mardi 26 mai 2015

Léon XIII - encyclique In medio sollicitudinis - les catholiques français priés de rallier la République . 16 février 1892


IN MEDIO SOLLICITUDINIS

LETTRE ENCYCLIQUE
 DE SA SAINTETÉ LE PAPE LÉON XIII


A NOS VÉNÉRABLES FRÈRES LES ARCHEVÊQUES, ÉVÊQUES
AU CLERGÉ
ET A TOUS LES CATHOLIQUES DE FRANCE.
VÉNÉRABLES FRÈRES
TRÈS CHERS FILS

Аu milieu des sollicitudes de 1'Eg1ise universelle, bien des fois, dans le cours de Notre Pontificat,- Nous nous sommes plu à témoigner de Notre affection pour Ia Fran-ce et pour son noble peuple. Et Nous .avons voulu, par une de Nos Encycliques encore présente à la mémoire de tous, dire solennellement, sur ce . sujet, tuut le fond de Notre âme. C'est précisément cette affection qui Nous a tenu sans cesse attentif à suivre du regard, puis à repasser en Nous-même, l'ensemble des faits, tantôt tristes, tantôt consolants, qui depuis plusieurs années se sont dé-roulés parmi vous. En pénétrant à fond, à l'heure présente encore, 1a portée du vaste complot que certains hommes ont for-mé d'anéantιΡr en France le christianisme , et l'animosité qu'ils mettent à 1poursuivre 1a réalisation de leur dessein, foulant aux iles plus élémentaires notions de 1ibеrtё et de justice pour le sentiment de 1a majorité de la nation, et de respect pour les droits inaliénables de l'Église catholique, comment ne serions-nous pas saisi d'une vive douleur? Et quand Nous voyons se révéler, l'une après l'autre, les conséquences funestes de ces coupables attaques qui conspirent à la ruine des moeurs, de la religion et même des intérêts politiques sagement compris, comment exprimer les amertumes qui Nous lnondent et les appréhensions qui Nous assiègent ?
D'autre part, Nous nous sentons grandement consolé, lorsque Nous voyons ce même peuple français redoubler,
pour le Saint-Siège. d'affection et de Zèle, à mesure qu'il . levoit plus délaissé , nous devrions dire plus combattu
sur la terre. A plusieurs reprises, mûs par un profond sentiment de religion et de vrai patriotisme , les représentants de toutes les classes sociales, sont accourus, de France jusqu'à Nous, heureux de subvenir aux nécessités incessantes de 1'Eglise, désireux de Nous demander lumière et conseil, pour être sûrs qu'au milieu des pré-sentes tribulations, ils ne s'écarteront- en rien des enseignements du Chef des croyants. Et Nous, réciproquement, soit par écrit, soit de vive voix, Nous avons ouvertement dit à nos fils ce qu'ils avaient droit de demander à leur Père. Et loin de les porter au découragement, Nous les avons fortement exhortés à redoubler d'amour et d'efforts dans 1^, défense de 1^, foi catholique, en même
temps que de leur patrie deux devoirs de premier ordre, auxquels nul homme, en cette vie, ne peut se soustraire. Et aujourd'hui encore, Nous croyons opportun, nёсеssаírе même, d'élever de nouveau 1a voix, pour exhorter plus instamment, Nous ne dirons pas seulement les catholiques, mais tous les français honnêtes et sensés, à repousser loin d'eux tout germe de dissentiments politiques, afin de consacrer uniquement leurs forces à la pacification de leur patrie. Cette pacification, tous en comprennent le prix; tous, de plus en plus, l'appellent de leurs voeux. Et Nous qui 1a désirons plus que personne, puisque Nous représentons sur 1a terre le Dieu de la раiх 1, Nous con vions, раr les présentes Lettres, toutes les âmes droites, tous les coeurs généreux à Nous seconder pour 1a rendre stable et féconde.
