mardi 9 octobre 2012

une ré-évangélisation ? libres propos d'un chrétien pratiquant de naissance - 1



Une ré-évangélisation
réflexions d’un chrétien pratiquant de naissance et dans sa soixante-dixième année

I

actualité



Parallèlement aux travaux du synode des évêques ouvert dimanche dernier et poursuivis jusqu’à la Toussaint, j’essaie de réfléchir et de mettre au net ce que je pense, vis et observe sur un sujet latent – dans la vie de l’Eglise chrétienne, notamment la catholique romaine, et dans la mienne depuis mon adolescence d’enfant « élevé » chez les Jésuites – mais qui n’était pas ainsi qualifié.

Ce sont des réflexions libres, n’engageant que moi, et qui, en l’état, n’ont d’ambition que de partage et de provocation de réactions pour ajustement, complément ou dénégation.

Crise des vocations sacerdotales et religieuses, crise des effectifs, enjeux de formation des cadres que sont les prêtres et les évêques, ainsi que leurs divers co-équipiers. Crise et confusion de la conscience religieuse chez les baptisés, faiblesse de la pratique liturgique, chute drastique des pratiques sacramentelles notamment du mariage et de la réconciliation (ex-confession ou ex-pénitence), peu d’appropriation du contenu de la foi tel que transmis par l’Eglise. Méli-mélo des combats engagés au nom du christianisme : débats sur les projets de législation à propos des débuts et des fins de la vie humaine ou du mariage homosexuel et des familles pouvant en résulter ; dénonciation de l’islam … liste non limitative.

Ces divers aspects de crise ne sont pas propres aux catholiques de France ni à l’Eglise. Tout ce qui suppose adhésion et persévérance individuelle, culture propre à l’ensemble collectif dont on fait ainsi nominalement partie est aujourd’hui en difficulté : partis politiques, mouvements associatifs traditionnels, syndicats. La participation-même à la politique et aux processus électoraux est émolliente. Dans une ambiance où les repères d’habitude ou d’atavisme sont souvent perdus ou méconnus, des exaltations, des violences, des minorités se croyant nécessaires ou messianiques quel que soit le domaine à investir éclosent, s’imposent au débat public qu’elles obscurcissent et dévient parce qu’elles sont spectaculaires et à plein temps. Les hiérarchies politiques, religieuses, syndicales, associatives sont perplexes, partagées entre leur mal-être face à des excès ou à des simplismes et le souci de ne pas perdre des troupes résiduelles. Les ordres de marche d’antan ne fonctionnent plus. Les chefs qui continuent de génération en génération à se coopter, s’en inquiètent mais les sujets, les militants, les pratiquants d’autrefois s’accomodent d’existence quotidienne où la question du sens et de l’action solidaire, de la communion de convictions et du partage de l’expérience – au fond humaine quel que soit le domaine de vie collective – n’ont ni regret, ni nostalgie. Leur mémoire est abolie, celle des encadrements conscients du vide des anciennes structures battent la campagne.

L’Eglise n’est donc pas seule à s’interroger sur ses modes d’existence et de perpétuation. De nature, elle répond par référence à sa fondation, et son fondateur a été par excellence missionnaire. Cette dialectique d’origine la distingue des autres organisations humaines, y compris religieuses et spirituelles : elle n’est ni l’auto-gestion de ses propres institutions, ni un art de la gestion de soi proposé à ses adeptes. Elle se ressent propagatrice d’un contenu particulier : la Bonne Nouvelle. Sans doute, des organisations, des partis, des doctrines se donnant les moyens d’une puissance publique dont les leviers étatiques ont été conquis ont parfois ce zèle missionnaire, mais le dessein n’est pas égalitaire, il est dominateur. Servus servorum Dei…

