jeudi 28 février 2013

renonciation de Benoît XVI - homélie de Dom Robert Le Gall, abbé émérite de Kergonan et archevêque de Toulouse

MESSE D’ACTION DE GRÂCES
POUR LE PONTIFICAT DE BENOÎT XVI
EN LA CATHÉDRALE SAINT-ÉTIENNE DE TOULOUSE
LE JEUDI 28 FÉVRIER 2013

            Oui, frères et sœurs, nous avons bien l’impression d’être « passés au crible comme le froment », selon la parole de Jésus à Pierre que nous venons d’entendre. L’Église est malmenée par les médias : c’était vendredi dernier en la fête de la chaire de saint Pierre à Rome, avec l’affaire de lobbies gay au Vatican, liée à des accusations de blanchiment d’argent de la drogue. Rien n’aura épargné notre pape Benoît XVI pendant son pontificat et jusqu’à son dernier jour d’« humble travailleur à la vigne du Seigneur », comme il s’était présenté au balcon de saint Pierre de Rome le jour de son élection, le 19 avril 2005.
            Lui-même a dit que « l’ennemi le plus dangereux de l’Église se trouvait à l’intérieur », ce qui nous invite tous à un examen de conscience. Comment notre vie, nos actes rendent témoignage à la vérité de l’Évangile ? Comment, pour reprendre les termes du Message final du Synode sur la nouvelle évangélisation, sommes-nous dans notre vie en cohérence avec notre foi ? Comment sommes-nous crédibles aujourd’hui dans un monde où tout est livré à nu ? Une orientation de fond nous a été donnée pour répondre à ces questions cruciales : faire l’expérience personnelle d’une relation vivante avec Jésus Christ, grâce à sa Parole et aux sacrements, à l’image de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine sur la margelle du puits de Jacob. En tout cas, nous pouvons dire, nous les Évêques de France, que nous sommes revenus de Rome, « affermis » (Lc 22, 32) par notre visite ad limina auprès du Saint-Père et de ses services ; la Province de Toulouse était la dernière à être reçue par lui, que nous avons trouvé fragile, fatigué, mais présent et délicat. Son discours aux 33 évêques m’a profondément « affermi » dans nos orientations diocésaines : liens pasteurs-communautés et pastorale des jeunes.
             Au tout début du Synode, Benoît XVI avait dit, de façon improvisée, ce qui suit en prélude aux interventions des Pères : « Le chrétien ne doit pas être tiède. L’Apocalypse nous dit que là est le plus grand danger du chrétien : il ne dit pas non, mais un oui très tiède. Cette tiédeur discrédite le christianisme. La foi doit devenir en nous une flamme de l’amour, une flamme qui allume réellement mon être, devient une grande passion de mon être et allume ainsi mon prochain. Ceci est le mode de l’évangélisation. Que la vérité devienne en moi charité. Et la charité allume l’autre aussi, comme le fait le feu. C’est seulement dans cette action d’allumer l’autre à travers la flamme de notre charité que croît réellement l’évangélisation, la présence de l’Évangile, qui n’est plus seulement parole, mais réalité vécue. Il convient en outre que ce feu soit un feu intelligent. » Le pape employait l’image de « la sobre ivresse de l’Esprit », que chante une hymne de la Liturgie des heures, pour exprimer l’élan missionnaire qui doit suivre la chaude saveur laissée en nos cœurs par la présence dynamique de l’Esprit Saint.
            « Que la vérité devienne en moi charité ! », disait Benoît XVI au Synode. Au tout début de l’Année de la foi, il relie de la sorte les deux vertus théologales. Il est curieux de constater que ce pape théologien a tenu à consacrer sa première Lettre encyclique à la charité, à l’amour, dont il détaille avec finesse les diverses formes, pour montrer que Dieu est Amour (littéralement « charité » »), selon l’annonce faite par saint Jean en sa première lettre : un amour exigeant, qui s’incarne et qui invite à s’engager au service des petits et des pauvres. « Si je vois avec les yeux du Christ, je peux donner à l’autre bien plus que les choses qui lui sont extérieurement nécessaires : je peux lui donner le regard d’amour dont il a besoin » (n. 18).
