mardi 28 janvier 2014

contemplation III - la contemplation dite infuse




Contemplation infuse 



Le plus quotidien, banal et courant, oserait-on écrire, dans le surnaturel est sans doute qu’il puisse s’éprouver. Dans la vie spirituelle, le surnaturel n’est pas un accident ou la matière à une interrogation pour que soit retrouvée la cohérence avec des acquis scientifiques ou des routines de l’expérience ; il est l’objet suprême de la dialectique humaine. L’extraordinaire est ce qui est le plus propre au divin, et – quand il est rencontré d’expérience – fait vivre combien la vie naturelle est atrophiée par rapport à la plénitude que l’homme devrait connaître : dans la contemplation, un être vivant reçoit d’anticiper hic et nunc la totalité et l’éternité de la réalité, de la vérité. Ce à quoi la philosophie et la science ne parviennent pas d’elles-mêmes. De participant qu’il est par nature à un ensemble créé et contingent, l’homme peut recevoir par destinée, par prédilection la conscience la plus nette et sensitive de l’essence de ce qu’il est, et de ce qu’est la totalité du créé et du créateur. L’expérience est de toutes les époques et de toutes les confessions spirituelles. (sous la direction d’André Ravier, La mystique et les mystiques, op. cit.). Les religions produisent toutes de la contemplation. 

Tout en évoquant ce que d’autres voies ont en partage avec la voie chrétienne, et en dégageant ce à quoi la philosophie et la science aboutissent ou s’arrêtent, la présentation qui suit est dédiée à la manière et au contenu de la contemplation en tant que dialogue ou rencontre avec le Dieu trinitaire dont attestent la Bible et l’Eglise. Le chrétien a la grâce particulière – dans l’histoire comparée des religions - d’une participation personnelle autant à l’acte divin mettant au jour la totalité de la Création et de l’Histoire du vivant, qu’à la vie-même de Dieu. La contemplation chrétienne n’est ni une dissolution ni une fusion ; elle est un paroxysme de personne, elle est la matrice de tout amour, en fait de toute relation et elle donne selon des sens que les plus grands mystiques eux-mêmes ne surent décrire une connaissance supérieure, totale alors que tout semble se produire dans l’inconnaissance et l’obscurité.

Ne serait-on pas chrétien, qu’il serait tentant d’élucider de préférence à tout autre chemin de contemplation, celui qu’expérimente, enseigne et propose – avec discrétion – une Eglise qui, en cela, ne peut être ni élitiste ni dogmatique. La référence sera ainsi donnée qui peut cependant faire aller à la découverte d’autres héritages et d’autres témoignages, mais avec un surcroît d’exigence. Hors le christianisme, et notamment selon les démarches scientfiques ou philosophiques, la contemplation n’est pas un dialogue, il n’existe qu’un tout dans lequel le contemplant s’absorbe ou est absorbé : de grands auteurs européens encore contemporains s’en sont directement ou littérairement inspiré : Mircea Elliade, Hermann Hesse, Stefan Zweig. Et plutôt que d’une expérience dans la vie, il s’agit d’une intuition quant à l’état d’aboutissement de l’univers, sans distinction particulière de ce que l’on appelle le vivant. S’ils ont renoncé à imaginer la contemplation chrétienne, c’est bien qu’ils ont reconnu la supériorité qu’aurait sur leur inspiration, la relation directe d’une expérience, celle de Thérèse d’Avila, d’Ignace de Loyola par exemple. Expérience culturellement datée et pourtant fleurant absolument l’universel. La contemplation chrétienne ne s’invente pas parce qu’elle est faite de colloque, de participation, de communion, d’information réciproque ; elle a sa dialectique propre quoiqu’elle soit indépendante des sens ordinaires et des dilenions que sont l’space et le temps. Cette dialectique, pourquoi ne pas penser qu’elle est à beaucoup de points de vue assimilable à la création-même. Les créatures en communion avec leur créateur collaborent à la création, la leur propre, et celle de tout l’univers. Mais ce n’est pas cette activité – pouvant intéresser le scientifique et le philosphe s’ils parvenaient à la discerner – qui est l’objet ni le milieu de la contemplation. Celle-ci est communion unitaire de plusieurs personnes et elle donne de communier par le créateur à l’ensemble du créé, passé, contemporain et à venir, si l’on reprend les références spatio-temporelles. La contemplation est essentiellement active puisqu’elle comprend tout, le tout sans que la personne individuelle soit en rien dissoute ; au contraire, elle a d’autant plus conscience d’elle-même (une conscience comblée et exaucée).

Dans la contemplation, le surnaturel se manifeste parfois par des faits susceptibles d’observation par des tiers, mais surtout dans le secret d’un cœur qui, spontanément, répugne à en faire confidence. Rien ne se passe qu’à l’intime de la créature ; rien n’est observable qu’un mouvement qui survient dans l’âme et, s’arrêtant, la laisse encore toute changée. (Jean Gouverrnaire, op. cit, p. 22). Parce que la contemplation embrasse des expériences et des leçons que présentent toute la littérature spirituelle, voire la littérature de fiction ou de spéculation, le sujet n’est ici traitée qu’avec l’humilité imposée par le sujet-même et que selon quelques pistes et quelques mises en résonnances. Si l’on veut aller plus loin que des définitions et approfondir les partenaires, mis en relation par la contemplation, on est acculé à choisir selon soi ou selon un mystique introduisant à quelques autres par association ou par contraste. Ainsi, cette présentation est-elle doublement subjective, ce qui n’est pas réducteur mais introductif.

  Approches et définitions : contemplation acquise, contemplation infuse
  Le Dieu des scientifiques et philosophes
  L’expérience : Thérèse d’Avila… Ignace de Loyola…
  Limites de l’analogie entre pulsions amoureuses et contemplation
  Absolu et contemplation
  Vie monastique et contemplation
  Le recours à un tiers vérificateur ou accompagnateur
  Créativité et contemplation
  Contemplation, vision, connaissance








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Contemplation acquise, contemplation infuse


Le portail nord de la cathédrale de Chartres montre en une succession de poses une femme assise qui se recueille, qui lit, qui contemple, qui entre en extase. La statuaire donne à voir l’extérieur, elle peut qualifier les étapes successives, mais elle n’entre pas dans le double mystère que sont le contenu de la contemplation et la manière dont celle-ci est produite ou se produit.
La doctrine a la même humilité. La théologie contrôlera les lumières contemplatives mais pour les faire entrer dans le cadre de sa pensée, elle veillera à ne point détruire le souffle vivant qui les anime jusque dans leur expression. C’est dans ce domaine de l’expression que les rapports de la théologie et de la contemplation seront le plus délicats. (…) Ces expériences du divin ont quelque chose de très puissant en même temps que d’indéterminé, qui est le cachet de l’infini. Parce qu’elles procèdent du fond de l’être, en épousent les formes, en font vibrer toutes les puissances, elles empruntent pour s’exprimer ce qu’il y a de plus profond, de plus fort et de plus personnel. La vibration produite et son expression seront tributaires des qualités et des déficiences du tempérament du mystique. (…)Divine par le souffle qui l’anime, qui y règne, et la saveur qu’elle laisse, cette poésie est humaine aussi et variée comme les âmes. (…) Même lorsqu’elle ne se présente pas avec la perfection que nous découvrons chez ces géants de sainteté, la contemplation enrichit singulièrement de vie et de lumière l’expression des vérités qu’elle a vécues et communique au verbe une force et une chaleur qui lui assurent pénétration et rayonnement fécond. (Père Marie Eugène de l’Enfant Jésus, op. cit. p. 442)

La distinction scolaire opérée entre la contemplation acquise et la contemplation infuse, entre ce qui est poursuivi avec voies et moyens choisis en méthode ou en état de vie, et ce qui est reçu en don gratuit, n’st-elle pas artificielle. Puisque quel que soit le chemin – court ou long – établi dans la volonté ou accueilli dans l’humilité, on ne parvient au commerce divin que du fait de Dieu ; rien neesty jamais reproductible ni acquis sans Lui, qui surprend toujours et ne serait plus Qui il est s’il ne surpassait toute connaissance et ne demeurait inaccessible, sauf à Se communiquer de Lui-même. N’importe le processus, le surnaturel – Dieu-même et la façon dont Il crée et fait vivre – n’est pas le fait d’un vouloir humain. La contemplation dite infuse, c’est-à-dire reçue par ou dans une âme qui n’a pris comme moyen que d’être attentive à son Créateur, donc à tout don venant de Lui, est improviste et situante. Elle n’est pas une réponse de l’objet divin aux efforts ou à la consécration de sa créature, elle se distingue donc de la prière, de laméditation même si elle peut en constituer le fruit. Elle convie la totalité de l’être contemplant à l’unique activité de recevoir la contemplation, d’en faire partie tandis que sont abolies les habituelles notions d’intériorité, d’extériorité, de temps, d’espace, et que les sens habituels autant que les facultés de mémoire, d’analyse, d’imagination, de synthèse sont anéantis pour faire place à une unification de la conscience que garde de lui-même le contemplant, en sorte qu’il n’y a plus que mutuelle présence de Dieu et de sa créature. Ce n’est donc ni une motion, ni une vision, ni un rêve, ni une intuition, même si la contemplation infuse peut en être la conséquence ou la cause.

Distinguer la contemplation infuse de la contemplation acquise semble revenir à résoudre une opposition apparente entre deux traits également soulignés par la tradition de la destinée surnaturelle offerte à l’homme : d’une part, son caractère fondamental ; d’autre part, son caractère de gratuité totale. (Henri de Lubac, Le mystère du surnaturel op. cit. p. 219). On peut également le faire – comme le proposent Albert le Grand et le « divin Docteur » - en remarquant  la différence existant entre « intellectus » et « ratio ». Ce serait peu utile si la distinction dissertée n’était pas vécue comme disant le mieux ce qui appartient à l’homme et tient à sa liberté, et ce qui est de Dieu et y reviendra toujours.

Définie en soi, la contemplation dite infuse invite à opérer autant de distinctions que de rapprochements.

Distinction de la contemplation dite acquise, puisque celle-ci participe de la volonté humaine et du désir de la perfection – volonté qui peut être efficace et désir qui de soi peut être saint – de la contemplation infuse laquelle est le propre de l’homme saisi par Dieu et se connaissant en Celui-ci. Thérèse d’Avila dit plutôt de cette contemplation qu’elle est parfaite, la distinguant de l’oraison mentale et de toutes formes de méditations. Distinction des dons que peut cultiver et mettre en œuvre la première, du don divin qui est le tout de la seconde – Dieu se donne, se communique, et Il donne à l’homme la capacité de recevoir ce don-même. Distinction de ce qu’il y a de naturel dans l’homme, observé en tant qu’être spirituel, et ce qu’il y a de surnaturel dans une activité échappant à toute description interne. Distinction aussi entre ce à quoi peut accéder tout être vivant, selon son ordre, en sorte qu’il saisit consciemment ou inconsciemment la totalité de l’être dont il fait partie en tant qu’individu, et la participation à la vie divine selon l’expérience chrétienne et l’enseignement de l’Eglise. Distinction qui amène d’ailleurs à caractériser la contemplation chrétienne vis-à-vis de la contemplation telle qu’en font part les adeptes d’autres religions révélées. Distinction enfin de la contemplation en elle-même qui participe de la prière, de la vision, de nombreux exercices ou états, d’une soudaine visitation, voire d’un « coup de foudre » mais leur reste irréductible, puiqu’elle est surnaturelle en objet et en posture. Chacune de ces distinctions permet de discerner des analogies et d’ainsi aller à la pointe de la contemplation, en ce qu’elle a de commun pour tous ceux qui en reçoivent l’expérience, et de personnel puisque la contemplation est un état de rencontre absolu, total et immédiat, intégrant tout l’être et le tout de la vie.

Dieu aurait pu se refuser à sa créature, tout comme Il a pu et voulu se donner. La gratuité de l’ordre surnaturel est particulière et totale. Elle l’est en elle-même. Elle l’est pour chacun de nous. Elle l’est par rapport à ce qui pour nous, temporellement ou logiquement, le précède. Bien plus, cette gratuité est toujours intacte. Elle le demeure en toute hypothèse. Elle est toujours nouvelle. Elle le demeure à toutes les étapes de la préparation du Don, à toutes les étapes du Don lui-même. Aucune « disposition » dans la créature ne pourra jamais, en aucune manière, lier le Créateur. (Henri de Lubac, Le mystère du surnaturel op. cit. p. 290).  

Bien sûr, les divers moyens que mettent en œuvre des états de vie délibérément choisis – ainsi vouer sa vie selon la règle de saint Benoît ou selon les constitutions de la Compagnie de Jésus – ou plus quotidiennement des dévotions éprouvées, peuvent préparer à cette contemplation infuse, mais ils ne la garantissent pas. L’homme ne peut voir Dieu de lui-même, quels que soient ses efforts ou les mérites qu’il accumule. La vision béatifique n’est pas – dans l’expérience chrétienne – le résultat d’une ascèse et de pratiques telles que dans les religions et morales orientales l’homme peut s’en approcher. Encore moins est-elle le fruit de méditations si systématiques et émancipées qu’elles soient. Pour faire une méditation sérieuse et fructueuse, nous devons nous mettre en prière avec le sentiment sincère que nous avons besoin de ce qu’elle nous apportera. Il ne suffit pas d’appliquer notre esprit aux choses spirituelles comme si nous le ferions si nous avions à observer quelque phénomène naturel, ou à conduire une expérience scientifique quelconque. La prière mentale nous fait entrer dans un domaine où nous ne sommes plus les maîtres ; où nous considérons des vérités qui dépassent notre compréhension naturelle et qui, cependant, renferment le secret de notre destinée. Nous cherchons à pénétrer plus profondément dans la vie de Dieu. Mais Dieu est infiniment au-dessus de nous, bien qu’Il soit en nous et le Principe de nos êtres. Et la grâce d’union intime avec Lui, bien que nous puissions l’obtenir par notre prière et nos bonnes actions, demeure cependant un don qu’Il nous fait. Celui qui demande une aumône doit adopter une attitude différente de celui qui exige son dû. Une méditation qui n’est qu’une étude détachée des vérités spirituelles ne signifie nullement que nous désirons participer plus pleinement aux bienfaits spirituels qui sont les fruits de la prière. Nous devons aborder la méditation en comprenant notre pauvreté spirituelle, notre déficience totale en ces choses que nous cherchons, notre néant aux yeux du Dieu infini. (Thomas Merton, , op . cit. pp. 96 & 97). Encore n’est-il traité que de la méditation. L’oraison consiste non point à penser mais à aimer, et l’amour n’a point de méthode ; chacun aime à sa manière et la meilleure manière d’aimer, c’est d’aimer démesurément. (Théodore Ratisbonne, op. cit. Lettre à Mère Marie-Paul, sans date)



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Le Dieu des scientifiques et philosophes




Livré à ses seules forces, à ses seules facultés naturelles, l’homme peut comprendre ce qu’est la prière et comment elle se développe. Scientifiques et philosophes en témoignent.
 Dans sa forme la plus élevée, la prière cesse d’être une pétition. L’homme expose au Maître de toutes choses qu’il l’aime, qu’il le remercie de ses dons, qu’il est prêt à accomplir sa volonté quelle qu’elle soit. La prière devient contemplation. Un vieux paysan était assis seul dans le dernier banc de l’église vide. «  Q’attendez-vous ? » lui demanda-t-on. «  Je le regarde » répondit-il, «  et il me regarde ». La valeur d’une technique se mesure par ses résultats. Toute technique de la prière est bonne quand elle met l’homme au contact de Dieu. (Alexis Carrel, op. cit. p. 10)                 Ce que nous savons déjà de façon sûre, c’est que la prière produit des effets tangibles. Quelque étrange que la chose puisse paraître, nous devons considérer comme vrai que quiconque demande reçoit, et qu’on ouvre à celui qui frappe.  Les effets de la prière ne sont pas une illusion. Il ne faut pas réduire le sens du sacré à l’angoisse éprouvée par l’homme devant les danfers qui l’entourent et le mystère de l’univers. Ni faire simplement de la prière une potion calmante, un remède contre notre peur de la souffrance, de la maladie et de la mort.  Quelle est donc la signification du sens du sacré ? Et quelle place la nature elle-même assigne-t-elle à la prière das notre vie ? (…) Pour quelle raison le sens du sacré joue-t-il un rôle aussi important dans la réussite de la vie ?Par quel mécanisme la prière agit-elle sur nous ? Ici nous quittons le domaine de l’observation pour celui de l’hypothèse.mais l’hypothèse,même hasardeuse, est nécessaire au progrès de la connaissance. (…) Ne nous est-il pas permis de croire que nous sommes plongés dans un milieu spirituel dont nous ne pouvons davantage nous passer que de l’univers matériel, c’est-à-dire de la terre et de l’air ? Et ce milieu ne serait autre que l’être immanent dans tous les êtres et les transcendant tous, que nous appelons Dieu. La prière pourrait donc être considérée comme l’agent des relations naturelles entre la conscience et son milieu propre. Comme une activité biologique dépendant de notre structure. En d’autres termes, comme une fonction normale de notre corps et de notre esprit. (Ibid. pp.. 24 à 30) On n’est pas loin de la doctrine consacrée par l’Eglise catholique : La structure de l’âme en état de grâce explique théologiquement la naissance,les développements et le contenu de la contemplation mystique. Celle-ci s’enracine dans l’organisme spirituel communiqué par le baptême à tous les fidèles, en vue de les habiliter à vivre d’une vie proprement divine. Grâce sanctifiante qui est non seulement une réalité créée et permanente gransformant l’âme, mais une union immédiate et onotologique à la substance même de l’essence divine ; Le Père, le Fils et le Saint Esprit se communiquent à l’âme, pour être dès ici-bas, l’objet d’une connaissance et d’un amour dont le réalisme se caractérise au mieux par l’ « inchoatio vitae aeternae », anticipation mystérieuse de la vision béatifique. (Charles Baumgartner, in article sur La contemplation : conclusion générale, dans le Dictionnaire de spiritualité, op.cit. p. 2191)

Davantage, l’homme peut de lui-même poser Dieu et la relation à entretenir avec lui. Les méditations de Descartes certifient l’existence des deux protagonistes : Dieu et le moi. Simone Weil approche au plus près de la conception chrétienne sans s’y convertir explicitement.
Ne pas exercer tout le pouvoir dont on dispose, c’est supporter le vide. Cela est contraire à toutes les lois de la nature : la grâce seule le peut. La grâce comble, mais elle ne peut entrer que là où il a un vide pour la recevoir, et c’est elle qui fait ce vide. (…) Accepter un vide en soi-même, cela est surnaturel. Où trouver l’énergie pour un acte sans contreparte ? L’énergie doit venir d’ailleurs. (…) Il faut une représentation du monde où il y ait du vide, afin que le monde ait besoin de Dieu. Cela suppose le mal. Aimer la vérité signifie supporter le vide, et par suite accepter la mort. La vérité est du côtéde la mort. L’homme n’échappe aux lois de ce monde que la durée d’un éclair. Instants d’arrêt, de contemplation, d’intuition pure, de vide mental, d’acceptation du vide moral. C’est par ces instants, qu’il est capable de surnaturel. Qui supporte un moment le vide, ou reçoit le pain surnaturel, ou tombe. Risque terrible, mais il faut le courir, et même un moment sans espérance. Mais il ne faut pas s’y jeter. (op. cit. pp. 12 & 13)
Il existe une force « déifuge ». Sinon tout serait Dieu. Il a été donné à l‘homme une divinité imaginaire pour qu’il puisse s’en dépouiller comme le Christ de sa divinité réelle. (op. cit.  p. 37)
Il ne faut avoir en vue dans la prière aucune chose particulière, à moins d’en avoir reçu surnaturellement l’inspiration. carDieu est l’être universel. Certes il descend dans le particulier. Il est descendu, il descend dans l’acte de la de la cration ; de même dans l’Incarnation, l’Eucharistie, l’Inspiration, etc. Mais c’est un mouvement descendant, jamais montant, un mouvement de Dieu, non de nous. Nous ne pouvons opérer une telle liaison qu’autant que Dieu nous la dicte. Notre rôle est d’être tournés vers l’universel. (…) Chaque créature parvenue à l’obéissance parfaite constitue un mode singulier, unique, irremplaçable de présence, de connaissance et d’opération de Dieu dans le monde. (op. cit. pp. 54 & 55)
La nécessité est essentiellement étrangère à l’imaginaire. Ce qui est réel dans la perception et la distingue du rêve, ce n’est aps les sensation, c’est la nécessité enveloppée dans ces sensations. «  Pourquoi ces choses et non pas d’autres ? – C’est ainsi. » Dans la vie spirituelle, l’illusion et la vérité se distinguentde la même manière. Ce qui est réel dans la perception et la distingue du rêve, ce n’est pas les sensations, c’est la nécessité. (…) Comment distingue-t-on l’imaginaire du réel dans le domaine spirituel ? il faut préférer l’enfer réel au paradis imaginaire. (…) L’humilité a pour objet d’abolir l’imaginaire dans le progrès spirituel. Aucun inconvénient à se croire beaucoup moins avancé qu’on n’est : la lumière n’en opère pas moins son effet, dont la source n’est pas dans l’opinion. Beaucoup à se croire plus avancé, car alors l’opinion a un effet. (…) Essayer d’aimer sans imaginer. Aimer l’apparence nue et sans interprétation. Ce qu’on aime alors est vraiment Dieu. (op. cit. pp. 60 & 61)
Parmi les êtres humains, on ne reconnaît pleinement l’existence que de ceux qu’on aime. L’esprit n’est forcé de croire à l’existence de rien (subjectivisme, idéalisme absolu, solipsisme, scepticisme : voir les Upanishads, les taoïstes et Platon, qui, tous, usent de cette attitude philosophique à titre de purufication). C’est pourquoi le seul organe de contact avec l’existence est l’acceptation, l'amour. C’est pourquoi beauté et réalité sont identiques. C’est pourquoi la joie et le sentiment de réalité sont identiques. (op. cit. p. 73)
Jamais à l’époque contemporaine, la philosophie n’a amené l’être humain aussi proche de la foi, mais elle ne produit pas la contemplation et elle ne renseigne en rien sur le contenu de celle-ci.
Une théorie de la contemplation, considérée comme union à Dieu, d’un point de vue purement philosophique, ne peut être pleinement satisfaisante à la raison. Car comment un homme peut-il arriver jusqu’à Dieu, si ce n’est en se dépassant lui-même ? Cela est-il possible ? Et, si c’est possible, peut-on dire que l’homme qui s’est dépassé est encore un homme et que Dieu, lorsqu’il est atteint, est encore trascendant ? La raison reste déconcertée et c’est normal. (René Arnou, in article sur La contemplation chez les anciens, dans le Dictionnaire de spiritualité, op.cit. p. 1742)

La science la plus positive peut faire saisir en quoi la contemplation met en œuvre les plus caractéristiques des facultés humaines et assure le mieux  la compréhension par l’homme de sa situation cosmologique, voire cosmogonique. Mais elle n’est pas, par elle-même, une contemplation, quoiqu’elle puisse aider le contemplatif, hors sa contemplation, à situer ce dont il bénéficie. Quel est l’environnement de la contemplation ? A quoi répond-elle dans la nature humaine, dans la vie psychique ?