Les réponses ont longtemps été réactives, des Croisades : Dieu le veut… à l’accompagnement des colonialismes et impérialismes de chacune des puissances européennes des « grandes découvertes » au milieu du XXème siècle… à la Contre-Réforme organisée par le concile de Trente. La fondation de congrégations religieuses qui pendant dix siècles avaient été la constitution de structures accueillant, pour un état de vie consacré et particulier, des fidèles en manifestant la vocation : le monachisme, les Bénédictins et les Franciscains, est devenu un outil missionnaire d’abord généraliste quoiqu’avec l’insistance d’un charisme spécial : les Dominicains, les Jésuites, puis de plus en plus spécialisé du XIXème siècle à maintenant. Les mouvements d’Action catholique à partir des années 20 et 30, celui des prêtres-ouvriers, l’appropriation qui n’était pas confessionnel à Mafeking, les écoles de vie chrétienne pour les cadres ou les femmes ou les divers âges de la vie, la diversification des offres de reconstitution spirituelle ou de simple thérapie dites retraites, récollections et d’enseignement de la religion chrétienne … ont été autant de propositions tendant toutes à pénétrer la société contemporaine par le témoignage et l’expérience de chrétiens.

Le moyen le plus à la racine de l’Eglise a été le Concile Vatican II. Sa convocation, son déroulement, ses effets ont été une surprise – à la plupart de ses étapes. Pie XI et Pie XII avaient – semble-t-il – souhaité le convoquer, tout simplement parce que Vatican I avait été interrompu. La décision de Jean XXIII a paru révolutionnaire, son exhorde citait les bannis, notamment la pensée théologique et philosophique française : Congar, Daniélou, Teilhard de Chardin, Lubac réhabilités, érigés en docteurs… Roncalli savait que son successeur serait Montini, dont il a été dit que le conclave de 1958 l’aurait déjà élu s’il avait été éminence, ce dont Pacelli n’avait pas eu le temps de disposer. Le « bon pape Jean » pouvait donc oser, en toute sécurité d’esprit, sachant la prudence qui caractériserait le règne suivant le sien. Les deux papes conciliaires ont incarné une réponse et une demande, chacune fondatrice et faisant encore socle aujourd’hui, sans réelle mise à jour.

La réponse au monde contemporain, son évaluation positive alors que Pie IX et Pie X, malgré Léon XIII, le ralliement à la République en France, l’accueil des pétitions de la condition salariée et de la question sociale, avait fermé tout dialogue avec l’actualité : mentalité qui avait été celle de la Restauration post-révolutionnaire et que dictait la situation temporelle du Saint-Siège dépouillé de la possession millénaire d’un Etat. Cette évaluation réintroduisant dans les relations internationales et dans les gestations sociales l’Eglise catholique a permis des témoignages très médiatisés : voyages de Paul VI et de Jean Paul II, rayonnement de beaucoup d’évêques, de mouvements laïcs, d’initiatives dans l’humanitaire, les droits de l’homme, le social, les conflits contemporains. Cependant la mise en cause, récente, des minorités chrétiennes classiquement persécutées ou empêchées par les régimes totalitaires nazis ou soviétiques, mais à présent agressées en tant que telles : Irak, Egypte, Nigeria… n’a pas donné naissance à des doctrines et des conduites vraiment autonomes de la part de l’Eglise et du Vatican ni à la discussion des formes de présence de l’Eglise. Il ne s’est pas trouvé non plus d’Etats : ce devait naturellement être l’imagination et la manifestation de « la fille aînée de l’Eglise » pour contribuer à des statuts de minorités, voire à celui de Jérusalem, ville sainte des trois religions monothéistes. L’ouverture politique et diplomatique a finalement eu peu d’effets. Le Saint-Siège dans l’affaire d’Irak en 2003 ou pour dénoncer l’installation militaire américaine dans les monarchies pétrolières n’a pas été suivi en tant que tel. Face à une pétition de christianisme de mouvements théologiques, politiques ou même insurrectionnels en Amérique latine, il a plutôt désavoué l’audace. 

