mercredi 4 avril 2012

voici le Seigneur qui vient prendre ma défense, qui donc me condamnera ? - textes du jour

Mercredi Saint 4 Avril 2012

Hier


Cette journée commencée dans l’appréhension : ne pas me réveiller, avoir vraiment mal au réveil. J’avais pu annoter et dater mes « derniers messages » : Edith, Marguerite et le don d’organes. Véhiculé jusqu’au sous-sol, pensé à ma chère femme quand elle fut emmenée à toute vitesse pour la césarienne donnant le jour à notre fille. Beaucoup de personnes, tous en vert y compris des calottes, les anesthésistes se distinguant par un fichu à pois multicolore. Le médecin, une femme, vraiment merveilleuse de tact et de soin : respirez tranquillement pour faire provision d’oxygène, pensez à quelque chose d’agréable, de beau, que vous aimez, un paysage, une personne. C’était un véritable poème sans doute à options mais à l’unité si douce et vraie. Seule, une femme, une vraie et aussi de métier, peut administrer un tranquillisant aussi ajusté et magnifiant nos derniers instants de conscience : piloter ensemble vers le meilleur d’une existence. Dans Soleil vert, ceux qui dans l’impasse d’une superpopulation et d’une nécrophagie-anthropophagie effrayantes, veulent partir, regardent en solitaire dans une immense salle des paysages fantastiquement beaux accompagnés de musique vraie. Naturellement, ma femme, ma fille, ma mère mais je me suis fixé sur Moktar Ould Daddah, nos moments seuls ensemble, son visage, sa bonté, sa nécessité pour tout un pays et dans la vie aussi, les plages de Nouakchott, désertes en 1965, et je me suis endormi sans avoir ensuite souvenir de mon réveil. Et je ne souffre pas, sauf légèrement en me levant ou pour m’asseoir, ce que je n’ai fait qu’à partir de six heures ce soir, après voir dormi, somnolé, mais aussi déjeuné. – Leçon d’évidence dans ce grand hôpital militaire traitant les traumatisés et blesses d’Afghanistan, disposant d’une unité pour les irradiés nucléaires, que personnel est de toutes les origines, il est souriant, impeccable, apte (citation d’ailleurs en Novembre 2011 à l’ordre de l’armée). Je vais naturellement plus loin, tandis que j’ai entrepris hier de lire l’histoire en sept volumes du cardinal de Richelieu par Gabriel Hanotaux, puis ce soir des mémoires de Robert Poujade… cette France subliminale, nous ne sommes pas seuls à la vouloir, à la vivre et à l’avoir reçue. Tous ceux qui sont venus chez nous, souvent parce que nous étions allés chez eux, la portent autant que nous et sont gages de l’avenir spirituel de la nation. Notre peuple a toujours été composite, il le sera de plus en plus, c’est notre chance, cela nous agrandit et cette pratique adoptive va devenir un de nos traits nationaux. Naturellement, ici plus qu’ailleurs, l’ambiance est familiale, chacun respecte l’autre à raison de sa compétence et de sa disponibilité plus encore que par hiérarchie hospitalière et militaire. A raison aussi du feu qui tue, de la mort et des souffrances puisque le personnel en majeure partie tourne entre ici et l’Afghanistan, avec un petit temps bien moins difficile en Crète pendant l’affaire libyenne.. La diversité extrême d'origine (à la seconde ou troisième génération, et "notre" outre-mer aussi) à laquelle je suis encore plus sensible dans ces circonstances, maintenant, contribue à cette sensation qu'une coalition se forme pour le meilleure-être des patients. Elle symbolise quelque chose de spirituel, précis, affectif, ouvert, compétent : définition des anges régulièrement chargés des missions difficiles dans l'Ancien Testament et dans le Coran. Ici, on sourit et on rit ce qui dit bien la place des patients, opérés, hospitalisés : ils sont centraux et ont la nécessité qu'autour d'eux ce soit la pleine vie. Le respect mutuel qui caractérise ces personnels ajoute une vision optimiste de la société et de notre avenir. On est décidément plusieurs sur cette terre.


Ce matin


Prier… [1] Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas protégé mon visage des outrages et des crachats. Le Seigneur Dieu vient à mon secours : c’est pourquoi je ne suis pas attteint par les outrages, c’est oourquoi j’ai rendu mon visage dur comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu. Il est proche celui qui me justifie. Les liturgies faisant revivre, méditer, contempler, pénétrer les étapes de la Passion décentrent celui qui les prie. Que suis-je ? que sommes-nous ? que sont nos demandes et nos besoins au regard de Celui qui endure tout physiquement et moralement, et devant le mystère de cette double nature, divine et humaine ? Où est la « charnière » dans la souffrance et dans l’amour ? Les deux natures s’imbibent l’une de l’autre. Humaine détresse : j’espérais un secours, mais en vain, des consolateurs, je n’en ai pas trouvé. A mon pain, ils ont mêlé du poison ; quand j’avais soif, ils m’ont donné du vinaigre. Le prophète et le psalmiste sont également saisissants puisqu’ils décrivent et vivent par avance ce que le Christ, mot à mot, a subi, va subir. Plutôt, faudrait-il lire que le temps de la prière abolit le temps de nos intelligences et de notre physiologie. Isaïe et le psalmiste sont contemporains du Christ, accompaagnent sa Passion, sont au Calvaire de même que Jésus Dieu fait homme irrigue et structure nos vies. Bien plus ou tout autrement que de destinée, il s’agit de vie, la vie de Dieu sens et fin de la vie humaine. Les deux préparatifs, Judas et son marchandage : Que voulez-vous me donner, si je vous le livre. Ce point est dit diversement par les évangélistes. Cadeau spontané au traître ? calcul du dénonciateur qui ne passera que conditionnellement à l’acte ? Pour le Christ, Judas, l’un des siens et aimé comme tel, c’est un drame que de le perdre. Le Fils de l’homme s'en va comme il est écrit à son sujet, mais malheureux l’homme par qui le Fils de l’homme est livré. Il vaudrait mieux que cet homme ne soit pas né. Mystère alors d’une destinée. Judas joue-t-il la comédie : Rabbi, serait-ce moi ? pour ne pas être découvert, ou ne reçoit-il qu’à cet instant et de Jésus seul sa mission ? C’est toi qui l’a dit. La formulation du Christ renvoit cependant et ultimement Judas à sa liberté. Paroxysme du péché et mystère du péché, liberté, conscience, objet… antithèse de la béatitude : vie et joie à vous qui cherchez Dieu.


[1] - Isaïe L 4 à 9 ; psaume LXIX ; évangile selon saint Matthieu XXVI 14 à 25

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