Généticien et chirurgien, Alexis Carrel affirme qu’il s’agit dans cette vie de développer notre personnalité et atteindre les sommets de la vie – ce qui ne peut se faire qu’en suivant les lois de la physiologie et celles de la morale. Et la connaissance de l’esprit conduit à l’union de cet esprit avec celui de Dieu. L’esprit n’est nullement limité au corps ; et la suprême aventure est précisément cette libération du corps,même pendant la vie, pour atteindre le substratum du monde, qui est à la fois intelligence et amour (…)  La vie de l’homme trouve son sens dans ses relations non seulement avec les autres hommes, et avec la race, et avec le milieu cosmique, mais avec ce substratum de tout ce qui existe, lequel, chose étrange, est capable de s’intéresser à chacun de nous et de lui répondre. La prière et la grâce. (…). Le sens de la vie nous est donné par l’existence de ce monde et par l’expérience des mystiques. La vie est faite avant tout pour être vécue. En la vivant pleinement, nous satisfaisons les intentions de l’Etre qui l’a créée. (Alexis Carrel, op. cit. pp. 148 & 149)
Ce n’est pas la raison, mais le sentiment qui mène l’homme au sommet de sa destinée. L’esprit s’élève par la souffrance et le désir plus que par l’intelligence ; à un certain moment du voyage, il laisse derrière lui l’intelligence, dont le poids est trop lourd. Il se réduit à l’essence de l’âme, qui est amour. Seul, au milieu de cette nuit de la raison, il s’échappe du temps et de l’espace : et, par un processus que les grands mystiques eux-mêmes n’ont jamais été capables de décrire, il s’unit au substratum ineffable de toutes choses. Peut-être cette union à Dieu est-elle le but secret vers lequel tend l’individu dès l’instant où l’ovule fécondé comlmence sa division et sa croissance dans la paroi de l’utérus maternel. L’évolution spirituelle ne s’achève que chez très peu de gens, car elle demande un effort persistant de volonté, un certain état des tissus, le sens de l’héroïsme, la purification des sens et de l’intelligence, et d’autres conditions que nous connaissons mal ; en particulier, cette condition psycho-physiologique que l’Eglise appelle la Grâce. (Alexis Carrel, Réflexions sur la conduite de la vie, op. cit. p. 92)

La télépathie, la clairvoyance, nous montrent l’existence d’une certaine relation de nous-mêms avec d’autres esprits et les objets du monde cosmique. Les activités mentales sont probablement dûes à l’existence en dehors de nous d’autres activités mentales que nous ne pouvons déceler, car elles n’ont pas le moyen de se traduire à nos sens ; mais elles se manifestent directement à notre esprit, sous forme d’intuition, de grâce de Dieu. Dans l’univers,il y a parout une pensée analogue à la nôtre puisque nous pouvons la comprendre. Intelligence immanente et transcendante, dont nous participons, à laquellenous pouvons atteindre par certaines technique. La prière est une de ces techniques. Dans caque chose, il y a cette pensée créatrice qui se manifeste par les lois de la physique, par celles de la biologie, par notre activité esthétique, intellectuelle et mystique.(Alexis Carrel, Jour après jour, op.cit. p. 158

Prêtre, religieux et scientifique, Pierre Teilhard de Chardin affirme que : Si l’on réfléchit à quelle condition peut émerger dans le cœur humain ce nouvel amour universel, tant de fois rêvé en vain, mais cette fois enfin quittant es zones de l’utopie pour s’affirmer possible et nécessaire, on s’aperçoit de ceci : pour que les homme sur la Terre, sur toute la Terre, puissent arrivr à s’aimer, il n’est pas suffisant que, les uns et les autres, ils se reconnaissent les éléments d’un même quelque chose ; mais il faut que, en se « planétisant », ils aient conscience dedevenir, sans se confondre, un même quelqu’un. Car (et ceci est déjà en toutes lettres dans l’Evangile) il n’y a d’amour total que du et dans le personnel.
Qu’est-ce à dire que, en fin de compte, la planétisation de l’humanité suppose, pour s’opérer correctemt, en plus de la Terre qui se reserre, e plus de la pensée humaine qui s’organise et se condense, un troisième facteur encore : je veux dire la montée sur notre horizon intérieur de quelque centre cosmique psychique, de quelque pôle de conscience suprême, vers lequel convergent toutes les consciences élémentaires du monde, et en qui elles puissent s’aimer : la montée d’un Dieu. (Pierre Teilhard de Chardin, Hymne de l’Univers op. cit. pp.94-95)

Seigneur, c’est vous qui, par l’aiguillon imperceptible d’un charme sensible, avez pénétré dans mon cœur pour faire écouler sa vie en Vous. Vous êtes descendu en moi à la faveur d’une petite parcelle des Choses ; et puis, soudain, vous vous êtes déployé, à mes yeux, comme l’Universelle Existence…
L’intuition mystique fondamentale vient d’aboutir à la découverte d’une Unité supra-réelle, diffuse dans l’immensité du Monde.
Dans le milieu, à la fois divin et cosmique, où il n’avait d’abord aperçu qu’une simplification, et comme une spiritualisation, de l’Espace, le Voyant, fidèle à sa Lumière, voit se dessiner progressivement la Forme et les attributs d’un Elément ultime, en qui toute chose trouve sa Consistance définitive.
Et alors il commence à mesurer plus exactement les joies et l’urgence de la mystérieuse Présence à laquelle il s’est abandonné.(Pierre Teilhard deChardin, ibid.op. cit.p. 97)

Plaçant ces deux savants en exergue de ce qu’il présenta à la fin des années 1970 comme la synthèse de ses recherches, Jean E. Charon, physicien-théoricien,  expose que l’aboutissement du psychisme est donc un état de l’Univers porté par un peuple d’électrons pensants ou éons, dont les micro-univers possèderont une néguentropie qui sera allée continuellement tout au long de la vie « pulsatile » de l’Univers de la Matière.
Peut-on chercher à savoir, ou plutôt deviner, comment évoluera le psychisme universel entre l’époque actuelle et l’état terminal de l’Univers ?Nous l’avons dit, les électrons vont utiliser leurs propriétés « spiriuelels », qui sont à base d Réflexion, Connaissance, Amour et Acte ; avec comme »intention » d’accroître toujours plus leur néguentropie pour prendre mieux « conscience » de l’Univers et mieux préciser l’obectif final qu’ils souhaitent adopter.
(…) L’objectif actuel de ces sociétés paraît bien être de chercher à coommuniquer avec le milieu naturel extérieur, y compris les autres sociétés d’éons (…) afin d’accroître toujours plus la néguentropie des participants à la société, c’est-à-dire les éons. Ainsi, à travers des existences successives à l’intérieur deces sociétés d’éons où ils ont été acceptés pour la durée d’une vie, caque éon élève toujours un epu plus ses qualités spirituelles, son Esprit. L’ascension spirituelle a lieu sur le plan collectif en même temps que sur le plan individuel. Aucun « mélange » des qualités spirituelles ne se produit au cours d’un tél échauffement général de l’Esprit dans le monde ; chaque éon possède une histoire spirituelle personnelle, il demeure « lui-même », avec son propre passé, sa propre mémoire, différente de celle de son voisin. Et pourtant c’est toujours en unissant toujours plus sa « personne » à la personne de l’autre que monte le rythme d’acquisiyion de la néguentropie personnelle. C’est en devenant plus uni que l’éon devient plus lui-même. Le peuple des éons apparaît comme ayant su parfaitement réaliser cet objectif si recherché de « l’unité dans la diversité ».  (op. cit. pp.250-251)

J’ai expliqué la religion en termes de systèmes présents dans tout cerveau humain et qui font toutes de sortes de choses intéressantes et précieuses, sans être construits spécialement pour produire des concepts et des comportements religieux. Il n’existe pas d’instinct religieux, de penchant spécial de notre esprit, pas de disposition particulière pour ces concepts, pas de centre de la religion dans le cerveau, et les croyants ne sont pas différents des non-croyants en ce qui concerne leurs fonctions cognitives essentielles. Même la foi et la croyance sont apparemment de simples produits dérivés de la façon dont les concepts et inférences fonctionnent pour la religion, comme ils fonctionnent dans d’autres domaines. (…)
Ainsi avançons-nous dans la compréhension de la religion à mesure que nos connaissances des processus cognitifs se développent, mais aussi, àl’inverse à mesure que nous comprenonsmieux la propension humaine à entretenir des pensées religieuses. Et nous apprendrons bien des choses sur ces machines biologiques complexes que sont les cerveux en étudiant la façon dont elles donnent une demeure et un nom à ces « riens aériens » dont parlait Shakespeare. (Pascal Boyer, pp. 325-326 en conclusion)





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L’expérience : Thérèse d’Avila… Ignace de Loyola…

Le Dieu des philosophes reste naturel, origine plausible du créé, il offre en cadeau logique que l’humanité soit l’aboutissement de son œuvre et qu’à la fin-même de celle-ci, il y ait comme une communion cosmogonique. La contemplation chrétienne n’est pas visionnaire d’une fresque, elle est relationnelle et personnelle. Il y a donc autre chose. C’est bien d’autre chose qu’il s’agit.

Elle est un don, inreproductible. Elle est probablement l’expérience – extraordinaire – d’une irruption de l’éternité, de la totalité de l’être dans une conscience humaine qu’encagent le temps, la physiologie. Elle fait à proprement parler se perdre vis-à-vis de lui-même l’être humain qui en est gratifié, elle l’émancipe des conditionnements de sa culture, des circonstances-même du moment où elle est donnée, et pourtant elle n’ôte rien à la personnalité et aux constituants du contemplatif. L’homme s’éprouve sans raison, sans motif comblé par une situation dont il sait ineffablement l’origine, et c’est la prise de conscience de cette origine divine du bonheur et de la plénitude dont il est saisi qui, précisément, le transporte en action de grâces et le place vis-à-vis de son Créateur.

Cette forme de contemplation n’est pas assortie d’une vision qui pourrait être mémorisée ou se décrire ni non plus d’une sorte d’envoi en mission à titre de témoin ou d’acteur pourvu d’une expérience à transmettre. Elle est une situation où l’âme se trouve soudainement transportée. Cette âme sait où elle a été enlevée mais elle n’en sait ni la manière ni le moment selon la pérégrination et le temps humain : c’est une durée sans commencement et dont la fin n’est pas à redouter et ne sera pas douloureuse, désappropriante ou mutilante. A cette âme, à cet homme, à cette femme, peu importe qu’il n’y ait aucun repère humain. L’âme se trouve là où elle ressent qu’elle est au mieux, que c’est bien là qu’elle doit éternellement se trouver et que c’est sans doute de là qu’elle est venue. Elle est en Dieu et elle se sent au centre de l’humanité, de l’univers, de l’Histoire ; elle n’est ni subordonnée ni souveraine, elle est pleinement située, elle communie et elle se vit comme éminemment active et féconde. Elle s’aperçoit qu’elle loue le Créateur, qu’elle assemble en sa prière toutes les destinées de tous ses compagnons et compagnes de vie et de nature, et elle se retrouve soudain où elle était physiquement, l’instant d’avant, heureuse et reconnaissante de ce qu’elle vient de vivre, de cette nouvelle certitude de son identité et de sa nature spirituelles qui vient de lui être donnée. Pour la énième fois ou pour la toute première, ce qui ne change à aucun degré l’expérience. Les sens humains ont tous concouru à cette prise de conscience, au-delà de la jouissance, au-delà du savoureux, au-delà de toute connaissance, ils ont été accomplis davantage que subjugués. Avec ou sans son corps, écrit l’Apôtre.

Ce passage de l’extraordinaire dans une vie humaine peut se révéler fréquent. Sans qu’il soit l’objet d’une demande explicitement formulé dans l’intime de l’âme s’en venant à la prière, il est certainement le sceau suave, décisif et odorant que Dieu met non pour sceller une oraison, mais pour y ouvrir.

Les écrits évangéliques et la transcription par de nombreux saints de leur expérience en cette sorte-là de contemplation, permettent de caractériser ce qu’il y a de totalisant et de soudain dans cette grâce. Ils montrent surtout que la démarche scientifique, la quête philosophique, toutes les doctrines de vie intérieure parviennent ou même excellent à décrire la nécessité et le but de la contemplation mais échouent à vivre la contemplation, à vivre de contemplation…

Deux fondateurs, en particulier, ont lié l’institution ou la réforme de leur ordre religieux à une vocation toute personnelle, celle de l’union à Dieu.  En sorte que, recevant l’expression de la volonté de Dieu quant à ce qu’ils avaient à faire pour Sa gloire, ils en tirèrent – comme accessoirement – matière à une expérience transmissible, et qu’ils enseigneront. Fondant ainsi non seulement une institution mais une spiritualité. 

J’ai aussi compris du même Père Ignace qu’il vit lui-même dans la contemplation et qu’il trouve Dieu chaque fois qu’il s’adonne  l’oraison ; et qu’on ne devait pas observer une règle et un ordre déterminés, mais qu’on devait pratiquer l’oraison de diverses manières, chercher Dieu par des méditations diverses. Si on commence à partir de la dernière grâce reçue dans l’oraison, il n’a pas condamné cela, mais il a dit que c’était le propre des débutants. Au début de sa conversion, le Père Ignace était porté à parler avec des personnes spirituelles de ce qui lui était spirituellement révélé. Ensuite, ce désir le quitta, et il s’engagea dans une autre voie en sorte qu’il traitait seul à seul avec Dieu. (Jérôme Nadal, op. cit. p. 68)
La manière de lire l’Ecriture. Quelqu’un lisait l’Ecriture et nourrissait ses affections par la seule considération de l’histoire, sans faire aucune recherche, mais en contemplant, comme si elles étaient présentes, les choses qui sont écrites. Il en tirait souvent des fruits qui n’étaient pas petits, surtout quand il contemplait le Christ faisant des miracles pendant sa vie sur la terre. Cette manière de faire est très simple, de telle sorte que, lorsque nous ne pouvons pas facilement faire travailler notre intelligence, il soit possible d’y recourir commodément même au temps de la maladie. (Jérôme Nadal, op. cit. p. 69)

Quelqu’un, alors qu’il avait été auparavant désolé, pendant toiute la journée du 18 Juillet 1557 et pendant les deux ou trois jours qui suivirent, ressentit une si grande consolation et joie spirituelle ainsi que le sens de la Compagnie, surtout de la fin de la Compagnie et de la substance même de l’Institut, qu’il ne put exprimer ce qu’il ressentait, alors que des larmes le manifestaient. En outre, il ne put ressentir aucune difficulté dans cette affaire, ni concevoir le plus petit sentiment de crainte. En effet, s’il voulait fixer son esprit sur les difficultés, les dangers et les craintes, rien de ces choses ne pouvait lui venir à l’esprit, mais au contraire une luière et quelque chose de beau et de suave. Et lui apparaissaient quelque chose comme un édifice de marbre très beau et très blanc, dont on ne voyait nettement ni le début, ni la fin, ni la forme. Mais il sentait dans son cœur que cette troisième chose était cachée avec le Christ en Dieu, à qui soit une gloire infinie pour l’éternité. Le même reçut pendant ces deux jours de grandes lumières,l’une sur les activités divines, qu’il ne peut expliquer ; par cette lumière, cependant, il ressentit une si grande confirmation sur ce sujet qu’il lui semblait que lui était ouvert le don d’intelligence. De plus, il sait comment l’Eucharistie st à la fois nourriture de l’âme et union des fidèles entre eux, etc. De plus encore, il eut une connaissance plus claire de ses péchés, surtout en recevant une pénitence pour ceux-ci, pénitence qui lui semblait très douce. Bref, c’était là une grande et puissante lumière sur toutes choses. (Jérôme Nadal, op. cit. p. 127)

C’est ce même homme qui rédige, bien plus impératif et pratique qu’un traité, un manuel d’exercices, osant d’ailleurs les qualifier de spirituels, et admettant par conséquent l’objectivité et l’autonomie d’une forme ou d’un des aspects de la vie humaine. Le manuel s’adresse plus à un accompagnant qu’à un retraitant, d’une manière analogue à la divine institutions des sacrements qui dans l’Eglise sont administrés à des hommes par des hommes, on « donne les Exercices », on les « reçoit ». Et les conseils sont des plus concrets. Trois manières de prier. Règles pour sentir et reconnaître les diverses motions qui se produisent dans l’âme. Règles pour un plus grand discernement des esprits. Règle pour la distrubution des aumônes. Règle pour aider à sentir et à juger les scrupules. Règles pour avoir le sens vrai qui doit être le nôtre dans l’Eglise militante. (Ignace de Loyola, Exercices spirituels  op. cit. p. 230). La correspondance du directeur spirituel excelle à définir ces motions et à indiquer l’usage à en faire, qu’on les éprouve positivement ou qu’on en vive douloureusement le manque (Ignace de Loyola, Lettres, op. cit. p. 53). Il s’agit en principe de préparer et de disposer l’âme, pour écarter de soi tous les attachements désordonnées, puis, quand on les a écartés, chercher et trouver la volonté divine dans la disposition de sa vie, pour le bien de son âme, et si la spiritualité ignatienne passe pour une école de discernement et de liberté, pouvant rivaliser avec les « techniques » mentale et spirituelles les plus courues de notre époque, il apparaît vite que l’essentiel des recommandations est une invite, une aide à la contemplation. Deux facultés sont mises en œuvre : nous nous servons de l‘activté de l’intelligence pour penser et de celle de la volonté pour aimer. Remarquons donc que l’activité de la volonté, lorsque nous nous entretenons vocalement ou mentalement avec Dieu notre Seigneur ou avec ses saints, exige de notre part un plus grand respect que lorsque nous nous servons de l’intelligence pour comprendre. (Ignace de Loyola, Exercices spirituels  op. cit. p. 15)
On notera que, si l’on veut rester plus longtemps sur la Passion, il faut prendre dans chaque contemplation moins de mystères : dans la première contemplation, uniquement la Cène (…) et ainsi pour les autres contemplations et mystères. Egalement, une fois terminée la Passion, prendre pendant un jour entier la moitié de la Passion, le second jour l’autre moitié, et le troisième jour toute la Passion. Au contraire, si l’on veut passer plus vite sur la Passion, prendre la Cène, au matin le jardin, (…) De la sorte, en omettant les répétitions et l’application des sens, faire chaque cinq exercices différents, avec un mystère du Christ notre Seigneur en chacvun des exercices. Puis, ainsi achevée toute la Passion, on peut faire un autre jour tout l’ensemble de la Passion, en un ou plusieurs exercices, selon ce qui paraîtra pouvoir être profitable. (Ignace de Loyola, Exercices spirituels op. cit. p. 114)

Pour le traducteur français et également fils de saint Ignace, contempler n’est pas tant de fixer l’imagination pour qu’elle ne trouble pas la prière que de nous en servir pour passer du visible où s’exprime le mystère, à la réalité invisible. (Ignace de Loyola, ibid. op. cit. p. 43 – note 3). La contemplation est à proprement dire un exercice. Ainsi de celle pour obtenir l’amour. Elle est exposée comme une médication. L’amour est d’abord défini en remarques préalables. Puis deux préambules sont indiqués, composition du lieu. Demanderce ce que je veux. Suivent alors quatre points : 1° me remettre en mémoire… 2° regarder comment Dieu… 3° considérer comment Dieu… 4° regarder comment tous les biens et tous les dons (…) Puis terminer en réfléchissant en moi-même, comme il est indiqué. Terminer par un colloque et un Pater noster. Le traducteur ajoute en note. Le quatrième point de la contemplation nous fait entrer dans la pleine familiarité divine : nous trouvons Dieu en toutes choses et toutes choses en Dieu, unifiant ainsi notre prière et notre action. (Ignace de Loyola, ibid. op. cit. pp. 127 à 130). La méthode ignatienne forme autant les formateurs – généralement desreligieux jésuites – que les laïcs. Propre, particulièrement dans notre époque, à structurer ceux qui veulent vivre chrétiennement sans avoir cependant ressenti l’appel à un état de vie religieux ou à une vocation sacerdotale, elle apprend ce que peut être dans la vie quotidienne la contemplation, et elle fait passer de l’acquis à l’infus, en ce sens que l’ « exercitant » a acquis un certain « flair » le portant à reconnaître, ce qui en lui, vient de Dieu. Nous pouvons dès lors intégrer nos vœux les plus profonds : désirs pur nous-mêmes et nos proches, souhaits pour la société et le monde où Fdieu nous a placés, aspiration enfin vers Dieu. La spiritualité ignatienne nous permet ainsi de progresser vers une unité plus profonde de la prière et de la vie, de changer et de croître à la lumière de l’évangile et sous la direction forte et créatrice de l’Esprit de Dieu à l’œuvre dans l’existence de chaque jour. (David Lonsdale, op. cit. p. 203).  C’est bien l’existence réconciliée. (titre de Pierre-Jean Labarrière, op. cit.). A tel point que les « Exercices » deviennent à leur tour la trame la plus appropriée, la dialectique toujours retrouvée de toute retraite, de toute lecture, de toute halte spirituelles, qu’ils sont vraiment une école de contemplation (ce dont témoigne l’entier de l’œuvre de Jean Laplace, fêtant en 2002 le jubilé de cinquante ans d’un ministère uniquement consacré à « donner les Exercices »). Car l’expérience ignatienne montre enfin que le retraitant crée lui-même une ligne d’interprêtation qui lui est propre et qui va constituer son originalité. (…) En même temps que le retraitant s’approprie le texte de saint Ignace, en le reconstruisant dans son propre cheminement, il fait apparaître, à travers les Exercices, des lignes de croissance spirituelle, ou plutôt une ligne qui est la sienne, parmi d’autres qui se dessinent mais sont spontanéament ou explicitement écartées. D’un stade à l’autre, d’une méditation à l’autre, d’une motion à l’autre, le retraitant retient une indication, une suggestion ; il garde du texte (sans que ce soit l’objet d’un choix délibéré) ce qui lui révèle à lui-même sa tendance, sa manière d’être, les conditions de sa réponse à la grâce. (Maurice Giuliani, op. cit. p. 195).

Quelle avait été l’expérience initiale d’Ignace ?

En ce temps-là, Dieu le traitait de la même manière qu’un maître d’école traite un enfant,savoir : en l’enseignant. Etait-ce bien à cause de sa rudesse et de son esprit grossier ou bien poarce qu’il n’avait personne qui l’enseignât ou à cause de la ferme volonté que Dieu même lui avait donnée pour le servir, - en tout cas il jugeait clairement, et toujours il a jugé, que Dieu le traitait en effet de cette manière-là et, bien mieux, s’il en doutait, il penserait offenser la Divine Majesté. On peut voir de tout cela un témoignage dans les cinq points qui vont suivre.
Premier point. Il avait beaucoup de dévotion envers la Très Sainte Trinité et chaque jour il faisait oraison aux trois Personnes, chacune priuse à part. Ert comme il priait aussi la Très Sainte Trinité dans son ensemble il lui venait une réflexion : comment ? Il faisait qutre oraisons à la Trinité ? Mais cette réflexion lui donnait peu de souci ou même aucun, tyelle une chose de peu d’importance. Et comme un jour il priait sur les marches de ce même monastère (de Saint Dominique), récitant les heures de Notre-Dame, son entendement se mit à s’élever, comme s’il voyait la Sainte Trinité sous la figure de trois touches d’orgue – et cela avec tant de larmes et tant de sanglots qu’il ne pouvait se mouvoir. Il prit part ce matin-là à une procession qui sortait du monastère et il ne put retenir ses larmes jusqu’au repas. Après avoir mangé, ilo ne pouvait plus parler d’autre chose que de la Sainte Trinité, à l’aide de comparaisons nombreuses et très diverses et avec beraucoup de joie et de consolation. Si bien que pendant touite sa vie, il lui erst resté cette iompression de sentir une très grtande dévotion toutes les fois qiu’il faisait son oraison  à la Très Sainte Trinité.
Second point. Une fois devint présente à son entendement, non sans une grande joie spirituelle la manière dont Dieu avait créé le monde. Il lui sembla voir une chose blanche d’où sortaient des rayons et avec laquelle Dieu faisait de la lumière. Mais ces choses il ne savait pas les expliquer et il ne se souvenait pas non plus tout à fait bien des connaissances spirituelles qu’en ce temps-là Dieu imprimait dans son âme.
Troisième point. Toujours à Manrèse, où il se trouvait depuis une année environ, après avoir commencé  d’être consolé par Dieu (…) et alors, comme il se trouvait dans cette bourgade, à l’église du monastère, et qu’il entendait dire la messe, un jour, il vit avec les yeux intérieurs, à l’élévation du Corpus Domini, certains rayons blancs qui venaient d’en haut. Et quoiqu’il ne puisse bien expliquer, après tant de tempps écoulé, cette vision, cependant, ce qu’il perçut avec clarté dans son entendement, ce fut la manière dont se trouvait dans ce très saint Sacrement, Jésus-Christ, notre Seigneur.
Quatrième point. A de nombreuses reprises et chaque fois pendant longtemps, il vit avec les yeux intérieurs, tandis qu’il se tenait en oraison, l’humanité du Christ. L’image qui lui apparaissait était comme un corps tout blanc ni très grand ni très petit mais dont il ne distinguait pas les membrers. Cela, il le vit à Manrèse beaucoup de fois : s’il disait vingt ou quarante il n’oserait pas juger que ce serait faux. Une autre fois il le vcit en étant à Jérusalem et une autre fois en allant à Padoue. Il vit également Notre-Dame sous une forme analogue mais sans distinguer non plus de parties dans cette forme. Toutes ces choses qu’il aperçut le raffermirent alors et lui donnèrent une si grande confirmation dans la foi que souvfent il se dit, au fond de soi : même s’il n’y avait pas l’écriture pour nous enseigner ces choses de la foi, il se déciderait s’il le fallait, à mourir pour elles, et seulement à cause de ce qu’il avait vu.
Cinquième point. (Ignace de Loyola, Autobiographie op. cit. pp.73 à 75)  L’illumination du Cardoner voir notice sur Ignace de Loyola par SAVIN s.j..

L’expérience de Thérèse d’Avila se distingue à deux points de vue de celle d’Ignace. Elle ne se situe pas à l’orée d’une conversion, elle-même vécue relativement en début de vie, et elle porte à la défiance, à la sollicitation du conseil de tiers, celle qui en bénéficie. Mais elle a la même consonnance trinitaire que celle du fondateur des Jésuites, elle témoigne aussi de ce qu’avait naguère enseigné un autre grand réformateur, Bernard de Citeaux : Puisque ses voies sont aussi impénétrables, tu te demandes sans doute comment j’ai savoir qu’il était présent (…). Dès qu’il est entré, il a réveillé mon âme (…). Jamais il ne fit connaître son entrée par quelque indice ou par quelque démarche qui frappât mes sens (…) Ce fut seulement par le mouvement du cœur que je reconnus sa présence. (Bernard de Fontaines, cité par Jean Gouvernaire, op. cit. p. 23).

