vendredi 30 septembre 2016

Un crash sur une comète… Et ainsi se termina la mission Rosetta - Le Monde.fr et articles antérieurs



LE MONDE | 30.09.2016 à 01h46 • Mis à jour le 30.09.2016 à 08h24 | Par David Larousserie (Darmstadt (Allemagne), envoyé spécial) 

Finir en beauté. Tel est le but de l’ultime phase de la mission spatiale Rosetta de l’Agence spatiale européenne (ESA). Cette sonde doit s’écraser, vendredi 30 septembre vers 13 h 30, sur la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko pour, pendant la dizaine d’heure de la chute libre, enregistrer d’ultimes propriétés de ce corps sombre et froid qu’elle scrute depuis plus de deux ans.


Les Européens sont les premiers à survoler aussi longtemps une comète, y compris dans son passage au plus près du Soleil lors du déploiement de la fameuse queue brillante. Ils sont aussi les premiers à s’y être posés, lorsque le 12 novembre 2014 la sonde Rosetta a largué Philae, un module bardé de capteurs, à la surface de « Tchouri ».
« Nous l’avons fait pour la science ! », a lancé Matt Taylor, le responsable scientifique de la mission, jeudi 29 septembre à Darmstadt, dans le centre opérationnel de l’ESA. C’est que les comètes sont faites du matériau le plus ancien du système solaire, vieux d’environ 4,6 milliards d’années. Elles racontent donc comment les planètes ont pu se former et évoluer. Elles pourraient même dire comment la vie est apparue sur Terre. A condition de les faire parler… C’est le but de Rosetta, dont le nom fait allusion à la pierre de Rosette qui a permis de déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens.

Œil triste, œil joyeux

La moisson de données est déjà impressionnante, après des dizaines d’orbites de la sonde de quelques kilomètres d’altitude à plusieurs centaines, et les deux jours et demi de fonctionnement de Philae sur la surface.
« J’ai un œil triste et un œil joyeux », témoigne Kathrin Altwegg, responsable de l’instrument Rosina à l’université de Berne, qui a détecté une soixantaine de gaz différents émis par la comète. L’œil triste est pour l’arrêt des opérations. L’œil joyeux, pour tout ce qu’il reste à découvrir. « Nous n’avons analysé que 5 % des données », confirme Andre Bieler, également de l’expérience Rosina.
D’ores et déjà, le portrait qui se dessine de cette comète est bien différent de celui attendu. Les chercheurs attendaient un corps en forme de patate, ils en ont eu un en forme de « canard » avec tête, cou et corps. Ils voyaient les comètes comme des boules de glace sales, les voici avec le contraire, une matière très sombre contenant de la glace. Qui plus est à 75 % faite de vide.

Des questions demeurent

Des falaises à pic de 200 mètres de haut, des puits larges et profonds de 100 mètres, des blocs isolés de 50 mètres de diamètre, des régions fracturées ou au contraire lisses avec des sortes de dunes, sont apparues… Des jets de gaz et de poussières puissants et étroits ont jailli devant les caméras. Des molécules inconnues jusqu’alors autour d’une comète ont été identifiées : de l’oxygène, de l’argon, du propane, de la glycine…
Surtout, la matière organique qu’elle recèle fascine. « Les comètes ne contiennent pas la vie mais elles ont pu commencer le processus qui l’a rendu possible », a expliqué Kathrin Altwegg à Darmstadt. Les instruments ont en effet repéré, sans les identifier, pléthore de macromolécules à base de carbone, d’oxygène, d’hydrogène et d’azote, qui pourraient servir de briques à de la biochimie.
Bien des questions demeurent, comme le lieu de la formation de ces comètes ou la manière dont de petites poussières de quelques micromètres sont devenues des blocs de 4 kilomètres.
La dernière plongée apportera encore son lot d’images et d’informations sur la vitesse d’éjection des poussières, le champ magnétique, la gravité… « Peut être trouverons-nous de nouveaux animaux », espère Kathrin Altwegg, en désignant ainsi des molécules chimiques non encore détectées. « Sans doute que de nouvelles questions arriveront ! », estime Matt Taylor.
Les premières images doivent être diffusées dans la matinée et se succéder jusqu’au crash final.

 David Larousserie (Darmstadt (Allemagne), envoyé spécial)
Journaliste au Monde
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💫 30/09/2016 - 06h20
Absolument passionnant! Bravo et merci!
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Rosetta : l’adieu à la comète

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 26.09.2016 à 14h31 • Mis à jour le 30.09.2016 à 06h45 | Par David Larousserie
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La comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko photographiée par la sonde Rosetta le 21 août 2015.
Le 30 septembre, à l’allure d’un marcheur, soit moins d’un mètre par ­seconde, les quelque trois tonnes de la sonde Rosetta, de l’Agence spatiale européenne (ESA), devraient s’écraser sur la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko, ou « Tchouri », après une chute d’une douzaine d’heures depuis vingt kilomètres d’altitude environ.
La confirmation du contact est attendue autour de 13 h 20, le signal radio mettant quarante minutes pour parcourir les plus de 700 millions de kilomètres qui séparent la Terre de la comète. Rosetta enverra alors ses dernières images, prises à quelques dizaines de mètres du sol du corps froid et sombre qu’elle survole depuis août 2014.
« Ce sera comme la chute d’une Fiat 500 sur le Mont-Blanc, cela ne détruira pas la comète », assure Andrea ­Accomazzo, directeur de la division des missions solaires et planétaires à l’ESA et ancien responsable des opérations de vol de Rosetta.

