mercredi 25 avril 2012

voter en chrétien ? deux correspondances



Je reçois – le lundi 23 – d’une amie le transfert d’une circulaire


----- Original Message -----
From:
Sent: Monday, April 23, 2012 11:00 AM
Subject: Tr : TR: Sarkozy et les chrétiens]


----- Mail transféré -----
De : Jean-Claude GILBERT
À :
Envoyé le : Dimanche 22 avril 2012 11h18
Objet : TR: Sarkozy et les chrétiens]

                Une bonne réflexion .

à méditer  avant notre décision du  22 avril ....


 " Une synthèse et un rappel d'un paroissien malouin , qui peuvent-être utiles ..... au milieu de tous les  messages contradictoires qui nous assaillent !" de la part d' un ami.
 Bonne lecture. 


Chers Amis,

 A l'approche des élections, je me permets de vous faire partager, dans le document joint à ce message, un petit exercice auquel je me suis astreint depuis 2010 : répertorier toutes les prises de position du président Sarkozy en faveur de l'identité chrétienne de notre pays, des valeurs chrétiennes en général et de tout ce qui va avec. Prenez svp 5 mn pour le parcourir : ce n'est pas long. Comme vous le constaterez vous-mêmes, quelle que soit l'absence de sympathie que peut inspirer la personnalité du chef de l'Etat actuel, quel que soit par ailleurs le jugement mitigé que l'on peut porter sur le bilan de sa politique économique et sociale, il est une réalité qu'il me semble impossible de nier, à moins de malhonnêteté intellectuelle : AUCUN autre président de la Vème République ne s'est engagé avec autant de conviction dans la défense de principes et de valeurs intimement liés à la religion chrétienne, comme Sarkozy l'a fait à Rome, à Vézelay ou à Domrémy. Aucun autre président ne s'est entremis aussi loin en faveur de la protection des chrétiens d'Orient. Aucun autre président, à ma connaissance, n'a osé inviter une dizaine de jeunes prêtres à l'Elysée la veille de Noël, en les encourageant à porter leur parole dans la société. Aucun président ne s'est opposé activement, comme l'a fait Sarkozy, à la légalisation de l'euthanasie, alors-même qu'une cinquantaine de personnalités de la "gauche-caviar" (A. Comte-Sponville, G. Bedos, N. Baye, B. Cyrulnik...) signaient un manifeste demandant aux candidats de s'engager "solennellement" en faveur d'une telle légalisation et que le candidat socialiste faisait publiquement sienne cette idée.  Certes, tout est loin d'être parfait. Certains diront que tout cela n'est qu'opportunisme politique et flatterie d'une frange de l'électorat français qui pourrait faire la différence en 2012. Je ne pense pas que ce soit uniquement cela : le jeu n'en valait pas la chandelle, à en juger par la déferlante de haine que chacune de ses prises de position a valu à Sarkozy dans certains médias. Et quand bien même ce ne serait que de l'opportunisme politique, nous devrions, nous aussi, nous montrer "opportunistes" et saisir ces signaux qui nous ont été envoyés par l'équipe au pouvoir. A titre personnel, je pense que les catholiques français se rendraient coupables d'une grande irresponsabilité en "boudant" cette main qui leur a été tendue. Il est probable que l'opportunité ne se représentera pas, et que les politiques de droite tireraient rapidement les leçons de l'échec de cette stratégie, pour aller voir ailleurs. Quant à la gauche, qui anticipe l'échec de la politique dite "conservatrice" de Sarkozy, elle ne manquerait pas d'en retirer la conclusion que les catho ne pèsent vraiment plus rien et peuvent être traités comme quantité négligeable.
 Voilà ! J'espère que ce petit message ne gênera personne. Il s'agit juste pour moi de partager un sentiment personnel : chacun en fait ce qu'il veut, y compris appuyer immédiatement sur la touche "suppr" ;-)). ........

Si cependant vous jugiez l'exercice intéressant, n'hésitez pas à diffuser le document ci-joint autour de vous. Bien à vous tous,.........
   Le Gouellec

Voici comment je la lis.

