jeudi 27 mai 2010

lettre à mon frère de sang et aîné sur deux binômes


Nous avons aimé ta présence et nos dialogues. Je reviens sur certains moments, car si nous ne nous revoyons qu’au mois d’Août…

Tu me dis plus homme de désir que de plaisir. Tu suggères, pour l'éducation de notre fille, que je n'ai pas autorité mais pouvoir.

Plaisir et désir… tu auras des éléments dans le manuscrit donné à Charlotte et à Maman ; ce fut écrit en 1988, en quelques jours. J’ai la jouissance contemplative : sexuellement, le corps féminin, d’où les photos. de nu ; spirituellement en m’arrêtant longuement à une seule « chose » ou un seul dialogue. J’aime l’immédiateté du poème, de l’entente. Je suis revenu aujourd’hui et sans doute lors de ma double expérience (douloureuse mais bonifiante) qu’a été le choix Hélène/Edith, de la beauté comme attendue absolument et finalement. Beaucoup de « gens » et notamment des religieux sont épris de beauté (ou de perfection, ce qui revient à peu près au même, quoique ce soit d’objet apparemment différent). D’abord l’expérience de l’évanescence et de la « cyclité » de la beauté même chez des femmes, appréciées comme belles, bien entendu la relativité du « jugement »de beauté. Celle qu’on croit belle, et qui l’est objectivement selon nos canons propres appuyés par la mode dont nous sommes tributaires, ne l’est pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre heures : éclipses, détails. Décristallisation pour celui dont l’amour était superficiel et portait sur de la superficie. Douloureuse. A l’inverse, quelqu’un, une femme pas exceptionnellement belle, charme ou pas, peut par moment être tellement transparente à son propre sourire, à son don d’elle-même, à une âme découverte, qu’elle est suprêmement belle. De visage. Quant au corps, le désir ou le culte qu’il inspire, le fait échapper à bien des crières morphologiques et autres. Plaisir de contemplation, moindre plaisir du succès, soit la conquête féminine, soit l’étape de carrière, soit l’édition du livre ou de l’article (le gros lot ou la grosse somme, je n’en ai pas l’expérience…) : succès = responsabilité = poids, précarité, contingence, interrogation sur le sens et la suite. Plutôt que désir : attente. J’ai attendu jusqu’à notre mariage et à la conception, antérieure, chronologiquement mais pas mentalement, de notre premier enfant. Je n’attendais pas « cela » depuis quarante ans, j’attendais d’être heureux de ce que j’aurais. Attente d’une confirmation de vocation, attente d’une rencontre me donnant la femme idoine. Je ne les avais pas, parce que ? mon critère était précisément que la réponse ou la rencontre me stabilisent. Or, je ne me stabilisais pas dans ces réponses, ces rencontres, ces étapes de carrière, je n’étais pas à comparer ou à chercher ailleurs – la nostalgie comparative ne m’a contraint et rapetissé dans la considération que je pouvais avoir du présent, que quelques années seulement après Nicole. Ce qui m’a été donné par et avec Edith – don de Dieu, évidemment, plus que de mon art ou de mon discernement – a été cette stabilité, ce contentement dans ce que je vis, je suis (malgré la disgrâce, le vieillissement, la panne financière). Donc contemplation-communion-pénétration et conscience d’approfondissement – attente finalement assouvie, conviendrait mieux que ton binôme plaisir-désir, mais celui-ci m’a fait beaucoup réfléchir, dans l’instant et maintenant. Merci. Je ne saurais pas, quant à moi, te définir ( ?) aussi lapidairement et au fond, aussi justement, ou presque…

Autorité et pouvoir… tu l’as entendu au sens de l’éducation des enfants, Marguerite par
exemple. On pourrait, tandis que j’y viens, le mettre aussi en politique. Tu penches pour le pouvoir. Tu ne dis pas lequel, pouvoir de contrainte ? en somme, et physique d’essence. Tandis que je préfère l’autorité, qui a quelque chose de moral, et aussi de consenti de la part de celui qui la révère, la prend pour point de repère ou s’y soumet. J’ai ressenti dès la conception de notre fille, quand il a été assuré que nous allions reecevoir un enfant, combien celui-ci était déjà libre même s’il serait apparemment notre « produit », sauf à le contraindre, à mettre en cage moralement ou physiquement, c’est-à-dire à immobiliser et en somme à tuer. Nous avons continué de le vivre à mesure ces premières années de notre fille : nous l’aimons, chacun différemment, et elle nous aime autant en couple (se glissant entre nous quand nous nous embrassons dans la journée, ou provoquant une ronde des six mains qui se tiennent) que chacun mais différemment, sans d’ailleurs jamais chercher à jouer de l’un sur l’autre, mais nous ne la ressentons pas comme nôtre, au sens de prolongement ou de possessif ou de disposition d’elle pour nous. Nous nous sentons ses accompagnateurs et ses sécurisants, ses rattrapants. Rôle de réciprocité car non seulement elle est l’un de nos sujets, toujours dépaysants, pacifiants et
distrayants, pour nos conversations en couple, mais elle nous apprend et nous apporte constamment. Pas seulement en situation prise au pied de la lettre – ses mots d’enfants, comme chaque parent en retient (comme tu le devines, en plus de son journal par lettres, qu’elle recevra vers ses 12-15 ans, selon les années de l’écriture d’origine, je tiens le registre de ses « mots ») – mais vraiment des leçons. Notamment la cohérence, la non-contradiction, la sélectivité déjà de la mémoire, et l’imagination est souvent plus cohérente et enseignante que l’apprentissage. Bien entendu, elle a déjà des secrets pour débloquer un ordinateur ou la télévision, même si c’est par hasard. Pouvoir ? je n’aime pas les fessées, pas les gifles, j’en ai donné une seule, et c’est d’ailleurs notre Ninique à tant de facettes, à qui j’en avais parlé je crois, qui m’a fait approfondir que le visage est sacré. Donc, pas de coups ni de contraintes physiques, que de l’enlever au sol, ou d’une pichentte lui effleurer le derrière, ce qui la rappelle à la réalité instantanément, alors que les cris… ou les demandes. Donc, l’autorité. A quoi tient celle-ci ? la pétition d’expérience, de déjà vêcu ou éprouvé, ne l’ébranle guère. La raison, la rationalité ? pas tellement, car l’imagination vaut la réalité, même si elle sait bien que c’est de l’imagination, la réalité étant sans doute pour elle autre chose, plus du domaine du bon sens que du concret. Le concret chez l’enfant ? l’alimentaire ? le jouet mais qui n’est pas vivant, la vive conscience de faire semblant quand on joue à la poupée. Le désir non de grandir mais de demeurer (enfant). L’autorité, dans l’expérience qu’elle me donne à vivre, tiendrait au moins pour moi, à l’affection. Elle refuse l’ordre, elle ne se laisse pas raisonner, mais elle réfélchit qu’elle me fait de la peine. Elle est plus sensible à mes promesses, que je dois tenir, qu’aux siennes qui ne font pas référence. Autorité de sa mère, elle est autre, je n’en ai pas encore parlé à Edith. Malgré cris et coups (cris des deux, coups donnés par Marguerite ou trépignements de dépit ou d’impuissance puisqu’elle n’obtient pas ce qu’elle veut, sans distanciation), le fait est qu’elles s’entendent très bien.

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