dimanche 17 avril 2016

le synode sur la famille à l'heure du bilan . 27 Octobre 2016



 
 
© ANDREAS SOLARO / AFP© ANDREAS SOLARO / AFP

Le texte final adopté par les évêques à Rome préconise pour les divorcés remariés un discernement au cas par cas. Retour sur un tour de force.

Il se passe quelque chose d’étonnant en ces jours d’après synode : le document final des évêques et des cardinaux fait l’objet de deux interprétations contraires. Pour les uns : victoire de François sur fond d’ouverture à la communion pour les divorcés remariés. Pour les autres : mise en échec du pape par les plus conservateurs, texte consensuel, pour ne pas dire filet d’eau tiède encourageant de manière floue à un meilleur accueil pour les divorcés remariés. Qui a raison et qui a tort ? Si chacun voit midi à sa porte, trouvant là matière à satisfaction ou à déception, c’est parce que ce document est suffisamment ouvert pour que la majorité puisse s’y retrouver, quelle que soit la sensibilité de celui qui le lit. Fait remarquable, chacun des 94 articles a obtenu, lors du vote final par les 270 pères synodaux, la majorité des deux tiers.

Un chemin en plusieurs étapes

Autre fait remarquable, le seul article à être passé de justesse, qui a failli être retoqué à une voix près, est celui sur les divorcés remariés. Que déduire de cela ? Il y a deux écueils dans l’euphorie ou la gueule de bois d’après synode : penser que deux tiers des pères synodaux ont dit « oui » à la communion pour les divorcés remariés ou nier que quelque chose a changé. En réalité, le synode a fait le choix du discernement au cas par cas, plutôt que celui des réponses toutes faites. Avec l’idée que la conversion se joue dans la rencontre, d’où la perspective retenue d’un accompagnement personnalisé avec un prêtre formé à cela : « En soutenant une norme générale, peut-on lire, il est nécessaire de reconnaître que la responsabilité vis-à-vis d’actions ou de décisions déterminées n’est pas la même pour tous les cas. » C’est une manière de dire aux gens : venez avec votre histoire, nous allons prendre le temps de vous écouter sans vous juger, nous n’allons ni vous donner raison ni vous condamner, mais nous réfléchirons à comment vous guider au mieux en partant de là où vous en êtes.
Comment ? « Dans ce processus, ajoutent les évêques, il sera utile de faire un examen de conscience, entre des moments de réflexion et de repentir. » Pour aider à l’examen de conscience, ils proposent plusieurs critères : « Les divorcés remariés devraient se demander comment ils se sont comportés envers leurs enfants quand l’union conjugale est entrée en crise ; s’il y a eu des tentatives de réconciliation ; comment est la situation du partenaire abandonné ; quelles conséquences la nouvelle relation a sur le reste de la famille. » En vue de quoi ? Si le mot « eucharistie » n’est jamais écrit, le fait que l’article soit passé à une voix près indique que l’enjeu n’était pas anodin pour les pères synodaux et qu’ils avaient conscience, en proposant une « participation plus pleine à la vie de l’Église », d’ouvrir la porte suffisamment en grand pour que le pape, dont beaucoup attendent des orientations claires, se sente libre de trancher sur ce point. Lors d’une conférence de presse, le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne, a déclaré que le texte touchait à cette question de manière « oblique » en proposant des critères d’accompagnement. Interrogé par La Vie, le cardinal Donald Wuerl, un des dix à avoir rédigé le texte, explique : « Le synode ne portait pas sur l’accès des divorcés remariés à la communion, mais sur le mariage et la famille, et sur la manière d’aider autant de gens que possible à vivre l’enseignement de l’Église. Nous avons dit consciemment : ne nous concentrons pas sur la communion. » En somme, et c’était la proposition du cardinal Walter Kasper, la communion et la réconciliation ne sont pas envisagées comme le but premier, mais éventuellement comme l’étape ultime d’un chemin d’intégration en plusieurs étapes. cohabitation et mariage civil
Prise en compte du réel et accompagnement : c’est le même état d’esprit qui explique le changement de regard sur la cohabitation avant le mariage ou le mariage civil. « Dans beaucoup de circonstances, la décision de vivre ensemble est signe d’une relation qui veut réellement s’orienter dans une perspective de stabilité. » S’il s’agit d’un « lien durable et ouvert à la vie », celui-ci peut conduire à un « chemin vers le sacrement nuptial ». Une manière de reconnaître que, puisque l’écrasante majorité des couples n’attend pas le mariage pour vivre ensemble ou partager une intimité, mieux vaut miser sur une préparation au mariage plus exigeante, à l’image du noviciat pour les vocations religieuses, plutôt que de pointer l’irrégularité de la situation, ce que peu de prêtres font aujourd’hui. Ainsi, le synode propose la création de « véritables parcours pastoraux » en matière d’éducation à la sexualité, parfois dès l’adolescence, afin d’aider à « découvrir la beauté de la sexualité dans l’amour ».

Pas de révolution mais une évolution

En somme, le synode commence maintenant. Un document sur la famille est espéré de la part de ­François, mais, précise le cardinal Wuerl, le matériel proposé par les évêques peut être utilisé dès à présent. C’est que l’avenir se joue dans les Églises locales, à qui il revient à présent de mettre en œuvre les orientations du synode. « Il n’aura aucun fruit s’il ne réussit pas à animer les milieux locaux », estime Paul-André ­Durocher, archevêque de Gatineau, au Canada, et secrétaire d’un des groupes francophones du synode, dans une interview à La Vie.
Or la décentralisation est un des grands projets de François dans sa réforme de l’Église. Il l’avait écrit en 2013 dans l’exhortation apostolique Evangelii gaudium en défendant l’idée de donner plus de pouvoir aux conférences épiscopales, y compris sur le plan doctrinal, il l’a réaffirmé au milieu du synode de 2015 pour les 50 ans de la création du synode par Paul VI, dans un discours historique. « Il n’est pas opportun que le pape se substitue aux épiscopats locaux dans le discernement de toutes les problématiques présentes sur leur territoire », a-t-il lancé, livrant une des clés de lecture du processus qu’il a enclenché il y a un peu plus d’un an. En mars, la Conférence des évêques d’Allemagne, favorable à la communion pour les divorcés remariés sous certaines conditions, avait annoncé son intention de publier une lettre pastorale sur le mariage et la famille à l’issue du synode. En somme, pas de révolution à l’issue de ces trois semaines, mais une évolution sur la pointe des pieds. L’ouverture d’une voie discrète, davantage un « sentier », pour reprendre le mot de Vincenzo Paglia, président du conseil pontifical pour la famille, qu’un boulevard.

> Les 99 brebis du pape

À l’issue du synode, François a offert un livre à chacun des participants : Il Profumo del Pastore (« le parfum du pasteur ») de Diego Fares (Ancora, 2015). Il s’agit d’une analyse de la manière dont le pape conçoit le rôle de l’évêque, qui, en « bon pasteur du peuple et non tondeur de mouton », doit être proche de son troupeau. Si le Christ parle du berger qui laisse ses 99 brebis pour aller en chercher une, avait-il lancé dès le début de son pontificat, « aujourd’hui, c’est 99 brebis qu’il faut aller chercher », appelant à aller vers les plus éloignées de l’Église. Lors du discours final, il a loué la vivacité d’une Église qui n’a pas « peur de se salir les mains en discutant de la famille d’une façon animée et franche ».

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