Avant tout, prenons comme point de départ une vérité notoire, souscrite раr tout homme de bon sens et hаutеmеnt proclamée par l'histoire de tous les peuples, savoir que rеligiоn, et la religion seule , peut créer le lien social; que seule elle suffit à maintenir sur de solides fondements la paix d'une nation. Quand diverses familles, sans renoncer aux droits et aux devoirs de 1a société domestique, s'unissent sous l'inspí ration de nature, pour se constituer membres d'une
Non enim est dissensionis Deus, sed pacis (I. СоR . xiv).
autre famille plus vaste. appelée 1a société civile, leur but n' est pas seulement d' y trouver le moyen de pourvoir à leur bien-étrė matériel, mais surtout d'y puiser le bienfait de leur perfectionnement floral. Autrement 1a société s'élèverait peu au-dessus d'une aggrégation d'êtres sans raison, dont toute 1a vie est dans 1a satisfaction des instincts sensuels. Il у a plus; sans ce perfectionnement moral, difficilement on démontrerait que 1a société civile, lobe de devenir pour l'homme , en tant qu'homme , un avantage , ne tournerait pas à son détriment. b Or la moralité, dans l'homme, par le fait même qu'elle doit mettre de concert tant de droits et tant de devoirs dissemblables, puisqu'elle entre comme élément dans tout acte humain, suppose nécessairement Dieu, et, avec Dieu, la religion, ce lien sacré dont le privilège est d'unir, antérieurement à tout autre lien, l'homme à Dieu. En effet, l'idée de moralité importe avant tout un ordre de dépendance à l'égard du vrai, qui est la lumière de l'esprit; à l'égard du bien , qui est la fin de la volonté : sans le vrai, sans le bien, pas de morale digne de ce nom. Et quelle est donc 1a vérité principale et essentielle , celle dont toute vérité dérive ? c'est Dieu. Quelle est donc encore la bonté suprême, dont tout autre bien procède? c'est Dieu. Quel est enfin le créateur et le conservateur de notre raison, de notre volonté, de. tout notre être, com-me il est la fin de notre vie ? Toujours Dieu. Puis donc q ue 1a religion est l'expression intérieure et extérieure de cette dépendance que nous devons à Dieu à titre de
justice, il s'en dégage une gave conséquence qui s'impose : Tous les citoyens sont tenus de s'allier pour main-tenir dans la nation le sentiment religieux vrai, et pour le défendre au besoin, si jamais une école athée, en dépit des protestations de la nature et de l'histoire, s'efforçait de chasser Dieu de Ia société, sûre par là d'anéantir bien-tôt le sens moral au fond même de la conscience hu-maine. Sur ce point, entre hommes qui n'ont pas perdu 1a notion de l'honnête, aucune dissidence ne saurait sub-sister. Dans les catholiques français, le sentiment religieux doit être encore plus profond et plus universel, puisqu'ils ont le bonheur d'appartenir à la vraie religion. Si , en effet, les croyances religieuses furent, toujours et partout, données comme base à la moralité des actions humaines et à l'existence de toute société bien ordonnée , i1 est évident que la Relig°оn catholique, par le fait même qu'elle est la vraie Eglise de Jésus-Christ, possède plus que toute autre l'efficacité voulue pour bien régler 1a vie, dans la société comme dans l'individu. En faut-11 un éclatant exemple? La France elle-même le fournit. -- A mesure qu'elle progressait dans ia foi Chrétienne , on la voyait monter graduellement à cette grandeur morale qu'elle atteignit, comme puissance politique et militaire. C'est qu'à la générosité naturelle de son coeur , 1a cha i rte chrétienne était venue ajouter une abondante source de nouvelles énergies ; c'est que son activité merveilleuse avait rencontré, tout à la fois comme aíguillon, lumière
directive et garantie de constance cette foi ehretienne qui lJar la main de la France tua .a dans les annales du genre humain des pages si glorieuses. Et encore аu ,^оurd'hui, sa foi continue-t-elle pas d'ajouter aux gloi res passées de nouvelles gloires? On voit, inépuisable de génie et de ressources multiplier sur son propre sol les oeuvres de 061-46, on l'admire partant pour les pays lointains où , par son or, par les labeurs de ses missionaires, au prix même de leur sang elle propage d'un même coup le renom de 1a France et les bienfaits de la religion catholique. Renoncer â de telles gloires, aucun français, quelles que soient par ailleurs ses convictions, ne l'oserait; ce serait renier 1a patrie. Or l'histoire d'un peuple révèle d'une manière incontestable, quel est l'élément générateur et conservateur de sa grandeur morale. Aussi, que ćet élément vienne â lui manquer, ni la surabondance de l'or, ni la force des armes ne sauraient le sauver de 1^, décadence morale, peut-être de la mort. Qui ne comprend maintenant que, pour tous les Français qui professent la Religion catholique,