Je vois clairement que les Personnes sont distinctes, comme je vis hier Votre Gtrâce et le Provincial quand vous parliez ensemble, sauf que je n’en voie rien ; je n’entends rien non plus, comme je l’ai dit à Votre Grâce, mais j’ai une extraordinaire certitude de cette présence que les yeux de l’âme ne voient même pas, et si elle s’éloigne, j’ai le sentiment de son absence. Comment, je l’ignore mais je sais fort bien que ce n’est pas de l’imagination ; j’ai beau, plus tard, tout faire pour la retrouver, çà m’est impossible, et pourtant j’ai essayé ; il en est de même de tout ce que je dis ici, à ce que je sais, et cela dure depuis tant d’années que je puis dire avec assurance ce que j’ai vu. (Thérèse d’Avila, op. cit. pp. 864 & 865)

C’est d’abord en réformatrice, en fondatrice, en responsable d’institutions que Thérèse d’Avila enseigne ses filles. Mais elle produit son expérience personnelle ; en somme, elle restaure la prière contemplative dans la vie monastique.
Ici l’oraison est le principal exercice, et, comme je l’ai dit, il vous sera très utile de chercher à comprendre comment, et avec quelle persvérance, vous devez vous exercer à l’humilité, si nécessaire à toutes les personnes qui s’exercent à l’oraison, dont elle est une partie importante. Comment celui qui est vraiment pourra-t-il penser qu’il vaut bien ceux qui atteignent à la contemplation ? Il admettra, oui, que Dieu l’y conduira dans sa bonté et sa miséricorde ; mais je lui conseille, qu’il se mette toujours à la dernière place, comme le Seigneur nous l’a enseigné par ses paroles et par ses actes. Qu’il soit prêt, au cas où Dieu voudrait le conduite dans cette voie ; sinon, voici en quoi l’humilité est utile : cette âme trouvera sa joie à servir les servantes di Seigneur et à Le louer ; car alors qu’elle mériterait d’être la servante du démon en enfer Sa Majesté l’a introduite en leur compagnie.
(…)Dieu ne nous conduit pas toutes par le même chemin, il se peut même, d’aventure, que celui qui semble le plus soit le plus haut aqux yeux du Seigneur ; dans cette maison, donc où toutes recherchent l’oraison, il ne s’ensuit pas que toutes doivent être des contemplatives. C’est impossible, et celle qui ne l’est pas sera au désespoir si elle ne comprend pas cette vérité : c’est là un don deDieu ; et puisque ce n’est pas nécessaire à notre salut, et qu’Il ne l’exige pas de nous par- dessus tout le reste, elle ne doit point imaginer qu’on le demandera d’elle ; elle n’en sera pas moins parfaite, si elle fait ce que j’ai dit ; son mérite en sera peut-être accru, car elle se donnera plus de mal ; le Seigneur la traite en personne forte et réserve les jouissances qu’elle n’a pas ici-bas pour les lui donner toutes ensemble. Qu’elle ne flanche point, qu’elle n’abandonne pas l’oraison, qu’elle ne manque pas de tout faire comme les autres, car le Seigneur vient parfois sur le tard, il paie alors tout à la fois, et si bien, qu’il donne autant qu’aux autres en de nombreuses années.
J’ai passé plus de quatorze ans sans même pouvoir méditer autrement qu’avec un livre. Bien des persnnes, sans doute, en sont là, d’autres ne parviennent même pas à méditer une lecture, elles ne prient que vocalement. C’est le seul moyen de soutenir leur attention. Il est des pensées si vives qu’elles ne peuvent se fixer, toujours agitées, à tel point que si elles veulent s’arrêter sur Dieu, elles s’égarent en mille sottises, scrupules et doutes. Je connais une bien vieille personne, de fort bonne vie, pénitente, grande servante de Dieu, qui passe de nombreuses heures depuis de longues années à prier vocalement ; quant à la prière mentale, rien à faire ; au mieux a-t-elle réussi, peu à peu, à être attentive à ses prières vocales. Ces personnes-là sont fort nombreuses, et si elles sont humbles, je ne crois pas qu’elles soient à la fin les plus mal partagées, leur lot vaut bien les plus vifs plaisirs, et il est souvent plus  sûr ; car nous ne savons pas si les plaisirs viennent de Dieu ou du démon. S’ils ne viennent pas de Dieu, ils nous exposent à de plus grands dangers, car le démon travaille à nous inspirer de l’orgueil ; s’ils viennent de Dieu, il n’y a rien à craindre, ils apportent avec eux l’humilité, comme je l’ai écrit très longument dans l’autre livre. (Thérèse d’Avila, op. cit. pp. 418 & 419)

Le Seigneur vous élève à la contemplation parfaite. Sa Majesté monre ainsi qu’elle entend qui lui parle, et Sa Grandeur lui parle à son tour, en suspndant son entendement et en arrêtant sa pensée ; Elle cueille, si on peut dire, les mots sur ses lèvres, car malgré qu’on le veuille on ne peut plus parler, si ce n’est avec beaucoup d’efforts. L’âme comprend que ce Maître Divin l’instruit sans bruit de paroles, suspendant les puissances, qui feraient plus de mal que de bien si elles agissaient. Lle jouit sans savoir comment elle jouit ; embrasée d’amour, l’âme ne sait comment elle aime ; elle sait qu’elle jouit dece qu’elle aime, et ne sait comment elle en jouit. Elle comprend bien que cette jouissance est telle que l’entendement ne saurait la désirer, elle l’enflamme d’amour sans qu’ellesache comment ; mais dès qu’elle peut comprendre quelque chose, elle voit que ce bien-là ne peut se mériter  sur terre même si on endurait toutes les épreuves possibles à la fois. C’est un don du Maître de la terre et du ciel, enfin, un don digne de Lui : voilà,mes filles, ce qu’est la contemplation parfaite.
Vous comprendrez maintenant en quoi elle diffère de l’oraison mentale, qui consiste en ce que je vous ai dit : penser à ce que nous dfisons, le comprendre, comprendre à qui nous parlons, et qui est celle qui oose ainsi parler à un si grand Seigneur (…) Dans ces deux formes d’oraison nous pouvons quelque chose, avec la grâce de Dieu. Dans la contemplation dont je viens de vous parler, nous ne pouvons rien ; c’est Sa Majesté qui fait tout, c’est son œuvre, elle surpasse notre nature.  (Thérèse d’Avila, op. cit. pp. 450 & 451)

Ce n’est pourtant qu’à soixante-sept ans que Thérèse d’Avila a la vision et reçoit la grâce du mariage spirituel. D’une certaine manière, l’expérience fondatrice est chez la Carmélite postérieure à tout son itinéraire, qu’elle semble sceller et authentifier rétrospectivement, tandis que celle d’Ignace lui avait été donnée en ouverture : jusqu’à la vingt-sixième année de sa vie, il fut adonné aux vanités du monbde et principalement il se délectait dans l’exercice des armes avec un grand et vain désir de gagner de l’honneur. (Ignace de Loyola, Autobiographie op. cit., p. 43).

Jean de la Croix rompit l’hostie pour en donner une partie à une autre sœur,Je pensai que ce n’était pas faute d’hosties, mais pour me mortifier : je lui avaius dit beaucoup aimer les grandes hosties, quoique sachant bien que le Seigneur est tout entier dans la moindre parcelle. Sa Majesté me doit : « Ne crains rien, ma fille, nul ne pourra te séparer de moi ». Il me fit entendre que cela n’importait point.
Alors il m’apparut en vision imaginaire, ainsi qu’il l’avait déjà fait, mais au plus profond de moi-même. Il me donna sa main droite, et me dit : « regarde ce clou : c’est la marque que dès aujourd’hui tu seras mon épouse. Jusqu’ici tu n’avais pas encore mértité de l’être ; désormais tu veilleras sur mon honneur non seulement parce que je suis ton Créateur et ton Roi, mais en tant que mon éposue véritable. Mon honneur est tien, ton honneur est mien. « 
Cette grâce agit si puissamment que je restai hors de moi-même. J’étais comme égarée, je demandai au Seigneur de dilater bma petitesse, ou de ne point mle faire une si immense faveur, ma faiblesse naturelle ne pouvait la supporter. Je opassai cette journée dans l’enivrement. Il en est résulté depuis de grands bienfaits, mais aussi un accroissement de confusion et d’affliction, car je ne sers pas autant que je devrais le faire après avoir reçu une si grande grâce.(Thérèse d’Avila, citée par sa biographe Marcelle Auclair, op. cit.  pp. 207 & 208)



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Limites de l’analogie entre pulsions amoureuses humaines et contemplation


Thérèse d’Avila et Ignace de Loyola ne sont pas les seuls à rendre compte d’un état mystique. Deux siècles auparavant, plusieurs autres aspects du transport amoureux dans la contemplation, est donné par  Richard Rolle de Hampole.

J’étais assis dans une chapelle et tandis que j’éprouvais une joie intense dans la douceur de la prière ou méditation, je sentis soudainement en moi une chaleur inaccoutumée et joyeuse. Bien que d’abord je doutais d’où elle venait, j’éprouvais assez longuement qu’elle n’était pas de la créature, mais du Créateur, parce que plus fervente et plus joyeuse. Cette chaleur brûlante, sensible et douce au-delà de toute expression brûla jusqu’à  l’infusion et la perception d’un son céleste ou spirituel qui avait quelque chose d’un cantique d’éternelle louange et de la suavité d’une invisible mélodie que seul peut connaître et entendre celui qui la perçoit – purifié qu’il doit être et séparé de cette terre ; elle me submergea pendant un an, trois mois et quelques semaines… Ma pensée ne cessait de se transformer en mélodie et c’était comme un merveilleux chant que j’avais dans ma méditation et je disais mes prières et mes psaumes dans la même musique. J’éclatais intérieurement en chantant ce chant dont j’ai précédemment parlé, tant déferlait la suavité, mais secrètement devant mon Créateur. Ceux qui me voyaient n’en savaient rien, car s’ils l’avaient su, ils m’auraient loué au-delà de toute mesure et j’aurais ainsi perdu une partie de cette fleur si belle. J’étais stupéfait d’avoir été amené à une telle joie, moi être de l’exil, et parce que Dieu m’avait fait des dons que je n’étais même pas capable de demander et dont je ne pensais pas qu’ils puissent être faits à quiconque, même au plus saint en cette vie. C’est ce qui me fait penser que cela n’est jamais accordé aux mérites, mais gratuitement à qui le Christ veut le donner.Je crois pourtant que personne ne le recevra s’il n’aime spécialement le nom de Jésus et aussi s’il ne l’honore si hautement que jamais il ne permette que ce nom s’efface de sa mémoire, sauf durant le sommeil… (Richard Rolle de Hampole, chapitre XV de l’Incendium amoris  in op. cit. pp.  572 à 590)

J’étais plus étonné que je ne saurais dire, quand je sentis que mon cœur s’échauffait, de la manièredont cette ardeur avait jailli dans mon âme, n’ayant pas l’expérience d’une consolation si inhabituelle ; je tâtais souvent ma poitrine pour voir si cette chaleurne venait pas d’une cause extérieure. Et quand j’eus réalisé que cet incendie d’amour flambait de l’intérieur et non de mon corps et du désir dans lequel je me trouvais, qu’il était en fait un don du Créateur, je me liquéfiai dans la joie et dans le sentiment d’une plus grande dilection…Avant que cette chaleur consolante m’ait envahi,pleine de douceur et dedévotion, ej n’aurais jamais pensé qu’une si grande ardeur pût advenir à quelque vivant, exilé ici-bas, car elle enflammait mon âmecomme si c’était le feu matériel qui brûlait. Ce n’était pas comme certains disent que quelqu’un brûle de l’amour du Christ parce qu’ils le voient saisi par le zèle du service de Dieu et le mépris du monde. C’était juste comme si vous mettiez votre doigt dans le feu : on subit une brûlure sensible… Qui donc vivant en ce corps mortel pourrait continuellement supporter cet extrême degré de chaleur ? (Richard Rolle de Hampole, début de l’Incendium amoris ibid.)

On peut donc penser que bien des types de comparaisons et d’images, faisant appel à chacun des sens dans leur acception habituelle, sont loisibles et n’épuisent pas le tout de l’expérience mystique. Leur point commun reste l’analogie avec l’amour humain, et plus précisément charnel, émotif, sensible, sensuel. Ce qui peut tromper. Les nonnettes de l’Incarnation avaient grand besoin de sublimer ainsi leur conception de l’amour. Elles avaient, au début, fort agacé la Madre par leurs ricanements niais de filles mûres demeurées dans l’âge ingrat : «  Je me rappelle avoiur entendu un admirable sermon sur ces délectations de l’Epouse qui traite avec Dieu ; il y eut tant de rires et ce que dit le prédicateur fut si mal pris, parce qu’il parlait de l’amour, que j’en fus épouvantée. » (Thérèse d’Avila, op. cit. p. p. 207 & 208).

La philosophie est un effort de l’intelligence pour rendre compte d’autre chose que d’elle-même. L’intelligence connaît-elle d’ailleurs ses limites ? Elle ne peut ls connaître qu’en s’exerçant. Or la contemplation de l’Absolu a pour effet, plus que tout autre, de paraluser l’homme et de lui rendre non seulement inexplicable mais étranger le monde où il est condamné à vivre. Elle fait osciller l’homme entre une ivresse mystique qui le rend incapable d’agir et un fatalisme qui l’en dégoûte d’avance. L’ivresse mystique est un phénomène bien connu qui s’empare de l’homme chaque fois que celui-ci pense avec assez de force l’Absolu en dehors duquel rien n’existe. Ce n’est pas toujours de l’Esprit pur qu’il s’agit ou du Dieu personnel. Au contraire, ilentre un élément sensible – ne serait-ce que par allégorie – dans l’Absolu tel qu’il est glorifié. Cette ivresse ne peut pas rester uniquement spirituelle – elle devient facilement sensuelle ; elle aspire à travers un signe, un symbole, à toucher une réalité plus proche que cet Absolu incomparable qui recule àmesure qu’on voudrait se perdre en Lui. Aussi le glissement de la Vénus céleste à la Vénus terrestre – inverse de celui que souhaitaient les Platoniciens – s’est-il souvent produit dans l’histoire des philosophies et des religions les plus éprises d’absolu.  (Jean Grenier, op.cit. pp. 71 & 72)


Le Cantique des Cantiques est considéré comme la perle de l’Ancien Testament, sa dénomination est un superlatif voulu (le commentaire le plus accessible demeure celui de Blaise Arminjon, op. cit.). L’union de l’âme à Dieu, de l’Eglise au Christ a pour parabole le poème de la chair, du désir, de ses supens et de ses satisfactions. Poser que Dieu est personne impose la comparaison et donne la note. L’Islam est en cela semblable au christianisme quand celui-ci s’approprie le texte attribué à Salomon.

Abu Nasr Abdallah b. Abi al-Sarraj al-Tusi, vivant au IVèmesiècle de l’Hégire dit que l’état d’amour divin apparaît chez le serviteur de Dieu lorsque celui-ci constate avec ses yeux les bienfaits dont Dieu l’a comblé ; qu’il prenne conscience dans son cœur de la proximité de Dieu, de l’intérêt qu’Il lui porte et de laprotection dont Il le fait bénéficier. Cet amour apparaît également lorsque le serviteur voit sa foi et par sa réelle conviction, l’attention et la guidance dont Dieu a fait preuve à son égard ainsi que la valeur de l’amour de Dieu pour lui ; aoors, à son tour, il aimera Dieu. Celui qui fut surnommé «  le paon des pauvres » distingue trois états dans l’amour (Joseph Elie Kahale, op. cit.p. 17). Le premier état est celui de l’amour général qui naît de la grâce de Dieu et de sa miséricorde envers le serviteur. Le deuxième état naît du sentiment du cœur face à la richesse de Dieu, à sa majesté, à sa grandeur, à sa science et à sa puissance. C’est amour est celui des serviteurs sincères et des soufis accomplis. Le troisième état de l’amour est celui des sincères et des gnostiques ; il naît de leur vision et de leur connaissance de l’amour onotologique deDieu sans défaut ; alors ils l’aiment sans résistance. Son cadet ‘Abd al-Rahman al-Sullami enseigne que l’amour divin est l’absence de distinction. L’amour est dit « amour » parce qu’il efface toute trace et n’est relié à aucun état. L’amoureux est celui dont l’essence est absorbée par l’amour divin et celui dont les attirbuts sont anéanti. Lorsqu’il envahit par sa flamme l’être, l’amour divin met celui-ci à nu, l’annéantit et le détourne de ce tout ce qui n’est pas l’amant. L’amour divin rend l’amoureux muet, incapable d’informer les autres de son état, ni de décrire son état. Notre contemporain, syrien d’Alep, ‘Abd al-Qadir ‘Isa, énumère dix causes de l’amour, autant de signes de l’amour et enfin, résumant l’enseignement des soufis, évoque dix rangs de l’amour. (Ibid. pp. 19 & 25).

La mystique chrétienne, à peu près à la même époque, au XIIème siècle aux Pays-Bas et en Brabant, ne s’exprime pas très différemment.

. . . si vous croyez de tout votre cœur que je suis aimée de Dieu et qu’il accomplit son œuvre en moi, secrète ou manifeste, et qu’il y renouvelle les merveilles d’autrefois, vous devez reconnaître en toute chose son opération, sans vous étonner que je sois pour les étrangers sujet d’étonnement et d’épouvante. Ils ne peuvent vivre en effet dans le domaine de l’amour car ils ne connaissent ni sa venue ni son déaprt. J’ai d’ailleurs pris très peu part aux mœurs des hommes, dans le manger, le boire ou le sommeil, je ne me suis ourvue ni d’habits, ni de couleurs, ni de parures à leur façon. Et de tout ce qui peut réjouir un cœur humain, de ce qu’il peut recevoir ou prendre, jamais je n’eus plaisir, mais seulement par brefs instants, de l’Amour qui vainc toute chose.
Ma raison illuminée, qui dès la première révélation de Dieu en elle-même a été mon guide, m’a montré ce qui manquait à ma perfection comme à celle des autres ; cette raison illuminée depuis son éveil m’a désigné une place, m’a conduite vers le lioeu où je dois jouir de mon Bien-Aimé, selon la noblesse de mon dépassement, dans l’unité.
Ce lieu de l’amour, que la raison illuminée m’a montré, est tellement au-dessus de toute pensée humaine que j’ai compris ne plus devoir jamais goûter bonheur ni peine en chose grande ou petite, sinon seulement en ceci : : que j’étais créature humaine et que j’éprouvais l’Amour – que je l’éprouvais dans mon cœur en aimant, mais sans pouvoir l’atteindre en sa Déité, sinon dans la privation de toute fruition.
Ce désir sans jouissance de la jouissance d’amour, que l’amour m’a inspiré sans cesse, a été mon tourment et ma blessure, dans la poitrine et dans le cœur, in armariolo et in antisma. Armariolo désigne l’artère du cœur la plus intérieure, avec laquelle on aime, et l’antisma est le plus intérieur des esprits par lesquels nous vivons, celui qui éprouve les plus profondes passions.
J’ai pourtant vécu avec les hommes en toutes les œuvres que je pouvais accomplir à leur service. Ils m’ont trouvée toujours prête en leurs nécessités, mais je regrette qu’on ait rendu ceci public. Vraiment, je fus avec eux en toute chose, deopuis que Dieu m’a fait goûter le tout de l’Amour, j’ai ressenti aussi les besoins de chaque créature humaine, selon son état. Avec sa Chariuté, j’ai senti et voué à chacun l’affection dont il avait besoin. Avec sa Sagesse, j’ai éorouvé sa miséricorde et j’ai compris combien il faut pardonner aux hommes,  comme ils tombent et se relèvent, comme Dieu donne et reprend, comme il frappe et guérit et se donne lui-même en tout cela gratuitement. Avec sa Sublimité, j’ai ressenti les fautes de tous ceux que j’ai entendu nommer ou que j’ai vus. Et c’est pourquoi j’ai toujours porté depuis lors avec Dieu les justes jugements, selon le fond de sa vérité, sur nous tous. Avec son Unité dans l’Amour enfin, j’ai toujours éprouvé depuis lors la perte bienheureuse (de moi-même) dans la fruition d’amour, ou la souffrance d’en être privée, et j’ai connu les voies du juste amour, les œuvres qu’il accomplit en Dieu et dans les hommes..
J’ai vécu selon tous ces états dans l’amour et j’ai agi avec justice envers les hommes, si gravement qu’ils me fissent tort. Mais si je possède toiut ceci dans l’amour par mon être éternel, je ne le possède pas encore dans la fruition en mon être propre. Et je reste créature humaine, qui doit souffruir en aimant avec le Christ jusqu’à la mort. Car celui qui vit dans l’amour éprouvera le mépris des étrangers jusqu’à ce que la Charité, croissaqnt en nous dans la plénitude de ses vertus, entre en la pure possession d’ellee-même, et que l’homme soit enfin un avec l’Amour. (Hadewicjch  - Lettres spirituelles in op. cit pp. 213 à 216 - active littérairement 1220 à 1240 et attestée par Jan van Leeuwen, cuisinier de Groenendal, dirigé par Ruusbroec au XIVème siècle)

La première manière est un désir actif de l’amour qui doit régner dans le cœur longtemps avant de vaincre tout obstacle…
Une autre manière d’amour est en ceci parfois que l’âme veut aimer de façon toute gratuite…
Pour la troisième manière d’aimer, l’âme de bonne volonté y passe par de grandes peines, car elle veut à tout prix contenter l’Amour et le satisfaire en tout honneur, en tout service, en toute obéissance d’amour…
Dans la quatrième manière d’amour, Notre Seigneur fait goûter à l’âme tour à tour de grands délices et de grandes peines…
Dans la cinquième manière, il arrive parfois que l’amour s’élève dans l’âme en tempête, avec grand bruit et excès délicieux en sorte que le cœur semble devoir se briser et l’âme sortir d’elle-même dans l’acte de l’amour et de la fruition…
En la sixième manière, lors que la Fiancée de Notre-Seigneur est plus haut et plus avant dans la piété, elle éprouve encore une autre forme de l’amour avec connaissance plus intime et plus élevée. Elle sent que l’amour a triomphé de ses défauts, qu’il domine ses sens, qu’il orne sa nature, qu’il dilate et exalte son être. Elle est maîtresse d’elle-même à présent et ne trouve plus de résistance…
L’âme bienheureuse connaît encore … La septième étape est le condensé des six premières et leur maintien dans la stabilité d’une vie accomplie. (Béatrice de Nazareth  Sept degrés d’amour in op. cit. pp. 233 à 249 passimcistercienne, née vers 1200 à Tirlemont, morte à Nazareth en Brabant en 1268 ) .

Ces degrés ou ces étapes dans l’amour divin sont légitimement très voisines d’une « carte du tendre », en tout cas ils rendent compte d’une communauté de vocabulaire que l’amant soit divin ou humain. Ce que dans la bouche d’Osée, malheureux en amour, Dieu met de prévenance, de tendresse et de passion pour une femme figurant le peuple choisi, ce que la tradition reconnaît de divin dans les échanges du Cantique des cantiques, légitiment que de l’érotisme à la mystique, il n’y ait, dans les mots, que peu ou pas de différence. Pour que l’énumération des qualités du corps féminin ne tombe ni dans le scabreux ni dans l’indécence anatomique il faut bien qu’elle soit soutenue par une langue érotique d’une exceptionnelle abondance métaphorique. Cette langue est une langue de célébration et de cantique. Elle implique une attitude d’adoration. (…) Mais l’idolâtrie païenne que voue Apollinaire au coprs de Lou ou de Madeleine est tout imprégnée de poésie biblique, au moins dans son langage. (…) C’est parce qu’il est nourri d’images que l’éternel dialogue de l’Epoux et de l’Epouse dans ce qu’il a de plus intime atteint à une exceptionnelle ivresse de langage. Cette ivresse revêt parfois un caractère authentiquement mystique, et Apollinaire ne le dissimule pas, lorsqu’il chante : Et justement un ver luisant palpite sous l’étoile nommée Lou et c’estde mon amour le corps spisituel et terrestre et l’âme mystique et céleste, ou lorsqu’il écrit : J’adore ta toison qui est le parfait triangle de la Divinité, mais justement comme l’exprimele début de cette suite de vers, c’est une conscience « adorante » qui s’y révèle surtout. Quad Guillaume clame ailleurs avec un élan d’une extraordinaire beauté : Je t’adore mon Lou et par moi tout t’adore, ou : Mon Lou je veux te reparler maintenant de l’Amour, il monte dans lon cœur comme le soleil sur le jour, il est certain que son chant d’amour a la force jaillissante d’une oraison. L’adoration n’est en fait ici que de ce don qu’Apollinaire possédait au plus haut degré et qui devait lui valoir d’emblée l’admiration des surréalistes : le don d’émerveillement. (Raymond Jean, op. cit. pp. 124 & 125).

Réciproquement, dans son Carmel de Lisieux, Thérèse peut essayer d’expliquer que que c’est qu’être attiré, ou, très précisément, « demander d’être attiré » : « Qu’est-ce donc de demander d’être attiré, sinon de s’unir d’une manière intime à l’objet qui captive le cœur ? (…) Si le feu et le fer avaient la raison et que ce denier disait à l’autre : Attire-moi, ne prouverait-il pas qu’il désire s’identifier au feu de manière qu’il le pénètre et l’imbibe de sa brûlante substance et ne semble faire qu’un avec lui ? » Ele conclut : « Mère bien aimée, voici ma prière, je demande à Jésus de m’attirer dans ls flammes de son amour, de m’unir si étroitement à Lui, qu’il vive et agisse en moi. » Au moment le plus fort de son désir d’être unie, par Jésus lui-même, leplus étroitement à Lui, Thérèse garde raison spirituelle ; elle ne parle pas de fusion ; aucune trace chez elle du panthéisme où beaucoup d’âmes religieuses plongent. (…) Les mystiques qui ont eu recours au Cantique des cantiques, qui est d’abord un chant d’amour profane, ont employé avant Téhrèse cette même comparaison. Pourquoi faudrait-il en rougir ? La littérature, y compris érotique, peut nous aider à saisir ce qui se passe dans les profondeurs de la vie mystique, dans ces cœurs d’amoureux comme Thérèse. Au point où elle en est arrivée, elle dit clairement : « Je sens bien que je n’ai rien à craindre, maintenant. » (…) On pourrait penser qu’il y a à craindre deceFeu qui va vous emporter, craindre d’être totalement pris et saisi par lui ; le mystique comme celui qui est possédé par l’amour physique, n’a plus aucune crainte, au contraire. On l’a vu : sœur Geneviève (sa sœur Céline) dit de Thérèse qu’elle est malade d’amour ; son autre sœur, Marie du Sacré Cœur, recevant de Thérèse son texte du 8 Septembre1896, ne sait plus que dire pour exprimer, le 17 Septebre, son sentiment après avoir lu ces « pages brûlantes d’amour pour Jésus », « ces lignes qui ne sont pas de la terre mais un écho du Cœur de Dieu ». Elle trouve alors cette comparaison qui semble chez elle un sommet : «  Voulez-vous que je vous dise ? Eh bien, vous êtes possédée par le bon Dieu, mais possédée ce qui s’appelle… absolument, comme les méchants le sont du vilain ! ». Puisque Marie parle du diable, n’est-il pas permis de faire référence à l’amour humain qui a été créé par Dieu même ? (Jean-François Six, op. cit. pp. 184 à 187 passim) . Le texte du 8 Septembre, initiant une retraite privée de dix jours, dit ainsi : O mon Bien-Aimé !  cette grâce n’était que le prélude de grâces plus grandes dont tu voulais me combler, laise moi, mon unique Amour, te les rappeler aujourd’hui … aujourd’hui, lesixième anniversaire de notre union… Ah ! pardonne-moi Jésus, si je déraisonne en voulant redire mes désirs,  mes espérances qui touchent à l’infini, pardodnne-moi et guéris mon âme en lui donnant ce qu’elle espère ! ! ! (Thérèse de Lisieux par elle-même, prés. Jean-François Six, op. cit. pp. 69-70).