En autres circulations pendant la présente campagne, j’ai reçu les appels de Christine Boutin et de son parti chrétien démocrate, accompagnant le Figaro Magazine titrant sur les engagements et valeurs du Président, et aussi un tableau synoptique rappelant les positions, schématiquement (sans que j’ai vérifié l’exactitude et le fondement de chacune des présentations). Enfin, j’ai subi une homélie le matin du dimanche 22 énumérant, en exemple de péchés, les législations existantes ou projetées ou prêtées en projet à certains candidats, à propos de l’avortement et de l’euthanasie.

Je reporte à un autre écrit deux réflexions englobant celle que m’inspire cette circulaire : foi et regard ou engagement politiques, discernement intime pour voter, et j’ai déjà opiné sur la question de savoir si l’on doit voter ou non pour des valeurs.

Les engagements du président sortant quand ce sont les discours de Domrémy et de Vézelay sont de circonstance électorale, vu leur date. La militance pour les racines chrétiennes de l’Europe (« l’identité chrétienne de la France ») avait une occasion essentielle de se manifester quand a été rédigé le traité de Lisbonne dont Nicolas Sarkozy s’est aussi targué d’avoir été le principal zélateur. Le discours du Latran – dont la rédactrice est connue, comme l’a été le rédacteur du discours de Dakar – ne saurait effacer la désinvolture d’un deux fois divorcé en cours de remariage, qui entre chez le pape, le téléphone portable à l’oreille, et se tient chaussure et cheville pendant l’allocution du Saint-Père, accompagné de l’entourage le plus décalé : comédien scathologique, future belle-mère, maire de Marseille ne lâchant pas son chewing-gum. Les encouragements donnés à des prêtres reçus ad hoc à l’Elysée et le comparatif entre l’instituteur et le curé pour former les Français, ne sont pas conformes à la laïcité. Les observations des évêques quant à la légitimité des tests ADN pour vérifier l’authenticité des regroupements familiaux, tels qu’ils étaient débattus au Parlement, n’ont pas été honorées. Les réprimandes exprimées par les évêques de Belfort et de Vannes, chargés nationalement de la pastorale des Roms et des migrants (auxquelles s’est associé le pape en discours dominical) ont été proprement défiées, dès le lendemain de leur publication, par le discours de Grenoble marquant un rapprochement explicite des politiques gouvernementales avec les thèses répressives et racistes du Front national. Le Premier ministre – à défaut du président régnant – s’est insurgé contre les remontrances de l’archevêque de Toulouse sur la même question alors même que l’un est censément paroisssien de Solesmes et que l’autre est abbé émérite d’un monastère bénédictin. Devant le drame d’un renouveau de persécutions des chrétiens en tant que tels – au Proche-Orient ces années-ci après les années soviétiques – la France s’est contentée d’une audience accordée par la ministre des Affaires étrangères. J’ai à trois reprises couriellé à l’Elysée qu’il fallait saisir le Conseil de sécurité et créer un précédent, la protection de communautés non ethniques. La déclaration universelle des droits de l’homme suffisant à le motiver. Silence en réponse.

Ecrire que Nicolas Sarkozy – si tous les faits rappelés par le « paroissien » étaient de bonnes preuves de militance pour l’Eglise catholique et ses enseignements, ce qui n’est pas – est le premier, le seul président etc… c’est oublier le général de Gaulle, discret dans sa pratique religieuse (jamais de communion en public par respect de la séparation de l’Eglise et de l’Etat mais la messe dite en chapelle à l’Elysée, et l’assistance à celle du dimanche, publique en France et à l’étranger, Saint-Louis des Français, systématiquement visité où que ce soit) mais splendide dans sa pétition de filiation exprimée publiquement aux papres successifs de son époque et devant la colonie française (forcément en grande partie, le clergé) de Rome. Publication par la fondation Charles de Gaulle d’un colloque international très documenté sur le sujet [i], tenu aux Bernadins en 2009 et intervention du cardinal Vingt-Trois [ii] sur les vertus, éminemment chrétiennes, de l’homme d’Etat, son humilité notamment quand battu au referendum de 1969, il  abdique. Et même François Mitterrand, présidant à Reims le millénaire capétien, soit le baptême de Clovis, et testant qu’une messe pourra être célébrée pour ses funérailles.