et cela avec d'autant plus de dévouement, qu'au milieu d'eux le christianisme devient, de la part des Sectes, l'objet d'hostilités plus implacables? Sur ce terrain, ils ne peuvent se permettre , ni indolence dans l'action, ni division de N,rfis, l'une accuserait une lâcheté indigne du chrétien, l'autre serait 1a cause d'une faiblesse désastreuse. Et ici avant de роussеr plus loin, i1 nous faut si-
geler une calomnie astucieusement répandue , pour ac-créditer, contre les catholiques et contre le Saint-Siège lui-même, des imputations odieuses. -- On prétend que l'entente et la vigueur d'action inculquées aux catholiques pour la défense de leur foi, ont, comme secret mobile, bien moins 1a sauvegarde des intérêts religieux, chue l'arnbitiii de ménager à 1'Eglise une domination poli que sur l'État. Vraiment, c'est vouloir ressusciter une calomnie bien ancienne, puisque son invention appartient aux pre-miers ennemis du christianisme. Ne fut-elle pas formulée tout d'abord contre la personne adorable du Rédempteur 2 Oui, on l'accusait d'agir par des visées politiques, alors qu'Il illuminait les âmes par sa prédication, et qu'Il soulageait les souffrances corporelles ou spirituelles des mal-heureux avec les trésors de sa divine bonté : « Nous avons trouvé cet homme travaillant à bouleverser notre peuple, dé--fendant de payer le trżbut à César, et s'intitulant le Ohr 'sl roi. Si vous lui rendez la liberté, vous n'êtes pas ami de César : Car quiconque se prétend roi, fail de l'oppos2t2on à César César est pour nous le seul roi i ». Ce furent ces calomnies menaçantes qui arrachèrent à Pilate 1a sentence de mort contre Celui qu'à plusieurs reprises il avait déćlaré innocent. Et les auteurs de ces i Hune invenimus subvertentem gentem nostram, et prohibentem tributa dare Caesari, et dicentem se Christum regeni esse (Luc. xxiii, 2). Si hune dimiftis, non es amicus Caesaris : omnis enim qui se regem facit contradicit Caesari Non habemus regem nisi Caesarem. (JOAN XIX, 12-15).
 mensonges ou d'autres de la même force, n'omirent rien pour les propager au loin, par leurs émissaires, ainsi que S. Justin martyr le reprochait aux juifs de son temps « Loin de vous repentir, après que vous avez appris sa ré-surrection d'entre les morts, vous avez envoyé de Jérusalem des hommes habilement choisis, pour annoncer qu'une hérésie et une secte impie avait été suscitée par un certain, séducteur appelé Jésus de Galilée i ». En diffamant si audacieusement le christianisme, ses ennemis savaient ce qu' ils faisaient ; leur plan était de susciter contre sa propagation un formidable adversaire, l'Empire romain. La calomnie fit son chemin; et les païens, dans leur crédulité, appelaient à l'envi les premiers chrétiens des êtres inutiles, des citoyens dangereux, des factieux, des ennemis de l' Empire et des Empereurs 2 ». En vain les Apologistes du christianisme paŕ leurs écrits; en vain les chrétiens par leur belle conduite, s'appliquèrent-t-ils à démontrer tout ce qu'avaient d'absurde et de criminel ces qualifications : on ne daignait même pas les enten-dre. Leur nom seul leur valait une déclaration de guerre ; et les chrétiens, ar le simple fait qu'ils étaient chrétiens, non pour aucune autre cause, se voyaient forcé 1 Tantum abest ut poenitentiam egeritis, postquam Eum a mortuis resurrexisse accepistis, ut etiam . . . . ехimiis delectis viris, in omnem terrarum orbem eos miseritis, qui renunciarent haeresim et sectam quamdam impiam et iniquam excitatam esse a Iesu quodam galilaeo seductore (Dialog. cum Tryphone). 2 Tertull. In Apolog.; — Minutius Felix, in Octavio.
mеnt placés dans cette alternative : Ou l'apostasie, 0u le martyre. Les mêmes griefs et les mêmes rigueurs se renouvelèrent plus ou moins dans les siècles suivants, cha-que fois que se rencontrèrent des gouvernements Gm^ . sоnnаblеmеnt jaloux de leur pouvoir, et animés contre
1' Еglise d'intentions malveillantes. Toujours ^Is surent met-tre en avant, devant le public, le prétexte des prétendus envahissements de 1'Eglise sur 1'Etat, pour fournir à 1'Etat des apparences de droit, dans ses empiètements et ses violences envers la Religion catholique.