L’amour dont est pénétrée Thérèse à Lisieux est bien celui qui transperce Thérèse d’Avila. L’image est aussi crûe. Une autre forme d’oraison fort fréquente est une sorte de blessure, l’âme croit sentir comme une flèche s’enfoncer dans son cœur, ou en elle-même. Cela provoque une grande douleur qui la fait gémir, mais elle est si savoureuse que l’âme voudrait qu’elle ne cesse jamais. Cette douleur n’est pas perceptible aux sens, ce n’est pas non plus une blessure matérielle, mais à l’intérieur de l’âme, sans que se manifeste une douleur corporelle ; il est impossible de faire comprendre cela autrement qu’à l’aide de comparaisons, toutes en l’occurrence, sont grossières, mais je ne puis en parler autrement. C’est pourquoi ces choses-là ne peuvent être écrites, ni dites, seuls ceux qui en ont l’expérience sont aptes à les comprendre, je parle de l’ampleur de cette peine, car les peines de l’esprit diffèrent totalement de celles d’ici-bas. J’en déduis que les âmes souffrent beaucoup plus en enfer et au purgatoire que nous ne pouvons l’imaginer d’après ces peines corporelles.
D’autres fois, cette blessure de l’amour semble provenir du plus intime de l’âme ; les effets en sont grands ; quand le Seigneur n’accorde pas cette faveur, il est inutile de la rechercher, pour beaucoup qu’on fasse, comme il est inutile de la refuser quand Il veut bien nous la donner. C’est comme un désir de Dieu si vif et si subtil qu’il est inexprimable ; l’âme, se voyant ligotée, incapable de jouir de Dieu comme elle le voudrait, est prise d’une haine violente pour le corps, il lui apparaît comme un gros mur qui empêcherait son âme de jouir de ce qu’il lui semble déjà connaître, et dont elle jouit intimement sans que le corps fasse obstacle. Elle conçoit alors tout le mal que nous a fait le péché d’Adam, en nous privant de cette liberté.
Cette oraison précéda les extases et les grands transports dont j’ai parlé. J’ai oublié de dire que ces grands tranbsports ne se terminent presque jamais sans une extase et de grandes douceurs prodiguées par le Seigneur, il console l’âme, et l’encourage à vivre pour Lui.
Rien de ce qui vient d’être dit ne peut être le fruit de l’imagination pour plusieurs raisons qu’il serait trop long d’expliquer. Si c’est bon ou non, le Seigneur le sait. On ne peut manquer d’en constater les effets et les profits qu’en tire l’âme, à ce que je crois.  (Thérèse d’Avila, op. cit. pp. 864 & 865)


La contre-épreuve est faite avec Friedrich Nietzsche : comment à partir d’un même élément biblique et selon des tempéraments de feu et de passion, deux poétiques de la modernité aboutissent l’une à l’impasse et à la solitude, l’autre à la communion amoureuse ? Chez Nietzsche, la Bible est prétexte, au même titre que d’autres traditions religieuses, à l’effusion d’une oarole toujours reprise, que la magie du verbe vient sans cesse montrer. On ne sait ce qui séduit le plus, en ce monde aérien, de la danse du sens ou des jeux de la langue, et sans doute est-ce la composition dyonisiaque de cette double beauté. Mais (…) sous ces oripeaux, la liberté s’anéantit en son impuissance, et Dieu n’est plus que l’ombre de l’Hébreu Jésus. L’image voulue sans consistance s’offre à toute délesure, et le texte destitué se livre à son inversion même, pour se trouver finalement controuvé : on aura reconnu nos réflexions sur l’image de Jésus et la rupture opérée entre l’sprit et la parole. Chez Téhrèse, l’Ecriture est le signe, présent et agissant, du devenir spirituel (…) L’épreuve contre la foi et l’approche de la mort conjoignnet plus que jamais l’esprit qui pâtit et les mots révélés au point que Thérèse reprend, en son nom et comme son propre testament, la prière sacerdotale de Jésus passant au Père. L’Esprit ne cesse de donner la Parole dans l’histoire. (…)
L’amour chez Frédéric Nietzsche reçoit le traitement de tout ce qui est chrétien : il est moqué et trahi, rejeté et retourné, bref, transvalué comme toutes les valeurs. Cette dénégation, courante, s’accompagne ici du refus plus foncier de tout ce qui pourraiut affecter. Non que Nietzsche recule devant la souffrance, il l’exalte au contraire, et parvient même à l’assimiler. Mais le retrait est absolu dès lors qu’il s’agit de souffrir par et pour autrui. Ce qui nous semble repoussé, et avec emphase, c’est la possibilité pour l’amour d’exister comme passion, c’est-à-dire à la fois comme ce qui impose la douleur et peut la convertir en joie. Car l’amour maîtrisé, l’amour du seul vouloir, l’amour qui ne veut que soi-même, n’a pas, n’a plus, le cœur de vouloir le prochain pour lui-même, et il ne peut même concevoir que cela soit humain. Le surhomme accomplit la révolution solipsiste du devenir des meilleurs. Mais l’homme a renoncé à vivre autrement qu’en survivant de ses désirs. L’enstase est entière, envers et contre tous les courants fraternels.
Thérèse a montré qu’il est possible de concevoir l’amour autrement qu’au rebours des destinées humaines et comment l’engagement à l’égard de tous, du plus proche au plus lointain, du plus grand au plus petit, conduit en définitive à l’oiverture sans réserve à autrui comme à soi-même, en raison de la proximité du Tout-Aimant. Ce que la mort ne défait pas, mais que l’amour appelle, c’est bien ce repos de toute la puissance du cœur dans l’Amour qui l’attire, et c’est finalement la fécondité qui est propre aux abandons sans retour. Thérèse se sait voulue dans l’Amour, et jamais elle ne cèdera au vertige du doute, car elle conçoit l’Amour comme extase et dépassement de tous les cœurs aimants. (Noëlle Hausman, op. cit. pp. 188 à 191)

            La parenté de vocabulaire, parce qu’il semble bien qu’il n’y en est qu’un en matière amoureuse, et croirait-on l’analogie de sensations, avec l’amour humain, entre deux êtres humains, d’un être humain pour une personne humaine, peuvent faire voir une similitude d’expérience. L’irruption ou la visitation de Dieu dans une âme (Jean Gouvernaire, op. cit.), soit pour la simple visite, soit pour la résolution complète d’une existence qui s’en trouve en tout modifiée, trajectoire et consistance (le chemin de Damas, le coup de foudre) auraient leur figure dans l’expérience amoureuse. Regard d’une infinie brièveté, mais qui fut le grain de pollen minuscule, tout chargé de forces inconnues, d’où naquit mon plus grand amour. (André Maurois, op. cit. p. 34)

. . . ce qui dans la consolation sans cause, vient de Dieu seul n’est rien d’autre que ce mouvement, cet élan du désir, cette ardeur de l’âme qui se hâte d’amour vers celui qui a creusé en elle ce vide, laissant tout au fond, pour qu’elle en garde la nostalgie, l’empreinte discrète de sa ressemblance. Un tel désir tire toute sa force de l’attirance de celui qu’il espère. Ainsi, il n’appartient qu’à Dieu d’attirer en son amour, sans initiative étrangère ; et rien ne saurait être mensonger dans ce qiui conduitle désir fondamental de l’homme à son terme. (…) L’essentiel de la consolation sans cause est donc l’élan de l’âme en l’amour, qui ne va point sans une connaissance plus vive du Créateur et Seigneur ; amour et connaissance où se réalise, s’épanouit et s’avive le désir qu’a fait lever l’attraction divine de l’instant, sans recourir à l’initiative préalable du sujet. (Jean Gouvernaire, op. cit. pp. 136 & 137)

Qu’Alissa Buccolin fût jolie, c’est ce dont je ne savais m’apercevoir encore ; j’étais requis et rtenu près d’elle par un charme autre que celui de la simple beauté. Sas doute, elle ressemblait beaucoup à sa mère ; mais son regard était d’expression si différent que je ne m’avisai de cetteressemblance que plus tard. Je ne puis décrire un visage ; les traits m’échappent, et jusqu’à la couleur des yeux ; je ne revois que l’expression presque triste déjà de son sourire et que la ligne de sessourcils, si extraordinairement relevés au-dessus des yeux, écartés de l’œil en grand cercle. Je n’ai vu les pareils nulle part… si pourtant : dans une statuette florentine de l’époque du Dante ; et je me figure volontiers que Béatrix enfant avait dessourcils très largement arqués comme ceux-là. Ils donnaient au regard, à tout l’être, une expression d’interrogation à la fois anxieuse et confiante, - oui, d’interrogation passionnée. Tout, en elle, n’était que question et qu’attente… Je vous dirai comment cette interrogation s’empara de moi, fit ma vie. (André Gide, op. cit. p. 501 )

De même, la complaisance de l’âme arrêtée sur une façon d’image intérieure de la divinité aurait sa ressemblance dans la contemplation mutuelle de deux amants surtout si l’étreinte est plus mystique et fusionnelle que physiquement accomplie. Les trois nuits que Tobie et Sara donnent à la prière avant de consommer leur mariage ont des échos en littérature. Et au cinéma : le dernier plan de L’éternel retour de Jean Cocteau.
Patrice et Catherine étaient bien étendus l’un à côté de l’autre, vêtus et immobiles. La porte n’était pas fermée. Mlle Agathe et M. Sénèque entrèrent dans la chambre, en s’excusant à haute voix. Les jeunes gens ne bougèrent pas. On s’approcha, et l’on vit qu’ils étaient évanouis.
Il fut très difficile, lorsqu’on les eût réveillés, de savoir ce qui s’était passé. A la fin de la journée, Catherine avait suivi Patrice dans sa chambre, et ilss’étaient étendus l’un à côté de l’autre. Ils ne s’étaient point touchés. Mais longuement ils étaient restés ainsi, immobiles, tremblant un peu, sans même approcher leurs mains l’un de l’autre. Leurs yeux étaient fermés. Elle ne savait rien du trouble qui l’avait envahie et qui la possédait, à se tenir ainsi tout près de ce garçon qui ne voulait d’elle rien autre que sa présence. Il ne savait même pas ce qu’il pouvait en attendre, et l luttait de toutes ses forces contre le désir de s’approcher d’elle, de sentir sa chaleur, fût-ce à travers ses vêtements, d’apaiser et de fondre sa propre fièvre. Il serait vain de croire qu’il ne pensait point à davantage, mais il ne voulait pas céder. Dans l’approche de deux corps vêtus, il y a quelque chose de magique et d’inséparable des premiers moments de l’amour : la résistance, la tentation, la honte, le regret, l’espoir se mêlent dans cette étreinte factice et proviosire, où les obstacles légers symbolisent tant de barrières plus irréductibles. Et comme elle était pure, elle ne devina point quand il bougea un peu, et se détendit, qu’il avait atteint au plus fort de son désir, qu’il l’avait prise en songe, et qu’il s’apaisait. Au-dessus d’eux-mêmes, tournoyaient, en un nuage, leurs tentations, et ils fermaient les yeux, et ils étaient rouges. Et si tendus étaient-ils pour s’approcher sans se toucher, pour se fondre sans s’atteindre, plus séparés par ce peu d’air entre eux que par l’épée de pureté de la légende, que soudain, au même instant, quelque chose se rompit en eux-mêmes, et que, comme l’avait deviné le vieux fou, ils ne furent plus présents.
Patrice devait souvent songer que, vécût-il cent ans, et eût-il plus d’aventures que l’homme aux mille et trois, jamais il n’atteindrait plus complètement la réalisaton du rêve masculin qu’en ces minutes d’anéantissement total, cette possession dans la pureté. (Robert Brasillach, op. cit. p. 379)

Or, cette nuit-là, ils ne firent pas l’amour. Elle resta pourtant chez lui, ils couchèrent pourtant dans le lit en forme de navire, nus l’un et l’autre,enlacés l’un àl’autre,mais au moment où Laurent la vit, étendue près de lui, confiante et consentante, une sorte de respect l’envahit, il n’avait jamais rien éprouvé de tel, il était ébloui par la nudité limpide de Tina et par ce que cette nudité provoquait en lui, il avait envie d’elle, mais une vie en quelque sorte immatérielle, ou il se sentait indigne de la toucher. Les yeux grands ouverts, elle le regardait aussi, qui se penchait au-dessus d’elle, et elle ressentait le même respect pour ce corps qu’elle allait recevoir, et il se penchait lentement, nu et doré, il se penchait elle, elle aussi nue et dorée, l’été encore proche dont ils conservaient le charme, et il la regardait dans les yeux et il lui souriait et il se penchait toujours et il s’étendait sur elle, se posait doucement sur elle, et tous les deux, ils laissaient le respect les submerger, ils ne s’étonnaient mêmepas, elle était prête à le rcevoir, il était prêt à venir en elle, ls ne bougeaient ni l’un ni l’autre, ils se savaent à la mesure l’un de l’autre, ils n’avaient pas besoin de le vérifier, le contact de la peau leur suffisait, et ils lisaient dans le regard l’un de l’autre le désir et l’ultra-désir, lisaient que ce n’était pas la peine et aussi lapromesse qu’il y aurait tant de nuits et tant de jours où ils le feraient, il devenait elle, elle devenait lui, elle ouvrait les bras, il ouvrait les bras le long des siens, ils se crucifiaient, mais au-delà d’eux-mêmes, croisaient l’ineffable de leurs sens, ils ne bougeaient toujours pas, puis il renversa la tête, ses yeux se voilèrent, et sa bouche s’ouvrit, et ses reins frissonnèrent, il aurait voulu que cela ne lui fût pas possible, il avait honte, et elle le sentit se répandre sur elle, fougueux et violent malgré lui, il voulu lui lâcher les mains, se détacher d’elle, mais elle l’en empêcha, et elle le regardait en souriant, sereine et consolante, il avait froid et tremblait sur elle, elle le regardait toujours, lui souriait toujours, et elle lui lâcha enfin les mains et elle referma les bras autour de lui et elle effaça la honte, et il la regarda de nouveau, presque méprisant, mais pour lui, et elle le savait, pas pour elle, surtout pas pour elle qui, à présent, bougeait sans hâte et le berçait du mouvement de son corps. (Alexandre Kalda, op. cit. pp. 123-124) . Publié dès son adolescence, l’auteur à l’érotisme brûlant et cosmogonique, est devenu moine bénédictin.

Cette rêverie  avait quelque chose de lent et de solennel. Sa lenteur la faisait aller au même rythme que le temps réel. Quant à sa solennité, lle tenait à la nature des sentiments d’Alexandre. Respect et vénération ! Il imaginait, étendue à ses côtés, la plus sacrée des créatures  la Bacchante qui avait dansé dans le ruisseau lors de leur première rencontre, la déesse qui s’était échappée des colonnes du temps le soir de la réception. Il gardait encore un peu de la chaleur de leur étreinte. Dans ses veines courait le feu qu’ils avaient ensemble allumé, comme dux bâtons que l’on frotte pour en faire jaillirl’étincelle. Ce pouvoir de deux corps d’engendrer l’extase l’avait ébloui. Ce qu’il avait cru ne pouvoir obtenir que de la seule méditation, il venait de le cueillir grâce au plus profond des sentiments humains.Parfait amour, qui vous transporte dans des contrées où le temps ne court plus !
Alexandre ne se sentait plus écartelé. Son triomphe lui avait fait recouvrer  son unité… « Triomphe ? » Oui, triomphe, car aux yeux des hommes, sa victoire était totale. «  L’amour partagé, c’est le bonheur ! » avait-il entendu dire un jour par sa mère, une nature sensible, qui était morte sans avoir connu le bonheur. C’était d’elle qu’il avait hérité la passion de l’absolu, la nostalgie du nombre parfait. Et maintenant c’était l’âme de sa mère disparaue qui se réjouissait au tréfonds de son être. Une bizarrerie du hasard avait comblé les désirs des deux générations – deux seulement ? La grâce était parfaite. Divine ! Oui, son bonheur était d’origine divine, et il s’agissait bien d’une grâce. Il ne l’avait ni préparé ni mérité. Tout au contraire, il avait fait tout son possible pour le détournr, aveuglé qu’il était par des « idées ».
Les idées ! Ce sont elles qui rendent l’homme indifférent à la jouissance que sait goûter le plus insignifiant des insectes. Elles encore qui refoulent, étouffent le désir primitif. En se faisant leur champion, Alexandre avait sacrifié son bonheur, prêt à donner sa vie pour elles… O folie ! La sagesse humaine ne peut donc égaler l’instinct de l’insecte ? … Alexandre avait la vision de papillons et d’oiseaux se pourchassant en plein ciel ; des serpents sifflaient, inextricablement enchevêtrés ; des hommes et des femmes en transe parcouraient les flancs du Kithairon aux cris d’Evohé Evan !… (Pandélis Prévélakis, op. cit. pp. 132-133)

Ces analogies sont brèves, car elles mettent en regard la reproduction littéraire d’une mémoire ou d’une imagination. La contemplation parfaite n’a ni image, ni vis-à-vis qu’on puisse appréhender par les sens, elle est être et état à la fois, inépuisable dans l’instant et employant toutes les facultés du contemplant dans une concentration qui met sans doute en jeu d’autres facultés dont lui-même n’a pas d’habitude l’usage. Et si l’amour humain peut « faire penser » à l’amour divin, d’autant que celui-ci dans la Bible comme dans les écrits mystiques est exprimé avec les mêmes mots, pour l’un comme pour l’autre, une lecture « naturaliste » soutenue serait bien difficile, (préface d’Henri de Lubac à Blaise Arminjon, op. cit.) et l’expérience du couple humain, à longueur d’existence ou dans l’un de ses paroxysmes qu’est l’étreinte, montre la finitude et l’inassouvissement résiduel d’une « lecture » qui ne serait qu’ainsi.

Les écrivains qui ont le mieux parlé de l’amour ignoraient l’amour. Les amants fameux étaient séarés, et ils nt laissé comme témoignages des ettres brûlantes ou une légende tragique. Aussi l’amour est tenu pour une chimère, ou, plutôt, pour ne aspiration qu’il est imprudent de contenter.
Si dans le mariage, une seule fois, la présence, l’intimité, les années n’ont pas éteint l’amour, c’est qu’il existe vraiment sur terre. Je pense que plus d’une fois l’amour fit le bonheur de deux êtres qui ont vécu longtemps endemble sous lemême toit. Et,même, il n’y a as d’autre amour. Il est de susbtance inaltérable ; ou bien on s’est mépris  à l’origine. L’amour est, par son essence, unique, constant, indéfectible. Ce sont les hommes qui le trahissent. L’amour persiste dans le mariage, à condition d’être romanesque ; c’est-à-dire, à condition d’incarner l’émotion première, l’étonnement que vous réserve toujours un être à votre convenance.
Chacun se modifie sous l’influence de la vie, et nous devons sans cesse adapter notre vision à un objet changeant.Parfois, c’est par un long chemin à travers la vie que nous rejoignons notre rêve. Deux amoureux se connaissent toujours mutuellement et par une qui pénètre profondément en soi pour atteindre l’autre.Mais tous deux sont des êtres vivants, inachevés, inexplorés, infinis. Aussi, l’amour peut durer ; il s’instruit sans cesse.Il faut beaucoup d’années pour apprendre certains mots d’amour. (…)
Qu’est-ce que l’amour ? Presque rien… un rien de plus vivant dans une femme… un air de surprise… une joie dans les yeux, que l’on discerne à peine, mais qui sont inimitables. (Jean Chardonne, op. cit. pp. 36 à 39)

Qu’est-ce que l’amour ? C’est ce que personne ne sait ; mais qu’est-ce que personne ? C’est chacun de nous dans le secret de sa vie engloutie. L’amour s’adresse en nous au plus intime, à ce qui dans le plus intime de nous, est sans visage, sans forme et sans nom : personne. (…) On le donne pour savoir ce que c’est. (Christian Bobin, op. cit. pp. 77 & 104)

La contemplation produit l’union à Dieu ; ni doute ou approximation, ni paroxysme, indépendante de toute durée, totalement livrée  au partenaire, elle est certitude. L’amour humain, étreinte d’âme et de corps, peut en être un pressentiment. L’unicité du vocabulaire montre en tout cas qu’il s’agit bien de cette même hantise humaine d’approcher la totalité de l’être, mais seul le spirituel y fait accéder parce que dans son ordre englobant tous les autres, l’objet divin a toute puissance d’attraction, d’épanouissement et de surpassement de l’homme en l’épousant et le suscitant parfaitement : en le créant. Mais surtout parce que la contemplation annéantit jusqu’à la racine le dualisme et tout ce qui dans l’étreinte et dans la communion de deux personnes humaines reste possession et repli sur soi. Seule l’ingénuité du cœur permet au désir qui rencontre son objet de ne pas l’enfermer dans sa possession. La vérité de la prière, comme celle de l’amour, est au prix de cet incessant dépassement de soi, au prix d’une ignorance de soi qui laisse Dieu exister au centre de notre être. Voulant aimer, je crois atteindre l’amour parce que j’en fais les œuvres. Il me faudrait reconnaître que l’amour n’opère en moi que si, dans ces œuvres, j’en reconnais la source. La prière vraie est cette remontée perpétuelle à la source pour laisser en nous s’écouler l’abondance des eaux. (Jean LAPLACE - La prière, désir et rencontre op. cit. pp. 136-137)




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Absolu et contemplation


La vraie mémoire est celle du cœur, parce qu’elle émane d’une relation de qualité au cosmos. (…) Etre relié dans la qualité au Cosmos pour mettre fin à notre chaos intérieur. Retour aux sources de l’Univers pour faire renaître en nous l’ordre : un ordre non suspect parce qu’inspiré par un Tout, vibrant de cohérence.   ( Daniel Pons, op. cit. pp. 76  & 77)

L’esprit tendant vers l’Unité, il convient de se demander si cette Unité n’est qu’une forme vide, une simple catégorie de l’esprit, ou si elle estsatisfaite par un objet. Bien entendu ce ne peut pas être un objet comme les autres ; tous les malentendus viennent de là. Comment veut-on qu’une réalité spirituelle soit de même ordre qu’une réalité matérielle ? A toute force, la Réalité que nous cherchcons ne peut être que l’inverse desréalités qui nous sont données.Les principales erreurs de la philosophie ont consisté à objectiver des pensées et à les traiter comme si elles étaient des sensations, mais plus vraies que ces dernières ; or les pensées sont d’un autre ordre, elles sont même, en tant que pensées, des propriétés du sujet, non des extraits ou des abstraits (nominalisme) et non plus  des réalités pareilles à des objets.
Seules quelques époques ont probablement connu la vraie nature de l’esprit. Le vrai spiritualisme est comme la vraie morale et l’art vrai : il ne parle jamais de lui-même ; il s’éprouve par ses effets, il se vérifie à ses conséquences  ( op. cit. p. 36)
L’Absolu nous paraît donc bien nommé parce qu’il a un nom négatif : ce qui est délié, ce qui est délivré. Nous pouvons y atteindre, mais seulement dans un état d’exception et nous ne pouvons le connaître que par une négation. De là sans doute que les monismes les plus approfondis se présentent comme des non-dualismes.  (Jean Grenier, op. cit. p. 44)

       Le transport en un autre état ou en d’autres dimensions ou en une forme dans laquelle l’intégralité du monde est intériorisée et comprise d’un seul trait, en un unique mouvement qui n’est cependant pas un mouvement mais une situation a pu faire croire que l’expérience bouddhique est le pendant de ce que vit le chrétien dans la contemplation parfaite, qu’il n’est donc d’une seule sorte d’extase, qu’une seule connaissance de la totalité. Ce serait se méprendre, pas tant sur l’expérience dans son déroulement et dans la mesure où elle requiert l’être entier du contemplant ou de l’exercitant, que sur la totalité qu’il appréhende. Dans l’extase orientale, c’est la confusion entre le plein et le néant qui s’opère, certes sans que soit commise l’erreur de Narcisse qu’aspire son reflet (Louis Lavelle, L’erreur de Narcisse, op. cit.). Le mystique de Dieu ne cherche pas un état, il ne va vers aucune appropriation, il est saisi et possédé par Qui est sa fin et Qui l’accomplit. Le vide est un manque qui dessine déjà la silhouette de Celui qui vient, la nuit appelle la lumière, devient la lumière – selon le chemin de Thérèse de Lisieux et de Jean de la Croix – parce qu’il y a deux personnes en jeu, la divine autant que l’humaine. Siddharta n’apprend à Govinda que le monde encore et sans doute un peu l’amour, mais d’un homme fût-il sage. Ce n’est pas la fascination du néant ou une réflexion qui s’abîme et perd sa distinction en s’absorbant dans l’un ou l’autre des éléments (Gaston Bachelard, op. cit.), mais une attraction personnelle et caractérisée, l’activité et la participation humaines portée à leur acmée. Et ce n’est pas non plus l’extase par le truchement d’un autre qui n’est cependant pas lui-même l’objet. L’anticipation, ans la contemplation parfaite, du Corps mystique et de la vie éternelle en Dieu ne sont ni une dissolution ni une déperdition, alors que toutes limites et toutes contraintes sont annéanties, rien n’est davantage précis et nécessaire.

