jeudi 28 novembre 2013

mort & naissance - toutes lumières d’éternité anticipée et commencée







Les autre matins qui demeurent ma lumière. Celui que je n’ai pas encore vécu, l’entrée en éternité, les presciences de ma mère adorable et vêtue de tendresse et de douceur dans cette dernière soirée où elle put me parler, me dire l’inscription sur sa tombe et le lendemain tôt, nous pûmes encore y revenir. Ce choix admirable de sérénité de mon exceptionnelle belle-mère, verdict à l’esprit, revenir chez elle pour le bonheur de sa fille – ma femme – et de sa petite-fille – notre trésor – et les morts avec le regard de qui l’on aime sur soi et notre regard, que je ne sais pas encore, sachant déjà l’éternité, guettant le passage, ne vivant plus là.



Et l’enfant qui est le mien, ces deux heures dans la chambre préparée, à attendre ma femme, mon miracle, notre fille dans mes bras, notre silence, ni pleur ni dire, elle et moi devant tout commencement, son commencement à elle, et le commencement de ma paternité, de mon unité, de ma stabilité, un pied et l’âme déjà dans l’éternité après laquelle j'avais couru comme on cherche vainement la réminiscence d’un songe, et que j’ai trouvé sans avoir à l’identifier, à décider d’y adhérer. Grâce du commencement souverain et fondateur dans une vie, l’alliance par échange des consentements devant Dieu et devant les hommes.



Le chariot roulant dans les couloirs, à une telle vitesse que je ne pouvais suivre les deux jeunes filles emportant ma femme vers la table sur laquelle pratiquer la césarienne. Le chariot glissant dans les rails du grand casier de la chambre froide, et ma mère immobile, glacée, partie et pourtant devant moi de corps, en moi d’âme. Tout gisant, notre tombée dans le sommeil, notre allongement sur le corps aimé de l’autre qui accueille et nous roule. L’ouverture du ciel-sexe-mort-éternité, nos plongées.



La pauvreté, la mort dite par tout dénuement, tout échec, proclament le mieux la naissance. Ce hangar au désert, le sable d’une dûne, un hangar, format avions Latécoère, Saint-Exupéry et Mermoz, l’ambiance au terrorisme furent en pleine nuit la naissance silencieuse dans l’émotion d’une voix sourde et unique d’un pays qui peu après me reçut comme une nonce offerte à l’adolescent, rugueuse et pas facile à première expérience. Mauritanie de ses années d’une fondation aux dictatures, mais toujours l’air libre possible.



La mère de ma femme, notre fille allongée à siester comme elle et le long d’elle, et ma moitié vibrante de corps si pudique, d’âme si discrète par hérédité certaine, nos jours et nos nuits sont tranquilles comme autant de veilles de notre mort à chacun, comme autant de rappel d’une mémoire qui nous est léguée et que ma fille aime tant que nous lui racontions : notre naissance.



Le recueil des vies qui ne se transmet pas, qui n’est jamais objet, dont le récit n’épuise pas ce qu’elles sont, la vie, qui nous est commune mais fleurit pour chacune et chacun si différemment. Elle s’échange d’expérience par le sourire, elle nous réunit quand elle finit de chair, quand elle commence de chair et elle chante à la messe, dans la confidence et le geste du corps, par les mains calmes de la prière ensemble, toutes générations au pied de nos lits pour la nuit, pour la mort, pour la naissance, pour l’étreinte, pour l’abandon.



Les civilisations où l’on mangeait et buvait couchés eurent des sciences de la vie et des consentements à la mort inexpliquée et familière, que nous n’avons plus.



La mémoire humaine ne change pas et ce qu’elle raconte est toujours la vie. La vie, pour moi, est des visages, des visages au regard et aux lèvres qui vont à moi et qui acceptent mon approche.



Ce frère moine rouvrant les yeux pour me regarder et mourir. Les mots de ma mère comme les perles d’eau la plus pure pour m’avouer ce qu’elle ressentait à aller mourir. Ma femme et notre fille au chevet d’une femme d’exception, dont on dirait et dont on dit qu’elle n’eut pas sa chance, mais elle l’a en nous puisqu’elle n’a jamais pensé qu’à ceux qu’elle aimait, jamais à elle, encore maintenant. Ces mourants et ces morts dont on sait ensuite la lutte d’amour et de confiance, que Dieu à leur front y fasse lire un signe de croix bien lisible ou seulement – n’est-ce pas plus vrai ? – esquissé, préparé pour la grande identification de demain.


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