Nous avons tenu à rарреlеr en quelques traits ce passé, .pour que les catholiques ne se déconcertent pas du présent. La lutte, en substance, est toujours lа même toujours Jésus-Christ mis en butte aux contradictions du monde; toujours mêmes moyens mis en oeuvre par les en-nemis modernes du christianisme, mo ens très vieux au fond, modifiés à peine dans la forme ; mais toujours aussi mêmes moyens de défense clairement ιΡndiquёs aux chrétiens des temps présents par nos Apologistes, nos Docteurs, nos . Martyrs. Ce qu'ils ont fait, i1 nous incombe de le faire à notre tour. Меttоns donc au dessus de tout la gloire de Dieu et de son Eglise travaillons pour elle avec une application constante et effective; et laissons le soin du succès à Jésus-Christ qui nous dit « Dans le monde, vous serez opprimés ; mais ayez confiance, j'ai vaincu le monde ». i In mundo pressuram habebitis: sed confidite, ego vici mundum. XVI, 33).
Pour aboutir là , Nous l'avons déjù remarqué, une grande union est nécessaire, et s~ l'on veut y parvenir, еst indispensable de mettre de Côté toute préoccupation capable d'en amoindrir 1a force et l'efficacité. -- Ici, Nous entendons principalement faire allusion aux divergences politiques des Français, sur la соnduτΡtе à tenir envers 1a République actuelle question que Nous désirons traiter avec la clarté réclamée par 1a grаvit6 du sujet, en par tant des principes et en descendant aux conséquences pra-tiques. Dwеrs Gouvernements politiques se sont succédés en France dans le cours de ce siècle, et chacun avec sa forme distinctive Empires, Monarchies, Républiques. En se renfermant dans les abstractions, on arriverait à définir quelle est 1a meilleure de ces formes, considérées en elles-mêmes; on peut affirmer également en toute vérité que chacune d'elles est bonne, pourvu qu'elle sache marcher droit à sa fin, c'est à dire, le bien commun, pour lequel l'autorité sociale est constituée; convient d'ajouter finalement, qu'à un point de vue relatif, telle ou telle for-me de gouvernement peut être préférable, commue s'adaptant mieux au caractère et aux moeurs de telle ou telle ration. Dans cet ordre d'idées spéculatif , les catholiques, comme tout citoyen, ont pleine liberté de préférer une forme de gouvernement â l'autre, précisément en vertu de ce ,qu'аuсunе de ces formes sociales ne s'oppose, par elle-même, aux données de 1a saine raison, ni aux maximes de la doctrine chrétienne. Et c'en est assez
pour justifier pleinement 18, sagesse de l'Église alors que, dans ses relations avec les pouvoirs politiques, elle fait abstraction des formes qui les différencient, pour traiter avec eux les grands intérêts religieux des peuples, sachant qu'elle a le devoir d'en prendre 1a tutelle, au dessus de tout autre intérêt. Nos précédentes Encycliques ont exposé déjà ces principes ; i1 était toutefois nécessaire de les rappeler, pour le développement du sujet qui nous occupe aujourd'hui. Que si l'on descend des abstractions sur le terrain des faits, i1 faut nous bien garder de renier les principes tout à l'heure établis : ils demeurent inébranlables. Seu-lement en s'incarnant dans les faits, ils y revêtent un caractère de contingence déterminé par le milieu où se produit leur application. Autrement dit, si chaque forme politique est bonne par elle-même et peut être appliquée au gouvernement des peuples, en fait, cependant, on ne ren-contre pas chez tous les peuples le pouvoir politique sous une même forme ; chacun possède la sienne propre. Cette forme naît de l'ensemble des circonstances historiques ou nationales , mais toujours humaines qui font J surgir dans une nation ses lois traditionnelles et même fondamentales ; et par celles-ci, se trouve déterminée telle forme particulière de gouvernement, telle base de trans-mission des pouvoirs suprêmes. Inutile de rappeler, que tous les individus sont tenus d'accepter ces gouvernements , et de ne rien tenter pour les renverser ou pour en changer 1a forme. De là vient
que l'Église. gardienne de la plus vraie et de 1a plus haute notion sur la souveraineté politique, puisqu'elle 1a fait dériver de Dieu a tout ours réprouvé les doctrines et toujours condamné les hommes rebelles à l'autorité 1égitíme. Et cela, dans le temps mante où les dépositaires du pouvoir en abusaient contre Elle, se privant par là du plus puissant appui donné à leur autorité, et du moyen le plus efficace mur obtenir du 1peuple l'obéissance à leurs lois. On ne saurait trop méditer , sur ce sujet, les célèbres prescriptions, que le Prince des Apôtres au milieu des persécutions, dоnnаit aux premiers еhrаiеns «Honorez fout le monde : aimez la f raternitέ craignez Dгеu^ rendez honneur au roi ». Et celles de S. Paul: « Je vous en con jure donc avant toutes choses : ayez soin qu'il se fasse au milieu de vous des obsécrations, des oraisons, des demandes, des actions de grâces, pour tous les hommes mur les rois, et pour tous ceux qui sont élevés en dignité, c fin que nous menions une vie tranquille, en toute piété et chasteté: car cela est bon et agréable devant Dieu notre Sauveur 2 ». Cependant, il faut soigneusement le remarquer ici: quelle que soit 1^, fоrmе des pouvoirs civils dans une ńa
i Omnes honorate; fraternitatem diligite Deum timete regem honorificate. (I, PETR. Ii, 17). 2 Obsecro igitur primum omnium fieri obsecrationes, orationes, postulationes, gratiarum actiones, pro omnibus hominibus: pro regibus, et omnibus qui in sublimitate sunt, ut quietam et tranquillam vitam agamus, in omni pietate et castitate hoc enim bonum est, et aeceptum coram Salvatore nostro Deo (I. TI mоТН II. 1. segq.).