Structure en chair de poule

Ce sera la deuxième fois que l’on fait tomber quelque chose sur la comète. La première, le 12 novembre 2014, restera l’épisode le plus spectaculaire de la mission : l’arrivée à sa surface d’un gros frigo de 100 kg bardé d’instruments scientifiques, Philae.
Si tout se passe bien, la « Fiat 500 » chutera sur le plus petit des deux lobes de Tchouri, celui en forme de tête de canard. Sa zone d’atterrissage, une ellipse de 700 mètres sur 500 mètres, se situe entre deux puits de 130 mètres de large et de 50 mètres de profondeur.
Lors de survols précédents, les astrophysiciens y ont repéré de mystérieuses bouffées de poussières. Un autre détail les intrigue : une structure en chair de poule, faite de bosses espacées d’un mètre environ, qui pourrait éclairer la façon dont s’est formée la structure du noyau cométaire.
Les capteurs de la sonde seront donc aux aguets pour cette ultime phase d’une mission particulièrement riche en premières mondiales et en résultats nouveaux. Premier vol au-dessus d’une comète sur une longue période, premier atterrissage d’instruments scientifiques sur un tel astre, premier microscope à force atomique embarqué dans l’espace pour voir des grains inférieurs au micromètre, premier radar géologique pour sonder le cœur d’un tel corps…

« Fabuleuse masse de données »

« Bien sûr, on est un peu tristes que la mission s’arrête. Mais maintenant, nous allons avoir plus de temps pour analyser les résultats », estime Jean-Baptiste Vincent, responsable, à l’Institut Max-Planck de Göttingen, en Allemagne, du planning scientifique de la caméra Osiris, qui équipe ­Rosetta.
« L’intérêt est que Tchouri est une sorte de machine à remonter le temps car ses matériaux datent probablement de 100 millions d’années seulement après l’allumage du Soleil », résume Nicolas Altobelli, du centre des opérations scientifiques de l’ESA à Madrid.
« La masse de données est fabuleuse. Le vrai travail scientifique commence », poursuit Anny-Chantal Levasseur-Regourd, professeure émérite à l’université Pierre-et-Marie-Curie, à ­Paris, au laboratoire Atmosphères, milieux et observations spatiales. Retour sur cette aventure.

Plans de vol recalculés

Le 11 décembre 2002, à Kourou (Guyane), un lanceur Ariane 5, dans une nouvelle version, décolle. Et 456 secondes plus tard, à 69 kilomètres d’altitude, il est détruit en vol au-dessus de l’océan ­Atlantique : sa trajectoire était incorrecte. C’est la consternation.
Pourtant, quelques-uns sont soulagés : leur précieux satellite, fruit de près de quinze ans de travail de conviction et de conception, n’était pas à bord. La mission Rosetta, dont l’idée est née en 1986 et qui a été décidée en 1994, devait en effet prendre le vol suivant, deux mois plus tard. Celui-ci sera reporté jusqu’en mars 2004.
Mais le soulagement discret disparaît vite, car il faut en urgence changer la cible visée par la mission. Exit donc la comète 46P/Wirtanen, repérée en 1948, et place à 67P/Tchourioumov-Guérassimenko. Les plans de vol sont recalculés, mais il est quasi impossible de modifier quoi que ce soit à la sonde et à son atterrisseur, déjà à Kourou. Il faudrait pourtant tenir compte de la plus grande taille de la nouvelle cible et de l’impact plus fort que subiront les 100 kg de l’atterrisseur, qui ne s’appelle pas encore Philae.
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Le lancement d’Ariane 5 avec à son bord la sonde Rosae et l’atterisseur Philae, le 2 mars 2004, à Kourou.

« Hibernation »

Heureusement, lorsque les lancements de cette version musclée d’Ariane reprennent, le 2 mars 2004, tout se passe bien. Un an plus tard, Rosetta survole une première fois la Terre, puis Mars, puis encore la Terre afin de profiter de l’effet de fronde gravitationnel.
En 2009, elle photographie deux astéroïdes, Steins et Lutetia, entre Mars et Jupiter. Le voyage est paisible. Oubliées les secousses du projet qui, en 1995, voient les Etats-Unis abandonner l’Europe, ce qui oblige les équipes à faire entrer plus d’instruments dans un seul atterrisseur. Autre péripétie : « Lors du troisième survol de la Terre, en 2009, à cause d’un bogue, la sonde est brusquement passée en mode de sauvegarde. C’est comme ça que j’ai appris à mieux gérer mon stress ! », témoigne Sylvain ­Lodiot, actuel pilote en chef de la sonde à l’ESA.
Cette anomalie corrigée, un nouveau stress met les équipes à rude épreuve. « En 2011, quelques mois avant la phase cruciale de l’hibernation, on a découvert sur un des propulseurs un problème qu’on a réglé au bout de plusieurs semaines en changeant la manière de le commander », se souvient Andrea Accomazzo.
« A la fin 2011, nous étions sur la bonne trajectoire, prêts pour l’hibernation, car, la sonde s’éloignant du ­Soleil, nous n’avions plus suffisamment d’énergie pour communiquer. On en gardait juste assez pour empêcher le carburant de geler, indique ­Sylvain Lodiot. En salle de contrôle, un des membres de l’équipe a alors chanté à Rosetta une berceuse allemande. Une dernière commande a été envoyée et nous n’avons plus eu aucun contact pendant deux ans et demi. »

Premières images

Si la sonde dort, Andrea Accomazzo et ses équipes restent sur le qui-vive. « Entre 2011 et 2013, c’est là qu’il y a eu le plus gros travail. Nous avons pris conscience qu’on ne pourrait pas voler trop près de la surface. A dix kilomètres au mieux plutôt qu’à quatre, comme prévu pour Wirtanen. Il y avait aussi des hypothèses faites dans les années 1990 qu’il fallait corriger », précise le pilote.
Le 20 janvier 2014, il attend dans la salle de contrôle de l’ESA, à Darmstadt, en Allemagne. C’est la date programmée du réveil de Rosetta. « Si nous n’avions rien, tout aurait pu s’arrêter là ! », rappelle-t-il. A 19 h 18, un tweet du compte de l’ESA annonce le réveil. Andrea Accomazzo exulte, le poing serré. Ensuite, tout s’enchaîne.
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La sonde Rosetta et la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko (vue d’artiste, le 3 décembre 2012).
Le 20 mars, la première photo prise par la caméra haute résolution Osiris arrive sur les écrans : un tout petit point lumineux au milieu d’étoiles. Fin juillet, à 12 000 kilomètres de la cible, un autre cliché précise la vue : Tchouri n’est pas une sphère ! La comète est bilobée et ressemble pour les uns à un grain de pop-corn, pour les autres à un canard, avec tête, corps et cou. Rien à voir avec le caillou, certes un peu biscornu, qui servait alors de modèle aux illustrations de l’ESA.