Analyser le monde, l’expliquer, le mépriser, cela peut être l’affaire des grands penseurs. Mais pour moi il n’y a qu’une chose qui importe, c’est de pouvoir l’aimer, de ne pas le mépriser, de ne le point haïr tout ne ne me haïssant pas moi-même, de pouvoir unir dans mon amour, dans mon admiration et dans mon respect, tous les êtres de la terre sans m’en exclure.
- Je comprends, fit Govinda. Mais c’est justement ce que le Sublime appelait un leurre. Il proclame la bienveillance, la tolérance, la pitié, la patience, mais point l’amour ; il nous défendait d’attacher nos cœurs à tout ce qui est terrestre. (…) Attiré par l’amour, il s’nclina encore une fois, profondément, devant Siddharta qui demeurait assis, immobile.
- Siddharta, dit-il, nous sommes tous deux des vieillards. Il est peu probable que nous nous revoyions jamais sous une forme humaine. Je vois, très cher ami, que tu as trouvé la paix et je confesse que, moi, je ne l’ai pas trouvée.
Dis-moi, ô Vénérable, encore un mot, quelque chose que je puisse emporter, que je puisse comprendre ! Donne-moi cela pour la route que j’ai encore à parcourir. Elle est souvent bien pénible, ma route, bien sombre ô Siddharta !
Siddharta se taisait, le regardant avec son sourire toujours égal, toujours tranquille. Govinda, le cœur plein d’angoisse et de désir, regardaut fixement Siddharta, et dans ses yeux se lisaient la souffrance, l’éternelle et vaine recherche.
Siddharta vit cela et sourit.
- Penche-toi vers moi, lui dit-il tout bas à l’oreille. Penche-toi encore davantage. Comme cela, encore plus près ! Tout près ! Embrasse-moi sur le front, Govinda !
Govinda s’étonna ; mais attiré par l’amour et par une sorte de pressentiment il obéit à ces paroles, s’inclina vers lui et toucha son front de ses lèvres. Il se produisit alors en lui une chose singulière. Tandis que ses pensées s’attardaient encore aux étranges paroles de Siddharta, qu’il s’efforçait encore et non sans que son esprit protestât, à s’abstraire du temps par la pensée, à se représenter leNirvana et le Sansara comme ne faisant qu’un, tandis que l’immense amour et la vénération qu’il éprouvait pour l’ami étaient encore aux prises avec cette sorte de dédain que lui avaient inspiré ses paroles, il lui arriva ceci :
Le visage de son ami Siddharta disparaît à ses regards ; mais à sa place il vit d’autres visages, une multitude de visages, descentaines, des milliers ; ils passaient comme les ondes d’un fleuve, s’évanouissaient, réapparaissaient tous en même temps, se modifiaient, se renouvelaient sans cesse et tous ces visages étaient pourtant Siddharta. Il vit celui d’un poisson, d’une carpe, dont la bouche ouverte exprimait l’infinie douleur d’un poisson mourrant, dont les yeux s’éteignaient… Il vit le visage rouge et ridé d’un nouveau-né, sur le point de pleurer… Il vit celui d’un meurtrier, il vit comme il plongeait un couteau dans le corps d’un homme… Il vit, au même instant, ce meurtrier s’agenouiller avec ses entraves et le bourreau lui trancher la tête d’un seul coup de son glaive… Il vit des corps d’hommes et de femmes nus dans les positions et les luttes de l’amour le plus effréné… Il vit des cadavres allongés, rigides, froids, vidés… Il vit des têtes d’animaux, de sangliers, de crocodiles, d’éléphants, de taureaux, d’oiseaux… Il vit des dieux : Krischna, Agni… Il vit toutes ces figures et tous ces corps unis de mille façons les uns aux autres, chacun d’eux venant en aide à l’autre, l’aimant, le haïssant, le détruisant, procréant de nouveau ; dans chacun se mpanifestaient la volonté de mourir, l’aveu passionnément douloureux de sa fragilité et malgré cela aucun d’eux ne mourait ; mais se transformait, renaissait toujours, prenait toujours un nouvel aspect sans que pourtant entre la première et la seconde forme se pût mettre un espace de temps… Et toutes ces formes, tous ces visages reposaient, s’écoulaient, procréaient, flottaient, se fondaient ensemble ; au-dessus d’eux planait quelque chose de mince, d’irréel, semblable à une feuille de verre ou de glace, sorte de peau transparente, valve, moule ou masque liquide, et ce masque souriait, ce masque c’était la figure souriante de Siddharta, que lui, Govinda, venait juste à ce moment de toucher de ses lèvres. Et c’est ainsi que Govinda vit ce sourire du masque, ce sourire de l’Unité du flot des figures, ce sourire de la simultanéité, au-dessus des milliers de naissances et de décès. Le sourire de Siddharta ressemblait exactement au sourire calme, délicat, impnénétrable, peut-être un peu débonnaire et un peu moqueur de Gotama ; c’était le sourire des mille petites rides de Bouddha, tel que lui-même l’avait si souvent contemplé avec respect. C’était bien ainsi, Govinda le savait, que souriaient les Etres parfaits.
Ayant perdu toute notion du temps, ne sachant plus si cette vision avait duré une seconde ou un siècle, ne sachant plus s’il y avait au monde un Siddharta et un Govinda, si le Moi et le Toi existaient ; le cœur comme transpercé d’une flèche divine et saignant d’une douce blessure, l’âme fondue dans un charme indicible, Govinda demeura encore un instant penché sur le visage impassible de Siddharta, qu’il venait de baiser et qui avait été le théâtre de toutes cestransformations, de tout le Devenir, de tout l’être. Ce visage n’avait point changé après que les mille petits sillons creusés par les rides se furent refermés. Il avait repris son sourire immuable, discret et doux, peut-être très débonnaire, peut-être railleur, exactement semblavble à celui de l’Etre parfait. (Hermann Hesse, Siddharta, op. cit. pp. 194 à 199)

L’inconnu n’est pas synonyme d’inconnaissable, et si nous nous dirigeons sans complaisance vers les pôles les plus avancés de la recherche (matière-esprit) en excluant tout dogme, nous débouchons inéluctablement sur des dynamismes organisateurs et régénérateurs, en notre propre intériorité. Chacun de nous s’est posé inconsciemment un masque pour se protéger de l’inconnu. Or, le propre du travail intérieur est de gommer ce mlasque avec patience et persévérance, car il se reconstitue inlassablement. Tant qu’il n’aura pas reconnu son esclavage imposé par les hôtes invisibles (pensées négatives, désirs insatisfaits, angoisses, peurs, etc.)qui envahissent son personne habituel et gouvernenet toutes sesréactions, l’homme ne pourra faire allégeance à l’Etre qui habite son ultime profondeur et attend son « retournement », c’est-à-dire son Eveil. (Jeanne Guesné, op. cit. pp. 200 à 202)

En affrontant le bouddhisme comme l’une des grandes forces spirituelles qui se disputent l’âme humaine, celui qui veut porter un jugement chrétien a d’ailleurs conscience de le traiter avec plus de sérieux et de respect que celui qui se contenterait de le situer comme un moment dans le devenir de l’esprit ou de s’en faire un spectacle, fût-ce le plus beau des spectacles.. En quoi, il rejoint l’attitude bouddhisante, - mais en l’inversant. Car à cette solution du problème humain, à cette idée de la délivrance, à cette spiritualité, dans ce qu’elles ont de spécifique, et de quelque forme qu’elles se revêtent, il ne peut qu’opposer un refus. (…) Le bouddhisme n’est pas un jeu sans portée, ni une erreur superficielle.Il comporte un aspect « hautement mystique ». Disons davantage, il est une sorte de mysticisme pur.Il a « une mystique parfaitement développée, mais n’a pas de théologie ». Il n’en a pas et ne peut en avoir, parce que son mysticisme, leplus « pur » et le plus conséquent peut-être qui soit, ne laisse aucune place au Dieu Vivant. Il ne faut pas nous le dissimuler, cet athéisme est la raison profonde pour laquelle un Schopenhauer, lui-même si peu véritablement ascte, si peu mystique, s’était pris d’un tel enthousiasme pour certains penseurs de l’Inde, en particulier pour le Bouddha : il voulait par là faire échec au « théisme absurde et révoltant » de la Bible, à cette « idolâtrie » qui,selon lui, ne suppose pas forcément desstatues de bois, de pierre, de métal, ou des agrégats de notions abstraites, mais qui existe « dès qu’on se trouve en présence d’un Etre personnel auquel on sacrifie, qu’on invoque, qu’on remercie ». (Henri de Lubac, La rencontre du bouddhisme… op. cit. pp. 278 & 279)

Tout se joue entre l’identité-parité affirmée d’un homme avec Dieu, et la simple ressemblance. (…) dans le texte biblique, la ressemblance fonctionne manifestement comme une « diminution » de l’image, un correctif qui lui est apporté. Ce mot de ressemblance exclut la parité. L’homme a un modèle idéal, Dieu, vers lequel il est attiré ou comme « aimanté » (théotropisme). Et en lui ilporte l’empreinte ou la forme de celui qui l’a façonné, Dieu (théomorphisme). C’est tout – et certes ce n’est pas rien… A côté de cela, il est bien dit que l’homme ne peut égaler Dieu. Il ne peut que lui ressembler.   ( Michel Théron,  op. cit. p. 119)

Là est le point de rencontre entre le moine et le lama (Robert Le Gall & Lama Jigmé Rimpoche –Le moine et le lama  op. cit.), dialogue réduisant en partie l’objection d’Henri de Lubac.
. . . la pratique spirituelle s’accomplit par référence à ces déités, à ces manifestations symboliques de l’Eveil qui sont utilisées comme supports de méditation. Ces méditations sur les déités, qui incluent des rituels de prières et d’invocation, utilisent des mantras ainsi que des visualisations. Lesdéîtés sont l’expression de la compassion de Bouddha et représentent des mpoyens particulièrement puissants pour nous relier à la dimension du dharmakaya, qui constitue la vérité ultime, et l’expérimenter en notre propre esprit. A travers une manifestation formelle, nous pouvons ainsi accéder à l’état ultime.
Donc, pour revenir à la question de Dieu, nous la considérons comme relevant de la vérité ultime, laquelle ne peut qu’échapper à une véritable appréhension par la raison humaine. Cela n’empêche nullement d’essayer de tendre vers la réalisation de cette vérité, quel que soit le nom qu’on lui donne, à travers notamment des représentations et des supports, expression de la grâce de l’Eveil. (Lama Jigmé Rimpoche, op. cit. p. 100 )

Et le sage de l’Inde médiévale est autant capable de la nommer que le soufi, de la personnaliser que le chrétien.

Tu es incréé, incompréhensible, sans support,
On ne te connaît ni limites ni rives,
Tu es inaccssible au monde et aux Véda,
Tu transcendes l’univers entier,
Toi qui n’as de demeure, ni village, ni maison,
Comment louerai-je tes qualités ?
En Lui, ni forme, ni distinction, ni qualités, ni parure,
Ce Prince est sans dynastie !
Il n’est ni jeune homme, ni veillard, ni enfant,
Et Il est à Lui-même son propre sauveur.

Dit Kabîr : réfléchissez-y,
que nul ne lui résiste,
servez-le tout votre cœur et de toutes vos forces,
car Râm est présent dans tous vos membres. (Kabir, op. cit. XCVII p.168 )

La Mort, pour moi, s’est changée en Râm,
La souffrance s’est évanouie, j’ai trouvé paix et joie,
Mes ennemis se sont changés en amis,
Les impies sont devenus des hommes justes et bienveillants,
Toute adversité m’est apparue comme une bonne fortune,
Et j’ai trouvé la paix, quand j’ai connu Govinda !

Mon corps était le lieu de mille fantasmes,
Qui se sont changés en Joie parfaite :
Quiconque reconnaît en soi-même le Soi
Echappe à la maladie et à tous lesmaux de l’âme et du corps.

Mon esprit s’est « converti », et il a revêtu l’éternité,
Et j’ai reçu l’intelligence à l’heure où, vivant, suis mort !
Dit Kabîr, je suis entré dans la Joie parfaite,
Je n’ai plus de craintes et n’en inspire plus aux autres. (Kabir, op. cit. CX p.186) 

Lorsque l’ignorance relative à l‘esprit dans son état et son fonctionnement ordinaires (avec le jeu des huit consciences, qui sont comme huit facettes de l’illusion) est dissipée, son essence est révélée. Il resplendit alors comme conscience primordiale, sagesse innée, connaissance intégrale. De même, quand la confusion a disparu s’élève spontanément la nature de ce qu’on appelle les cinq sagesses (qui sont comme les faces d’un prsime de cristal réfractant la même lumière) et des trois corps de l’Eveil. Il y a donc cessation de la conscience sur un mode fragmentaire et épanouissement de la sagesse intégrale, qui est connaissance directe et inentravée. Les deux termes de la transformation, cessation et épanouissement, sont synonymes de « libération », d’ »Eveil », ou encore de « bouddhéité ». (Lama Jigmé Rimpoche, op. cit. .p. 143) 

Parler de dissolution relève d’une mauvaise compréhension. Quand nous parlons de l’Eveil total, nous faisons référence à la réalisation de la vacuité.La signiifcation profonde est la suivante : l’esprit est alors libre d’élaboration conceptuelle ainsi que de la moindre distraction, de la moindre perturbation, de la plus infime trace karmique. Il n’existe plus en lui la moindretrace d’obscurcissement. L’esprit est totalement éveillé, illuminé. Il expérimente sa nature essentielle, sa nature ultime, synonyme de totale ouverture et de totaleclarté. C’est ce que nous appelons également le nirvana. Nous disons alors qu’il n’y a plus de « soi », qui, en l’occurrence, est synonyme d’ego. Mais cette disparition de l’ego, qui est produit de l’ignorance, ne supprime pas l’esprit lui-même ! C’est le fonctionnement illusoire de l’esprit qui s’est dissipé. (…) Dans l’état ordinaire, nous somes sous l’influence de la saisie égotique, nous déchffrons le monde et notre expérience à travers les concepts produits par notre conscience duelle. Nous sommes dans la vérité conventionnelle ou relative, et nous pouvons certes, dans ce cadre, discerner et identifier de manière valide la nature de nos perceptions, apprécier et distinguer ce que sont les qualités et les défauts, etc. Cependant, lors que nous parlons de l’état de parfaite clarté de l’esprit, au-delà des concepts et libre de toute saisie, nous visons la vérité absolue, que nous n’expérimentons pas à l’heure actuelle et que nous ne connaissons que par inférence. La nature et les qualités de l’Eveil sont décrites avec les concepts qui nous sont accessibles, mais ce dont il s’agit vraiment, nous ne pouvons réellement l’appréhender. C’est pourquoi l’enseignement recourt souvent aux images et aux métaphores qui ont l’avantage de pointer cette « réalité » non perceptible sans la figer. Mais nous ne ferons l’expérience complète et directe de la vérité absolue qu’au jour de l’Eveil. (Lama Jigmé Rimpoche, op. cit. pp. 191.192 ) 

Lorsque les voiles de l’esprit ont disparu, la conscience expérimente sa vraie nature, la dimension de vacuité et de sagesse de l’esprit. Lorsque l’esprit atteint l’Eveil, il s’établit dans la dimension du dharmakaya (…) Dans cette hypothèse, je suis toujours sous la même apparence physique, car mon corps, lui, ne s’est pas transformé (…). Maintenant quand un Bouddha meurt, l’enveloppe physique se désagrège, tout comme la nôtre, mais l'’sprit, lui, demeure dans une dimension parfaite et limpide, symbolisée dans la tradition par le bleu de l’espace, parfaitement clair et sans limites, qui se réfère à l’essence de vacuité de l'esprit. Mais cette vacuité n’est pas un vide, elle a pour nature propre la sagesse. On pourrait dire que cette vacuité «  pleine de sagesse » contient toutes les qualités infinies inhérentes à l’esprit pur. Depuis cette dimension ultime et totalement pure, le Bouddha a la capacité de se manifester à nouveau sous de multiples formes, et œuvre continuellement par le corps, la parole et l’esprit au bien des êtres (…)
Lorqu’un être atteint à la réalisation suprême à l’état de Bouddha, sa « personnalité » se trouve portée à son point d’excellence, c’est-à-dire qu’elle s’exprime en relation avec toutes les qualités infinies de l’Eveil telles que l’omniscience, l’amour compatissant, le pouvoir de « donner refuge » aux êtres et de déployer une activité éveillée sans limites. La personnalité est disponible pour être utilisée comme un médium de l’activité des Bouddhas, comme le moyen d’expression de leur compassion illimitée envers tous lesêtres. Quand on dit que la personne est illuminée, on veut signifier par là qu’elle n’a pas de réalité intrinsèque, d’existence autonome, mais, une fois libéré du carcan de l’ego, des conditionnements karmiques et des fonctionnements émotionnels ordinaires, l’être éveillé agit de manière illimitée et spontanée pour venir en aide aux êtres sensibles. Alors les qualités de sa « personnalité » deviennent des qualités éveillées qui rayonnent pour le bien des êtres. La connaissance de la sagesse qui m’appartient en propre et par laquelle je réalise mon propre bienfait est alors parachevée, et je puis ensuite agir, manifester une activité en accord avec les souhaits spirituels qui m’ont guidé et accompagné tout au long du chemin. Ainsi, chaque Bouddha se différencie des autres par un type d’activité, un type de manifestation qui lui est propre, fruit du cheminement spirituel particulier qu’il a entrepris et mené à bien. Cela signifie que tout au long de mon parcours spirituel, j’ai mis en œuvre des efforts, desactions, des souhaits altruistes. Ayant atteint l’Eveil, je déploie naturellement, continuellement et sans effort une activité bienfaisante qui s’étend à tous les êtres, qui est dans la continuité de mes souhaits antérieurs, qui est l’expression dorénavant spontanée et infinie de ces souhaits. (Lama Jigmé Rimpoche, op. cit. pp. 193-194 )

Plus nous percevons clairement les fonctionnements et conditionnements de notre esprit, plus nous sommes à même d’adopter une attitude juste et bénéfique dans nos actes, dans toutes les situations que nous rencontrons au quotidien. (Lama Jigmé Rimpoche,   op. cit.p. 65). Mais comment s’accomplit ce parcours, comment atteint-on ces stades du perfectionnement de soi ? Le chrétien semble répondre plus aisément. Ne rien ometttre de ce qui développe en lui la perfection humaine. La grâce a besoin de l’effort de l’homme pour conduire celui-ci au-delà des capacités de sa nature (…) Par rapport à cette perfection que l’homme laissé à lui-même enviusage, la sainteté est d’un autrre ordre. Elle en est l’accomplissement inattendu et gratuit. Pour mettre en œuvre son désir de perfection, le chrétien apprend à tout recevoir de Dieu. (…) Ainsi, selon l’Evangile, l’ascèse met le cœur dans la vérité, l’allégresse et l’amour (…) L’équilibre, qui à travers ces pratiques, s’instaure, n’est pas celui d’un homme rendu léger par la fuite de ce qui l’encombre ou l’alourdit, mais celui d’un être saisi par l’amour et pour qui rien en lui ne doit échapper au désir de l’Esprit. (Jean Laplace,  La vie consacrée, une existence transfigurée, op. cit. 88). De là à chercher un maître, une école, un cadre, un lieu, il suffira d’un appel.




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Vie monastique et contemplation


Ecoute, mon fils, les préceptes du maître et tends l’oreille de ton cœur. Reçois volontiers l’exhortation d’un père si bon et mets-là en pratique, afin de revenir par le labeur de l’obéissance à celui dont t’avait détourné la lâcheté de la désobéissance.
A toi, qui que tu sois, s’adresse à présent ma parole, à toi qui renonces à tes volontés et prends les armes très puissantes et glorieuses de l’obéissance pour combattre au service du Seigneur Christ, le vrai roi. (…)
Toi donc, qui que tu sois, qui te hâtes vers la patrie céleste, accomplis avec l’aide du Christ cette petite règle élémentaire que nous avons écrite, et alors seulement aux sommets plus élevés de doctrine et de vertus que nous venons d’évoquer, la protection de Dieu te fera parvenir. Amen. (Règle de saint Benoît, op. cit. son commencement et sa fin)

S’il est des personnalités particulièrement fortes et particulièrement douées comme celles de Thérèse d’Avila et d’Ignace de Loyola, pour s’accordent ainsi sur la manière de contempler et sur ce en quoi consiste la contemplation, il reste à montrer que l’expérience est commune, qu’elle est même répandue en sorte qu’elle est la vie spirituelle la plus quotidienne. Sans doute, est-ce la règle de saint Benoît qui structure le plus précisément les états de vie religieuse et précise l’éducation et le comportement de l’âme auxquels parvenir. Sa disposition, d’emblée originale et qui l’est plus encore quinze cents après qu’elle ait été pour la première fois mise en pratique et formulée, est l’obéissance. Par lui-même, ce vœu produit l’humilité foncière de celui qui l’a prononcé – a été admis à le faire – et donne de discerner en tout le principe de toute vie humaine : la volonté divine.

Il y a cependant des règles, ou plutôt des vertus à cultiver. Le priant, le contemplant, le suppliant est tout à la fois libre et humble. Et ce sont d’abord les gens du dehors qui – paradoxalement - disent la règle.

Il faut agir de telle sorte que le choix soit dicté par notre nature. Nous devons tendre à l’indifférence par une nature qui a été choisie. Le choix nous apparaît donc comme la plus dérisoire des choses si nous considérons ce qui est à choisir, et la plus importante si nous considérons celui qui choisit. (…) Les philosophes qui ont le plus adopté un système théocentrique sont aussi ceux qui ont leplus grand relief à la valeur du choix. (…) Dans l’ordre religieux, les esprits qui ont le plus combattu en faveur de la toute-puissance divine sont aussi ceux qui ont le plus demandé à l’initiative indiviiduelle   (Jean Grenier, op. cit. pp. 99 & 101). 

Ce qui nous arrive à chaque moment par l’ordre deDieu est ce qu’il y a de plus saint, de meilleur et de plus divin pour nous. Toute notre science consiste à connaître cet ordre au moment présent. (…) L’ordre de Dieu ou sa divine volonté est la vie de l’âme sous quelque apparence que l’âme se l’applique ou la reçoive. Quelque rapport que cette divine volonté ait à l’esprit, elle nourrit l’âme et la fait croître toujours par ce qu’il y a de meilleur. (Jean-Pierre de Caussade, op. cit. p. 72)

Ainsi entendue et expérimentée, la contemplation infuse est légitimement dite parfaite, elle résoud – dès ici-bas – ce dilemme de la créature à qui est promise la divinité du seul Créateur, parce qu’elle est rencontre amoureuse, point de départ d’une vie nouvelle, constamment attirée. Qu’elle soit donnée à l’homme, que celui-ci en soit capable est en soi extraordinaire, et que l’extraordinaire se vérifie pousse résolument à l’optimisme. La foi n’a plus d’excuse quand elle est défaillante puisqu’elle est toujours susceptible d’être sensiblement confortée par une connaissance acquise de tout ce que, sans Dieu, nous ne saurions ni envisager ni anticiper. La contemplation parfaite est bien ce sens de la vue qui vient à la foi, elle est la seule situation dans laquelle l’homme peut continuer d’espérer et d’attendre ce qu’il lui est pourtant donné de voir, dès à présent. La contemplation est possible quand deux piliers sont fondés dans une âme : l’obéissance facteur d’humilité et de discernement, et aussi l’espérance précise de la résurrection. Le contemplant est un ressuscité en puissance, et ne recevoir que d’un Autre cet avant-goût suppose que chez l’être humain ainsi favorisé, ne sévissent plus aucun orgueil, aucune tentation de s’approprier la cause de cette expérience et de cette espérance. C’est la résurrection qui tranche le problème autrement insoluble de la parité homme/Dieu. Et c’est la contemplation qui en donne d’avance la consistance.

Quel est le milieu le plus porteur et constituant ?

Le monastère est une école où l’on apprend à adorer Dieu ; cette école a un maître et n’en a qu’un : N.B. Père a prononcé son nom quand il a parlé de « la voie des commandements de Dieu ». Le maître, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ, puisque c’est par son Verbe que Dieu nous dit toutes choses. Saint Augustin a relevé maintes fois la nécessité du maître intérieur dans l’ordre des deux connaissances, naturelle et surnaturelle. L’enseignement extérieur ne fournit jamais la lumière ni l’impression intellectuelles ; toute sa fonction se borne à donner l’éveil et l’exemple, à analyser, à évoquer le lien inaperçu qui existe entre les principes et les conclusions ; en dehors de Dieu, il n’y a vraiment que des moniteurs. Quand l’Ecriture, ou les Pères, ou l’Eglise nous parlent, c’est toujours l’enseignement de Dieu : « doctrina ejus ».
Il n’y a point de silence pour le Verbe, et la vie monastique nous est décrite comme une attention et une docilité constantes à cette voix qui jamais ne se tait. C’est surtout dans les monastères que Dieu se plaît à communiquer de sa pensée, de sesdesseins, de sa beauté. « Maria sedens secus pedes Domini audiebat verbum illius ». Chaque matin, avant de communier à la chair et au sang du Seigneur, nous lui disons : « Fac me tuis semper inhaerere mandatis et a te numquam séparari permittas ». Cette persévérance dans la doctrine durera jusqu’à la mort : Dieu n’est pas de ceux qu’on abandonne, lorsqu’on a fait connaissance avec lui ; elle ira même au-delà, s’il est vrai que la forme la plus achevée du magistère de Dieu se trouve dans la vision intuitive. (Dom Paul Delaatte,op. cit.  pp. 26-27)

C’est apparemment en revenir à traiter de la contemplation acquise. Pas seulement.