Ces appels représentent une tendance dont l’unité française risque de pâtir, le communautarisme, dont certains Français juifs, flattés en cela par trop de politiques depuis 1995 et Jacques Chirac (les dîners du CRIF, le discours sur les responsbailités du Vel d’hiv.), ont initié le processus. Nos compatriotes musulmans ou d’origine africaine se sont bien gardés d’y entrer. Faire de la religion, de la foi, de la pratique un électorat en soi est contraire à l’intérêt du pays, et surtout c’est méconnaître la psychologie, le for intérieur, la liberté personnelle de la plupart des chrétiens et notamment catholiques pratiquants – dont je suis – en France.

Les catholiques en France ne sont pas et ne doivent être ni un groupe de pression, ni un lobby, ni un réseau. Si ce devait être, ils constitueraient un poids – au sens péjoratif – pour le pays et pour l’Eglise.

Si haine il y a – c’est pour moi devenu un sentiment de pitié devant tant de maladresses, d’obstination et d’occasions manquées, que j’ai chaque fois signalées par courriel au directeur du cabinet du président de la République, et dont je suis en train de faire éditer le recueil – Nicolas Sarkozy l’a cherchée en s’exposant trop personnellement malgré notre Constitution, en méprisant nos acquis, nos structures, notre Etat, chacun de nous supposés sensibles à un achat ou à une promesse d’achat si nous sommes notoires et référents, ou au simple boniment par amnésie de ce qui fut grand et efficace avant lui et de ce qu’il avait lui-même dit la veille… ce n’est pas le manque de résultat qui lui est reproché, c’est sa personnalité. La travestir en chrétien alors qu’il va tenter de rallier à la fois le Front national et le MODEM, c’est son droit, ce n’est pas notre devoir.

L’évocation de la « main tendue » est doublement paradoxale. Ce fut celle du Parti communiste français pendant la campagne menant à la victoire du Front populaire. Cela signifierait que celui qui tend la main à l’autre ne fait pas partie de ses coreligionnaires. Nicolas Sarkozy se pose en patriote protégeant la France et les Français. Peut-être… mais les chrétiens, l’Eglise en France se passent de toute protection et ont leur liberté d’appréciation en tant que citoyens, certes à la conscience informée, mais sans décalogue. La religion chrétienne a innové en s’établissant comme une relation personnelle entre la créature limitée, pécheresse et son créateur, rédempteur, incarné. Elle n’est plus une religion de la loi. Ses propres hiérarchies sont servantes, elles militent pour la solidarité comme c’était le thème des sermons de carême cette année.

Qu’il y ait une gauche-caviar, sans doute, qu’il y ait une droite cynique et en entretenant une idéologie dominante et mensongère, étiquetée libéralisme par usurpation du terme et d’une tradition biséculaire, sans doute… mais il y eut une droite de doctrine et de culture, pas seulement monarchiste, et il y a une gauche de condition sociale, de révolte devant l’injustice, de dignité, de réalisme dans des combats qui sont souvent de survie. Les prêtres diocésains sont au SMIG. Leurs opinions politiques – faites de personnalité propre mais aussi d’écoute très diversifiée – sont plurielles et ne tiennent pas, dans l’isoloir, à leur état de vie. On n’est Français et citoyen que directement et inconditionnellement. Ce fut difficile à vivre ces cinq ans quand l’image de notre pays fut présentée comme elle le fut – en posture personnelle, en discours et en actes et législations répressifs. Premier ambassadeur dans un pays anciennement soviétique, j’ai cru que représentant aussi – faute de nonce – la fille aînée de l’Eglise, je pouvais contribuer aussi bien à la liberté religieuse qu’à une ouverture des dirigeants de ce pays à d’autres mœurs diplomatiques. Je favorisai l’ouverture des relations diplomatiques avec le Vatican et eus le bonheur et l’honneur d’entretiens tête à tête avec Jean Paul II (Février 1995) et le ministre de la Justice, éminent juriste soviétique, s’approcha de la conversion au christianisme et fit même pèlerinage à Chartres, implorant comme Naaman une guérison personnelle : on peut être chrétien en fonctions très représentatives et n’être propagateur que de liberté, peut-être même de lumière. En Décembre 1965, coopérant de vingt-deux ans en Mauritanie à peine indépendante, j’entendais d’immeubles en immeubles, de villas en villas, marchant nuitamment dans une capitale encore toute de sable, d’euphorbes et de chèvres mangeant des cartonnages, les radios donnant les résultats du premier tour de la première élection présidentielle chez nous : la mise en ballotage du général de Gaulle, en partie dûe à un vote soi-disant catholique en faveur de Jean Lecanuet…  L’Afrique fut stupéfaite. Il est vrai aussi que les agriculteurs – bloc électoral tout à fait légitime – n’avaient non plus compris qui était de Gaulle, puisque celui-ci avait sciemment risqué sa réélection dès le mois de Juin précédent en imposant par « la chaise vide » à Bruxelles le financement du marché commun… agricole.

