lundi 24 décembre 2012

il a fait se lever une force qui nous sauve - textes

Lundi 24 Décembre 2012

 Hier
 
Je ne me suis réveillé de ma sieste qu’à dix-sept heures, un ciel lugubre, un temps cafardant. Dehors, personne. Mais les arbres, l’abbaye, les murs, ses rythmes, son équilibre, le dôme, la petite ville cohérente qu'est tout monastère quand il est construit d'une pièce, d'une même pierre, d'un seul esprit... le parc simulant l’ordre et l’espace. Je marche et j’ouvre RUFIN, et j’ai une relation inattendu avec ce livre [1]. L’autobiographie rédigée pendant la mission à Dakar, l’homme écrit vite… mais clair, il a des formules presque plates mais justes. Il m’apprend quelque chose que je croyais endormi définitivement en moi, ou me le rappelle [2]: que j’ai raté ma vie professionnelle, que je n’ai pas été recherché professionnellement, que le métier que j’avais était superficiel, pas nécessaire, indispensable. Ainsi mon genre plus celui de mon métier m’ont prédisposé à la voie de garage dont je ne sortais que grâce à mon jeune âge, aux lois de gestion du personnel dans l’administration, puis à mon âge encore jeune. Quand je me suis trouvé à l’équilibre de mes cinquante ans, que j’occupais une place encore modeste mais déjà enviée, je fus évidemment perdu. Ma mère sur son lit de mort le comprit. Et je n’ai jusqu’aujourd’hui, même pour des utilités très adjacentes ou minuscules, jamais trouvé un accueil à la création d’emploi ou en remplacement. – Sur la littérature et son énième art, des banalités [3], en ambiance des anecdotes pas inintéressantes [4] , plutôt des formules d'auteur facile et sentant peu... pour lequel je n’ai aucune sympathie puisqu’il a obstinément refusé de me recevoir ou au moins de répondre à mes lettres de demande à le voir pour traiter ensemble d’un sujet précis auquel il a beaucoup touché semble-t-il pendant son ambassade de Dakar : le putsch mauritanien. Mais ses phrases, son livre, sa manière d'avoir tiré parti de lui et des circonstances, me font m'examiner par comparaison et relancent donc mon impératif. Je dois de nouveau être ambitieux (et cette fois, réussir…). Pour qui ? les miens, les honorer, leur donner pour « quand je n’y serai plus », formule de mon grand-père paternel, un motif de fierté de moi. Comment ? ce ne peut être que par l’écriture … et l’écriture qui place et qui permet est littéraire. A cela, je n’ai jamais réussi. Rencontre et coincidence de lecture donc salubres…  J’ai écrit tout aujourd’hui plus facilement que ces derniers temps, encadré par la fenêtre étroite et en hauteur de ma chambre, le dôme d’Anne d’Autriche., maintenant illuminé avec douceur, comme à la bougie.

Tout en notant, terminer de parcourir (« dans le désordre ») RUFIN. Il n’est pas attachant, il est plat alors qu’il a beaucoup vécu. Je ne sais pourquoi il n’attache pas. Pages plaisantes sur les liaisons étudiantes en médecine de son temps, pp. 45.47 : il a dix ans de moins que moi, et intéressantes, sembant justes aussi, sur l’exercice de la médecine, l’art du pronostic et l’abandon de l’ambition de comprendre, pp. 48 à 51 et jusqu’à 58. Finalement l'intérêt du livre et peut-être de cet homme, c'est sa superficialité alors qu'il vit des choses substantielles et rencontre beaucoup d'anonymes, c'est-à-dire les meilleurs de l'humanité. – A mon chagrin, une des aide-soignantes a jeté mes menus, témoins d'étapes, que je conservais sur ma table (imprudemment) depuis la reprise de mon alimentation : c’est l’une des rares sur laquelle je ne posais ni regard ni sourire, elle est presque laide et elle a dû le voir.