Si, en marge de la cité chrétienne sécularisée, se dresse le monachisme, son rôle est justement d’être mesure maximale, le sel du Royaume, afin de révéler à sa lumière la signification méta-historique de l’existence historique. Dans les temps anciens, la foule venait contempler un instant les stylites et emportait dans son âme cette vision grandiose pour mesurer à son élévation sa propre existence. Ceux qui quittent lemonde s’y retrouvent sous une autre forme, et il faut entendre leur message, y trouver la mesure spirituelle de toute vie.
La science des ascètes expérimente sur la distinction paulinienne entre le sôma, corporété innocente en soi, car naturelle et la sarx, caranalité peccamineuse qui, de l’usage normal des biens terrestres, entraîne vers leur jouissance anti-naturelle. L’importance de la leçon ascétique est dans l’accent sur la totalité de l’être humain participant à sa pneumatisation. La transformation du corps, de son élément somatique, amorcée chez les saints, le démontre au moyen des phénomènes bien connus de lévitation, de luminescence et de pouvoir thaumaturgique.Pendant la vie terrestre, ce n'est point l’âmeseule, mais aussi le corps, lustré par les larmes de pénitente et rendu aérien, allégé qui est immergé dans le « feu de la divinité » Saint Syméon, Hymnes de l’Eros divin.
L’ascèse monastique, quand elle est bien épurée et centrée sur l’unique de l’amour, trace une règle de conduite égale pour les moines et pour la vie du monde et dans le monde ; intériorisée, elle révèle son secret le plus précieux. « Ceux qui vivent dans lemonde, bien que mariés, doivent pour tout le reste ressembler aux moines » Saint Jean Chrysostome Homélie sur l’épître aux Hébreux. La racine de toute existence est l’amour de Dieu « qu’il faut aimer comme on aime sa fiancée ». Le primat de l’intellection-vision ou le primat de l’amour, cette question ne se pose pas en Orient. On ne peut ni connaître Dieu sans l’aimer, ni l’aimer sans le connaître. Toute connaissance est caritative, intuition secrète dotée des propriétés cognitives, charismes de l’Esprit. Penser Dieu et l’aimer est un même acte d’union mystique.L’état du couple édénique uni à Dieu oar la grâce organique reste normatif. Par appropriation-participation, l’amour humain « mémorise » la philanthropie divine et ne s’apaise qu’en Dieu. C’est l’éros ascendant aimanté par l’éros cricifié et immolé.Le philtron, nom enchanteur que donne à l’amour Nicolas Cabasilas La vie en Jésus Christ, tendu vers un au-delà de lui-même par l’épectase (saint Grégoire de Nysse), tout oblation et offrande, cet amour humain de Dieu est ma réponse à l’appel, lamontée vers l’Aimé : « Parfaite est l’âme dont la puissance s’incline entièrement vers Dieu » (saint Maxime).
C’est face à ce mystère tout illuminé de la lumière du Christ qu’on comprend le mot si profond de Péguy : «  Il faut se faire violence pour ne pas croire » (Paul Evdokimov, op. cit. pp. 232 à 238)

Le monachisme bénédictin, s’il garde pour l’essentiel le secret de la relation du moine avec Dieu, expose très en évidence les moyens mis en œuvre.
Le bien moral, au-delà des biens immédiats qui nous sollicitent, peut être perçu dans un premier temps comme une exigence qui n’attire pas trop, mais, en définitive, tout l’effort ou la pédagogie des moralistes consiste à faire voir la voie morale comme un itinéraire vers le bien et, de manière ultime, vers le plus grand bien, qui est la béatitude.
Tous les efforts spirituels tendent vers ce bien ultime auquel on consent d’avance. C’est donc le bien qui est premier et qui attire. C’est en vue de ce bien que nous ordonnons ensuite toute notre vie, ce qui nous amèn à rejeter ce qui nous éloignerait de lui, et donc à renoncer à des choses qui nous apparaissent alors comme négatives, comme mauvaises, comme « mal ». Ainsi, le mal est toujours relatif au bien. C’est parce qu’on perçoit un bien que l’on choisit, qu’on discerne ce qui est mal et qu’on le rejette. (…)
Après des siècles de jansénisme ou de relents de jansénisme, la vie morale est constamment à replacer dans l’axe du bien, et du bien le meilleur, qui est la béatitude. La béatitude est le fait de vivre de la vie même de Dieu. (Dom Robert Le Gall, Le moine et le lama,  op. cit. . pp. 298-299)
Cette contemplation du sens de l’impermanence est essentielle à notre évolution. Elle entraîne la prise de conscience que rien n’est acquis, stable, définitif, et qu’il ne sert à rien de remettre à plus tard l‘accomplissement spirituel. C’est à travers la compréhension – au sens fort – de l’impermanence de toutes choses que nous tournons notre esprit vers la libération, que nous ressentons la nécessité et l’urgence detrouver les moyens, pour nous-mêmes et pour les autres, de nous dégager de l’emprise de l’ignorance et de libérer le potentiel de notre esprit. Ainsi nous ne gaspillerons pas le temps de notre vie, mais consacrerons nos efforts à l’essentiel. (Dom Robert Le Gall, Le moine et le lama,  op. cit. . p. 114)

De tous les chemins parcourus par le moine en deçà de la clôture, la prière des Psaumes est la plus ressassée et intériorisée.

Devenir vivante psalmodie. A force de reprendre les chants royaux de la Cité du Dieu vivant, nous sommes de plus en plus évangélisés ; les psaumes nous font entendre de l’intérieur la parole de Jésus dans l’Evangile : « Le Royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous » Mt. XII 28 ou «  Le Royaume de Dieu est au milieu de vous » Lc XVII 21. Les psaumes qui commencent par une bétatitude, nous donnent l’intelligence des Béatitudes et nous font comprendre que le Royaume des Cieux est à nous, si nous suivons notre Roi dans la pauvreté du cœur et la persécution pour la justice, si présentes dans notre psalmodie.
Nous sommes marqués par l’empreinte journalière des psaumes : ils s’impriment en notre être tout entier, yeux, oreilles, bouche, imagination, sensibilisation, intelligence et mémoire ; leurs mots se gravent jusqu’en notre subsconscient. Dans Les Frères Karamazov, Dostoiewski a écrit ces lignes suggestives :
« Il y a un remarquable tableau du peintre Kramskoï, intitulé le Contemplateur. C’est l’hiver, dans la forêt ; sur la route se tient un pasyan en houppelande déchiquetée et en bittes de tille, qui paraît réfkécir ; en réalité, il ne pense pas, il « contemple » quelque chose. Si on le heurtait, il tressaillirait et vous regarderait commeau sortir du sommeil, mais sans comprendre. A vrai dire, il se remettrait aussitôt ; mais qu’on lui demande à quoi il songeait, spurement il ne se rappellerait rien, tout en s’incorporant l’impression sous laquelle il se trouvait durant sa contemplation. Ces impressions lui sont chères et elles s’accumulent en lui, imperceptiblement, à son insu, sans qu’il sache à quelle fin. Un jour, peut-être, après les avoir emmagasinées durant des années, il quittera tout et s’en ira à Jérusalem faire son salut. » (Gallimard La Pleïade . 1952 pp. 137-138)  
Quand une impression a commencé de nous pénétrer – il y faut le plus souvent des années -, alors les psaumes deviennent l’expression privilégiée, non seulement de notre prière, mais de notre vie entière. Impression, expression aboutissent à la confession de la Trinité, le « Gloire au Père… », qui est le dernier mot de chaque psaume, celui qui nous replonge dans notre baptême. « Au moment où le chantre commence le Gloria, écrit saint Benoît quand il organise l’office divin, tous se lèveront de leurs sièges par honneur et révérence envers la Sainte Trinité » RB IX 7 (Dom Robert Le Gall, La saveur des psaumes op. cit. p. 55 )

Mais qu’est-ce que les Psaumes ? Réponse du moine bénédictin. Les chants de l’Epoux et de l’Epouse. (Dom Robert Le Gall, La saveur des psaumes. op. cit. p. 30)
Le Psautier a été créé par Dieu même pour être à jamais le formulaire authentique de la prière. C’est avec ces pensées-là, avec ces accents-là que Dieu a voulu être loué et honoré. Les psaumes traduisent les sentiments les plus profonds, les plus variés, les plus délicats du cœur de l’homme, et répondent à tous ses besoins. Ils ont servi aux justes de l’Ancien Testament, ils ont servi aux Apôtres et aux saints de tous les âges. Mais ils ont erré sur d’autres lèvres encore : ils ont été dits et redits par Notre-Dame et par le Seigneur.Dans les pélerinages à Jérusalem, le Seigneur et sa Mère et saint Joseph chantaient les psaumes graduels. Certains auteurs ont pensé que le Seigneur récitait le Psautier chaque jour et qu’l n’avait fait, pendant la Passion, que poursuivre sa prière, lorsqu’il dit, élevé en croix : « Deus meus, Deus meus, ut quid dereliquisti me », et encore : « In manus tuas commendo spiritum meum. » (Dom Paul Delatte, op. cit. p. 210)

Et réponse du philosophe de religion protestante. Le texte de chacun est susceptible d’une analyse structurale, littéraire qui en restitue le mouvement et expose en quoi le récitant est mû par ce qu’il s’approprie, par exemple celui du psaume XXII, dont les témoins entendent le Christ en croix en murmurer le début
. . . . il n’est donné aucun tableau clinique : cette dimension du souffrir ne se révèle qu’au suppliant qui place sa détresse devant Dieu.Pour lui, souffrir devant Dieu, c’est souffrir desa main, c’est se poser en victime blessée par Dieu. Un des procédés littéraires mis au service de cette universalisation et de cette radicalisation consiste dans le recours délibéré à des métaphores qui, en quelque sorte, désingularisent la souffrance tout en en marquant le tour paroxystique. Puisant dans le bestiaire de la férocité, le poète évoque directement la virulence spirituelle de la souffrance radicale. (…) La seconde procédure pétique concerne la composition du poème ; elle touche plus encore que la précédente à la textualisation du psaume. Le psaumepropose dans sa rédaction finale – et peut-être dans ses formes littéraires les plus anciennes – l’énigme d’un renversement en apparence soudain et non justifié de la plainte à la louange. C’est ce retournement qu’il faudra transposer plus loin du plan structural au plan spirituel, voire théologique. (…) une analyse littéraire ne prend en compte que les traits repérables au niveau du texte mui-même, et donc ignore l’événement extra-textuel en quoi aurait consisté une parole oraculaire effectivement prononcée dans un lieu de culte. (…) Si l’on tient l’absence de la parole oraculaire pour un trait de textualité, cette absence est alors à rapprocher des procédures de désingularisation des expressions de la souffrance. De même que le « je » poétique est ouvert à quiconque dit « je », le renversement textuel est offert à tout suppliant invité à parcourir le chemin de la plainte à la louange. C’est ainsi que le renversement poétiquement signifié devient lui aussi paradigmatique. Dès lors la tâche de l’analyse littéraire est de montrer par quels artifices il est construit dans et par le texte. C’est alors la dynamique entière du texte qui est à considérer d’un point de vue en quelque sorte dramaturgique.
Comme tous les exégètes l’ont noté, le renversement est d’une certaine façon anticipé dans la formulation paradoxale de la plainte : d’un côté, la plainte voisine à l’accusation ; de l’autre, elle reste enveloppée dqns une invocation et maintenue dans l’espace de la prière, en tant qu’adressée à Dieu. Le paradoxe s’aiguise dans ce qu’on a pu appeler « adrsse questionnante ». C’est en demandant « pourquoi ? » que l’Urleiden de l’être abandonné par Dieu est adressé à Dieu. (Paul Ricoeur – op. cit.  pp. 286-287)
Pas seulement les textes millénaires, mais la manière de les chanter. Le grégorien – en soi - est décisif pour exprimer cette prière, la faire vivre par ceux-mêmes qui le produisent.
Ce sont ces petites antiennes qui constituent, avec la psalmodie qu’elles sont chargées d’accompagner, l’armature même de l’Office liturgique. Plusieurs versets de psaumes,avec, au début et à la fin, une antienne, voilà toute la psalmodie, tout le fond de l’Office. On pourrait même dire que l’Office est fait en grande partie de psalmodie, car les grandes pièces, telles que Répons de Matines, Graduels, Alleluias, ne sont souvent que de la psalùmodie amplifiée et ornée. Ce n’est pas là, c’est trop clair, tout le répertoire grégorien ; c’en est du moins la substance, et nous pouvons y chercher, sans crainte de nous tromper, quelque chose de ce que visaient les vieux compositeurs.
Ces petites antiennes, pour être simples, sont-elles inexpressives ? Non certes ! Elles expriment à merveille un état d’âme, une attitude d’âme polutôt. Les plus grandes pièces : Graduels, Alleluias, Offertoires, répons de l’office, accusent davantage, et d’ailleurs merveilleusement, tel ou tel sentiment. Au fond, pourtant, c’est partout la même attitude d’âme ;partout ce même sentiment de révérence et d’adoration de la créature devant son Créateur, d’humilité, de confiance absolue, de tendresse profonde, de filial, joyeux et total abandon, en un mot, de « foi », au sens plein et ancien du mot, c’est-à-dire d’adhésion active, de cœur et de volonté – toutes choses, semble-t-il, qui ne demandent pas spécialement à être tonitruées ou déclamées, qui réclament bien plutôt une immense réserve et une parfaite discrétion.
Si l’on voulait caractériser d’un mot le chant grégorien, il faudrait dire qu’il est avant tout intérieur et, si l’on me permet ce éologisme, « intériorisant » :sa vertu propre estde nous rentrer au dedans de nous, non pour nous analyser, mais pour y trouver Celui qui y habite, pour parler, converser, vivre avec Lui dans l’intime cœur à cœur.
Telle est la conclusion à laquelle il est difficile, semble-t-il, d’échapper quand on vit en pérpétuel contact avec les saintes cantilènes. Telle est celle aussi à laquelle aboutit fatalement l’étude attentive et désintéressée de la question. Car il y a ici beaucoup plus qu’une opinion personnelle ; il y a, à la base de la discussion, des principes absolument objectifs qui s’imposent avec toute l’évidence des faits. J’en citerai quatre principaux :
1° L’objet du chant grégorien, qui est uniquement la prière ;
2° Sa technique modale et rythmique ;
3° Ses procédés de composition ;
4° Les nuances des manuscrits.

. . . l’objet propre du chant grégorien,composé uniquement pour traduire la prière, c’est-à-dire les relations intimes, d’ordre tout spirituel, entre l’âme baptisée et Dieu. (…) Si, par la langue dans laquelle il s’exprime, il appartient matériellement à la musique, il dépasse infiniment par sa fin la musique. C’est à Dieu seul qu’il s’adresse, et non aux fidèles, sinon secondairement et comme par surcroît. Il n’est donc pas un article de concert, même spirituel ; il n’a pas sa fin en lui-même, il stessentiellement en fonction d’autre chose, qui lui donne sa raison d’être. Il faut de toute nécessité aller jusqu’à la moëlle, jusqu’à la substance même qui est la prière, c’est-à-dire le commerce intime de l’âme avec Dieu. (…) Le chant grégorien lui aussi est un consacré. Il n’existe que pour Dieu, pour L’adorer, Le remercier, et Lui apporter tout l’amour de l’humanité rachetée. Il ne vise aucunement à produire un effet, à attirer les regards sur soi, à plaire ; il n’a qu’un but : »servir », se faire oublier pour conduire les âmes à Dieu. En lui se vérifie magnifiquement le joli mot de saint Jean-Baptiste : Illum opportet crescere, me autem minui. (…)
Nos mélodies grégoriennes (…) expriment à merveille, non pas seulement ce que nous disons à Dieu, mais aussi et peut-être surtout ce que nous sommes devant Lui, notre attitude d’âme. Or S. Benoît résume toute cette attitude en un mot, commeil ramène toute sa spiritualité à une seule vertu compréhensive : l’humilité, laquelle est chez lui le fruit d’un double regard, regard de Dieu sur nous, et de nous vers Dieu, cette disposition foncière d’humilité profonde, d’adoration, d’action de grâces, de louange, de confiance absolue aussi, d’inaltérable paix et d’amour ; et c’est précisément cela même qui fait le fond, la principale beauté et toute l’efficacité de la prière chantée de l’Eglise. (…)
Paix, douceur, ce sont les mots auxquels il faut toujours revenir quand on parle de l’art grégorien, amour surtout. S’il est en effet une chose qui e dégage de l’étude de nos mélodies traditionnelles, c’est qu’elles sont vraiment baignées de tendresse ; quel que soit le sentiment qu’elles traduisent, c’est toujours une atmosphère d’amour, mais d’amour vrai et profond ; elles sont essentiellement de la charité. C’est vraiment l’esprit de l’Eglise tout entier qui est en elles. Plenitudo legis dilectio. On peut dire d’elles ce qu’on a dit, je crois, des fresques de l’Angelico, qu’elles ont été écrites à genoux. (…)
Ainsi, l’art grégorien est beaucoup que de la musique, beaucoupplus même qu’une prière ; parce qu’il est la prière de l’Eglise, il est surtout un esprit, une spiritualité, celle-là même que le Seigneur nous apprenait quand Il définissait les conditons vraies et les qualités de la prière : In spiritu et veritate oportet adorare… nam et pater tales quaerit qui adorent eum. Ce que Dieu veut, quand nous prions, ce n’est ps de l’éclat extérieur, ce n’est même pas une certaine exaltation sentimentale ; ce qu’Il veut, c’est cette prière intime, qui part de l’âme et monte à Lui tout seul. « In spiritu et veritate oportet adorare ». (Dom Joseph Gajard, op. cit. pp. 9 à 13)

La messe de l’aurore – Offertoire « Deus enim »
(…) regardez : une mélodie puissante, large, ramassée :peu de mouvement ; on y procède, pour ainsi dire, par masses. L’ambitus estrestreint à l’extrême, il ne va gure que du sol au do ; le ré n’est touché qu’une fois, et le fa lui-même, en deors d’une demi-cadence peu importante, n’apparaît jamais que comme note de passage, sauf tout à la fin, où il joue un rôle un peu plus accusé. De longues tenues sur do, qui se reniuvellent sans cesse, et toutes aboutissant à la tonique sol, Techniquement, c’est aussi dépouillé que possible.
Et pourtant quelle vie, quelle force d’affirmation, quelle admiration latente, et quel sens de la Majesté divine ! Peut-être y a-t-il quelque difficulté à les traduire dans l’exécution, à raison même de la simplicité des moyens employés. Une seule manière d’y réussir :le « rythme ». J’entends par là le grand rythme : cette pousséede vie qui circule à travers tous les éléments de la pièce, les saisit, les informe, les organise, les ordonne et les anime, pour les fondre en défnitive dans une large et chaude synthèse, toue vibrante de la vie même de celui qui l’a conçue.
Chantez donc avec toute votre âme ; ne juxtaposez pas ni n’émiettez ces longs neumes ; n’alourdissez pas ni ne matérialisez ces tenues sans fin où le compositeur a mis tant de son âme ; qu’à travers tous ces mélismes circule, pour les relier, la sève vivifiante de la ligne intensive, étroitement calquée sur les courbes mélodiques ; retenez quelque peu chaque cadence, et repartez aussitôt après, avec l’élan qui suit, en cescendo vers les strophicus sur do, atteints eux-mêmes en douceur, selon la règle habituelle, et vous verrez comment tout s’illumine ! (Dom Joseph Gajard, op. cit. pp. 60 & 61)



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Le recours à un tiers vérificateur ou accompagnateur

            Toutes les sagesses impliquent un enseignant, un maître qui, bien davantage qu’une institution, fondent une maïeutique. La littérature est de plus en plus riche en modèles de relation entre un initié et un disciple (notamment Hermann Hesse, Narcisse et Goldmund ; Patrick Kearney, op. cit. ; dans les deux fictions, la relation est celle d’un moine avec son novice) . Et il y a aussi, transposition subtile de cette relation, la dialectique masculin-féminin, plus seulement entre l’âme et son créateur, mais entre deux personnalités d’équivalente densité spirituelle (Benoît et Scolastique, Thérèse d’Avila et Jean de la Croix, François de Salles et Jeanne de Chantal, Charles de Foucauld et Anne de Bondy sans entrer dans l’histoire confinant au modèle, d’Abélard et d’Héloïse). Mais, dans la mystique chrétienne, la relation, si pédagogique qu’elle puisse paraître avec parfois son appel à l’obéissance et à une réelle docilité, n’est à terme qu’accompagnement, et cela jusqu’à un certain seuil, seulement. Le directeur spirituel s’efface devant l’unique Maître. Car la contemplation est autant possession qu’enseignement, Dieu s’enseigne Lui-même à son peuple, à sa créature. C’est sans doute dans la relation dirigé/directeur que se mesure le mieux l’improviste de Dieu et la logique de l’extraordinaire dans une vie humaine.

C’est l’une des plus grandes mystiques de l’histoire humaine qui témoigne le mieux de cette nécessité de l’accompagnement, à proportion-même de l’extraordinaire du reçu, du vécu.

Relation IV – Séville, 1576 – Jésus
Cette religieuse prit l’habit il y a quarante ans, et, dès la première année, elle se mit à méditer sur les mystères de la Passion de Notre Seigneur et sur ses péchés, sans songer jamais à quoi que ce soit de surnaturel : elle ne considérait que les créatures, ou les choses qui l’éclairaient sur la brièveté de tout au monde ; elle consacrait à cela certains moments de la journée sans qu’il lui vînt à l’esprit de désirer mieux, jugeant qu’elle ne méritait même pas de penser à Dieu. Elle vécut ainsi près de vingt-deyux ans dans une grande sécheresse, lisant aussi de bons livres. Il y a environ dix-huit ans qu’elle entreprit de s’occuper du premiuer monastère de Déchaussées qu’elle fonda à Avila, et trois ans auparavant, elle avait commencé à sentir qu’on lui parlait intérieurement, à avoir quelques visions et à recevoir des révélations. Non qu’elle ait vu quelque chose, jamais elle n’a rien vu avec les yeux du corps, il s’agissait d’une représentation rapide comme l’éclair ; mais cela se gravait en elle aussi profondément et produisait d’aussi grands effets, plus grands mêmes, que si elle avait vu ces choses des yeux du corps. Extrêmement craintive, il lui arrivait, même en plein jour, de ne pas oser rester seule. Et comme malgré ses efforts elle ne pouvait éviter ces visions, elle vivait dans une extrême affliction, et craignait que ce fut un leurre du démon. Elle entra en rapports avec des personnes spirituelles de la Compagnie de Jésus : le Père Araoz, général de 1562 à 1565, François de Borgia, Gilles Gonzalès, Baltazar Alvarez, Salazar de Cuenca, Santander de Ségovie, Ordonez d’Avila. Quand elle allait dans ces différentes localités, elle cherchait à voir ceux d’entre eux qui étaient les plus estimés.
Elle eut de fréquents rapports avec Fr. Pierre d’Alcantara, qui prit chaleureusement son parti. En ce temps-là, poendant six ans, on la mit à l’épreuve, elle vécut dans les larmes et l’affliction ; plus on l’éprouvait, plus elle avait de visions, de fréquents ravissements pendant l’oraison, et même en dehors de l’oraison. On priait beaucoup pour elle, on disait des messes pour que Dieu la conduise par une autre voie, car lorsqu’elle n’était pas en oraison, elle avaiut grand-peur, bien qu’on puisse voir en elle de grands progrès dans tout ce qui regardait le service de Dieu, sans nulle vaine gloire ni orgueil ; elle fuyait plutôt ceux qui étaient au courant de tout ce qui lui arrivait ; il lui coûtait plus d’en parler que s’il se fut agi de péchés ; elle croyait qu’on rirait d’elle et qu’on y verrait des idées de femmelette.
Il y a près de treize ans, l’évêque de Salamanque passa par là, il était Inquisiteur à Tolède, ce me semble, et il l’avait été ici. Elle chercha à lui parler pour mieux se rassurer, et lui rendit compte de tout. Il lui dit que rien de cela ne concernait son office, puisque tout ce qu’elle voyait et entendait la confirmait de plus en plus dans la foi ncatholique, qu’elle y avait été et y demeurait toujours solidement ancrée, animée de l’immense désir de l’honneur de Dieu et du bien des âmes, prête à se laisser tuer plusieurs fois pour en sauver une. Il la vit si affligée qu’il lui conseilla d’envoyer au Maître d’Avila, qui était encore en vie, une longue relation de tout ; c’était un homme fort versé dans l’oraison, et la répoonse qu’il lui ferait devrait l’apaiser. Elle suivit ce conseil, et ce qu’il lui écrivit la rassura beaucoup. Cette relation fut telle que tous les hommes doctes qui l’ont vue, et qui étaient mes confesseurs, disaient qu’elle était un guide fort efficace dans les choses spirituelles, ils lui ont donné l’ordre de la recopier et d’en faire, pour ses filles, car elle était prieure, un autre petit livre où elle leur donnerait quelques conseils. Malgré tout cela, par moments, elle n’était pas sans crainte, il lui semblait que des gens d’une haute spiritualité pouvaient être leyrrés tout comme elle, et elle voulait s’entretenir avec de grands théologiens, même peu portés à l’oraison ; elle voulait surtout savoir si tout ce qui se passait en elle était conforme à la Sainte Ecriture. Elle se consolait parfois en songeant que même si elle méritait d’être dans l’illusion, pour ses péchés, Dieu ne permettrait pas que tant de bonnes gens qui souhaitaient l’éclairer soient induites en erreur.
Dans cette intention elle commença à s’entretenir de tout cela avec les pères de Saint-Dominique : Vincent Baron à Tolède, Dominique Banez à Valladolid et elle a toujours recours à lui par lettres, quand quelque chose de nouveau se présente. Chaves, confesseur de Philippe II, Pierre Ibanez à Avila, Garcia de Toledo, Barthelemy de Medina dont elle savait qu’il avait entendu parler de ces choses et préjugeait mal d’elle ; elle pensa donc que s’il y avait leurre, il le lui dirait mieux qu’un autre ; celaz se passait il y a un peu plus de deux ans ; elle chercha à se confesser à lui, lui fit un long récit de tout pendant son séjour là-bas, et lui montra ce qu’elle avait écrit, pour qu’il la connaisse mieux. Il la rassura autant et même mieux que tous les autres et devint son grand ami. (Thérèse d’Avila, op. cit.  pp.853 à 855)