            La troisième Lettre encyclique de Benoît XVI, La charité dans la vérité, est consacrée au « développement humain intégral dans la charité et la vérité ». Toujours ce duo qui, pour notre pape, est seul fécond, y compris dans le domaine économique et social. « L’être humain est fait pour le don, c’est le don qui exprime et réalise sa dimension de transcendance » (n. 34). Ce qui se vérifie dans le domaine concret des relations humaines de tous ordres, où le pape ose parler d’ « échange de dons » et même de « principe de gratuité », à condition que l’on reçoive les dons de Dieu : « Parce qu’elle est un don que tous reçoivent, la charité dans la vérité est une force qui constitue la communauté, unifie les hommes de telle manière qu’il n’y ait plus de barrières ni de limites » (Ibid.).
            La charité revient encore dans son Exhortation apostolique post-synodale sur l’Eucharistie : Le sacrement de l’amour (littéralement « charité », un an après l’Encyclique Dieu est Amour), celui que nous célébrons ce soir en action de grâce pour le service d’amour de notre Saint-Père, sacrement où retentit en toute sa puissance et sa délicatesse la Parole de Dieu (cf. l’Exhortation apostolique Verbum Domini).
            Entre la charité, force et délicatesse de l’amour venu de Dieu et dirigé vers Dieu, et la vérité, où foi et raison se confortent l’une l’autre, il faut mentionner la deuxième Lettre encyclique de Benoît XVI, où il s’attarde sur « L’espérance chrétienne » : Sauvés dans l’espérance. Le pape y parle du désir et de l’attente, dans un monde pleins de dieux ou plutôt d’idoles, les gens sont sans espérance, parce que « sans Dieu » comme dit saint Paul (Ep 2, 12 ; n. 2). Les chrétiens se distinguent en cela qu’ils ont un avenir, un au-delà et un chemin vers cet au-delà qui s’appelle le Royaume. Notre Saint-Père termine par un appel à la prière comme école de l’espérance ; elle est un exercice du désir qui élargit le cœur.
            À cette heure où se retire Benoît XVI, il nous dit, selon les paroles prononcées hier en sa dernière Audience générale sur la Place Saint-Pierre : « J’ai demandé à Dieu avec insistance, dans la prière, de m’éclairer de sa lumière pour me faire prendre la décision la plus juste, non pour moi, pas pour le bien de l’Église. J’ai fait ce pas en pleine conscience de sa gravité et aussi de sa nouveauté, mais avec une profonde sérénité d’âme. Je n’abandonne pas la croix, mais je reste de façon nouvelle près du Seigneur crucifié. Je ne porte plus le poids de la charge pour le gouvernement de l’Église, mais, dans le service de la prière, je reste dans l’enceinte de Saint-Pierre. Saint Benoît, dont je porte le nom comme Pape, me sera d’un grand exemple en cela. Il nous a montré le chemin pour une vie qui, active ou passive, appartient totalement à l’œuvre de Dieu. »
            Le Pape a dit encore, hier, en une sorte de testament : « Je voudrais vous inviter tous à vous confier comme des enfants dans les bras de Dieu, sûrs que ses bras nous soutiennent toujours et nous permettent de marcher chaque jour, même dans la difficulté. Je voudrais que chacun se sente aimé de ce Dieu qui a donné son Fils pour nous, et qui nous a montré son amour sans limite. Je voudrais que chacun sente la joie d’être chrétien ». Le dernier tweet du Saint-Père va bien dans ce sens : « Puissiez-vous expérimenter toujours la joie de mettre le Christ au centre de votre vie ! » Docteur de la foi, docteur de la joie, avec des mots très simples et profondément vrais, voilà le Pape qui se retire, mais qui reste avec nous. Béni soit le pape Benoît ! Qu’il nous bénisse et que Dieu le bénisse !
           

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