Ce matin

Prier… la grâce que tout m’incline dans ma perception du présent et plus encore de l’avenir, mon présent et mon avenir sit tant est qu’ils ne me possèdent pas bien plus que je ne les possède et les vis, à m’en remettre à Dieu et à son salut. Lequel ? et comment ? c’est tellement secondaire de le connaître. J’ai abattu devant toi tous tes ennemis, je te ferai un nom aussi grand que celui des plus grands de la terre… J’ai été avec toi dans tout ce que tu as fait… magnifique message de Dieu, de Yahvé à David. Injonction claire de lire ma vie, de relire nos vies de cette manière, ce que Dieu a fait et produit de nous, selon Lui et non selon le « monde «  ou nos projets et critères. Dieu dispose de la suite, dans le cas de David, il organise sa descendance dont Jésus est l’aboutissement. [5] Le magnifique cantique de Zacharie, mettant le sceau à l’ensemble de l’Ancien Testament et reconnaissant son fils miraculeux pour ce qu’il est. Je le récite en pensant à ma chère Anne-Marie de M. maintenant aux prises à la souffrance, à l’angoisse et aux griffes de la mort… Que Dieu nous sauve, Emmanuel !  Et toi, petit enfant, on t’appellera prophète du Très-Haut, car tu marcheras devant le Seigneur pour lui préparer le chemin, pour révéler à son peuple que ses péchés sont pardonnés. Telle est la tendresse du cœur de notre Dieu : grâce à elle, du haut des cieux, un astre st venu nous visiter ; il est apparu à ceux qui demeuraient dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort, pour guider nos pas sur le chemin de l’éternité.  … Il a fait se lever une force qui nous sauve. Et c’est de famille de Marie au vieux prêtre, le présent et l’événement rattaché aux promesses ancestrales et collectives : il a montré sa miséricorde envers nos pères, il s’est rappelé son Alliance sainte, il avait juré à notre père Abraham qu’il nous arracherait aux mains de nos ennemis…  Pour le peuple et pour moi, pour chacun de nous, Dieu dit à chaque instant et nous allons le célébrer la nuit prochaine : sans fin je lui garderai mon amour, mon alliance avec lui sera fidèle. Et moi ne me quittent jamais les miens, des plus proches, femme et fille aux plus lointains, les morts et mortes et les vivants, les rencontrés et ceux que jamais je ne soupçonnerais. Symbole de la route de mon retour aux miennes, à nos aîtres et lieux, préfiguration du retour qu’est toute mort et si la vieillesse, belle ou plutôt pas belle telle quelle s’approche de moi en versions successives, a un sens subjuguant tout, c’est bien de nous préparer à ce retour et de m’en faire l’acteur heureux, laudatif et confiant. C’est-à-dire jeune et enfant de nouveau, à l’instar de notre Dieu éternel, naissant humainement, ce soir… 