C’est sans doute par ce rôle de l’accompagnateur que religion et psychiâtrie – aujourd’hui - se rejoignent le plus pratiquement et peuvent, le cas échéant, collaborer :

Un directeur spirituel n’est pas un psychanalyste. Il doit s’en tenir à la mission que Dieu lui a confiée, et éviter deux graves erreurs. La première serait de devenir psychothéraoeute amateur : il ne doit pas s’intéresser directement aux impulsions inconscientes et aux problèmes émotionnels, tout en les connaissant suffisamment pour déceler leur présence. Il doit respecter profondément la nature inconsciente et instinctive de l’homme, en évitant que ses conseils ne renforcent les tendances infantiles autoritaires de son pénitent, en n’étant ni trop facile ni trou coulant, et en n’approuvant pas tous ses caprices, quelle que soit leur extravagance.
Le directeur doit comprendre ensuite que les problèmes psychologiques sont des réalités, et que, lorsqu’il se trouve en face d’eux, ils dépassent sa compétence. Au lieu d’être de ceux qui se moquent de la psychiatrie par principe, et prétendent que l’ascétisme résout tous les problèmes émotionnels, le directeur doit savoir quand il faut adresser un pénitent au psychitare pour un traitement approprié. Il ne doit pas essayer de « guérir » un névorsé en bluffant, en affectant l’optimisme, ou en moins en lae brusquant.
Nous avons vu rapidement quelques-uns des avantages et des problèmes de la direction spirituelle. Fatalement un tel exposé manque de perspective ; il donne l’impression qu’il y a toujours d’importantes questions à débattre entre le pénitent et le directeur, et que celui-ci doit être perpétuellement sur ses gardes pour ne pas être rompé – comme si chacune de leurs entrevues était un combat entre la lumière et les ténèbres.
Or ce n’est pas absolument pas le cas. A partir du moment où le directeur et son pénitent se connaissent, leurs entrevues continuent, paisiblement et sans incidents, de mois en mois et d’année en année. Les grands problèmes sont rares, les difficultés aussi. Lorsqu’il s’en présente, on les traite avec calme et simplicité, sans beaucoup s’en troubler. Il peut y avoir ses moments de tension, des moments difficiles, mais ils passent. On est tenté de penser que tout est trop monotone, trop calme, trop sûr ; on se demande si la direction n’est pas une perte de temps, qui ne représente guère plus qu’une conversation amicale sur les événements contemporains ordinaires.
Si nous sommes sages, malgré cela, nous comprendrons que c’est précisément en cela que réside la plus grande valeur de la direction. Une vie qui est paisible, presque banale dans sa simplicité, serait peut-être très différente sans ces entretiens amicaux qui engendrent la paix et maintiennent les choses sur la voie du calme. Combien de vocations seraient plus assurées si tous les religieux pouvaient voguer sur ces eaux tranquilles et sereines ?(Thomas Merton, op. cit. pp. 57 à 60)

On m’a souvent demandé quelle était ma méthode psychothérapeutique ou analytique : je ne peux donner de réponse univoque. La thérapie est différente dans chaque cas. Quand un médecin me dit qu’il « obéit » strictement à telle ou telle « méthode », je doute de ses résultats thérapeutiques. Das la littérature il est tellement souvent question des résistances du malade que cela pourrait donner à penser qu’on tente de lui imposer des directives, alors que c’est en lui que defaçon naturelle doivent croître les forces de guérison. La psychothérapie et les analyses sont aussi diverses que les individus. Je traite chaque malade aussi individuellement qu’il m’est possible, car la solution du problème est toujours personnelle. On ne peut établir des règles générales que cum grano salis, avec la réserve nécessaire. Une vérité psychologique n’est valable que si l’on peut l’inverser. Une solution qui, pour moi, n’entrerait pas en ligne de compte peut être justement la vraie pour un autre.
Naturellement, il faut qu’un médecin connaisse les prétendues « méthodes ». Mais il doit bien se garder de se fixer sur une voie déterminée, routinière. Il ne faut utiliser qu’avec beaucoup de prudence les hypothèses théoriques. Peut-être sont-elles valables aujourd’hui, demain ce pourront en être d’autres. Dans mes analyses, elles ne jouent aucun rôle. C’est précisément avec intention que j’évite d’être systématique. A mes yeux, confronté à l’individu il n’y a que la compréhension individuelle. Chaque malade exige qu’on emploie un langage différent. Ainsi pourrait-on m’entendre, dans une analyse, employer un langage adllérien, dans un autre un langage freudien.
Le fait décisif c’est que, en tant qu’être humain, je me trouve en face d’un autre être humain. L’analyse est un dialogue qui a besoin de deux partenaires. L’analyste et le malade se trouvent face à face, les yeux dans les yeux. Le médecin a quelque chose à dire, mais le malade aussi.
Dans la psychothérapie, comme l’essentiel n’est pas « d’appliquer une méthode », la formation psychiatrique seule est insuffisante. J’ai dû moi-même travailler encore longtemps après être devenu psychiâtre avant de posséder l’armature nécessaire à la psychothérapie. En 1909, déjà, je m’aperçus que je ne pouvais traiter les psychoses latentes sans comprendre leur symbolique. C’est alors que je me mis à étudier la mythologie.
Quand il s’agit de malades cultivés et intelligents, les seules connaissances techniques du psychiâtre ne suffisent pas. Libéré de toutes les présuppositions théoriques, il lui faut comprendre ce qui en réalité agite le malade, sinon il suscite des résistances superflues. Car il n’est nullement question de confirmer une théorie, mais bien de faire en sorte que le malade se comprenne lui-même en tant qu’individu. Or, cela n’est pas possible si l’on n’établit pas de comparaisons avec les idées collectives dont le médecin devrait être instruit. Une simple formation médicale n’y suffit pas, car l’horizon de l’âme humaine s’étend bien au-delà des seules perspectives en honneur dans le cabinet de consultation du médecin.
L’âme est beaucoup plus compliquée et inaccessible que le corps. Elle est, pourrait-on dire, cette moitié du monde qui n’existe que dans la mesure où l’on en prend conscience. Aussi, l’âme est-elle non seulement un problème personnel, mais un problème du monde entier et c’est à ce monde entier que le psychiâtre a affaire.(Car Gustav Jung, op. cit. pp. 158-159)

Il est extrêmement rare que quelqu’un puisse avancer vers la libération en comptant sur ses seules ressources personnelles. Le Bouddha s’est éveillé par lui-même, mais c’était le Bouddha. Seuls des êtres d’exception ont la faculté de se livrer à une investigation intérieure suffisamment profonde pour mettre au jour l‘essence de leur esprit. La quasi-totalité des êtres n’ont pas cette capacité. L’exemple et les conseils de maîtres éveillés leur sont indispensables pour parvenir au terme du chemin. Même si le maître n’est pas complètement libéré, il doit au moins avoir parcouru une partie de la voie, être à même de guider les autres et de les mener dans la bonne direction.
Au cours d’une même vie ou au cours de plusieurs vies, nous pouvons rencontrer des guides de différents niveaux d’expérience et de réalisation. En effet, généralement, lorsqu’on parle de « maître spirituel », on ne fait pas allusion seulement aux grands maîtres réalisés. On désigne en fait l’ensemble de tous ceux qui ont acquis une expérience suffisamment stable de la voie, à travers leur pratique, ainsi qu’une réelle compréhension des enseignements. Ils sont ates à guider les autres jusqu’à un certain point du chemin, et à transmettre à leur tour les instructions spirituelles qu’ils ont reçues et mises en pratique. Ces lamas enseignent tout en continuant d’approfondir leur propre chemin spirituel. (Lama Jigmé RIMPOCHE op.cit.p. 294)
           
Le Jésuite en est d’accord. . . . la formation religieuse. Elle ne se fait pas d’abord dans des conférences ou des lectures, mais dans un contact de personne à personne, où la qualiuté du raapport joue un rôle fondamental. Que chacun se remémore le temps de sa formation ! Bien des points expliqués dans les débuts n’ont pas été saisis alors. Si au jour voulu, ils ont apporté la lumière dont nous avions besoin pour résoudre les difficultés de l’existence, c’est qu’à ce moment ils ont réveillé en nous le souvenir de celui qui nous les donna et dont la personnaliutré leur communiquait chaleur et vie. Après coup, nous découvrons que ce jour-là, nous fûmes en présence, non seulement d’un professeur, d’un savant ou d’un spirituel, mais d’un vrai maître.
De tels maîtres sont les vrais éducateurs de la foi. Leur rareté vient du difficile équilibre qu’eux-mêmes doivent réaliser dans leur être profond entre les éléments qui constituent une personnalité spirituelle. Trois ordres sont ici en présence : celui de la connaissance, celui de l’expérience humaine, celui de la grâce. Leur mise en place selon leur valeur relative assure seule l’équilibre dont nous parlons.
Aucun prétexte de sainteté iou de savoir-faire ne légitime d’abord l’ignorance des lois psychologiques les plus fondamentales ou la négligence des études qui de nos jours se sont développées en ce domaine. Mais il serait dangereux de s’estimer capable d’aider les autres dans leur développement humain et spirituel en raison des années d’études passées dans des instituts spécialisés. Toute la science du monde est, par elle-même, incapable d’établir un vrai rapport humain.
Pour que celui-ci se noue, elle doit être dépassée, un engagement personnel doit être accepté où tour à tour chacun donne et reçoit avec les risques que comportent de tels échanges. C’est une aventure où les connaissances acquises permettent d’avancer avec plus de certitude et de prudence, mais où personne n’échappe à la nécessité de se livrer lui-même au moment voulu sans réserve et sans arrière-pensée.
Enfin cette relation personnelle ne doit pas se fermer sur elle. Son but n’est pas seulement de situer les êtres les uns par rapport aux autres dans une plus grande liberté, mais de les soumettre au mouvement du Saint-Esprit, pour le plus grand service de l’Eglise. (Jean Laplace, La femme et la vie consacrée op. cit. pp. 258 & 259)

Pathétique accompagnement de celui qui vit l’essentiel par un  autre que son rôle dépasse.  Le plus prenant est sans doute d’aider celui qui arrive au seuil et à l’instant de la définitive contemplation. Dans ce champ de l’expérience humaine, comprendre c’est avant tout accepter d’être avec. La relation élaborée dans cette part d’histoire commune qui peut se constituer avec la personne en fin de vie, représente la modalité d’émergence d’un sens intime souvent peu communicable. Il relève d’un « savoir » intérieur.(Dr. Michèle-H. Salamagne & Emmanuel Hirsch, op. cit. p. 81 Le devoir de non-indifférence)[1]

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Créativité et contemplation


L’inspiration, « l’intuition créatrice », en ce qu’elles tirent de l’homme, pas uniquement de l’artiste, ce qui semblait ne pas y être ou n’y être qu’à l’état latent, s’apparenteraient à la contemplation. Ce serait une activité du même ordre, saisissant complètement le sujet qui a conscience à la fois de sa dépendance pour ce qui vient de son tréfonds, en quoi il sait n’être pas démiurge, et de ce qu’a de nécessaire le filtre que constitue sa propre personnalité avec ses acquis, sa formation, son savoir et même les circonstances du moment modelant autant l’œuvre en train de se concevoir puis de se réaliser que lui-même en proie à ce travail jouxtant la création.

L’art chez les anciens avait pour condition la simplicité. Le vrai, le beau et le bien ne peuvent être que simples. L’artiste véritable est celui qui traduit le mieux dans le monde extérieur, c’est-à-direde la manière la plus simple, l’idéal qu’il porte dans la simplicité de son intelligence. Plus une intelligence est pure et haute, plus elle conçoit la vérité d’une façon simple et une… L’art n’est pas destiné à encombrer l’intelligence humaine d’une multiplicité qui ne lui appartient pas ; il doit tendre au contraire à relever lemonde des sens jusqu’à y faire pénétrer un certain reflet de la simplicité etde l’unité du monde spirituel. L’art doit tendre à la perfection de l’individu humain et non pas à son abaissement ; s’il s’adresse aux sens en provoquant des impressions et des émotions qui leur appartiennent, ce n’est que pour éveiller en quelque sorte la pensée de l’homme, pour l’aider à s’affranchir et à s’élever au-dessus du monde visible et sensuel par une sorte d’échelle habilement ménagée, d’après les lois posées par Dieu lui-même. (Dom Mocquereau cité par Dom Gajard, op.cit.p. 7)

L’observation clinique des créateurs et l’étude des comptes rendus introspectifs d’expériences faites au cours de l’activité créatrice font penser que nous assistons là au déplacement de l’investissement de certaines fonctions du Moi. C’est ainsi qu’on distingue fréquemment, dans la création, la phase d’insporation et la phase d’élaboration. La phased’inspiration est caractérisée par la facilité avec laquelle sont reçues les pulsions du çà ou leurs plus proches dérivés. On pourrait dire que, dans une certaine mesure, les énergies du contre-investissement sont retirées pour s’ajouter à la vitesse, à la puissance ou àl’intensité avec lesquelles se forment des pensées préconscientes. Au cours de la phase d’élaboration, la barrière du contre-investissement peut se renforcer, le travail progresse lentement, l’investissement s’oriente vers d’autres fonctions du Moi, telle l’épreuve de réalité, la formulation ou d’autres objets de communication. L’alternance des deux phases peut être rapide, osciller ou se répartir sur de longues périodes. (…)
On parvient également à un sentiment de soulagement et de décharge, semblable à celui que produit le fantasme, par la résolution d’un problème, lorsqu’une poartie de la délibération préconscxiente esr parvenue à une conclusion consciente satisfaisante. La satisfaction indicutable qui accompagne habituellement la résolution d’un problème est généralement décrite comme un sentiment gratifiant de maîtrise, de triomphe dû à desréalisations reliées aux intérêts du Moi, à des sentiments d’amour-propre réduisant la tension intrapsychique entre le Surmoi et le Moi, par exemple, etc. Il serait également utile de considérer que la résolution des problèmes – dans toutes les aires de la créativité – peut amener le plaisir par la décharge de l’énergie neutre utilisée dans la quête de la pensée créatrice Cette constatation n’a rien de nouveau, ni en psychanalyse, ni en psychologie. On s’y réfère souvent comme à un plaisir fonctionnel. (…) L’élaboration de cette théorie paraissait conduire à une meilleure compréhension de l’expérience esthétique. (Ernst Kris in recueil de textes La sublimation . Les sentiers de la création op. cit. pp. 190 à 193)

Ce n’est pas pour autant la contemplation puisque la rencontre ne s’opère qu’entre un sujet conscient et un objet mis au jour, une œuvre. Dans la contemplation, c’est le sujet humain qui se sait de Dieu, se reçoit comme l’œuvre de Dieu, et qui en Lui et par Celui-ci vit son complet, total, éternel et personnel accomplissement, comble de la nécessité et de la liberté. Le mode d’exister – La différence christique
Ce qui a surgi, à la pointe de l’épreuve, c’est une neuve possibilité de vivre, d’être au monde, à soi-même, à autrui.
Et elle se tient par elle-même : c’est-à-dire qu’elle a sa consistance propre, sans qu’il soit besoin de la référer à un système religieux ou philosophique, pas même à l’Evangile ! La référence est possible, bien sûr ; et féconde. Mais dans la situation où nous sommes, elle risque de ramener au schéma d’application : des idées, desrègles, une organisation régissant la vie ; alors que le rapport d’inspiration est différent : la vie trouve elle-même son chemin, pourvu que sa source soit « l’eau vive ». Pousser à fond, en ce moment-ci, l’effet d’un tel rapport, c’est mettre en liberté – et donc finalement, par effet deretour, exiger bien plus de force et de rigueur en tout ce qui nommera « l’Evangile » et nommera à partir de lui.
Il suffit que s’exerce ce que nous nommerons ici la différence christique : c’est-à-dire, en tout, visiblement ou secrètement, ce passage de la mort à la vie, cet avènement d’humanité qui descend au fond et ne laisse derrière lui aucune complicité avec la tristesse essentielle.
Cette différence joue d’abord dans l’avènement même de l’homme.Par-delà toute essence ou nature : cet homme, qui advient. Et elle jouera ensuite partout, de façon toujours imprévisible.
Ainsi le déploiement se fait dans une ambiance quasi-philosophique : comme si l’homme retrouvait puissance de se créer. Et il la retrouve en effet ! Mais par cette dépendance (cette obéissance) qui est l’opposé même de la servitude : car c’est l’écoûte d’une parole qui donne enfin d’être à soi-même, par le don qu’on reçoit et qu’on donne.
Oui, nourris de cette nourriture, s’en aller sur les chemins et inventer la vie. (Maurice Bellet, op. cit. pp. 56-57)

La toute primordiale pensée écoute. Car elle habite la parole, au-delà en deçà des mots, dans toute l’ampleur du corps parlant. Elle est en ce don de parole, qui est la co-présence, l’accueil et le don du visage et de la voix, où naît la puissance même de dire je. La communion humaine précède toute pensée en la pensée même. Hors de là, il n’y a que ténèbres, l’impénétrable abîme du Seul – ou l’agonie du Vide.
Ni la puissance solaire de la raison, ni sa perte dans l’humiliation où elle avoue ses conditions ; ni, pas davantage, l’abaissement d’une obéissance (de foi, disent-ils) qui serait démission, croyance entêtée ou anxieuse.
Ailleurs, ailleurs est l’heureuse naissance de la pensée ! Dans cet habitat de la parole qui devient poème aux lèvres humaines, chant partagé, donation du chemin et de la demeure. Exaltation du corps ! De ce corps de vie, qui est l’esprit même, dans sa manifestation, prenant durée et déjà, pourtant, sur le versant d’éternité.
Poésie, aurore qui précède tout raisonnement et toute sagesse : c’est donation de la lumière.
Là se donne et s’entend la parole qui est la pure venue à parole ; là s’entend l’homme dont témoigne l’heureuse annonce. La puissance de cette parole, c’est que l’écoute, la critique, la création font un : un seul acte qui brise le cercle de fer. (Maurice Bellet, op. cit. p. 85)

Ce que donne à réfléchir la psychologie cognitive la plus récente. Comment est mise en œuvre, suscité la capacité de dépasser l’habituel ou d’utiliser le connu pour accueillir et s’approprier l’inconnu, le résoudre.

L’effet de fixation peut être illustré par un problème bien connu et qui a fait l’objet d’études à la fois anciennes et récentes : le problème des 9 points.
Ce problème est difficile pour quiconque le rencontre pour lapremière fois. Pendant très longtemps, toutes les solutions qui sont tentées se limitent àl’intérieur du carré. Il est impossible, ce faisant, d’aboutir à une solution satisfaisante.il fautpour cela sortir du carré. Certains sujets ne dépassent jamais les limites du carré. Ceux qui y parviennent mettent très longtemps à le faire et ensuite continunt tous leurs essais en débordant la figure. Il y a une différence manifest entre ces deux phases de la recherche, qui se traduit souvent par la reconnaissance explicite, de la part du sujet, du fait qu’il n’avait pas envisagé cette possibilité auparavant.   (…)
Le cœur de la question est de savoir s’il faut ou non invoquer des processus différnts pour expliquer ce qui se passe au début du problème quand le sujet cherche une solution à l’intérieur du carré et ce qui se passe à la fin quand il déborde les limites du carré. (…)
Si les essais infructueux s’expliquent par la fixation et si la découverte de lasolution résulte d’une restructuration perceptive, alors donner l’information adéquate devrait supprimer la difficulté du problème : indiquer au sujet qu’il faut dépasser les limites du carré devrait supprimer la fixation et la solution devrait être pratiquement immédiate. L’expérience montre qu’en fait de nombreux essais restent nécessaires pour parvenir à la solution. (Jean-François Richard, op. cit.  )

. . . réserver le terme de  représentations aux constructions circonstancielles et celui de connaissances aux constructions stables. Nous n’utilisons pas l’expression, « représentations des connaissances ». Ell a un sens précis en informatique : elle signifie un moyen d’exprimer les connaissances sous une forme exécutable par une machine. Mais ce sens n’est pas du tout pertinent en psychologie, sauf lorsqu’il s’agit de simuler l’organisation des connaissances en mémoire.
Du point de vue du fonctionnement cognitif, la différence entre connaissances et représentations est que les connaissances ont besoin d’être activées pour être efficientes, alors que les représentations constituent le contenu de la mémoire opérationnelle, à savoir les informations stockées en mémoire de travail et les informations actives de la mémoire à long terme. Les informations en mémoire opérationnelle sont celles qui sont disponibles pour les tâches et les traitements afférents : elles sont maintenues actives pendant la durée d’accomplissement de la tâche.
Les connaissances, en revanche, sont stockées en mémoire à long terme. Toutes les informations en mémoire à long terme ne sont pas disponibles : une faible partie de celles-ci seulement le sont, celles qui ont un nivau d’activation suffisant ou qui font l’objet d’une recherche en mémoire couronnée de succès. (Jean-François Richard, op. cit. p. 11 ) 
Cela revient à dire que face à un nouveau problème on commence  par rechercher s’il y a d’autres situations dans lesquelles on a une procédure pour répondre au même type de questions ou pour réaliser le même objectif et à rechercher ensuite si les conditions de la nouvelle situation sont telles que la procédure est applicable. (…)
On remarquera que les conditions de déclenchement de l’analogie sont les mêmes que celles que nous supposons être celles de l’application des connaissances aux situations dans les situations d’exécution ; la mise en œuvre des procédures est faite par un processus d’apariement des caractéristiques de la situation avec le but, d’une part, de prérequis de l’application de la procédure d’autre part.
Le transfert analogique présente les conditions habituelles d’application des schémas de connaissances aux situations concrètes : la mise en œuvre des procédures est très rapide, comme c’est le cas pour tous les processus qui reposent sur l’apariement.
Le transfert analogique peut évidemment conduire à des erreurs, car des situations peuvent s’apparier à des schémas de connaissances sur l’action,alors qu’elles ne possèdent pas les propriétés intrinsèques qui légitiment les procédures. Mais ces erreurs sont le prix à payer pour une mise en œuvre rapide. C’est une condition de l’acquisition des habiletés cognitives. (Jean-François Richard, op. cit. . pp. 156-157 )

On observe en général très peu de transfert entre les problèmes qui sont véritablement isomorphes, si ces problèmes se ressemblent peu par les traits de surface.
Il faut des conditions tout à fait particulières pour que le sujet soit amené à remarquer que le problème qu’il est en train de résoudre présente la même structure relationnelle qu’un problème connu : par exemple, informer le sujet que le premier problème peut l’aider à résoudre le second ou encore lui faire résoudre une série de problèmes isomorphes.
En revanche, on observe des effets de transfert analogique apparemment incoercibles entre des situations qui sont de structure complètement différente, mais qui ont beaucoup de traits particuliers communs. (Jean-François Richard, op. cit. pp. 155-156 )





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Contemplation, vision, connaissance



Au bout de cette quête ressort une unanimitié profonde : l’homme ne peut se passer d’union à Dieu, la vie éternelle peut recevoir son anticipation ici-bas, l’amour est la faculté par laquelle nous acceptons la réalité et il est le fruit de la grâce de Dieu et de la volonté humaine. Participation au milieu divin, la contemplation caractérise le milieu humain porté à sa perfection. Mais il existe deux sortes de témoignages, ceux qui discernent la possibilité, la nécessité, les contours de l’expérience ; philosophes ou scientifiques, ils ne parviennent pas à y entrer tout simplement parce qu’il leur manque la révélation qu’amour, absolu, vérité et tous les noms que donne à l’inaccessible le désir humain de comprendre la vie et de transcender des limites trop quotidiennement ressenties, sont en réalité une personne. La contemplation est au-delà du dialogue mais elle est faite d’un duel, d’une rencontre, elle est une union. Le témoignage des saints, des mystiques de tous les temps et de toutes les religions tranche sur les dissertations des précédents, parce qu’il expose l’intérieur de l’expérience et qu’il est même capable d’enseigner, d’assurer le chemin qui y mène, d’identifier ce qui est cause et contenu. Etat de grâce, exceptionnalité d’un moment, tout est plat qu’on observe du dehors. Se vivant et se recevant soudainement accueillie et rencontrée par Dieu, l’âme la plus simple laisse loin les esprits les plus déductifs, les analystes les plus cohérents et audacieux : elle connaît, ce qui est bien autre que savoir.

