mercredi 28 septembre 2016

à des amis Jésuites éminents pendant qu'à Rome s'élit le nouveau Général de la Compagnie

Révérends et chers Pères,

je me permets de vous écrire ensemble, puisque je vous ai connus successivement dans les mêmes fonctions, celles qui m'importent personnellement autant pour l'oeuvre à continuer de la Compagnie en France, que pour cette présentation AMDG de la personnalité du Père Jean Laplace dont je vous ai parlé.

Je n'évoque maintenant que cette oeuvre - puisque je suppose que votre assemblée générale pour élire le prochain Délégué Général à Rome où vous êtes, va en délibérer aussi sinon surtout.

Bien sûr, chaque pays où agit la Compagnie est différent et la situation de l'Eglise plus encore. Dans le cas de la France, il me semble qu'il y a grande urgence :

1° - l'ambiance, bien souvent poussée par des chrétiens ayant en haine l'Islam (peut-être par amour de la vérité ?) est devenue belligène. L'Eglise est en responsabilité de la changer ou de l'améliorer. Le martyre du Père Hamel fait étendard, mais doit le faire pour la paix française, l'intégration nationale et l'estime mutuelle. S'il était besoin, les interventions de nos chers papes Benoît XVI en 2011 et François ces jours-ci à Assise, nous convaincraient d'entreprendre en grand et en profondeur cette tâche. De surcroît, la France qui compte le plus de nationaux musulmans en Europe, alors même qu'elle est d'évidence une création de racines chrétiennes depuis plus de quinze siècles, peut être exemplaire et servir en cela la paix mondiale, et certainement la concorde en Europe.

2° - les élites, même se disant chrétiennes, même issues des collèges jésuites, prennent très superficiellement en compte dans l'exercice de leurs responsabilités économiques et sociales, le magistère de l'Eglise. Celui-ci est d'ailleurs à beaucoup approfondir, mettre à jour et détailler. Benoît XVI en quelques paragraphes de son Encyclique pertinente avait commencé de le faire à propos de la finance spéculative. Les conditionnements - dignité humaine, etc... - de toute absolution pour un libéralisme que Jean Paul II par sa propre vie et selon l'expérience du communisme en Pologne, avait nettement plus en indulgence que le matérialisme marxiste, sont généralement oubliées. Or, les deux - libéralisme et marxisme - sont de même essence, et en sus le libéralisme, actuellement, n'a plus aucune proposition alternative ferme et complète face à lui. Plus aucun contrepoids à redouter ou à balancer en se réformant, s'humanisant lui-même. C'est, sans doute, cette alternative que notre génération doit proposer. C'est difficile, parce que tout en s'appuyant sur les Etats, manifestement pris d'assaut par le libéralisme qu'ils contiennent encore un peu (et parce qu'ils sont un outil démocratique que ne peut être en concept-même le libéralisme), l'alternative humaine à décrire et à mettre en place sera sans système a priori et seulement de conviction intime chez ceux qui auront à la pratiquer et à la propager.

Ces deux observations me font militer plus encore que dans nos conversations successives avec chacun de vous, Révérends et chers Pères, pour une réinsertion forte, physique, en nombre, de la Compagnie dans le système éducatif français.

"Franklin" où vous serez tous les deux regrettés, samedi prochain, me paraît exemplaire du retrait de la Compagnie et du contre-sens que constitue la pétition d'excellence dans la présentation actuelle - très laïque - de l'Ecole Saint Louis de Gonzague. Avec des conséquences assez analogues, j'ai vu ces quinze dernières années, un dévoiement encore plus net pour ce qui s'appelle encore Sciences-Po à Paris (la rue Saint-Guillaume). L'excellence est entendue comme l'approche la plus grande et la plus ressemblante des systèmes anglo-saxons, et dans le cas de la rue Saint-Guillaume, c'est la perte d'un outil conçu dès nos désastres de 1870 : le service public, l'encadrement de la nation. Sans doute, je force le trait. Mais vous sentez bien, avec moi, ce qui manque aujourd'hui au pays, à la société.


Un réinvestissement de la Compagnie dans l'enseignement primaire, secondaire et supérieur : les cinq à vingt ans, me paraît être l'un des éléments propres à faire des nouvelles générations, en France, des combattants bien équipés et profondément motivés 1° pour cette paix nationale et cette cohésion intime qui sont actuellement en danger, et 2° pour cette reviviscence de l'exigence sociale de l'Eglise. D'autant plus pacifiants et empathiques aux situations et aux personnes, que précisément ils auront été bien instruits, formés à votre école.


Je serai heureux de vous revoir, l'un et l'autre, à vos convenances dans les semaines qui viennent.

En union de prière et d'espérance, en toute certitude - grâce notamment à ce que j'ai reçu de la Compagnie, quasiment de naissance. Et en déférente affection filiale et fraternelle.

Aucun commentaire: