vendredi 6 avril 2012

tout est accompli - textes du jour

Vendredi Saint 6 Avril 2012

10 heures 55 + Fatigué, somnolé jusqu’à maintenant. Lecture des textes pour le Vendredi Saint [1] ; la journée entière disponible sauf ma fatigue, toutes rédactions pouvant être remises, office sans doute réduit à son expression minimale à la chapelle de l’hôpital à midi et demi. J’irai. Aucun état dans son moment ne prédispose à la prière, à la contemplation, ni ne l’empêche. Dieu est avec nous. Tranquillité. Saisissant portrait du Christ selon le psalmiste, quel héros ! pour pénétrer notre âme, mon âme : je suis la risée de mes adversaires et même de mes voisins ; je fais peur à mes amis, s’ils me voient dans la rue, ils me fuient. On m‘ignore comme un mort oublié, comme une chose qu’on jette. J’entends les calomnies de la foule ; ils s’accordent pour m’ôter la vie. Dont aussitôt, la lettre aux Hébreux tire un splendide argument : le grand prêtre que nous avons n’est pas incapable, lui, de partager nos faiblesses ; en toutes choses, il a connu l’épreuve comme nous… J’entre dans le récit de saint Jean. Jésus va au rendez-vous de Judas : il y avait là un jardin, dans lequel il entra avec les disciples. Judas, qui le livrait, connaissait l’endroit, lui aussi, car Jésus y avait souvent réuni ses disciples. Le Fils de l’homme et le traître supposent chacun que ce ne peut être que là… Le Christ est capturé sous son identité la plus humaine, la plus banale, mais aussi la moins fréquente dans les évangiles : Jésus le Nazaréen. … Quand Jésus leur répondit : « C’est moi », ils reculèrent et ils tombèrent par terre. Judas, dans la version johannique, n’a de rôle que guide, il n’y a pas de signal convenu et le Christ va à la rencontre de ceux qui le cherchent, il se détache ostensiblement des siens : si c’est bien moi que vous cherchez, ceux-là, laissez-les partir. Extraordinaire exception que constitue ce détachement de soldats et des gardes envoyés par les chefs des prêtres et les pharisiens. Ils avaient des lanternes, des torches et des armes. De tous temps et en toute civilisation et circonstances, foule ou itinéraire personnel, l’homme cherche Dieu pour Le connaître, se Le concilier, s’assurer de Son existence ou pas. Cette nuit-là, Dieu est recherché pour être tué, appréhendé, détruit…


13 heures + Moment à la chapelle, en sous-sol, d’accès difficile (couloir de manutention parcouru par des robots…). Nous sommes une vingtaine, recueillis : passion selon saint Jean, impropères, Pater et communion. Je suis allé poser les lèvres au bas de la croix exposée.

21 heures + Je reprends ma lecture de saint Jean. Le soir tombe, la pierre a roulé il y a quelques deux mille ans, les « saintes femmes » sont sans doute encore là, les deux disciples secrets du Christ lui ont rendu les honneurs. Je reste aussi, ce qui ne demande pas le courage de l’époque ni la gestation de foi de ces quelques femmes et hommes, dont beaucoup de la suite a dépendu. Judas, qui le livrait, était au milieu d’eux, il ne s’est pas avancé vers le Christ, il n’a même pas isé dans cette version-ci de la Passion, c’est Jésus qui s’avança. Le mystique n’est pas un éthéré. Jean note tout, le nom de ce serviteur dont il ne précise cependant que Jésus le guérit aussitôt de l’ablation de son oreille. Jean et Pierre, le cadet de beaucoup introduit le chef des apôtres chez le grand-prêtre comme il l’introduira au tombeau. Il met sur le même plan le dialogue du Christ avec le grand-prêtre en exercice et celui de Pierre avec ceux qui le reconnaissent comme disciple du prévenu. Le reniement de Pierre est très circonstancié. La jeune servante qui gardait la porte et que prévient Jean, le tient tout naturellement pour disciple : N’es-tu pas, toi aussi, un des disciples de cet homme-là ? comme Jean, simplement, qui semble ne courir aucun risque. Non ! La petite foule qui se chauffe : N’es-tu pas un de ses disciples, toi aussi ? Toujours l’association plus à Jean qu’à Jésus. Non ! Puis, le coup de grâce d’un parent de celui qu’avait agressé Pierre : est-ce que je ne t’ai pas vu moi-même dans le jardin avec lui ? non ! A l’instant, le coq chanta. Pilate est d’emblée au courant, comme il se doit pour le premier responsable de l’ordre public. Les motifs ne sont pas de sa compétence. Reprenez-le, et vous le jugerez vous-mêmes suivant votre loi. Quartier libre, il s’en lave déjà les mains. Argument spécieux des Juifs uniquement sur la compétence, mais celle-ci à raison de la peine encourue, pas du tout de la faute à prouver. La suite de l’interrogatoire est à huis-clos. Les Juifs n’entrent pas car ils voulaient éviter une souillure qui les aurait empêchés de manger l’agneau pascal. Conclusion pour Pilate : Moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. L’entretien a été de substance. Ce n’est pas Jean qui rapporte la scène chez Caïphe et le prétexte au blasphème. Et Jésus ne donne pas prise à ce qui sera ensuite – pour Pilate l’entendant de la foule – l’argument décisif : Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César. Quiconque se fait roi s’oppose à César. En tête-à-tête, Jésus est précis : ma royauté n’est pas de ce monde, elle ne trouble donc pas, en principe, l’ordre public, notamment l’ordre romain. Alors, tu es roi ? – C’est toi qui dis que je suis roi. Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix. – Qu’est-ce que la vérité ? Comme aux Juifs, mais ceux-ci n’attendent et n’entendent que le Messie selon leur idée : Isaïe, Jérémie n’ont pu les détromper, l’ânon de l’entrée triomphale à Jérusalem moins encore, Jésus dit à Pilate sa mission. Le plus simplement et nettement. J’assimile ici vérité et réalité. Ou plus profondément, j’apprends que la réalité est fille de la vérité.