Pilotage à vue

A partir d’août, les détails se précisent très vite. « Dès le début, j’ai été bouleversée par ces paysages », confie Anny-Chantal Levasseur-Regourd. Un relief torturé apparaît : montagnes, plaines, puits, dépressions, falaises, blocs isolés…
A Darmstadt, les équipes n’ont pas le temps de goûter la beauté des sites. Il s’agit désormais d’apprendre à piloter au voisinage de ce corps d’environ quatre kilomètres dans sa plus grande dimension.
« Selon moi, c’est notre plus grande réussite. En six semaines, nous avons été capables de diriger correctement Rosetta », souligne Andrea Accomazzo. Le pilotage se fait en effet à vue, c’est-à-dire grâce aux images prises par les caméras et à des repères topographiques sur le noyau (de l’ordre d’un millier à la fin de la mission).
Le plus important pour la navigation est la position relative de la sonde par rapport à la comète. La position absolue dans l’espace, connue grâce aux étoiles, est utile seulement pour la communication radio avec la Terre. « Cette navigation à vue, c’est une première pour l’Europe ! », s’exclame le pilote en chef.
Pour naviguer correctement, la difficulté est de tenir compte à la fois des variations de gravitation locale, de la pression radiative du Soleil sur les panneaux solaires, qui agit comme un vent sur des voiles, ainsi que de l’activité de la comète.
Même si la fameuse queue n’est pas visible en permanence, Tchouri émet constamment des gaz et des poussières qui, comme un vent local, perturbent la trajectoire.
« On ne savait rien de l’environnement de la comète avant d’y arriver. Les premières approches ont permis à la sonde de mesurer sa masse et son champ de gravitation. Ces données ont ensuite servi dans notre simulation de trajectoire », résume Andrea Accomazzo. « L’effet de l’activité de la comète a été plus difficile à estimer, car elle est très changeante. On devait sans cesse adapter nos modèles », ajoute-t-il.

Sauts périlleux

Tout était donc prêt pour l’étape la plus spectaculaire de la mission : l’atterrissage du robot Philae. Le 12 novembre 2014, toujours en salle de contrôle, Andrea Accomazzo jubile à nouveau. Philae, après sept heures de chute libre, a touché le sol et est en contact radio avec Rosetta.
Mais très vite un doute s’empare des équipes. Tout ne s’est pas passé comme prévu. Les harpons destinés à arrimer le robot ne se sont pas déclenchés. Le moteur supplémentaire qui devait pousser l’engin vers la surface n’a pas fonctionné non plus. Un constat s’impose : Philae a rebondi et a touché au moins deux fois la surface !
Des analyses plus précises détailleront plus tard l’acrobatie. Un premier rebond envoie le robot à près de 100 mètres d’altitude pour le faire atterrir 600 mètres plus loin, quarante-cinq minutes plus tard. Un second, d’une heure, l’éjecte à 200 mètres de hauteur ; il retombe à 1,3 kilomètre du premier contact.
Malgré ces sauts périlleux et le fait qu’il garde un pied en l’air, Philae fonctionne. Le 13 novembre au matin, l’atterrisseur envoie la photo du rocher très sombre en face de lui. Immédiatement, comme prévu par le programme, les autres instruments se mettent en marche. Le forage de la surface ne fonctionnera pas à cause de la position inconfortable de l’engin. Après deux jours et demi, à court de batterie, Philae cesse son activité.

« C’est quand même fantastique »

Pendant des mois, les équipes tenteront de reprendre contact pour relancer les expériences prévues. « Nous restions optimistes car la comète s’approchait du Soleil et les batteries allaient pouvoir être rechargées, indique Stephan Ulamec, responsable de Philae à l’Agence spatiale allemande. Lorsque nous avons eu enfin un signal, le 19 juin 2015, j’étais enthousiaste. Je pensais possible une nouvelle série d’expériences. »
Hélas, la communication est trop mauvaise entre Rosetta et Philae, posé dans un trou. Sa fin est annoncée officiellement en juillet 2016. Le 5 septembre, après des mois de traque, une image est publiée : elle montre le pauvre robot coincé sous un gros caillou, un pied levé. Il était là où on l’attendait, mais connaître sa localisation exacte va permettre d’améliorer certaines mesures, notamment celle du radar Consert qui a sondé le cœur du petit lobe de Tchouri.
« Pour un ingénieur, lorsque deux systèmes ne fonctionnent pas, c’est évidemment décevant. Il faut cependant se rendre compte que cette partie de la mission était très risquée et qu’on a eu des résultats. C’est quand même fantastique », souligne Andrea Accomazzo. « On a même eu de la chance », estime Stephan Ulamec. En effet, lors des rebonds, des poussières du sol ont été capturées dans des compartiments d’un instrument de Philae, ce qui a permis leur analyse.

Feu d’artifice scientifique

Une moisson de résultats de Philae et de ses dix instruments tombe le 31 juillet 2015 sous forme de sept articles dans la revue Science. Quelques jours avant a eu lieu un autre feu d’artifice : le passage au plus près du Soleil et la forte activité résultante (qui oblige d’ailleurs à éloigner ­Rosetta à des centaines de kilomètres afin d’éviter que l’engin, désorienté, échappe aux pilotes).
Cette récolte s’ajoute aux premiers éléments fournis par Rosetta dès la fin 2014. « Ce que nous apprenons sur cette comète est très éloigné de ce que nous imaginions. C’est à cela que l’on reconnaît les découvertes importantes », expliquait au Monde Jean­-Pierre Bibring, professeur à l’université Paris­-Sud et responsable scientifique de ­Philae, le 1er août 2015.
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La comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko vue par Rosetta, entre le 31 janvier et le 25 mars 2015.
« On n’avait jamais vu une telle forme ! », constate ainsi Nicolas Altobelli à propos des deux lobes, probablement dus à l’agglomération de deux morceaux plus petits. « On pensait, depuis notamment le survol de la comète de Halley par la sonde Giotto [1986], qu’il y avait à peu près autant de glaces que de poussières dans les comètes. Mais pas du tout : sur Tchouri, il peut y avoir quatre à six fois plus de poussières ! », observe Anny-Chantal Levasseur-Regourd.
« Ce n’est pas une boule de glace sale, comme on le pensait, mais plutôt du sable glacé », estime Nicolas Altobelli. « En plus, ce noyau cométaire évolue bien plus qu’une planète », ajoute ­Anny-Chantal Levasseur-Regourd. Ainsi, en quelques mois, les chercheurs ont vu des dépressions peu profondes se déplacer d’une cinquantaine de mètres au milieu d’une plaine lisse, baptisée Imhotep. Et le 19 février 2016, un énorme jet de poussières a soudainement jailli d’une paroi.