Le paroissien signataire est mal documenté et peu expérimenté. Dommage. Il n’y a pas à peser, il y a à être exemplaire et contagieux. Simplement. Il y a matière, pour un chrétien, à voter pour ou contre François Hollande, pour ou contre Nicolas Sarkozy sans qu’il se référe à ses convictions et espérances religieuses. Dieu ne racole pas.


[i] - Fondation Charles de Gaulle, Charles de Gaulle chrétien homme d’Etat (Cerf Histoire .  Août 2011 . 433 pages)

[ii] - Espoir, revue de la fondation Charles de Gaulle n° 167, hiver 2011-2012 – p. 53

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Je reçois cet écho qui est autant celui de nos circonstances électorales que de l’intuition dont j’ai fait état il y a deux matins.

----- Original Message -----
From:
Sent: Monday, April 23, 2012 2:40 PM
Subject: Re: que faut-il faire pour travailler aux oeuvres de Dieu ? - textes du jour

Je ne suis pas certain d'avoir bien compris. La réflexion politique peut être nourrie par la prière , elle le dois même, comme toute notre présence au monde. Le discernement est, je le crois et pense pouvoir le dire,pour l'avoir expérimenté, donné par surcroit. Certes le discernement n'est pas ' le fait' mais une ardente obligation pour faire la volonté du Seigneur et sans son aide nous ne pouvons rien...Pour le second tour, que faire pour bien faire?Je suis bien embarrassé.Assez naturellement pense qu'il faut ranger au placard talonnettes et rollex, mais par bien des côtés le  'flan' dont les proches, que je peux connaître pour certains, disent en privé pis que pendre, ne m'inspire guère......et son programme  sur la partie éthique ( merci de ton envoi récent) ne me paraît pas acceptable.

Le 23 avr. 2012 à 11:47, "Bertrand Fessard de Foucault" <b.fdef@wanadoo.fr> a écrit :

La réflexion politique, au lendemain d’une élection, s’apparente à la prière. Il faut y entrer sans a priori, en ne regardant que les faits et les intérêts, pas les dires ni les commentaires. Pour le croyant, le fait c’est l’Ecriture et l’intérêt, ce n’est pas – à mon sens et je crois avoir toujours été dans cette « ligne » – la récompense ou le salut, pas non plus le discernement sur la route à suivre ou l’état de vie à choisir – j’ai dans mon adolescence souvengt « instrumenté » Dieu ainsi et la réponse a été claire : Son silence m’a crié et répété mon erreur – l’intérêt c’est l’ »approche de Dieu, c’est Sa connaissance, c’est Sa compagnie, c’est Son habitat, Lui en moi comme en tous (vraie voie pour aller à tous, seule voie…) et moi en Lui, en conscience ou en simple prière d’obtenir d’habiter et de vivre ainsi. Le grand moment-instant est notre mort, alors s’administre l’expérience de l’habitation mutuelle en Dieu et Lui en nous. Je vis cela de plus en plus. Prier pour l’intelligence de notre pays… laquelle quand elle s’assure, s’exprime, retrouve ses données et ses fondements devient souvent l’intelligence de l’Europe et du monde… l’intelligence d’un pays au peuple et au territoire si pluriels ne peut qu’être imaginative, délibérative, inventive. Cette responsabilité vis-à-vis de nous-mêmes et vis-à-vis de nos frères et sœurs d’Europe, la savons-nous assez ? alors même qu’elle combine l’assurance et la connaissance, la conscience de soi, et l’ouverture aux autres et aux réalités du temps.

Voici comment j’ai envie de revenir vers un ami d’adolescence, un peu plus jeune que moi à notre époque scoute, mais l’âge adulte fait se rejoindre les quelques différences d’années de naissance. La vie nous fait tous vivre dans le même monde.


