samedi 18 juin 2011

pour un septième anniversaire - ce qui n'est pas un témoignage

Indicible et surnaturel, le mariage

L’amitié, la passion, les attirances et les joies chaleureuses de la rencontre et de la communion signifient l’étreinte, mais pas la durée de vie ni la consécration. Le mariage n’est choix – refait et revécu chaque jour, chaque nuit – qu’après coup et chemin faisant. Ce qui initie tout, quels que soient les matériaux et la chronologie, les causes et les espérances, les affinités et la raison pensée, c’est la consécration.

Même « païen », même clos sans vue spirituelle consciente ni liturgie d’une quelconque célébration, le mariage est consécration. Il ne défie pas le temps ni nos précarités physiques et psychologiques, nos évanescences et les discontinuités de notre nature humaine, il les abolit.

Se marier est sans doute un événement. La société, les tierces affections, les familles, chacun des deux époux se doivent de protéger ce qui se constitue et ne se romprait qu’à grands prix : patrimoines divers et enfants en souffriront, la conscience que la vie, fondamentalement, est continue, en sera fortement abîmée. Les retrouvailles d’une identité de soi et de la profonde unicité de toute existence humaine seront plus difficiles. On est bien davantage seul quand, quelque temps ou longtemps, on ne l’a pas été. La solitude est une errance si elle n’est pas
voulue et consacrée.

Le mariage – consécration, s’il en est – n’est pas pour autant un état de vie. Je le crois une dynamique constante de lutte contre l’usure, le désespoir, la haine de soi. Celle que j’ai attendu des années, des décennies, celle que j’ai rêvée en grimaces, en vêtements faux, en circonstances paradisiaques qui étaient infernales ne m’est pas apparue à volonté. Sa venue, sa présence ont coincidé avec le signal – péremptoire – de mes fausses routes. L’attente, parce qu’elle est indéterminée mais minutieuse, qu’elle n’ait été que celle d’une adolescence vite exaucée par la rencontre et la décision ou qu’elle ait duré, ni par idéalisme, ni par distraction, mais par arrangement de la vie et de Dieu, a une valeur surtout rétrospective : elle discrimine, elle m’accorde avec ce que je choisis chaque jour, avec joie et reconnaissance, depuis sept ans.

Le mariage fait de notre vie, non un état, mais une bénédiction. J’ai cru à l’androgynat, puis à la fusion, deux illusions qui sont totalitaires et m’ont fait – mécaniquement – manquer des fiançailles. Ce n’est pas l’autre qui est ingrédient, ce n’est pas moi qui suis vertueux et exaucé. Le mystère et l’indicible sont que – dans le mariage – tout concourt aux réparations de ce qui s’abîme ou est ponctuellement mis en cause, tout concourt à la joie de lire ensemble ce que, l’un par l’autre, la providence nous administre. Le regard de l’autre, peut-être le mien pour elle, devient fleur. L’offrande est un élan que je ressens, non pas une figure que j’exécute. Que je ressens en moi et en qui j’aime.

La grâce du sacrement chrétien – je ne sais pas la liturgie ni la symbolique du mariage dans d’autres religions – se distingue du moment de l’état-civil. L’émotion bien plus d’entendre le consentement de qui j’aime, que de dire et donner le mien – aucun de nous deux n’en aurait eu la force ni le goût sans l’autre – est accompagnée aussitôt d’une garantie divine, de la certitude reçue d’une aide providentielle, déjà patente tant la décision du mariage a été si voulue par bien plus que nous-mêmes, donc si aisée à ratifier et à vivre. Cette aide qui fut agissante pour que la rencontre et les circonstances produisent le mariage, l’est bien plus encore quotidienne. La grâce fut, ponctuellement, à un instant très précis, que je ressente la novation, la mûe de ma vie, cet instant fut l’échange de nos consentements, apparemment, factuellement successif d’une phrase à l’autre, chacune s’appelant et communiant, mais en réalité la voix fut unique.