Structure poreuse

Un portrait-robot s’affine. Le noyau de la comète est riche d’une matière organique solide et complexe, constituée de carbone, d’hydrogène, d’oxygène et d’azote. Elle forme une matrice piégeant de la glace d’eau ou d’oxyde de carbone.
Peu de molécules nouvelles sur une comète ont été précisément identifiées, même si un acide aminé, la glycine, a été repéré, ainsi que de l’acétone ou de l’isocyanate de méthyle.
La surface, très sombre, réfléchit environ 5 % de la lumière du Soleil. La température est très fraîche, environ – 70 °C. L’eau contenue dans le noyau sous forme de glace n’a pas la même composition que celle des océans terrestres, ce qui exclut que ce type de comète ait apporté l’eau à notre planète ; rien n’interdit cependant que d’autres aient pu le faire.
Sa structure est poreuse, faite de 80 % de vide. Un volume d’un mètre cube a une masse de 500 kilogrammes : il flotterait sur l’eau. Aucune grosse cavité, pas de plus de trois mètres en tout cas, n’a été trouvée dans sa « tête », comme l’a montré le radar Consert, qui a sondé l’intérieur du noyau. Sa surface n’est pas si molle, comme en témoignent les rebonds de l’atterrisseur. Au plus proche du Soleil, à 186 millions de kilomètres, elle a perdu environ 100 000 tonnes de matière par jour.

L’activité a surpris les chercheurs

Plus subtil, cette matrice est constituée d’agrégats de grains minuscules dont les tailles vont de un dixième de microns à plusieurs millimètres, comme mesuré par divers instruments. « C’est différent du processus d’usure conduisant aux plages de galets ou de sable fin, pour lesquelles les constituants ont des tailles comparables. Cette formation remonte aux origines du système solaire », indique Anny-Chantal Levasseur-Regourd. Il manque cependant des modèles pour construire un noyau de plusieurs kilomètres à partir de ces grains micrométriques.
L’activité a également surpris les chercheurs. « Les poussières semblent venir des parois de certains reliefs et pas, comme on le pensait, de la surface », indique Nicolas Altobelli, qui précise que la chute de Rosetta permettra aussi, en mesurant les vitesses des poussières près de la surface, d’essayer de mieux saisir le mécanisme de leur éjection. « Il faut également comprendre ces bouffées ponctuelles, différentes de l’activité régulière que nous avons pu identifier », indique Jean-Baptiste Vincent.
Autre zone d’ombre, la détection, par Rosetta, de gaz comme l’argon, l’azote et même l’oxygène montre que la comète est différente de Jupiter. Le noyau de Tchouri se serait donc formé plus loin que la géante gazeuse.
Mais où et quand ? Dans le milieu interstellaire, très ancien, ou plus « récemment », il y a quelque 4,5 milliards d’années, dans ce qu’on appelle le nuage protosolaire, au centre duquel est né notre Soleil ? « Je doute qu’on puisse répondre de manière univoque à cette question », estime Olivier Mousis, au Laboratoire d’astrophysique de Marseille, qui a participé aux mesures de ces gaz rares sur l’instrument Rosina de Rosetta.
Un retour d’échantillons aurait pu aider à trancher, mais il n’est pas envisagé. Le chercheur propose d’ores et déjà une mission avec la NASA, HERA, dans l’atmosphère de Saturne, afin de mesurer ses marqueurs chimiques de composition et de les comparer à ceux de Jupiter et de Tchouri.

Et la vie ?

« Techniquement, cette ultime phase de la mission pour faire atterrir Rosetta sera plus difficile que celle de 2014 pour Philae », indique Sylvain Lodiot. Pendant plusieurs jours avant la chute, jamais le vaisseau n’aura rasé d’aussi prêt sa cible, parfois à moins de 2 kilomètres de la surface.
Autant dire que la trajectoire est sensible aux faibles variations de relief, et donc de gravité, de la comète. Tout comme aux jets de poussières dégagés par le noyau. « Sur une orbite de trois jours, la trajectoire peut être allongée de dix-sept heures. Nous devons alors envoyer des commandes pour corriger le vol et programmer la séquence suivante », complète Sylvain Lodiot, dont les équipes n’ont que quelques heures pour réaliser l’opération et éviter de perdre Rosetta.
Cette dernière expérience, malheureusement, ne permettra pas de répondre à la lancinante question de l’origine de la vie dans le Système solaire. Certes, avec ses reliefs changeants et ses bouffées de vapeur plus ou moins imprévisibles, la comète est plus « vivante » qu’attendu. Mais les chercheurs n’ont pour l’instant pas mis la main sur des preuves directes du lien entre ce noyau sombre et froid et la « vraie » vie telle qu’elle est présente sur Terre.
« Ce qui domine dans cette comète, ce sont des grains faits principalement de matière carbonée, organique. Ils datent d’avant même la croissance des planètes, fabriqués lors de l’effondrement du nuage qui a donné naissance au Système solaire. Les ingrédients de la vie sont probablement là ! », indique Jean-Pierre Bibring. « Nous les avons même touchés ! », sourit Anny-Chantal Levasseur-Regourd, évoquant le microscope à force atomique Midas dont la pointe a probablement caressé ces grains en les observant. Vus, touchés, mais pas identifiés complètement.