La demande a été imprévue, elle semble aujourd’hui dominer le discours public de l’Eglise, du Vatican et de la hiérarchie épiscopale en France : les mœurs, les fondements bio-éthiques et matrimoniaux de la société. L’Eglise a demandé et demande à des sociétés laïques, notamment en France, des législations selon elle ou presque. Paul VI est le pape condamnant la pilule, Jean Paul II stigmatisant l’homosexualité et Benoît XVI a eu à purger, dans les cadres-mêmes de l’Eglise, des miasmes pédophiles installés, protégés, cachés depuis des décennies, sans compter le récent scandale des « Vatileaks ».

En regard, d’autres religions ou morales universelles, le bouddhisme, l’islam ont paru en singulier progrès d’emprise démographique ou culturelle. Apparence seulement car les musulmans cherchent l’expression moderne et politiques la plus adéquate à leurs Etats respectifs : le printemps arabe ne se fait pas une seule saison, et le Dalaï-Lama aura une succession très politique, marquée par de légitimes poussées indépendantisme vis-à-vis du recel de territoire par la Chine. Très déterminée encore par un européo-centrisme – mental et institutionnel, manifesté fortement par le site de son gouvernement – qui ne correspond plus ni à l’état du monde, ni aux points forts de l’expansion et du nombre catholique sur le planisphère, aux relations de forces économiques et stratégiques, l’Eglise n’a pas encore confié sa propre organisation, ses institiuions centrales ni ses énoncés pour aujourd’hui et pour demain à l’Asie, à l’Afrique, à l’Amérique latine. Ni en florilège, ni en légende dorée de ses saints, ni en distinction de ses docteurs. Au plus, tente-t-elle de la discrimination positive. Elle est crispée, elle est quittée.

Deux directions à première vue aisées à discerner, proposer et poursuivre sont à l’honneur, ces années-ci. Le dialogue et l’autorité morale partagée pour un monde en quête de repères :  œcuménisme entre églises et confessions chrétiennes, prise de conscience commune aux grandes religions et morales ayant actuellement des institutions visibles. C’est une exploitation nouvelle des formes diplomatiques non étatiques mis cela n’ouvre ni des coopérations ni des compréhensions vraiment suivies et approfondies, pas seulement entre hiérarchies et épisodiquement (les rencontres d’Assise zélées par Jean Paul II) mais « sur le terrain ». Des pays multiconfessionnels de fait comme la France qu’animent, selon des échéances politiques ou des drames à consonnance ethniques, sont en train d’acquérir par force l’expérience de ce dialogue plus pratique que dogmatique. L’autre direction est quasiment à l’inverse, mais pas incompatibles : les mouvements charismatiques et un synchrétisme entre des techniques d’animation collectives, des pratiques de psychothérapie institutionnelle.

Le paradoxe de Vatican II est qu’il a provoqué les dérives intégristes et que la réforme liturgique qui lui est attribuée alors qu’elle était en gestation à la fin du pontificat dePie XII a plutôt écarté les assistances des autels. La coincidence avec les « événements de Mai » 1968 en France et dans le monde et avec la pastorale sexuelle si insistante à mesure qu’apparaissaient les nouvelles méthodes contraceptives avec leur légalisation a initié la désertification actuelle des fréquentations dominicales. La relative fin de la société rurale où le sacerdoce était localement une promotion pour la famille du consacré et la mûe de la bourgeoisie cultivant de moins en moins l’ancien modèle de responsabilité sociale et de mémoire des générations devancières ont concouru au tarissement de vocations abouties.

L’ensemble de ces réflexions – à main levée et sans travail documentaire – fait conclure qu’un tel diagnostic posé avec alarmisme n’a rien de religieux : il est un regard sociologique et quantitatif posé sur une institution, certes temporelle et politique selon beaucoup de ses fonctionnements et manifestations. Or l’Eglise est une fondation spirituelle, orientée pour une mission et dont les membres rayonnent une motion divine propre à chacun et la communion des saints. Décalage fort entre une « culture de résultat » et des perspectives escathologiques.

                                       à suivre

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