mercredi 17 octobre 2012

d'un camarade de Franklin . années 1950, élèves des Pères Jésuites à Paris - une opinion avec laquelle je ne m'accorde pas

De : O. Ferry : olivierferry42@yahoo.fr
Trop, c’est trop
Après mûre réflexion, je me décide à écrire pour tenter de réveiller des consciences désorientées ou endormies. Les destinataires de cette lettre ne s’estimeront sans doute ni désorientés ni endormis. Pourtant, quand ils l’auront terminée, j’espère que ceux qui partagent peu ou prou mes convictions auront appris quelque chose et que les autres y auront trouvé matière à repenser leurs propres options. J’invite particulièrement ces derniers à ne pas me faire de procès d’intention mais à lire attentivement. Le sujet que je veux traiter est délicat, je le sais. Je ne désire froisser personne et je m’efforcerai de choisir les mots justes pour exprimer ma pensée. Mais, j’ai souvent constaté que la lecture trop rapide d’un texte, à travers des lunettes teintées, conduisait le lecteur à y voir des choses qu’une analyse plus précise ne confirme pas, quand elle ne révèle pas des contre-sens. Ceci dit, je vais maintenant vous faire part de mes réflexions sur le projet gouvernemental de "mariage pour tous" ainsi qu’il est convenu de l’appeler.
Je pense pouvoir affirmer, sans être démenti, que les promoteurs du projet veulent le  justifier par la nécessité de l’égalité. Or, j’ai entendu dire que, sur le plan juridique, l’égalité ne pouvait s’apprécier que "toutes choses égales par ailleurs". C’est bien le cas en matière de salaires, et là, c’est le conseiller prud’homme qui s’exprime. Mais la situation objective d’un couple hétérosexuel n’est pas celle d’un couple homosexuel. L’un peut avoir des enfants de façon naturelle et n’aura recours à une autre voie qu’en cas d’impossibilité, l’autre ne peut avoir d’enfant que par des voies artificielles. Ceci suffit à établir la différence des situations et à récuser l’application d’un principe d’égalité qui ne peut pas exister sur le plan juridique. Je me bornerai à cet argument concernant l’égalité, sachant qu’une série d’autres obstacles juridiques existent.
Si donc l’égalité ne peut pas être retenue pour valider un tel projet, pouvons nous, du moins, le fonder sur la liberté ? Là, les choses sont moins simples et demandent une analyse plus développée. On peut en effet arguer du fait que, chacun étant libre d’organiser sa vie personnelle comme il l’entend, quelqu’un peut désirer lier son sort avec celui d’une autre personne et vouloir le faire publiquement. Pourquoi pas ? Il existe effectivement des contrats dont les clauses doivent être publiques dans la mesure où elles peuvent concerner des tiers. En revanche, si des tiers ne sont pas concernés, non seulement il n’y a aucune raison de rendre public un tel contrat, mais la préservation de la vie privée commande, au contraire, de ne pas le faire. Dans le cas de l’union de deux personnes de même sexe, quels peuvent être les tiers concernés ? Je ne vois guère que les enfants qui pourraient être élevés par de tels couples. Mais dans ce cas on retombe sur la question de l’égalité que nous avons déjà vue. Ou alors, il faut que ce soit au nom de la liberté que des couples de même sexe revendiquent la possibilité d’élever des enfants. Leur revendication se formulerait alors ainsi : « nous devons être libres d’élever des enfants, si telle est notre volonté ». Mais nous voilà de nouveau renvoyés à la question de l’égalité. En effet, un couple formé d’une femme et d’un homme n’est pas du tout dans la même situation car, à lui, la loi impose d’élever les enfants qu’il conçoit et que la femme met au monde. Ces couples, au nom de l’égalité, vont-ils être fondés à revendiquer le droit d’abandonner leurs enfants quand bon leur semble afin que leur liberté se retrouve dans les mêmes conditions que celle des couples de même sexe ? Aujourd’hui, en cas d’abandon, ces couples pourraient être poursuivis sur le plan pénal pour abandon de mineur et il n’y a qu’un juge qui puisse leur retirer la garde de leur enfant. Autrement dit, un couple homosexuel pourrait élever des enfants si bon lui semble, alors qu’un couple hétérosexuel se verrait obligé d’élever ses enfants, même s’il ne s’estime pas doué pour cela. Le seul critère à retenir pour l’éducation des enfants par leurs parents naturels devrait-il donc être désormais de savoir si cela leur convient ou non ? L’abandon devrait donc, dans cette logique, devenir un droit imprescriptible et l’on pourrait même aller jusqu’à reconnaître aux enfants la faculté de récuser leurs parents, naturels ou non. Je ne crois pas délirer en exposant les choses sous cet angle mais bien aller jusqu’aux ultimes conséquences de la logique qui préside au projet. Il me semble donc que c’est le projet présenté qui est totalement incohérent et que personne, au niveau convenable, ne s’en est avisé jusqu’à présent.