Le genre professeur Tournesol que j’avais repéré depuis mon arrivée est introduit comme compagnon de chambre, M. MARQUES, 86 ans, me demande si je parle l’Espagne et si j’ai connu la guerre d’Espagne… Les Espagnols ont quelque chose que les Français n’avaient pas à l’époque et qu’ils n’ont pas encore, ils sont entiers, ce que ne sont pas les Français, pas toujours et dans leur cmportement quotidien, ils ont une très grande franchose que les Français n’ont pas. Mon père est mort à 92 ans, carrière très…  il a écrit des pièces de théatre, a joué, a fait du sport, a été dans les deux camps. Lui-même en Espagne, a vu un homme tomber d’un toit, la tête éclatée, a quitté l’Espagne à six ans… la guerre, la Tunisie, une vie d’ouvrier, j’ai commencé à travailler dans l’imprimerie. Une aide-soignante à qui il dit : c’est une drôle de façon de se rencontrer. Les vies se côtoient… il reste encore et je vais partir. Les lieux ? le temps ? Il se plaint de la tête, migraines, il cherche ses mots, acouphènes. C’est un mystère… pas tout le temps, mais fréquemment… Il est intarrissable par oral comme je le suis par écrit. Certains franquistes avaient prévenu mon père qu’il valait mieux partir. J’ai écrit encore d’autres livres, il confond ceux qu’on lui donne et ceux qu’il a écrit, la guerre d’Espagne, les journalistes et des ouvrages tournant autour de… il s’emmêle. J’étais dans la partie technique au Figaro, le premier à voir arriver des machines changeant complètement la vie de gens qui faisaient çà très bien, avec beaucoup de coeur. Premier programme sur ordinateur d’une composition d’un texte. Les mots corrigés, les séquences, tout çà ce sont les ouvriers du livre qui ont fait cela par eux-mêmes. J’ai connu beaucoup de gens, j’ai commencé à la retraite. Donne des leçons d’espagnol, créant le cours au journal, quotidiennement, réunis autour de… nos verbes irréguliers, un mot par jour. Mes livres sont vendus… l’Harmattan ou à la Croix-Rouge internationale… Je suis complètement paumé… Il me rase et m’émeut profondément. Va se doucher, c’est-à-dire quitte la chambre… C’est le foutoir, ici à la Croix-Rouge, comme à l’armée. Oui, M. SUMARUGA est très intelligent, il a eu une conversation avec les rescapés des camps, les sraPelites, oui, c’est très embêtant. Il tente de se rhabiller. Ce sera du travail fait. Oui, M. SUMARUGA a été très attaqué. Il a été très gentil, j’avais un bon point, maintenant je me retrouve dans l’aventure… Quelle leçon de choses… celui-ci pour cette chambre 14 et mon voisin pour la chambre 9, semi-fou, semi-mort. Je prépare ma sortie et vais tenir le « journal » de ma fille. Il sort de la chambre. Noria de personnels antillais, charmant et tranquille, petit-déjeuner.  Vous pensez que HITLER nous prendrait au dépourvu s’il revenait ? Vous avez plutôt des bras de bûcheron que ceux d’un écrivain, ce n’est pas un reproche. Premier et merveilleux sourire pour ce jour !  J'ai attendu mes affaires l'autre fois, une semaine. Oui, oui. Une poitrine avantageuse et les bonshommes se laissent faire comme des couillons. La loi, c'est des deux côtés, sinon ce n'est pas la loi. Ma femme m'aurait dit, envoies-les sur les roses.


[1] - Jean-Christophe RUFIN, Un léopard sur le garrot . Chroniques d’un médecin nomade (Gallimard .Février 2008 .  284 pages)

[2] - Pour être tout à fait juste, je dois dire que cette nouvelle lumière portée sur ce qui m’agitait intérieurement ne jetait pas la moindre clarté sur mon avenir. Je savais mieux ce que je voulais, cependant je n’avais encore aucune idée des moyens que j’utiliserais pour y parvenir. J’exalte la volonté, mais je crois d’abord au destin. On ne peut travailler que sur la matière qu’il nous offre. Notre matériau brut c’est l’imprévu, la chance, le hasard. Ibid. op. cit. pp. 136.137