Le drame est alors joué. Pilate conclut comme il avait commencé : reprenez-le. Motif donné par les Juifs, donc : roi des Juifs, quoiqu’ils ne le reconnaissent évidemment pas pour tel. Ne s’est-il pas d’ailleurs dérobé au soir de la multiplication des pains ? quand ils ont voulu le faire roi ? Mais Jean sait noter qu’ils disent aussi : nous avons une loi, et suivant la loi il doit mourir, parce qu’il s’est prétendu Fils de Dieu. Jésus a la charité d’atténuer explicitement la responsabilité de Pilate : celui qui m’a livré à toi est chargé d’un péché plus grave. Au total, Pilate a déclaré deux fois l’innocence du prévenu et tenté trois fois de relâcher Jésus, mais c’est impossible puisqu’il s’est soumis au jugement et à la délation possible des Juifs. Pour que nul ne l’ignore, il affiche donc le motif de la crucifixion, à rapporter éventuellement à Rome : Jésus de Nazareth, roi des Juifs… Beaucoup de Juifs lurent cet écriteau qui était libellé en hébreu, en latin et en grec. Alors, les prêtres des Juifs dirent à Pilate : « Il ne fallait pas écrire :’Roi des Juifs’, il fallait écrire : ‘Cet homme a dit, je suis le roi des Juifs’. Mensonge total mais que ne relève pas pour tel Pilate : Ce que j’écrit, je l’ai écrit. Les symboles : la tunique au sort, Marie mère de l’Eglise.


Ce n’est pas un Christ martyr, c’est le Fils de Dieu fait homme accomplissant sa mission, les Ecritures à la lettre pour ceux qui ne savent pas les lire. Maître et serviteur de l’Ecriture. Sachant tout ce qu’il allait lui arriver… ainsi s’accomplissait la parole qu’il avait dit… Est-ce que je vais refuser la coupe que le Père m’a donnée à boire ? juste après qu’il ait donné son sang en partage sous l’espèce du vin, à ses disciples… Ainsi s’accomplissait la parole que Jésus avait dite pour signifier de quel genre de mort il allait mourir… Ainsi s’accomplissait la parole de l’Ecriture : Ils se sont partagés mes habits, ils ont tiré au sort mon vêtement. C’est bien ce que firent les soldats. … Après cela, sachant que désormais toutes choses étaient accomplies, et pour que l’Ecriure s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : J’ai soif… quand il eut pris le vinaigre : Jésus dit : Tout est accompli. … Tout cela est arrivé afin que cette Parole de l’Ecriture s’accomplisse : Aucun de ses os ne sera brisé. Et un autre passage dit encore : Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé.


La profession de foi du centurion – selon saint Marc – n’est pas dite. Les Romains ne sont qu’instrument… des Juifs, tout se passe entre ceux-ci, y compris la sépulture. Comme le sabbat des Juifs allait commencer, et que ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus. Qui ? l’élite des Juifs, des pré-chrétiens déjà… Pilate reste seulement mais décisivement permissif. Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus mais en secret par peur des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Dans les dialogues, les cris, les réponses domine l’Ecriture, c’est elle la parole décisive, doublement : elle dit, elle s’accomplit. A aucun moment de son récit et de sa mise en relation des faits avec l’Ecriture, précisément, Jean n’anticipe la résurrection. Le Christ ne l’a pas anticipé, le mémorial qu’il nous laisse, c’est un corps et du sang : offerts. Restons-en donc là. La mort, la passion, la souveraineté du Christ, sa mission : la vérité, travestie en un projet temporel pour les besoins de la cause qui est d’éliminer un gêneur. Il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort, il a été compté avec les pécheurs, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs. … C’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était châtié, frappé par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos fautes qu’il a été transpercé, c’est par nos péchés qu’il a été broyé.


[1] - Isaïe LII 13 à LIII 12 ; psaume XXXI ; lettre aux Hébreux IV 14 à 16 & V 7 à 9 ; passion selon saint Jean XVIII 1 à XIX 42

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