Je ne me suis pas livré à cette première analyse avec le but d’attribuer à d’autres une conception qui n’est pas la leur afin de me donner la possibilité de la combattre plus facilement. J’ai, au contraire, essayé de comprendre ce qui pouvait motiver le projet, et c’est dans ce but que j’en suis venu à introduire la liberté sans chercher à déformer les intentions ni les arguments de ceux qui défendent le projet. Mais je veux pousser encore un peu plus loin l’analyse. Ce que je viens d’exposer montre que ce n’est pas uniquement l’égalité qui est en cause mais aussi la liberté. Or je crois, c’est ma conviction, que la notion de liberté, telle qu’elle est utilisée ci-dessus, est un leurre ou une notion déviée.
Quand on parle de liberté, on parle implicitement de choix, mais comment fait-on pour choisir entre plusieurs options ? On se réfère, explicitement ou non, à des critères moraux ou, disons éthiques, pour ceux que la morale révulse. Je ferai simplement remarquer qu’étymologiquement les deux termes se valent, l’un venant du latin et l’autre du grec, mais les deux désignant les mœurs ou les coutumes, mais nullement la loi naturelle ou une quelconque transcendance. Or la liberté pose un problème à la société. Celle-ci, comme on vient de le voir à travers ce petit rappel étymologique, et pour assurer sa cohésion, impose à ses membres des mœurs ou des coutumes communes. Ainsi, pour qu’une société puisse accorder à ses membres un certain degré de liberté individuelle, il faut que ses membres partagent un minimum de règles communes. Jusqu’ici, dans nos sociétés occidentales, ce minimum était suffisamment partagé, au moins officiellement ou facialement, pour éviter des tensions trop fortes entre personnes ou groupes aux convictions divergentes. Par ailleurs, les libertés accordées à chacun permettaient d’aller, à titre personnel, au-delà de ce minimum sans mettre en péril la cohésion de la société. Ce qui se passe actuellement, et que le projet en cause met en lumière, est le passage en dessous du minimum. Un tel passage est de nature à faire éclater le consensus déjà fragile et à exacerber le repli dans l’individualisme ou le communautarisme. Les lamentations sur ce fait et les appels incantatoires à la solidarité n’y peuvent rien. Ce qu’il faut, c’est ne pas franchir la limite et cette limite ne se décrète pas. Les promoteurs du projet ne l’ont pas vue, nous sommes en train de la découvrir. Certains l’avaient vue, mais pas les décideurs qui, comme souvent, n’écoutent que ceux qui les confortent dans leurs convictions. Il y a vraiment danger. Nous sommes sur la frontière qui sépare la démocratie de la dictature totalitaire car, si le gouvernement persiste à vouloir imposer des mesures qu’il ne peut justifier en se référant aux principes républicains qu’il invoque, et à ignorer des mœurs ou des coutumes faisant l’objet du consensus minimum, il sera conduit à les imposer par la force. On le perçoit déjà dans les déclarations à propos de la fronde des maires. Si l’on veut rester optimiste et qu’on pense que cela ne se fera pas, c’est le gouvernement qui va se déchirer. Si l’on est pessimiste, on peut penser que les menchéviks se feront évincer au profit des bolchéviks. Mais, même dans l’hypothèse optimiste, on se dirige vers une situation de quasi vacance du pouvoir. Le moment est vraiment mal choisi.
L’option la plus sage serait donc d’enterrer le projet et de méditer sur ce qui constitue le consensus minimum nécessaire à tout gouvernement, au-delà des considérations partisanes ou électorales, s’il veut gouverner sans devoir recourir à la force sous toutes ses formes. L’échafaud, le goulag et l’hôpital psychiatrique sont passés de mode, mais il y a toujours des placards (qui nous coûtent cher), des redressements fiscaux, des autorisations administratives, des investitures et autres cooptations (j’en oublie forcement, n’étant pas issu du sérail), pour lui permettre de mettre au pas les récalcitrants les plus gênants.

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