 tlon, on ne peut 1a considérer comme tellement definitιΡve qu'elle doive demeurer immuable, fût-ce l'intention de ceux qui, à l'origine, l'ont déterminée. Seule, l'Eglise de Jésus-Christ a pu conserver et conservera sûrement jusqu'à la consommation des temps, sa forme de gouvernement. Fondée par Celui qui était, qui est, et qui sera dans les siècles 1, elle a reçu de Lui, .dès son orígine, tout ee qu'il lui faut pour poursuivre sa mission divine à travers l'océan mobile des choses humaines. Et, loin d'avoir besoin de transformer sa constitution essentielle, elle n'a même pas le pouvoir de renoncer aux conditions de vraie 1iberté et de souveraine indépendance, dont la Providence 1'a munie dans l'intérêt général des âmes. Mais quant aux sociétés purement humaines, c'est un fait gravé cent fois dans l'histoire, que le temps, ce grand transformateur de tout ici-bas , opère dans leurs institutions politiques de pro-fonds changements. Parfois í1 se borne à modifier quel-que chose à 1 a forme de gouvernement établie, d'autres fois, il va jusqu'à substituer, aux formes рrimitives, d'au-tres formes totalement différentes sans en excepter le mode de transmission du pouvoir souverain. Et comment viennent à se produire ces changements politiques dont Nous parlons? Ils succèdent parfois a des tŕises violentes trop souvent sanglantes , au milieu desquelles les gouvernements préexistants disparaissent en fait; voilà l'anarchie qui domine • bientôt l'ordre public
i Iesus Christus heri, et hodie : ipse in saecula (REBR. xiii, 8).
est bouleversé jusque dans ses fondements. Dès lors une nécessité sociale s'impose à la nation ; elle doit sans retard pourvoir à elle-même. Comment n'aurait-elle pas le droit. et plus encore le devoir de se défendre contre un état de choses qui la trouble si profondément, et de rétablir la paix publique dans la tranquillité de l'ordre ? ßr cette nécessité sociale justifie. la création et l'existence des nou-veaux gouvernements , quelque forme qu' ils prennent; puisque, dans l'hypothèse où nous raisonnons, ces nou-veaux gouvernements sont nécessairement requis par l'or-dre public, tout ordre public étant impossible sans un gouvernement. I1 suit de là que, dans de semblables conjonctures, toute la nouveauté se borne h. la forme poli-tique • des pouvoirs civils, ou à leur mode de transmission ; elle n'affecte nullement le pouvoir considéré en luimêmė. Celui-ci continue d'être immuable , et digne de respect; car , envisagé dans sa nature, il est constitué et s'impose pour pourvoir au bien commun, but suprême qui donne son origine à la société humaine. En d'autres termes, dans toute hypothèse, le pouvoir civil, considéré comme tel, est de Dieu et toujours de Dieu : « Car il .n'y a point d e pouvoir si ce n'est de Dieu 1 ». Par conséquent, lorsque les nouveaux gouvernements qui représentent cet immuable pouvoir sont constitués, les accepter n'est pas seulement permis, mais réclamé, voire même, imposé par la nécessité du .bien social qui les a