Le bonheur – le plus grand qui se vive sur terre et qui est anticipation de la communion universelle et éternelle avec tout le vivant, tout le créé – de vérifier et de vivre nos affinités, nos analogies de réflexes, d’envie, de dépression et de re-départs, ne peut se prévoir ni, le vivant, se décrire. Formons-nous un seul être ? prédestination et mécanique des vies ? j’en décidais sans savoir à mes vingt ans et je restais stérile d’amour, brûlant du vide de l’attente, glacé des errances et des amours conditionnels augmentant encore mon attente à proportion d’insatisfaction dans ce que je vivais et avec qui je vivais – au féminin pluriel. Je recevais – au vrai – mais ne donnais que de l’apparence.

Suis-je plus dense aujourd’hui ? j’ai changé puisque je n’attends plus, puisque je suis constamment sauvé par l’action de grâces et par la conscience de ma responsabilité. Envers ma femme, envers notre fille – pour le moment, et peut-être (y consentir ?) pour « toujours » – unique.

Le mariage donne racine au bonheur, concentre l’art de vivre dans ce qui est bien plus que l’attention ou la tolérance. Mon égocentrisme est intact, souvent douloureux à subir par ma femme et par notre fille. Je ne ressens pas le leur, je m’émerveille de chaque bribe de l’histoire passée et immédiate de ma femme, de la liberté de notre fille perçue déjà quand elle n’était
qu’en gestation au sein de sa mère. Je ne comprends pas ceux qui disent que leur enfant est une partie d’eux-mêmes. C’est nous qui sommes une partie de notre enfant. Plus je sens ma femme retrouver – dans l’organisation la plus banale de son temps et la disposition de ses avoirs de tous ordres – conscience de sa liberté, et je sais que le chemin est encore très long, plus je trouve la raison fondamentale de notre mariage ; nous nous donnons l’un à l’autre la liberté.
Ceci n’est ni un témoignage ni une recette. J’ai dit et je vis que tout tient au sacrement, lequel permet – seul – la consécration joyeuse, grave, totale et en complète, définitive espérance.

Je sais que tout reste précaire, qu’il y a le mot de trop, qu’il y a les circonstances assumées ou subies, seul et non ensemble. C’est cette précarité que je ne redoute pas, qui signale avec force et précision que nous sommes dans les mains de Dieu et sous le regard de notre enfant.

Déception ? notre jeune et sympathique médecin traitant, à qui nous racontions ce tropisme jusqu’à ce jour immanquable, de notre fille courant à nous, se blottir entre nous quand ma femme et moi, debout et souriant l’un en face de l’autre, nous venons à l’échange du baiser. Et moi ! et moi ! s’écrie Marguerite. Elle ne réclame pas le baiser aussi, elle situe notre étreinte dans la trinité que nous formons, elle en fait partie, sans elle – notre enfant – nous serions tout autres, sans doute unis et nous « entendant » bien, nous aimant même de corps et de cœur, mais nous ne serions pas : un. Il nous a dit, en souriant, que c’est général, il appelle ce mouvement et cette figure : la tranche de jambon. Ainsi sommes-nous du pain – du bon, espérons-nous – pour notre/nos enfants. Rien d’exceptionnel donc, sauf que c’est nous qui le vivons.

Le mariage n’est que vie. Vie ensemble. Réflexes ensemble, échanges dans les différences et pour l’addition, l’augmentation. Il ne suppose pas de vérification, il appelle les projets communs. Je ne sais pas sa mort, je ne la redoute pas, si Dieu le veut bien, nous en serons préservés. Ma femme – la femme qui se sait et se vit aimée, quelles que soient les vissicitudes et les épreuves – m’aime, et elle me donne de savoir que je l’aime.

Plus de doute. Un choix joyeux.

Bien entendu, l’expérience vécue du mariage fait comprendre la grandeur et la vérité d’autres consécrations : les vies religieuses, l’état sacerdotal, le dévouement de quelqu’un, quel que soit par ailleurs son état de vie, pour quelqu’un d’autre dans le besoin absolu. La consécration n’est pas l’exclusion ou le renoncement à l’éventuel ou par comparaison. Elle n’est pas un rassemblement ou une concentration, elle est peut-être un discernement plus sur soi que sur qui l’on épouse. Elle est un consentement à la vie, l’autre aimé est notre vie. Elle est une totale exposition de soi, une disponibilité.

Evidemment aussi, le chemin commence à chaque instant.

Sur la tombe de ma mère, comme maintenant à écrire : A.M.D.G.

réflexion et action de grâce – au septième anniversaire de notre mariage . 18 VI 11

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