Une chimie très particulière

Seul un acide aminé a été trouvé, la glycine, le plus simple que le vivant utilise sur Terre. Trouver des chaînes de carbone plus longues, comme l’espéraient les scientifiques de Philae, aurait été une belle surprise. Mais l’expérience n’a pu être menée à cause des rebonds de l’engin et de sa chute dans un trou, à l’ombre.
Tout comme une autre, elle aussi prévue au départ : mesurer la chiralité de cette matière primitive. Deux molécules sont dites chirales si elles sont de formule identique, mais de forme spatiale différente, image l’une de l’autre dans un miroir (comme la main gauche et la main droite). Or les acides aminés, les sucres et d’autres biomolécules possèdent sur Terre cette propriété, qu’il s’agissait de repérer sur la comète. « Ce devait être la première expérience après que Philae eut rechargé ses batteries. Ne pas avoir pu la réaliser restera notre plus grande frustration », estime Jean-Pierre Bibring, qui imagine cependant un scénario.
Dans une zone très froide de l’espace, loin du ­Soleil mais sous l’effet de son rayonnement, une chimie très particulière a fabriqué une matière organique complexe et riche, qui s’est agglomérée en grains de plus en plus gros. Piégée dans une gangue rigide, cette matière est tombée sur Terre, où d’autres conditions chimiques ont permis sa transformation pour aboutir jusqu’au vivant…
« Lors des bombardements sur Terre, la couche dure en surface de la comète a protégé la matière organique, qui sans cela aurait été détruite. L’ensemencement par ces ingrédients des océans terrestres a ainsi été possible, indique le chercheur. Le vivant, c’est la mise en commun, permise par l’eau, des ingrédients de base, évoluant vers des structures stables par des processus de sélection autocatalytiques. Cette mission contribue à modifier la vision du rôle des comètes dans l’histoire du Système solaire et, tout spécifiquement, de ce qu’est le vivant ». Mais pour confirmer ce scénario, là aussi, un retour d’échantillons serait idéal.
« Le consensus mettra plusieurs années à se construire. Pour l’instant, chaque instrument a exposé ses résultats. Il manque des synthèses globales mariant toutes ces données », estime Nicolas Altobelli. « On en a pour des dizaines d’années ! », appuie Anny-Chantal Levasseur-Regourd. Le crash du 30 septembre ne sera pas la fin de l’aventure Rosetta.

 David Larousserie
Journaliste au Monde
Vos réactions (10) Réagir
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30/09/2016 - 00h40
Bravo!
 
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Pif 29/09/2016 - 23h47
Merci pour votre article !
 
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CHANTAL ROCCIA 29/09/2016 - 21h02
Adieu Rosetta ... mission accomplie. Même si cette sonde n'est qu'un appareil conçu par l'homme, elle aura accompli bien des choses qu'aucun d'entre-nous ne fera jamais ... j'ai du vague à l'âme à la voir disparaître ... Adieu à toi, belle "espacisée" .....
 
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TrancheChair 29/09/2016 - 20h09
La sonde, pourrait-elle survivre ce denouement pour quelque temps? L'impact semble tres lent.
 
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drO 29/09/2016 - 18h48
Bon article, merci!
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«Rosetta repose la question de l’ubiquité de la vie»