1 Non est enim potestas nisi a Deo (Rorí. XIIE, 1).
faits et les maintient. D'autant plus que l'insurrection attise la haine entre cit0yens, provoque les guerres civiles et peut rejeter la nation dans le chaos de l'anarchie. Et ce grand devoir de respect et de dépendance persévèrera, tant que les exigences du bien commun le demanderont, puis que ce bien est, après Dieu, dans 1a société, la loi première et dernière. Par là s'explique d'elle-même 1a sagesse de l'Eglise dans le mainti ėn de ses relations avec les nombreux gouvernements qui se sont succédés en France, en moins d'un siècle, et jamais sans produire des secousses violentes et pro-fondes. Une telle attitude est 1a plus sûre et 1a plus salutaire ligne de conduite pour tous les Français, dans leurs relations civiles avec 1a R qui est le gouvernement actuel de leur Nation. Loin d'eux ces dissentiments poli-tiques qui les divisent; tous leurs efforts doivent se com-biner pour conserver oui relever 1a grandeur morale de leur patrie. Mais une difficulté se présente : « Cette République, fait-on remarquer , est animée de sentiments si antĺchrétiens que les hommes honnêtes, et beaucoup plus les catholiques, ne pourraient consciencieusement l'accepter. » Voilà surtout ce qui a donné naissance aux dissentiments et les a aggravés. On eût évité ces regrettables divergences, si l'on avait su tenir soigneusement compte de la distinction considérable qu'il у a entre Pouvoirs constitu s et Législation. La législation diffère à tel point des pouvoirs politiques et de leur forme, que, sous le régime 3
dont forme est 1a plus excellente, là législation peut otre détestable; tandis qu'à l'opposé, sous le régime dont forme est 1a plus imparfaite, peut se rencontrer une excellente législation. Prouver, l'histoire à 1a main, cette vérité, serait chose facile; mais à quoi bon ? tous en sont convaincus. Et qui mieux que 1'Eglise, est en mesure de le savoir°, elle qui s'est efforcée d'entretenir des rapports habituels avec tous les régimes politiques 2 Certes, plus que toute autre puissance, elle saurait dire ce que lui ont souvent apporté de consolations ou de douleurs, les lois des divers gouvernements qui ont successivement régi les peuples, de l'Empire romain jusqu'à nous. Si la distinction tout l'heure établie a son im portance majeure, elle a ausśi sa raison manifeste la législation est 1'сеuvrе des hommes investis du pouvoir et qui, de fait, gouvernent la nation. D'où i1 résulte qu'en pratique, la qualité des lois dépend рlus de 1a qualité de ces hommes, que de 1a forme du pouvoir. Ces lois seront donc bonnes ou. mauvaises, selon que les législateurs auront l'esprit imbu de bons ou de mauvais principes, et se lais-seront diriger, ou par la prudence politique, ou par passion. Qu'en France, depuis plusieurs années, divers actes importants de la législation, aient procédé de tendances hostiles à la Religion, et par conséquent aux intérêts de la Nation, c'est l'aveu de tous, malheureusement ćonfirmé par l'évidence des faits. Nous-même, obéissant à un devoir sacré, Nous en adressâmes des plaintes vivement senties,
à celui qui était alors à 1a tête de la République. Ces tendances cependant persistèrent, le mal s'aggrava, et l'on ne saurait s'étonner, que les membres dė l'Episcopat français, placés par l'Esprit-Saint pour régir leurs dιΡfférentes et illustres Églises, aient regardé, encore tout récemment, comme une obligatιΡon, d'exprιΡmer publiquement leur douleur, touchant 1a situation gréée en France à 1a Religion catholique. Pauvre France! Dieu seul peut me-surer l'abîme de maux où elle s'enfoncerait, si cette législation, loin de s'améliorer, s'obstinait dans une telle déviation, qui aboutirait à arracher de l'esprit et du coeur des Français la religion qui les a faits si grands. Et voilà précisément le terrain sur lequel, tout dissentiment politique mis à part, les gens de bien doi-vent s'unir comme un seul homme, pour combattre, par tous les moyens légaux et honnêtes, ces abus progressifs de la législation. Le respect que l'on doit aux pouvoirs constitués ne saurait l'interdire : il ne peut importer, ni le respect, n1 beaucoup moins l'obéissance saus limi-tes à toute mesure lgis1ative équelconque, édictée par ces mêmes pouvoirs. Qu'on ne l'oublie pas, la loi est une ΓΡ prescription ordonnée selon la raison et promulguee, pour le bien de la communauté, par ceux qui ont reçu u à cette fin le dépôt du pouvoir. -- - En conséq jamais uence on. ne peut approuve des points de législation qui soient hostiles à la Religion et à Dieu, • c'est au contraire un devoir de les répp rouver. C'est ce que le grand Evêque d'nlppone, S. Augustin, mettait en рarfaιΡte lumière hns