Le vrai objet de la contemplation mystique, son but propre est la sainteté cachée de Dieu, sa gloire infinie et sans forme, d’où procède sa voix et sa parole. (le hassidisme médiéval selon Gershom G. SCHOLEM, op. cit. p. 130 )

Lui reconnu, il n’y a plus rien à chercher. En son Fils, le Père nous a tout donné. Cependant, il nous reste tout à découvrir. Par lui, nous entrons dans un dialogue d’amour et une poursuite incessante. C’est la suprême révélation, celle de Dieu, en tant que source et terme, dans son Fils par qui il se donnelui-même  par l’Esprit qui nous conduit dans ces profondeurs. (Jean Laplace, Discernement pour temps de crise, l’épître de Jean, op. cit. p. 161)

La forme de vision que Votre Grâce m’a demandé de lui expliquer est de celles où on ne voit rien, ni intérieuyrement, ni extérieurement, car elle n’est pas imaginaire ; mais sans rien voir, l’âme comprend qui est là, et de quel côté, Il est représenté plus clairement que si elle le voyait, sauf qu’on ne lui représente rien en particulier ; elle est comme quelqu’un qui sent une personne auporès d’elle, dans l’obscurité ; sans la voir, elle a la certiutude qu’elle est là ; cette comparaison est toutefois insuffisante, car celle qui est dans l’obscurité comprend d’une manière ou d’une autre que la personne est là, soit qu’elle entende du bruit, soit qu’elle ait vu la personne avant, ou qu’elle la connaisse déjà ; rien ne pareil ici, mais sans paroles extérieures ni intérieures, l’âme comprend avec une extrême clarté qui est là, et de quel côté, et en même temps ce qu’Il veut lui signifier. Par quel moyen le comprend-elle , ou comment, elle ne le sait point ; mais il en est ainsi ; tant que cela se prolonge, elle ne peut l’ignorer ; et quand cela se dissipe, elle a beau vouloir l’imaginer à nouveau, elle n’y parvient pas, elle voit que c’est de l’imagination, et pas une présence, cette présence ne dépend pas d’elle, comme c’est le cas pour toutes les choses surnaturelles. C’est pourquoi celle à qui Dieu fait cette faveur se méprise, elle voit que c’est un don, elle ne peut ni faire ni défaire ; elle se retrouve avec une humilité accrue et l’amour de toujours servir ce Seigneur si puissant qu’il est capable de réaliser ce que nous sommes encore incapables de comprendre ici-bas ; car pour savant qu’on soit, il est des choses qu’on ne peut saisir. Béni soit Celui qui les donne. Amen, à jamais. (Thérèse d’Avila, op. cit. p. 859)

C’est la définition même de la « théologie apophatique. La connaissance de Dieu est d’autant plus riche qu’elle est faite de la négation de toute détermination particulière. Les théologiens de l’Eglise d’Orient insistent particuylièrempent sur cette connaissance par inconnaissance. » Quelle est donc la vraie nature de la contemplation ? C’est avant tout une expérience surnaturelle de Dieu. Cette expérience est un don gratuit de Dieu, plus particulièrement que toutes les autres grâces qu’exige notre santictification. L’expoérience mystique est essentiellement la participation plus ou moins consciente de notre âme et de ses facultés à la vie, à la connaissance et à l’amour de Dieu lui-même. Cette participation n’est ontologiquement possible que par la grâce sanctifiante qui surajoute à notre nature un « être » nouveau capable de produire des actes qui le dépassent entièrement.
De façon plus particulière, l’expérience mystique est provoquée directement par les inspirations spéciales du Saint-Esprit substantiellement présent dans l’âme par la grâce. Ces inspirations permettent à l’âme de « voir » et d’apprécier, de façon absolument neuve et imprévue, la pleine réalité des vérités que renferment les exposés intellectuels sur Dieu, qu’elle n’avait jusqu’alors pas « goûtée ». Mais, surtout, elles nous permettent de comprendre profondément notre union avec Dieu par la grâxce. L’expérience contemplative, au sens strict du terme, erst toujours celle de Dieu conçu non comme une abstraction, comme un Etre lointain et étranger à nous, mais intimement et profondément présent à l’âme dans sa Réalité et son Etre infinis. Ce n’est plus le Dieu des philosophes qu’on connaît de cette façon. C’est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et le Saint-Esprit nous révèle, au fond de nos cœurs, qu’Il est notre Père et que, nous autres, nous sommes ses fils. (Thomas Merton, La montée vers la lumière, op. cit. p.16)

Dieu, personne ne l’a jamais vu (évangile selon Jean IV 12) La contemplation introduit à l’espérance, la vision prête à illusion, ainsi que Thérèse d’Avila en eut la très durable et mouvementée épreuve. La tentation de la raison est de conclure de l’impossibilité de voir Dieu à l’inexistence de Dieu. (Jean-Claude Barreau, op. cit. p. 116) L’expérience spirituelle, celle de toute la Bible, celle de Paul (2ème Co. VII) montre le contraire et que nous marchons par la foi, non par la vue. La promesse n’a de sens que par l’absence de vision. Que si on voit ce qui nous est promis, qui nous attend et qu’on attend, on cesse de l’espérer. Du futur on ne sait rien, c’est la seule raison qui pousse à le désirer. La liturgie de la messe dit tout aussi admirablement : En cette vie où nous espérons le bonheur que tu promets… Il n’est bonheur que parce que promis. Valorisé par notre attente. C’est le désir de sens qui est le sens, il n’y en a pas d’autre. (Michel Théron, op. cit.p. 254). Mais aucune promesse ne satisferait par avance aucun désir s’il n’y avait la foi en une personne, précisément celle qui promet… Le chrétien n’attend donc ni un paradis, ni des biens même spirituels, ni quoi que ce soit, il attend une personne, Dieu lui-même qui s’est déjà manifesté : précisément en attestant et en promettant, et qui reviendra. C’est l’expérience de la contemplation qui permet de conclure avec assurance la demande finale de la créature au Créateur : Celui qui atteste cela, dit : Oui, je viens bientôt – Amen ! Viens, Seigneur, Seigneur Jésus ! (apocalypse de Jean XXII 20-21)

 Dieu, s’il existe, n’est pas dans l’avenir, il vient ; il n’est pas dans les dimensions de l’espace et du temps, mais « au-delà » deces dimensions, dans l’Eternité non spatiale et atemporelle. Si l’être humain rejoint Dieu, c’est évidemment au-delà de lamort. Cependant la divinité ne saurait être absente de l’Espace Temps. Un Dieu d’origine et de fin, semblable au « démiurge » de Platon ou au « grand architecte » de Voltaire ne nous intéresserait pas. L’une des caractéristiqus de Dieu c’est l’immanence. or, qui dit immanence, dit présence en toutes choses. Mais cette immanence ne saurait êtreséparée de la transcendance qui signifie le contraire (aucune chose n’enferme Dieu) et condamne l’idolâtrie (adorer les choses). L’homme rejoint aussi Dieu dans le quotidien de sa vie, mais dans cet espace-temps-là il ne le « voit » pas.  (Jean-Claude Barreau, op. cit. p. 117)

Ainsi la contemplation n’est pas un moment de la vie humaine, ou le résultat de l’application d’une faculté humaine, elle est la vie-même. Elle atteste autant du fonctionnement de notre intellect, de notre esprit, que de l’acmée de la connaissance qui est d’aimer d’amour.

On constate que les milieux organiques et cognitifs sont bien coextensifs. On constate aussi que la fermeture du système ouvert devient, à ce niveau où la représentation n’existe pas encore, de plus en plus improbable au fur et à mesure que croissent les probabilités d’occurrence et les besoins nouveaux. Pourtant cette fermeture fait l’objet d’une quête permanente, que le développement de la pensée abstraite rend accessible grâce à une extension indéfinie du milieu. Nous savons en effet que la fonction cognitive réside dans le développement d’organes de régulation entre le sujet et le milieu, en ce qui concerne les échanges et le comportement et, en ce sens, elle prolonge l’organisation viotale et en assure l’équilibre, c’est-à-dire le pouvoir d’intégration de plus en plus indépendant de l’expérience, parallèlement à l’extension des possibilités. (…)  Les conservations organiques et préopératoires qui conditionnent la fermeture et l’équilibre d’un système ne sont qu’apparentes, alors que les conservations opératoires sont à la fois rigoureuses et nécessaires.
Autrement dit, la lutte contre l’irréversibilité, le hasard et la délitescence des informations se réalise avec une efficacité de plus en plus grande depuis la phase élémentaire, qui est celle d’une extension horizontale, en passant par celle des régfulations de régulations qui est caractérisée par une superposition verticale des réglages toujours plus fins, jusqu’à atteindre le groupe de quaternalité qui fait transiter l’action rétroactive des feed-backs à l’opération inverse.
Par là s’éclaire l’unité fonctionnelle de la vie sous tous ses aspects, sans omettre le social grâce auquel la phylogenèse se contracte dans la pensée individuelle.
Nous pouvons maintenant aborder la question essentielle, qui est de savoir si les fonctions cognitives constituent un organe spécialisé de la régulation des échanges avec l’extérieur.
Cette question revient à considérer les relations entre la vie et la vérité. Si le vrai n’est pas une copie du réel, il n’est autre chose qu’une organisation du réel.Mais par qui cette organisation est-elle réalisée ? Si c’est par un sujet transcendental, aucune relation intrinsèque n’est concevable entre vie et vérité.
Si, au contraire, on veut bien admettre que la vie est une organisation ouverte qui tend à s’équilibrer et donc à se dépasser, et si, d’autre part, on admet que ces dépassements impliquent une activité proprement cognitive, alors il suffira d’attaquer la vérité du point de vue de sa construction qui est dépassement par reconstructions convergentes, pour parvenir à une réconciliation fondamentale entre vie et vérité, organisme et pensée.  (Jean Piaget selon son présentateur et biographe André Nicolas, op. cit. pp. 190 à 192)

L’illumination de l’intelligence, les connaissances qui en découlent ne font qu’un avec cet événement intérieur, où, précisément, la très sainte Trinité se donne à connaître. La certitude de la réconciliation est, elle aussi, étroitement liée à la vision. On ne peut les en arracher, sans détruire l’expérience elle-même. Car, sans « intelligences » nouvelles et  pénétrantes sur la relation des Personnes et l’essence divines, l’amour, qui s’enflammait de cette connaissance, retomberait faute d’objet. De même, si un doute subsiste à l’égard de la réconciliation, il coupe net l’élan de l’amour,  car il ne reste alors qu’à se tenir à distance. Une différence toutefois : les intelligences portant à l’amour sont au coeur même de la visite divine, tandis que le sentiment de réconciliation est plutôt le corollaire de l’intimité qui s’y manifeste. (Jean Gouvernaire, op. cit. p. 120)

Ainsi, ma vie a de plus en plus de sens et elle est de plus en plus intense. C’est sans doute le signe d’une vie réussie lorsque arrivé à cinquante, soixante, a fortiori quatre-vingt ans, on pressent que tout ce que nous avons vécu a un sens, et que ce sens progressif nous amène vers l’accomplissement total de notre aventure terrestre. (…) Le sens de la vie humaine est toujours une question de foi, pas seulement de foi religieuse, mais de foi humaine tout simplement. Quand je n’ai plus foi en moi ni en les autres, à ce moment-là je suis comme privé de sens. L’homme est un être que la foi fait vivre. (Dom Amédée Hallier, op. cit. p. 93)

Ainsi commence toute prière chrétienne, qiuand elle devient peu à peu la prière de Jésus en nous. Mesurant toute la distance qui nous sépare de Dieu et prenant confiance en celui qui nous rejoint jusque dans notre enbfer, elle s’élance d’un bond jusqu’au terme. Elle demande que nous aussi nous soyons transfigurés avec lui dans la gloire, devenus en lui une même image du Père, qui réfléchit la lumière que nous en recevons. Qu’en lui nous ayons gloire, vie et connaissance. (Jean Laplace, De la lumière à l’amour, op. cit. p. 226)

La contemplation infuse a son support : l’Ecriture. Et qui a mieux écrit, été davantage inspiré que le disciple que Jésus aimait ?
Le livre achevé, il reste tout à dire ou à recommencer. Jamlais nous n’avons fini d’entrer dans ce monde que Jean nous a ouvert. C’est celui de Dieu et il est infini. Chaque génération le reprend et, chaque fois, y trouve une nourriture nouvelle et adaptée. Son enseignement est toujours actuel.
Au débvut de l’évangile, il y avait un prologue. Nous pouvons le reprendre après notre longue méditation : il prend une résonnance nouvelle. Chaque mot a une saveur inépuisable. Les derniers mots que nous venons de lire sont pour nous tout autre chose que la fin d’une histoire. Ils sont un épilogue, correspondant au prologuie, c’est-à-dire qu’ils nous conduisent à un au-delà de l’existence présente.Sans nier celle-ci, ils en décèlent le sens invisible et ont en nous une portée universelle. Ils nous apprennent que nos moindres actes, nos moindres gestes, les plus petits événements, vécus dans la foi en Jésus, ont un retentissement insoupçonné. Il en est du livre de Jean comme de toute œuvre de génie. Elle conduit à un au-delà d’elle-même. Elle nous fait descendre dans une région en core inexplorée de nous. Quand nous cessons de la regarder, quand la dernière page est tournée ou que le rideau se baisse, nous ne sommes plus les mêmes. Nous avons envie de vivre, mais autrement.
Un autre est entré en nous. Un peu à la manière de Jean, nous nous sommes arrêtés pour écouter les paroles de Jésus et entendre battre son cœur. Nous nous sentons de moins en moins dignes de lui, aspirant cependant à le connaître davantage. Nous le découvrons, à travers ses gestes humains, dans l’unité de sa personne divine. Elle n’est pas d’un temps, mais de toujours, donc d’aujourd’hui. Elle ne nous invite pas à la reconstitution de ses actes passés, mais à la reconnaître vivante en cette courte vie qui est la nôtre, étendant ses limites aux dimensions de la sienne. Surtout elle nous apprend qu’une seule chose compte : aimer, mais, en nous le révélant, elle ne nous permet pas de nous arrêter à une quelconque man ifestation de sa réalité. L’amour singulier, vécu en Jésus, nous entraîne au-delà de tout. Il remonte à la source et ne cesse d’en redescendre, inondant l’univers.
C’est pourquoi il ne faut jamais fermer le livre. (…) Nous n’avons jamais fini. L’important est de reprendre sans hâte. Ce n’est pas un savoir que nous chertchons. Ce n’est même pas une œuvre littéraire que nous savourons. Au-delà des mots, au-delà des récits, c’est la Personne vivante de Jésus-Christ qui se révèle, Jésus-Christ que nous apprenons par cœur et qui n’a jamais fini de se dire à nous, et, par nous, si Dieu veut, au monde entier. (Jean Laplace, De la lumière à l’amour, retraite avec saint Jean op. cit. pp. 267 à 269, conclusives)


Bertrand Fessard de Foucault, diplomate   (Mai 2002)





Orientation bibliographique 

La Mystique et les mystiques (Desclée de Brouwer . Septembre 1965 . 1123 pages) sous la direction d’André Ravier et préfacé par Henri de Lubac
en sus du classique Dictionnaire de spiritualité (tome II . 2ème partie - pp. 1643 à 2193) présentant une enquête historique de la Bible à nos jours, et une enquête doctrinale synthétisant les écoles carmélitaine, dominicaine, ignatienne, bénédictine et sulpicienne et distinguant – le volume date de 1949-1953 – celles nommément de NNSS Waffelaert et Saudreau


Blaise Arminjon La cantate de l’amour (Desclée de Brouwer coll. Christus. Juin 1991 . 154 pages – préface de Henri de Lubac))
Didier Anzieu - recueil de textes La sublimation . Les sentiers de la création (Tchou . Octobre 1992 . 319 pages)
Thérèse d’Avila Œuvres complètes (Desclée de Brouwer . Août 1974 . 1177 pages)
Gaston BachelardL’eau et les rêves (José Corti . Mars 1956 . 265 pages) ;  La terre et les rêveries de la volonté (ibid. Janvier 1958 .  407 pages)
Jean-Claude Barreau, Tous les dieux ne sont pas égaux (Jean-Claude Lattès . Septembre 2001 . 189 pages)
Règle de saint Benoît (traduction nouvelle par un moine de Solesmes . 2ème éd. Revue Février 1991 . 121 pages – succédant à la traduction par Dom Guéranger dernière éd. Mame . 4ème trim. 1957 .  119 pages)
Christian Bobin, notamment Souveraineté du vide . Lettres d’or (Gallimard . Folio . Juillet 1995 . 104 pages)
Pascal Boyer – Et l‘homme créa les dieux (Robert Laffont . Novembre 2001 . 360 pages)
Robert Brasillach – Les sept couleurs  (in Œuvres complètes . au club de l’honnête homme . II)
Alexis Carrel, notammentLa prière ( Plon . 1944 . 32 pages) – voir notice
Jean-Pierre de Caussade, notamment L’abandon à la providence divine  (Desclée de Brouwer coll. Christus. Juin 1991 . 154 pages)
Jean Chardonne L’amour c’est beaucoup plus que l’amour (Stock . Juillet 1937 . 170 pages)
Jean E. Charon, notammentL’esprit, cet inconnu  (Albin Michel . Janvier 1978 . 255 pages)
Dom Paul DelatteCommentaire sur la règle de saint Benoît (Solesmes . rééd. Février 1985 .591 pages)
Paul Evdokimov L’orthodoxie (Desckée de Brouwer . Juin 1979 .  351 pages)
Dom Joseph GajardLes plus belles mélodies grégoriennes commentées par  (Solesmes . 1985 . 271 pages)
A.D. Grad – Le véritable cantique de Salomon (éd. du Rocher . 1er trim. 1984 . 407 pages)
Henri Grialou (Marie-Eugène de l’Enfant Jésus), notamment Je veux voir Dieu (éd. du Carmel . Avril 1988 . 1158 pages)
Jeanne GuesnéLe 3e souffle (Albin Michel espaces libres . Septembre 1995 . 215 pages)
Augustin Guillerand, notammentFace à Dieu (éd. Benedettine di Priscilla . 1957 . 181 pages) & Au seuil de l’abîme de Dieu . Elévations sur l’évangile de saint Jean (éd. Benedettine di Priscilla . 1961 . 433 pages) éd. Benedettine di Priscilla . 1957 . 433 pages)
André Gide – La porte étroite (in La Pléiade - romans, récitset soties, œuvres lyriques . 4ème trim. 1958)
Maurice GiulianiL’expérience des Exercices spirituels dans la vie (Desclée de Brouwer coll. Christus . Mai 1990 . 208 pages)
Jean Gouvernaire  Quand Dieu entre à l’improviste (Desclée de Brouwer coll. Christus. Juin 1980 . 166 pages)
A.D. GradLe véritable cantique de Salomon (éd. du Rocher . 1er trim. 1984 . 407 pages)
Jean Grenier, notamment  - Absolu et choix (Calligrammes . Avril 1986 . 115 pages)
Hadewicjch  -  Lettres spirituelles  & Béatrice de NazarethSept degrés d’amour (Ad solem . éd. Claude Martingay Genève . Mars 1972 . 315 pages) 
Noëlle Hausman, Frédéric Nietzsche, Thérèse de Lisieux : deux poétiques de la modernité (Beauchesne . Avril 1984 . 213 pages)
Hermann Hesse, notamment Siddharta  (Grasset . Mai 1975 . 200 pages) &  Le jeu des perles de verre
Raymond Jean, Lectures du désir . Nerval, Lautréamont, Apollinaire, Eluard (Seuil Points . 4ème trim. 1977 . 188 pages)
Paroles de Kabîr, traduit du hindi médiéval par Charlotte Vaudeville – Au cabaret de l’amour (Gallimard UNESCO . Février 1986 .  238 pages)
Joseph Elie KahaleLe soufisme et l’amour divin (Alteredit . Janvier 2002 . 115 pages – solide bibliographie)
Richard Kearney La chute de Samuel (éd. Joëlle Losfeld . Juillet 1997 . 189 pages) & A la recherche de Raphaëlle ( ibidem . Juillet 1998 . 264 pages)
Carl Gustav Jung« Ma vie » (Gallimard . Septembre 1978 . 529 pages)
Alexandre Kalda – Le vertige (Albin Michel . 1er trim. 1969 . 265 pages)
Pierre-Jean Labarrière, L’existence réconciliée (Desclée de Brouwer  coll. Christus. Septembre 1967 .  206 pages)
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Robert Le Gall, notamment La saveur des Psaumes (C.LD. Avril 2000 . 267 pages)
& en coll. avec le Lama Jigmé Rimpoche –Le moine et le lama (Fayard . Janvier 2001 . 341 pages)
Vital LehodeyLe saint abandon (rééd. Juillet 1976 N.D.de Grâce de Bricquebec . 275 pages)
David Lonsdale Ignace maître spirituel (Desclée de Brouwer coll. Christus. Mars 1991 . 211 pages)
Ignace de Loyola, notamment Exercices spirituels (trad. François Courel s.j. - Desclée de Brouwer coll. Christus . 2ème éd. Février 1963 . 230 pages)  Autobiographie (Seuil . 2ème trim. 1982 . 181 pages) &  Lettres (Desclée de Brouwer coll. Christus. Avril 1959 . 527 pages)
Henri de Lubac, notamment Le mystère du surnaturel (1965 - Œuvres complètes XII . éd. Cerf . Mars 2000. 367 pages)  & La rencontre du bouddhisme et de l’Occident (1952 – Œuvres complètes XXII . éd. Cerf . Octobre 2000 . 350 pages)
Thérèse Martin (Thérèse de Lisieux ou Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte face)Œuvres complètes (Cerf & Desclée de Brouwer . Juillet 1992 . 1599 pages)
sous la direction d’Evelyne-Sarah MercierLa mort transfigurée . recherches sur les expériences vécues aux approches de la mort  (L’âge du verseau . Octobre 1992 . 526 pages)
André Maurois - Climats  (éd. Deux rives ill. Touchagues . Novembre 1949 . 329 pages) 
Thomas Merton, Direction spirituelle et méditation (Albin Michel . Août 1962 . 133 pages) ;  La paix monastique (ibidem . Octobre 1961 . 137 pages) ; La montée vers la lumière (ibidem . Avril 1963 . 137 pages) ;  La nuit privée d’étoiles (ibidem . Juin 1961 .  393 pages)
Dom Mocquereau cité par Dom GAJARD, op.cit.p. 7 – L’art grégorien, son but, ses procédés, ses caractères (conférence prononcée en 1896 à l’Institut Catholique), citant TAINE – Philosophie de l’art en Grèce
Jérôme Nadal, notamment – Contemplatif dans l’action . Ecrits spirituels ignatiens : 1535 – 1575 (Desclée de Brouwer coll. Christus . Octobre 1994 . 366 pages)
André Nicolas - Jean Piaget  (Seghers . Janvier 1976 . 230 pages)    
Daniel Pons, Aux sources de la présence (Albin Michel . espaces libres . Septembre 1991 . 189 pages)
Pandélis Prévélakis – Le compte à rebours (Les Belles Lettres . 1983 . 189 pages)
Jean-François Richard Les activités mentales . Comprendre, raisonner, trouver des solutions (Armand Colin . Février 1990 . 435 pages)
Paul Ricoeur – Penser la Bible ( Seuil .  Mai 1998 . 459 pages)
Richard Rolle de Hampole, notice de Michael Sargent in Dictionnaire de spiritualité, tome XIII éd. Beauchesne 1988, pp. 572-590
Dr. Michèle-H. Salamagne & Emmanuel Hirsch – Accompagner jusqu’au bout de la vie (Cerf. Novembre 1992 . 145 pages)   p. 81 (Le devoir de non-indifférence)
Léa SchayaL’homme et l’absolu (Dervy . Juillet 1998 . 181 pages)
Anne-Marie SchimmelLe soufisme ou les dimensions mystiques de l’Islam
Gershom G. Scholem Major trends in Jewish Mysticism, trad. Française 1950 Les grands courants de la mystique juive
G.A. Simon, La règle de saint Benoît commentée pour les oblats et les amis des monastères (Ed. de Fontenelle Abbaye Saint Wandrille . 1931 – 4ème éd. 1982 . 527 pages)
Jean-François Six, Lumière de la nuit, les 18 derniers mois de Thérèse de Lisieux (Seuil . Septembre 1995 . 272 pages)  & Thérèse de Lisieux par elle-même . *** L’épreuve et la grâce  Tous ses écrits de Pâques 1896 (5 Avril) à sa mort (30 Septembre 1897) (Grasset . Desclée de Brouwer . Juillet 1997 . 395 pages)
Pierre Teilhard de Chardin, notamment : - Le milieu divin (Seuil . 4ème trim. 1957 & pour Œuvres Septembre 1965 . 202 pages) -  L’avenir de l’homme (ibid. 2ème trim. 1959 & Juillet 1965 . 403 pages) - Hymne de l’Univers (Seuil . Mai 1961. 173 pages)
Michel Théron, Les deux visages de Dieu .une lecture agnostique du Credo (Albin Michel . Août 2001 . 280 pages)
Victor de la Vierge, Le mouvement d’abandon (multigraphié . 1960)
Jacques Vigne, Le mariage intérieur en Orient et en Occident (Albin Michel . 520 pages)
Simone Weil, notammentLa pesanteur et la grâce   (Plon . 1948 . 210 page)
Maurice Zundel, notammentRecherche de la personne (Desclée de Brouwer . Janvier 1990 . 285 pages)

voir aussi ici nos notices : Alexis Carrel et les miracles de Lourdes – Dépression et mystique – Autobiographie et phénomènes mystiques





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