Ce vendredi 30 septembre, la sonde Rosetta sera projetée sur la comète  Tchourioumov-Guerassimenko (1) par les astronavigateurs de l’Agence spatiale européenne (ESA).
Une fin spectaculaire pour une mission au cours de laquelle la sonde a parcouru plus de 8 milliards de kilomètres après son lancement en mars 2004 par une fusée Ariane depuis l’astroport de Kourou et dont le bilan scientifique, non définitif, est déjà marquant pour l’exploration du système solaire comme pour l’étude de l’émergence de la vie sur Terre.
Jean-Pierre Bibring, professeur à l’Université d’Orsay et chercheur à l’Institut d’Astrophysique spatiale, a participé à cette aventure, comme coordinateur scientifique du robot Philae qui s’est posé sur la comète au terme d’une cabriole cosmique imprévue. Dans une interview accordée à {Sciences²}, il explique le crash suicide de Rosetta. Et développe son opinion sur le bilan scientifique provisoire que l’on peut tirer des  observations des deux engins – en particulier sur l’apport à la recherche des scénarios d’émergence de la vie sur Terre – ainsi que sur les leçons à tirer des technologies utilisées pour cette cette mission.
L’Agence spatiale européenne a décidé de rapprocher la sonde Rosetta de la surface de la comète « Tchoury » puis de l’y projeter le 30 septembre. Qu’attendez-vous de cette opération spectaculaire et quelle en est la raison ?
Jean Pierre Bibring
Jean-Pierre Bibring : Rosetta suit la comète dans son périple autour du Soleil, laquelle s’éloigne à présent de celui-ci et s’en trouve aujourd’hui à près de 4 fois la distance Terre-Soleil. Dans quelques mois, la comète sera au-delà de l’orbite de Jupiter, et Rosetta ne recevra plus suffisamment d’énergie pour survivre, ni même hiberner. En outre, la sonde n’a plus d’ergols lui permettant de quitter la comète et partir explorer un autre objet du système solaire. Rosetta atteint donc la fin de sa mission, qui en vérité était prévue bien plus tôt pour la fin 2015. Comment utiliser au mieux ses dernières ressources ? La communauté scientifique a proposé à l’Agence spatiale européenne de s’approcher du noyau jusqu’à y tomber, pour y réaliser des mesures et des observations qui n’ont jamais été effectuées de si près. C’est ce qui sera réalisé le 30 septembre prochain.
le site d’impact prévu sur la comète (ESA)
Par-delà l’aspect spectaculaire de cette opération, nous espérons en particulier acquérir des images avec une résolution millimétrique dans une région qui présente des puits actifs (voir image ci-dessus). Ces derniers pourraient révéler, sur leurs flancs, des structures directement liées aux processus de formation et d’évolution des comètes. Outre des images, des mesures du gaz, des grains et du plasma devraient être acquises et transmises en temps réel, jusqu’à l’impact final.
Alors que la mission de Rosetta et du robot Philae s’achève, qu’est-ce que les astrophysiciens ont appris sur la formation des comètes et donc du système solaire ?
Jean-Pierre Bibring : Si la mission, du point de vue opérationnel, touche à sa fin, le travail sur les données acquises est loin d’être achevé. Il est donc beaucoup trop tôt pour en effectuer un bilan définitif, alors que nous espérons pouvoir effectuer des mesures critiques jusqu’à la fin. Pour autant, je ne crois pas exagéré de dire que cette mission nous offre des comètes une vision extrêmement différente de celle que nous avions auparavant, des processus qui ont façonné le système solaire, et surtout du rôle que des objets semblables ont pu jouer dans l’évolution des objets planétaires comme notre Terre. D’importants paradigmes sont en train d’être sérieusement bousculés.
http://huet.blog.lemonde.fr/files/2016/09/Activité-de-la-comete-du-31-janvier-au-25-mars-2015-ESA-Rosetta-NAVCAM-–-CC-BY-SA-IGO-3.0.jpg
Activité de la comete du 31 janvier au 25 mars 2015 crédits ESA-Rosetta-NAVCAM-–-CC-BY-SA-IGO
Les noyaux cométaires sont des objets de faible densité globale (la moitié de celle de la glace d’eau), et de très grande porosité. Contrairement à l’image que l’on en avait généralement, ils ne semblent pas être constitués principalement de glaces, faites d’eau et de CO2. Celles-ci sont bien présentes, mais en abondance inférieure à celle des grains qui sont, eux, très majoritairement, des grains organiques, c’est-à-dire constitués de composés chimiques carbonés, sombres et réfractaires. Cette matière organique, vraisemblablement très complexe, constitue la matrice même des comètes, dans laquelle glaces et minéraux sont piégés. Finies les « boules de neige sale » : ce sont des  « organIcEs », où des glaces (ices) sont piégées dans une matrice carbonée (organics). Les images acquises par Philae donnent une représentation spectaculaire de ces grains carbonés. Le site où Philae s’est finalement arrêté, est, comme en témoignent les images prises récemment, un trou assez profond, très peu affecté par les processus qui prennent place à la surface. Du point de vue opérationnel, ce site fut malheureux, en ce qu’il ne nous a pas permis de travailler sur la durée, faute de soleil suffisant pour réchauffer Philae et alimenter ses panneaux solaires. En revanche, du point de vue scientifique, ce fut un site extraordinaire, car le matériau que Philae a observé et analysé pendant 60 heures, grâce à ses piles, est probablement le plus primordial – au sens de l’histoire du système solaire – que nous pouvions rêver d’atteindre !
Depuis la sonde Rosetta, l’imageur spectral VIRTIS a montré que la surface du noyau est dépourvue de glace. Elle est presque entièrement recouverte de matière organique, tout comme les parois des structures d’affaissement créées par l’activité cométaire. Ce matériau est donc vraisemblablement constitutif du noyau dans sa masse. Il proviendrait de molécules synthétisées dans l’effondrement du nuage de gaz et de poussières qui a donné naissance au système solaire, mais à grandes distances du Soleil naissant, par une chimie très spécifique, puis intégrées aux objets accrétés dans ces régions externes du nuage proto-solaire.
La composition de la partie la plus volatile de cette matière carbonée a été analysée, dans la coma (la « chevelure ») par le spectromètre ROSINA principalement, et au sol par deux instruments de Philae (COSAC et PTOLEMY). Les mesures montrent des différences importantes et révèlent que les observations de la coma, comme celles qui sont effectuées depuis la Terre par des télescopes et des radiotélescopes, ne donnent pas une vision globale du matériau cométaire organique, dont une partie importante est sous la forme de grains et non seulement de gaz.
Tchoury est une comète, mais est-elle représentative de toutes les comètes du système solaire où ces dernières sont-elles à classer dans différentes catégories ?
