de la discontinuité difficilement justifiée. Annonce de Jésus-Christ (Seuil . 1964 & 1968 . 185 pages) … puis (après mariage et divorce) Du bon gouvernement, des vérités cachées de l’Histoire et de l’actualité (Odile Jacob . Février 1988 . 212 pages) … et enfin Les vies d’un païen, mémoires (Plon . Mars 1996 . 317 pages) … annulation d’une nomination parce que j’ai eu le courage de ne pas cacher ma carrière ecclésiastique et la faiblesse de ne pas distinguer diplômes d’Eglise et diplômes d’Etat p. 290… j’ai beaucoup aimé l’Islam. Je l’aime encore. J’en aime les paysages, les hommes, l’ambiance. Mais en même temps, certains aspects de cette religion ont gêné le vieil anticlerical que je demeure. p. 296 … car tout avait commencé par La foi d’un païen (Seuil . 1967 – je l’ai mais ne le retrouve pas) … Mon père s’est marié quatre fois et ma mère trois, mariages civils évidemment, mes parents étant incroyants. … vie étonnante que je ne saurais « juger » dans un aucun sens, il « tape dans l’œil » de Mauriac, Malraux, Mendès France, Mitterrand, d’autres, et de son évêque : Marty, et épouse en premières noces, une infirmière, rayonnante semble-t-il, Ségolène… gâchis vis-à-vis de Dieu et de l’annonce évangélique ? ou Dieu gâché par orgueilleuse légèreté ?

[7] - Deus caritas est, points 6 et 7 . cités plus en évocation bibliographique

[8] - Assemblée plénière de l’épiscopat français – Pour une pratique chrétienne de la politique
Centurion . Novembre 1972 . 62 pages

[9] - Les évêques de France - Proposer la foi dans la société actuelle, lettre aux catholiques de France
(rapport Mg. Claude Dagens, préf. Mgr. Louis-Marie Billé) Cerf . Décembre 1996 . 130 pages

[10] - à juste titre, Paul VI a raison de cet argument : l’Eglise ne peut ni ne doit ignorer que c’est la grâce qui préside au choix du célibat – pourvu qu’on le fasse en toute prudence humaine et chrétienne, de manière responsable. Or, la grâce ne détruit pas la nature et ne lui fait pas violence, mlais elle l’élève et lui donne des capacités et des énergies surnaturelles. Dieu, qui a créé l’homme et l’a racheté, sait ce qu’il peut lui demander et lui donne tout ce qu’il faut pour accomplir ce que lui demande son Créateur et Rédempteur. – Sacerdotalis coelibatus § 51

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