Beaucoup de questions en une seule interrogation : « que faire pour bien faire ». Je crois que la conduite de nos vies à chacun est première. Notre action dans la vie, qu’elle soit dans le registre professionnel (épanouissement ou gagne-pain, les deux pour les plus chanceux ou les plus doués, pouvant être rétribués pour leur seul talent, et encore, l’artiste et l’agriculteur ont chacun besoin d’intermédiaires) ou dans le fond affectif, amoureux, spirituel, résulte de nos convictions, de notre foi. Si à la lecture de notre vie, dans la sensation quotidienne de ce que nous vivons, tout contredit ce que nous souhaitons, voulons et croyons, nous sommes malheureux, en conflit avec nous-mêmes. La société est seconde, elle comprend tous nos semblables qui vivent le même défi que nous. S’il s’agit de concitoyens et dans le système valant pour la plupart des pays dits « occidentaux » depuis quelques générations, nous sommes à égalité les uns avec les autres. Les disparités et les inégalités dans la vie sociale et dans la vie politique tiennent malheureusement davantage des injustices, des coopérations, des réseaux, des hérédités, en réalité d’abus, que de l’évidente diversité de nos tempéraments et de nos caractères. Dans un pays vivant, vif comme le nôtre, avec de fortes mémoires collectives mais aussi de profondes dissemblances physiques : les origines familiales, les immigrations, les émigrations (les départs marquant autant que les arrivées), les régions et territorires auxquelles ajoute l’allongement de la durée moyenne de vie appelant à la coexistence de traditions personnelles, de manières de voir marquées par des circonstances qui ne sont plus, la compréhension mutuelle ne peut demeurer et s’approfondir que selon une animation politique essentiellement dédiée à cet esprit et à ce vouloir communs, et selon des responsabilités en économie consacrées au bien commun dont il est faux de postuler dogmatiquement qu’il peut s’obtenir automatiquement. C’est d’ailleurs la beauté de la vie en société qu’il faille faire effort et que presque tout soit dans la créativité à partir d’un donné respectable et consensuel, d’un inventaire de nous-mêmes rapporté au legs de nos aascendants et tendu avec frémissement par le souci de donner à nos descendants plus de chances qu’à nous-mêmes. Nous héritons de luttes, de victoires et de défaites nationales, sociales, spirituelles. Idéalement, la conscience patriotique doit embrasser tout ce champ. Cela s’enseigne-t-il ? L’expérience française montre que toujours chez nous le pouvoir politique et la famille au sens large qui peuvent être la ville, le village, la paroisse, le cercle d’amitié, d’association, même la classe sociale, ont sans cesse travailler à aviver et entretenir ce vouloir commun, cet esprit et cette langue d’ensemble. Les nouveaux venus dans notre nation le comprennent et le vivent, avec davantage d’appétit que les nantis dits natifs ou de souche. Les cent cinquante dernières années ont ajouté un troisième élément pour former ce creuset, fonctionnant en permanence : l’école, qu’il faut entendre, aussi, dans un sens très large. L’école sans doute mais toutes les institutions, tous les cercles, toutes les réunions dans la durée qui forment et font apprendre du contenu, du comportement, de la conscience de soi. Partis, syndicats, universités, équipes de gestion collective répondant des municipalités, des objets d’association, des territoires, des entreprises. Il ne peut y avoir séparation de ces trois éléments d’enseignement et de rencontre, de culture de notre patrimoine mental et de notre volonté collective.

Il faut reconnaître qu’aujourd’hui les trois éléments de ce creuset sont chacun émollients. La dérive de nos institutions constitutionnelles, mal comprises ou mal pratiquées, toujours vécues et réformées dans le sens d’une rigidité de plus en plus autiste et inefficace, quelles que soient les étiquettes des personnalités et partis au pouvoir. Notre incapacité à former des élites d’esprit national et européen, indépendantes de l’argent, de la notoriété et amoureuses du bien commun, plus heureuses de l’estime dont leur travail et leur dévouement serait entourée, que des honneurs et de l’accumulation de biens. Notre crise n’est pas économique ou financière, elle est morale, spirituelle et elle se traduit par notre incapacité à innover d’abord mentalement. La casse de soi ou la course aux modèles étrangers n’est pas une imaginatin mais l’aveu d’une impuissance. Les votes qui paraissent de rejet de la politique et de ses personnels sont en réalité une critique globale d’élites qui ont failli soit en émigrant intellectuellement, soit en se laissant envoûter par des doctrines qui n’ont jamais été les nôtres et qui au surplus ne répondent pas à la réalité, soit en se repliant sur elles-mêmes. La carte des votes du premier tour dans Paris intra muros est presque caricaturale.