Jean-Pierre Bibring : Lorsque cette comète a été choisie comme cible pour la mission Rosetta, nous ne disposions d’aucune donnée permettant de préférer telle comète plutôt qu’une autre, pour sa composition, ou l’une quelconque de ses propriétés physiques. Sans que nous n’imaginions qu’il puisse y avoir une certaine diversité parmi ces objets, rien ne nous permettait réellement de la caractériser. C’est la trajectoire de cette comète qui la rendait accessible à la mission Rosetta, dont l’objectif était d’effectuer un rendez-vous cométaire, c’est-à-dire de ralentir au voisinage de la comète au point de suivre ensuite une même trajectoire, pour l’accompagner dans son périple autour du Soleil – ce qui n’avait jamais été réalisé auparavant. Pour les objectifs scientifiques, toute comète, semblait-il, ferait l’affaire : représentative d’une même classe d’objets formés à partir d’un même matériau d’origine et en ayant préservé l’essentiel. Avec Rosetta, une certaine diversité se fait jour, qui pourrait refléter la dynamique collisionnelle  du système solaire dans ses premières phases, ainsi que les gradients thermiques présents au sein du disque protosolaire. La composition isotopique de quelques éléments chimiques en est exemplaire. Une faible différence de température, quelques degrés de plus ou de moins, suffisent à modifier considérablement, pour les atomes d’hydrogène, la proportion de ces derniers qui se présentent sous la forme du deutérium (l’hydrogène « lourd » doté d’un neutron en plus) au sein des molécules synthétisées à partir de ces éléments, telles l’eau. Or, nos instruments nous permettaient d’analyser ce fameux « rapport D/H » si instructif. En revanche, il semble acquis qu’un grand nombre des propriétés cométaires sont génériques, en particulier en ce qui concerne le contenu organique. Cela provient de ce que tous les noyaux cométaires ont été formés et maintenus à des températures très froides, tant pendant leur accrétion que tout au long de leur histoire ultérieure, piégés dans des réservoirs très lointains du Soleil. C’est pourquoi ils contiennent encore de la glace d’eau, qui se sublime lorsque, après que leur trajectoire ait été modifiée au point de passer près du Soleil, ils deviennent des comètes, en développant comas et queues caractéristiques. A des températures si basses, quelques dizaines de degrés kelvin au plus, très peu de réactions chimiques prennent place, et malgré des différences de quelques degrés, on peut s’attendre à ce que l’essentiel des molécules présentes soient similaires d’une comète à l’autre.
Les régions de la comète baptisées par les planétologues
Les planétologues et les géologues se demandent quel fut l’apport du bombardement cométaire à la formation des océans terrestres. Rosetta et Philae ont-ils répondu à cette question ?
Jean-Pierre Bibring : Il est généralement admis que la Terre et les autres planètes internes ont été formées à partir d’un matériau qui, pour l’essentiel, était lui-même interne au système solaire. Donc proche du Soleil naissant et trop près, trop chaud pour que des grains de glace y aient été stables. L’accrétion planétaire s’est donc principalement effectuée à partir de grains anhydres. D’où vient alors l’eau présente sur (et dans la) Terre – et, également, sur Mars ? Elle a dû être apportée grâce à la turbulence qui régnait dans le disque protosolaire, dès l’accrétion, par des grains contenant de la glace, c’est-à-dire formés dans des régions externes, plus éloignées de l’étoile et où la glace était stable. Les noyaux cométaires actuels sont vraisemblablement de bons représentants de ce matériau primordial, constitutif du disque externe. Toutefois, quoique la température y ait été partout très basse, elle n’était pas strictement uniforme, si bien que selon la région spécifique de formation, l’eau de ces objets s’est trouvée dans des rapports D/H variables. Les océans terrestres ont mélangé des grains issus de régions distinctes du disque externe, et leur rapport D/H reflète ce mélange. De ce point de vue, une comète particulière ne peut prétendre reproduire l’ensemble des apports initiaux. Les résultats de Rosetta, qui indiquent dans la comète Churiumov Gerasimenko un rapport D/H supérieur à celui des océans terrestres, ne contredisent pas l’origine extraterrestre de l’eau terrestre, mais impliquent que les comètes qui y ont contribué se sont formées dans une zone assez étendue des régions externes du disque protosolaire.
Cette mission a souvent été présentée comme la recherche des « briques de la vie », les molécules organiques complexes de la biochimie. Rosetta et Philae les ont-ils trouvées au-delà de l’exemple de la glycine, un acide aminé détecté plusieurs fois dans la chevelure de la comète ?
Jean-Pierre Bibring : Philae et Rosetta ont détecté une très grande variété de composés, au-delà de ce qui a été déjà publié. Une fois dûment validés par les équipes responsables, de nouveaux résultats vont être rendus publics dès les mois qui viennent.
Il demeure toutefois une vraie frustration, comme c’est le cas de toutes les grandes missions spatiales. Certaines mesures, que les instruments à bord de Philae auraient permis, n’ont pu être effectuées car, dans la position et à l’endroit où Philae s’est finalement posé, il a manqué d’énergie solaire pour recharger les batteries. Nous n’avons pas pu relancer de nouvelles opérations scientifiques au-delà des premières 60 heures, comme nous l’espérions. Au premier rang de ces mesures non effectuées, celles de la phase organique la plus réfractaire, contenue dans les grains qui ne révèlent leur composition que lorsqu’ils sont chauffés jusqu’à de hautes températures, et relâchent alors des composés qui sont analysés, par chromatographie et spectrométrie de masse. Nous ne possédons que des indications de ces constituants, qui ont pénétré nos instruments lorsque des grains, soulevés lors des rebonds, ont pu y être analysés directement. En revanche, l’expérience de chauffage progressif, qui était la première que nous avions programmée au cas où nous parviendrions à redémarrer des séquences scientifiques, n’a pas pu être réalisée. Nous travaillons donc maintenant à extraire des informations acquises juste après le premier contact avec le sol la connaissance la plus poussée de ce dont sont constitués ces grains organiques.
Du coup, l’apport des comètes au processus d’émergence de la vie sur Terre doit-il être reconsidéré alors qu’un article vient de confirmer des traces de vie il y a 3,7 milliards d’années ?
Jean-Pierre Bibring : La découverte de traces de vie terrestre il y a 3,7 milliards d’années n’exclut pas que la vie ait pu émerger antérieurement, ni n’indique le processus par lequel ces structures vivantes se sont formées. Résultat d’une chimie ayant pris place sur Terre à partir de molécules relativement simples, d’un ensemencement par des composés complexes extraterrestres, de type cométaire, ou d’un mélange de ces deux possibilités ? L’une des hypothèses que Rosetta et Philae semble justifier (le conditionnel est vraiment de rigueur), est que les molécules nécessaires à l’évolution du vivant font partie du contenu organique observé par nos instruments. Elles étaient donc présentes avant même la formation de la Terre, synthétisées lors de l’effondrement du nuage protosolaire, bloquées dans des objets de type cométaire, puis introduites dans les océans terrestres par impact. Le « passage de l’inerte au vivant » sur Terre ne consisterait pas en la synthèse de molécules spécifiques, à partir d’un mélange primordial de molécules simples et en présence d’une source d’énergie. Il s’agirait du processus par lequel des molécules complexes, contenant déjà l’essentiel des propriétés requises, mises ensemble, pourraient interagir, en présence d’eau liquide chargée d’ions (eux-mêmes apportés par exemple par le lessivage de terrains continentaux), et évoluer, de manière auto-catalytique, vers des structures douées des propriétés particulières, qualifiées de « vivantes ».