 ce raisonnement plein d'éloquence ; « Quelques fois, les p1cissctrtces de la terve sont bonnes et craignent Dieu; d'autres fois, elles ne ie craignent pas. Julien était un Emperвur infьdèle à Dieu, un apostat, un pervers, un idolâtre. Les soldats chrétiens servirent cet Empereur infidèle. Mais, εΡlés qu'il s'agissait de la cause cle Jésus- Christ, ils ne reconnedssalent que Celui qui est dans le ciel. Julien leur prescrivait-il d'honorer les idoles et de les encenser; ils mettaient Dieu au dessus du prince. Mais leur disait-il, formez vos rangs pour marcher contre telle nation ennemie ; d l'instant ils obéissaient. Ils distinguaient ĺe Madre éternel du ma fre temporel, et cependant, en vue du Maître éternel, ils se soumettaient même d un tel maître temporel » Nous le savons, l'athée, par un lamentable abus de sa raison et plus encoré de sa volonté, nie ces principes. Mais, en définitive , l'athéisme est une erreur si monstrueuse, qu'elle ne pourra jamais, soit dit à l'honneur de l'humanité, y anéantir la conscience des droits de Dieu pour y substituer l'idolâtrie de I'Etat. Les principes qui doivent règler notre conduite en 1 Aliquando . . . . potestates bonae sunt, et timent Deum; aliquando non timent Deum. Iulianus eτtitit infidelis imperator, extitit apostata. iniquus, idolatra : milites christiani servierunt Imperatori infideli ; ubi veniebatur ad caussam Christi, non agnoscebant nisi Ilium qui in cae-lis erat. Si quando volebat ut idola colerent, ut thurificarent, praeponebant iili Deum: quando autem dicebat, producite aciem, ite contra illam gentem ; statím obtemperabant. Distinguebant Dominum aeternum, a domino temporali; et tamen su+,diti Brant propter Dominum aeternum, etiam domino temporali (ENARRAT. ín Psalm. cxxw, n. 7, fin.).
 vers Dieu et envers les gouvernements humains étant ainsi définis, aucun homme Impartial ne pourra accuser les catholiques français, si. salis épargner ni fatigues ni sacrifices, ils travaillent à conserver à leur patrie ce qui e;t pour elle une condition de salut, ce qui résume tant de traditions glorieuses enregistrées par l' histoire, et que tout Français a le devoir de ne pas oublier.
Avant de terminer notre Lettre, Nous voulons tou-cher à deux autres points connexes entre eux, et qui, se rattachant de plus près aux intérêts religieux, ont pu susciter parmi les catholiques quelque division. L'un d'eux est le Concordat quí , pendant tant d'années, a facilité en France, l'harmonie entre le gouvernement de l'Église et-celui de l'Etat. Sur le maintien de ce Pacte solennel et bilatéral, toujours fidèlement observé de 1a part du Saint-Siège, les adversaires de 1a Religion catholique eux mêmes ne s'accordent pas. Les plus violents voudraient son abolition, pour laisser à 1'Etat toute liberté de mo lester l'Eglise de Jésus-Christ. D'autres, au contraire, avec plus d'astuce, veulent, ou du moins assurent vouloir la conservation du Concordat : non pas qu'ils reconnaissent à l'Etat le devoir de remplir envers l'Église les engage-ments souscrits, mais uniquement pour le faire bénéficier des concessions faites par l'Église; comme sí l'on pouvait à son gré séparer les engagements pris des concessions obtenues, alors que ces deux choses font partie substantielle d'un seul tout. Pour eux, le Concordat ne resterait
 donc que comme une chaîne propre à entraver la liberté de l'Église, cette 1ihert€ sainte à laquelle elle a un droit divin et inaliénable. IDe ces deux opinions, laquelle pré-vaudra? Nous l'ignorons. Nous avons voulu seulement les rappeler , pour recommander aux catholiques de ne pas provoquer de scission sur un sujet, dont il appartient au Saint-Siège de s'occuper. Nous ne tiendrons pas le nneme langage sur l'autre point, concernant le principe de la séparation de l'État et de l'Église, ce qui équivaut à séparer la législation humaine de 1a législatιΡon chrétienne et divine. Nous ne voulons pas nous arrêter à démontrer ici tout ce qu'a d'absurde la théorie de cette