Alors ? D’abord contribuer à la conscience nationale et à l’inventaire de nos patrimoines en nous écoutant les uns les autres. L’identification des difficultés et l’énoncé des remèdes est presque en totalité du ressort de chacun de nous, dès que nous nous rencontrons, sans dogmes, sans a priori et avec un préjugé d’admiration pour chacune de nos ingéniosités, car nous vivons – pour la plupart – malgré ce que nous proposent la société, l’économie, la politique actuelles. Donc une attitude d’ouverture mais aussi du travail d’intelligence, de documentation. En quoi – oui – réflexion politique et prière s’apparentent. Disponibilité à un donné, consentement à ce qu’il inspire, espérance. Dans le registre politique, espérance dans le genre humain – d’ailleurs gagée pour le chrétien par la Genèse et par la conclusion de chacun des Evangiles.

Notre vote n’est pas à taire. Interroger autrui sur son vote n’est pas indiscret. Chacun des scrutins montre pourtant que les candidats soliloquent ou dialoguent entre eux – invectives ou critiques, caricatures, rarement du fond puisqu’il s’agit de l’emporter au moins pour l’apparence à livrer aux spectateurs, et non d’atteindre une vérité reconnue comme telle par tous, et une solution acceptable par ajustements et concessions mutuelles. L’appel des citoyens aux candidats pour qu’ils entendent est nécessaire. Les technologies actuelles se sont substitués aux moyens anciens : la rue, la révolte, la révolution, les campagnes de presse. Ces moyens sont encore de mémoire d’homme : les « événements » de Mai 68, de Novembre-Décembre 95 ou les attaques qui emportèrent Valéry Giscard d’Estaing (les diamants…). Internet, les « réseaux sociaux » que je ne pratique pas mais qui ont montré leur efficacité dans les « printemps arabes » ont jusqu’à présent plus d’influence entre les citoyens et pour une seule génération d’entre eux, que pour le dialogue entre citoyens et candidats.

Le dialogue avec le pouvoir est vital. Il n’y a plus de droit divin, ni d’hérédité fondant notre régime – consensuellement pendant huit siècles – ce qui signifie que le sacré d’une fonction, celle du président de la République, mais aussi celle des élus le contrôlant et le forçant, en théorie, à délibérer sans égotisme et pour décider mieux, est une obligation dépassant les personnes. Le mandataire doit se plier à sa fonction et non pas l’accaparer et la reformuler. Interpeller le pouvoir sur sa nature et sur son exercice devrait être constant, naturel et à la portée de tous. Je m’y suis personnellement attaché, exercer avec une audience très diverse, depuis quarante ans. En ce sens – avec en plus quelques candidatures à des fonctions électives et une disponibilité à entrer, sous quelque forme et dans quelque organigramme que ce soient, dans le conseil du prince régnant ou appelé à régner – je ne me reproche aucune abstention ou passivité. Je reconnais que tout n’est à portée de chacun soit par lacune de moyens d’expression, soit faute de temps, et toute présence en famille, au travail, en état de vie religieuse, en création, en enseignement a sans doute une éloquence bien supérieure à celle d’une lettre ou d’un courriel adressés à l’Elysée ou rue de Solférino. Les parcours jouxtant la politique ou l’épousant sont très divers, et ils ne répondent pas par eux-mêmes à la question du « bien faire en votant ».

Deux paramètres apparaissent donc. Notre relation avec le pouvoir, avec la société d’une part, et cette relation dépend de nous pour son amélioration autant que de ce pouvoir toléré, apprécié, dédaigné, c’est selon… et d’autre part l’état actuel de notre ensemble social et national.

Tandis que les campagnes des divers candidats ont semblé superficielles et à côté des réelles conditions de vie et des pensées des Français, que les résultats du premier tour sont indépendants de la qualité et de la cohérence des dires et des programmes proposés, qu’ils traduisent davantage des identifications ou rejets par rapport à tel ou tel candidat (masculin/féminin) et qu’ainsi l’ensemble de notre processus électoral instruit sur les électeurs mais ne constitue pas un moment de réflexion collective, menée en commun, deux éléments – que je crois salvateurs – se dégagent.