[3] - J’ai découvert le monde littéraire avec autant de curiosité qu’un navigateur débarquant sur une île inconnue. C’est un petit milieu plein de pittoresque, peuplé ans son immense majorité d’êtres intelligents, délicats et sensibles. Ils font en général bon accueil à l’étranger et d’autant plus qu’il vient de loin. Leur appétit les porte à désirer sans cesse consommer des chairs nouvelles, mais dont ils se dégoûtent vite. Autant leurs relations avec les nouveaux venus ou les gens d’autres continents professionnels sont cordiales, autant les haines qui les divisent sont profondes et violentes.  L’écart est frappant entre la modestie des événements qui la causent et la vigueur de cete détestation. Un article désobligeant, un vote négatif dans un prix littéraire, voire, parfois, la simple adhésion à une école, un courant, un groupe d’auteurs que l’autre n’aime, et se crée pour des années une guerre entre deux personnes qui ne se sont peut-être jamais rencontrées. Tout étranger que je fusse, je n’échappai pas à l’obligation de me ranger dans une catégorie, donc de me rendre odieux à ceux qui n’en partagent pas les principes. Inclassable lors de mon apparition, je fus progressivement catalogué à partir d’informations rapportées du monde extérieur.. Ibid. op. cit.  pp. 254.255
      Cette expérience de l’action est un grand atout pour le romancier. Car raconter une histoire, c’est plonger le lecteur dans l’incertitude du moment présent,  c‘est restituer les choix de ses héros, dans l’ignorance où ils sont de ce qu’ils vont devenir. L’auteur n’est pas naturellement placé dans cette situation. Quand il raconte une histoire, il en connaît généralement la fin, puisque, souvent, c’est lui qui l’a déterminée. Grande est la tentation de conférer aux personnages la même clairvoyance. Ce faisant, on les juge. On est sévère avec leurs erreurs, on leur ôte toute excuse à se tromper. Avoir vécu l’ambition du présent permet de traiter ses héros avec une tendresse, une bienveillance qui procède de ce que l’on a, avec eux, l’humanité en partage. Nous cheminons dans nos vies comme des aveugles. Le romancier ne doit jamais l’oublier.
       C’est particulièrement important lorsque, comme je l’ai fait, on choisit de raconter des histoires où les héros vivent une aventure personnelle sans cesse confrontée, en arrière-plan, à la grande histoire de leur époque. Cet aller-retour entre l’infiniment petit de la vie intime et l’infiniment grand des événements collectifs constitue pour moi le défi du romanesque. Flaubert identifiait cet équilibre entre les deux plans comme l’exercice le plus difficile à réussir. Ceux qui y sont parvenus ont écrit, pour moi, les plus grands romans. Ibid. op. cit. pp. 280 .281
        Il ne me servait à rien de multiplier les expériences, d’accumuler les perceptions, les rencontres, si je n’étais pas capable d’aller au-delà des idées abstraites, des concepts, pour comprendre intimement ce que je faisais et ce que je voyais. Il me fallait percer le vernis du rationnel et aller olus au fond des choses, jusqu’à révéler, leur complexité, leur ambivalence, leur humanité. Cette voie s’appelait la littérature. Je ne le savais pas encore. Ibid. op. cit.  p.210

[4] - La soirée dégénéra. Kouchner se défendit à sa manière : debout dans l’assistance, en ferraillant avec humour et mordant. C’est un homme de scène. Il a toujours rêvé d’être chanteur et lorsqu’il s’exprime, on sent qu’il prend plaisir à moduler sa voix, à faire vibrer les émotions de ceux qui l’écoutent, autant par la mélodie de ses paroles que par leur sens. Face à la mitraille anonyme des aparatchiks, ce combat avait quelque chose de sublime et de dérisoire. Tout un chœur d’amis et d’amies s’est élevé de l’assistance pur redoubler sdess protestations et faire écho à sa tirade, comme dans une tragédie grecque. Mais la partie était perdue. Toujours debout, toujours déclamant, Kouchner, vaincu, écoeuré, incrédule, se dirigea vers la sortie, franchit la porte. Il fit station longuement sur le petit palier à l’extérieur. Une de ses admiratrices en furie hurlait dans la salle, allait et venait du palier où elle s’efforçait de le faire revenir et couvrait d’invectives les conjurés livides. Ibid. op. cit, p. 164, séance de Médecins sans frontières

[5] - 2ème Samuel VII 1 à 16 ; psaume LXXXIX ; évangile selon saint Luc I 67 à 79

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