séparation; chacun le comprendra dė lui-même. Dès que l'Etat refuse de donner à Dieu ce qui est de Dieu, il refuse, par une conséquence nécessaire, de donner aux citoyens ce à quoi ils ont droit comme hommes; car, qu'on le veuille ou non, les vrais droits de l'homme naissent précisément de ses devoirs envers Dieu. D'où il suit que 1'Etat, en manquant, sous ce rapport, le but principal de son institution, aboutit en réalité à se renier lui-même , et à démentir ce qui est la rai son de sa propre existence. Ces vérités supérieures sont si clairement proclamées par la voix même de la raison naturelle, qu'elles s'imposent à tout homme, que n'aveugle pas la violence de la passion. Les catholiques, en conséquence, ne sauraient trop se garder de soutenir une telle séparation. En effet, vouloir que l'État se sépare de l'Église, ce serait vouloir , par une conséquence logique, que  l'Église fût reduite à 1a liberté de vivre selon le droit commun à tous les citoyens. Cette situation, 1l est vrai, se produit dans certains pays. Lest une manière d'être qui, si elle a ses nombreux et graves inconvénients, offre aussi quelques avantages, surtout quand le législateur, раr une heureuse inconséquence, ne laisse pas que dе s'inspirer des principes chrétiens; et ces avantages, bien qu'ils ne puissent justifier le faux рrinсiре de 1a séparation, ni autoriser à le défendre, rendent cependant digne de tolérance un état de choses qui, pratiquement, n'est pas le pire de tous. Niais en France, nation catholique par ses traditions et par foi présente de 1a grande mаjоrité de ses fils, l'Église ne doit pas être mise dans la situation précaire qu'elle subit chez d'autres peuples. Les catholiques peu-vent d'autant moins préconiser 1a, séparation, qu'ils con naissent mieux les intentions des ennemis qui désirent. Pour ces derniers, et ils le disent assez clairement, cette séparation, c'est 1'indёреndаnсе entière de 1a législation politique envers législation religieuse il y a plus, c'est l'indifférence absolue du Pouvoir à l'égard des intérêts de la société chrétienne, c'est à dire de 1'Eglise, et négatlon même de son existence. — Ils font cependant une ré-serve qui se formule ainsi: Dès que l'Église; utilisant les res-sources que le droit commun laisse aux moindres des français, saura, par un redoublement de son activité native, faire prospérer son oeuvre, aussitôt 1'Etat intervenant pourra et devra mettre les catholiques fran -ais hors du droit commun lui-même. Pour tout dire en un mot, l'idéal de ces
hommes serait le retour au paganisme' 1'Etat ne reconnalt l'Église, qu'au ^оur où 11 lui plait de 1a persécuter.
Nous avons expliqué, Vénérables Frères, d'une ma nière abrégée mais nette , sinon tous , au moins les principaux points sur lesquels les catholiques français et tous les hommes sеnsés doivent pratiquer l'union et 1a concorde, pour guérir, autant qu'il est possible encorė, les maux dont la France est affligée, et pour relever même sa grandeur morale. Ces. points sont, la Religion et la Patrie, les pouvoirs po1itiques et 1a législation, la conduite à tenir à l'égard ale ces pouvoirs et à l'égard de cette législation, le Соnооrdаt, la séparation de 1'Etat et de l'Église. — Nous nourrissons l'espoir et 1a confiance, que l'éclaircissement de ces points dissipera les préjugés de plusieurs hommes de bonne foi, facilitera la pacification des esprits, et par еllе l'union parfaite de tous les catholiques, pour soutenir la grande cause du ОhrÍst qui aime les Francs. Quelle consolation pour Notre coeur, de vous encourager dans cette voie, et de vous contempler tous, répondre docilement à notre appel ! --- Vous, \Très vénérables Frères, par Votre autorité et avec le zèle si éclairé pour 1'Eglise et la Patrie, qui vous distingue, vous apporterez un puissant secours à cette oeuvre pacificatrice. — Nous aimons même à espérer que ceux qui .sont au Pouvoir voudront bien apprécier nos paroles, qui visent à la prospérité et au bonheur de la France.
En attendant, comme gage de Notre affection paternelle, Nous donnons à Vous, Vénérables Frères, à votre Clergé, ainsi qu'à tous les catholiques de France, la Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, le 16 Février de l'année 1892, de Notre Pontificat la quatorzième.
LEO PP. XIII.



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