La crise – quand elle est grave, complexe et apparemment peu soluble – réussit à la France et aux Français. Nous savons immémorialement faire de nos désastres et de nos échecs un décapage de nos scories, une émergence de nouvelles élites, un sursaut d’esprit commun. C’est manifeste depuis 1871, ce fut évident, malgré un régime défectueux, à l’issue de la Seconde guerre mondiale, selon la dialectique exceptionnelle de l’Occupation et de la Libération. Sans doute, avons-nous secrété sans scrutin deux personnalités de génie : Thiers et de Gaulle. Mais l’émergence par une crise ne donne pas forcément la fécondité pour la suite. Thiers a permis mais n’a pas administré la République, la libération du territoire, le redressement national et international, alors que toute la Cinquième République, même dévoyée comme depuis quinze ou vingt ans, s’est fondée sur la légitimité historique sans précédent d’une personnalité par elle-même remarquable, et remarquable, sans qu’on l’ait assez commenté, mais ce fut fortement ressenti par les contemporains et cela reste en mémoire, remarquable par ses vertus personnelles. L’Antiquité qui n’est plus connue ni enseignée fondait tout là-dessus. Les religions révélées, peut-être, nous ont dissuadés de la vertu en appelant à la sainteté ce qui est différent. L’époque moderne, le droit parfois, le sens familial souvent avancent une autre exhortation : l’honneur. Il est probablement à la racine de la sincérité, du respect de la démocratie. Son sens manque aujourd’hui puisque le travesti domine en politique, la théorie masque en économie des pratiques et des résultats inverses de ceux des pétitions et des doctrines.

Je crois que la crise actuelle réactualisé l’esprit national. Ce serait au politique de formuler ce que confusément les Français ressentent : 1° la dimension européenne, même s’ils la décrient et la détestent pour la simple raison que les gouvernants s’en sont fait une excuse alors même qu’ils empêchent que cette dimension devienne autonome, démocratique et donc à termes les supplantent, créant la solidarité au niveau où celle-ci doit se situer. 2° la totale fausse route en morale, en équité et surtout en résultats qu’ont été depuis vingt ou trente ans les privatisations et la mondialisation (processus de mêmes esprit et nature). 3° le goût renouvelé, intensément, d’être maître de son destin et d’être considéré. Ces sentiments qui pourraient s’écrire autrement existent. Le candidat, et surtout notre futur élu, s’il fait appel à eux avec franchise, avec audace dans la formulation, avec une remise de la décision finale aux citoyens qui l’ont porté à cette responsabilité de les animer et de les susciter, pas du tout de les gérer ou de les catéchiser, peut – même s’il est banal – obtenir de nous des miracles. Bonaparte, Clemenceau, Mendès France, de Gaulle évidemment ont su le ressentir.

Les deux candidats pour le 6 Mai ont chacun un certain don d’empathie, mais pas exceptionnels. L’un d’eux a montré qui il était et ce qu’il savait faire – je ne détaille pas, on en ferait des volumes, inutilement. L’autre n’a rien fait que discrètement pour la plupart des Français peu concernés par une ambition qui serait de naissance et par un rôle certain au sein du Parti socialiste. Il surprendra probablement mais beaucoup moins que le tenant du titre si celui-ci changeait vraiment comme il le prétend, et comme il l’a prétendu tous les semestres depuis cinq ans.

Je vote en pensant d’abord à ce que je pourrai faire vis-à-vis du nouveau pouvoir. Je considère nos élections nationales comme devenues secondaires car l’essentiel doit se jouer – en processus démocratique et en dimension économique autant que géo-stratégique – au niveau européen. C’est là que la révolution mentale et institutionnelle doit se jouer. Nos élections locales en revanche doivent devenir beaucoup plus discussives et beaucoup plus approfondies, c’est un niveau permanent, celui de la proximité. Je dégage ainsi quelques critères simples : qui, des deux, imaginera le mieux le sursaut européen et la nécessaire novation de l’Union (je préférais le mot : Communauté) européenne ? qui est ou sera accessible au citoyen, aux remontrances des anciens parlements, aux cahiers de doléance ? qui respectera sa fonction sans l’adapter à lui-même ? qui vivifiera la vie locale, la politique et le débat de proximité ? l’adhésion syndicale ? la communion des enseignants et des enseignés pour un rebond de la recherche et de la création chez nous ? Chacun de ses crières met en jeu le même ressort humain : liberté pour créer, ajouter, donner, faire passer et transmettre.

La France et les Français sont inventifs. L’évidence démocratique est que soient représentées toutes les familles d’esprit françaises dans les institutions nationales, donc au Parlement. Le premier tour de cette élection présidentielle montre que ce n’est pas le cas. Représentation proportionnelle donc à condition que les élus ne soient pas ceux des machines de partis et de comités : difficile, très difficile à organiser. La prédominance présidentielle et les mécanismes de la question de confiance à l’Assemblée nationale garantissent que ce changement du mode de scrutin ne sera pas du tout le retour à l’impuissance des Républiques précédentes. La restauration d’une vie et d’un contrôle parlementaire importe aujourd’hui davantage que la personnalité du président de la République. Le pouvoir, la pensée, la loi doivent être collectifs et non un exercice solitaire, à foucade et rodomontade.

L’évidence aussi est qu’un scrutin ne vaut que par le degré de participation des citoyens. Donc un quorum. Et alors toute l’importance du vote blanc manifestant la censure des citoyens vis-à-vis des politiques ou des élites ne sachant pas ou plus poser les questions, formules les sujets, présenter les candidatures. L’appel probable de Marine Le Pen à voter blanc va forcer à considérer puis à légiférer sur la prise en considération de ce type de vote, respectable, civique au moins autant que les votes jusques là seuls comptabilisés.

Europe, Parlement, participation à la vie locale, à la vie de l’entreprise, efficacité des réponses citoyens dans les urnes…

Reste le tempérament. On peut préférer le connu même peu vertueux et peu apprécié à l’inconnu total. Je considère que toute solution à nos empêchements nationaux et à la crise multiforme que vit un monde accouchant probablement de davantage de démocratie et de solidarité, que de guerres et de nouveaux totalitarismes, suppose la page blanche. Ces années-ci ont montré que poursuivre ce que nous faisons est catastrophique et bientôt impossible. L’inconnu procure plus de chances que le connu. Ce n’est pas l’expérience d’un des deux candidats qui doit l’emporter dans notre esprit, mais notre propre expérience de ce que nous avons vécu ces dix dernières années, au moins.

Reste les deux arguments des valeurs et de l’éthique. Celui qui s’en prévaut les a-t-il cultivés personnellement ? lui appartiennent-elles ? J’ai déjà écrit beaucoup là-dessus. L’objection de conscience, la réflexion personnelle en réponse à la loi si elle existe ou s’il s’en publie une nouvelle importent moins que de répondre des cas particuliers, des situations de vie. La généralité précisément n’est ni efficace ni même éthique car elle fait bon marché de la liberté, de la détermination et du choix de chacun. Avortement et euthanasie puisqu’il s’agit de cela sont des drames abstraits pour ceux qui les jugent mais répondent à des drames concrets pour ceux qui les vivent, qui les commettent ou aident à les commettre. Quant aux consécrations sociales – à défaut de religieuses – pour la vie en couple ou pour l’adoption d’enfants, elles me paraissent indifférentes. C’est la décomposition des familles existantes, des couples hétérosexuels déjà fondés qui me préoccupe. Statistiquement et surtout qualitativement, cette décomposition l’emporte – car elle est un échec pour les personnes et un cancer pour la société – sur les désiderata des homosexuels. Je crois ceux-ci, celles-ci de bonne volonté et même de grande honnêteté, ils/elles veulent fonder.

Je remarque que la « classe politique » brille tristement par la situation et la déshérence des couples. Trois mariages pour le président sortant. Et pour son compétiteur, le concubinage après abandon de la première compagne – que j’aurais si bien vue à l’Elysée et qui n’eût pas déparé, au lendemain du 6 Mai prochain, l’élu probable. Du moins, dans le second cas, abandonnera-t-on cette appellation ni constitutionnelle ni française de « première dame »…

Nous votons pour cinq ans, pas pour l’éternité. Le niveau européen importe plus. Si le pouvoir nous déplaît à nous de nous réapproprier l’initiative référendaire (si chichement et peureusement accordée en Juillet 2008) et s’il le faut la rue. L’essentiel est que choisir tel ou tel ne soit pas la division du pays mais le vœu de ne plus subir et au contraire de conduire, diriger nos élus, notre élu.

« Ainsi soit-il » . . .

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