Le matériau qui entoure Philae, protégé du Soleil dans ce trou profond, n’a été que très peu affecté par l’activité cométaire. Ce qui apparait sur les images des caméras CIVA, ce sont les constituants les plus primordiaux que l’on pouvait rêver d’observer.  Ils pourraient contenir l’ensemble des ingrédients permettant, une fois immergés dans les océans terrestres, l’émergence de formes vivantes… Les analyses effectuées à partir des grains levés par Philae et analysés, pourraient étayer cette hypothèse – mais les équipes en charge ne sont pas encore au bout du traitement de ces données !
Philae, par ses rebonds multiples, nous apprend quelque chose de plus. Quoique de très faible densité, le noyau cométaire est recouvert en surface d’une croûte plus résistante, comme « frittée », résultat probable des stress thermiques induits par les passages successifs près du Soleil. Cette croûte a pu jouer un rôle protecteur lors de l’arrivée d’objets de ce type dans les atmosphères planétaires primordiales, leur permettant d’atteindre la surface en facilitant l’ensemencement par des constituants carbonés dans les océans…
Si ces molécules organiques et les comètes sont si abondantes dans l’Univers, cela signifie-t-il que de nombreuses planètes de notre Galaxie sont susceptibles d’accueillir la vie ou que cette condition initiale nécessaire est loin d’être suffisante ? La question de l’unicité ou de l’ubiquité de la vie dans l’Univers est-elle à reposer différemment ?
Jean-Pierre Bibring : Notre système solaire procède de l’effondrement d’un nuage de gaz et de grains interstellaires, comme tous les autres systèmes stellaires dans la Galaxie. Est-ce à dire que tous possèdent le même contenu moléculaire, et qu’une fois immergés dans des océans planétaires, ces molécules pourraient avoir évolué de manière semblable vers des formes vivantes ? Nous ne connaissons évidemment pas la réponse à ces questions. Mais nous pouvons avancer des suggestions, qui déboucheraient sur des prédictions observationnelles et de nouvelles mesures à effectuer, pour valider ou infirmer ces propositions.
Les observations des nuages moléculaires par la radioastronomie mettent en évidence une très grande variété de composés, essentiellement similaire d’un nuage à l’autre. Il faut toutefois réaliser qu’il s’agit de nuages en début d’effondrement, lorsque les densités demeurent suffisamment faibles pour permettre la caractérisation de leur composition par spectroscopie, même en ondes radiométriques. Les comètes, en revanche, échantillonnent l’un de ces nuages en fin d’effondrement, après qu’une chimie très particulière en ait transformé le contenu moléculaire. C’est alors que la diversité des produits synthétisés pourrait s’être manifestée. Prenons le moment particulier où apparait l’étoile centrale. Ses caractéristiques propres, et en particulier son rayonnement à grande énergie (UV et Extrême UV), éventuellement polarisé, pourrait avoir affecté les propriétés de certaines des espèces et molécules du disque environnant. Par exemple en y induisant des excès énantiomères (lorsqu’une molécule peut présenter deux formes non superposables dans un miroir et qu’elles ne sont pas produites à égalité) très particuliers, modelant leur chiralité et favorisant leur évolution, une fois immergée dans des océans planétaires, vers des structures « vivantes ». Il se trouve que nous avons, à bord de Philae, une expérience qui aurait permis de mettre en évidence une éventuelle chiralité de la matière organique cométaire. Mais nous n’avons pas pu la réaliser, faute de Soleil suffisant… En supposant que de telles expériences démontrent un jour que le matériau cométaire ait déjà intégré de telles propriétés, cela renforcera l’idée que l’essentiel des ingrédients  du « vivant » était déjà disponible avant même la formation des planètes. Dans quelle mesure s’agit-il du résultat d’une spécificité de notre propre système, et des caractéristiques de son effondrement, ou à l’inverse d’une propriété générique du cosmos, cela bien sûr demeure une question. De même, les conditions et propriétés particulières des océans terrestres, au moment de ces apports de type cométaire, pourraient renforcer les aspects contingents. A l’évidence, les questions de l’ubiquité ou non de la vie dans l’Univers se posent en des termes très nouveaux ! La notion même «d’habitabilité» doit être totalement repensée à mon avis.
Dans quelle mesure cette démarche modifie-t-elle la manière dont il faudrait explorer la planète Mars ?
Jean-Pierre Bibring : Comme nous venons de l’évoquer, quand bien même les ingrédients carbonés du « vivant » auraient été présents, pour l’essentiel,  dans le disque protosolaire externe, et introduits par des impacts de type cométaire dans les planètes du système interne, d’autres conditions semblent requises pour que l’évolution de formes vivantes prenne place. Ces conditions sont en particulier liées à la présence d’eau liquide à leur surface, stable sur de longues périodes, et  de leur contenu en catalyseurs, en ions et en radicaux spécifiques. On déchiffre juste, grâce aux missions spatiales principalement, la séquence des processus qui ont conduit aux conditions extrêmement particulières qui ont favorisé l’existence et la pérennité des océans terrestres. Que signifie dans ces conditions que la Terre a été «habitable», puis habitée ? Dans quelle mesure est-ce spécifique (contingent) à la Terre ?
Dans le système solaire, si la vie à trouvé un nid ailleurs que sur Terre, c’est vraisemblablement sur Mars, car ces deux objets sont très probablement ceux qui ont connu dans leur passé les conditions les plus similaires. Nous avons mis en évidence une ère martienne, très ancienne, où des conditions de stabilité de l’eau liquide en surface, chargée de sels, semblent s’être mises en place. Or, nous avons également montré que l’histoire de Mars a permis que certains terrains, qui ont connu ces conditions, acquises il y a plus de 4 milliards d’années, en ont préservé l’essentiel des propriétés, ce qui est unique, dans tout le système solaire. Ces terrains sont rares, mais ont été identifiés et localisés : ce sont très probablement les plus favorables pour éventuellement témoigner de ce que la vie est assez robuste pour avoir évolué ailleurs que sur Terre. Ce sont les terrains privilégies pour les missions d’exploration spatiale exobiologique, dont la mission ExoMars de l’Agence Spatiale Européenne.
Le succès technologique global de Rosetta et de Philae comme l’insuccès du forage du sol cométaire que devait réaliser Philae peuvent-il guider la conception des missions futures d’exploration du système solaire ?
Les instruments de Philae
Jean-Pierre Bibring : Bien entendu ! Les leçons de toutes les missions, de leurs succès comme de leurs échecs, doivent être élaborées et prises en compte. Cela dit, franchement, ce qui devrait ressortir de la mission Philae est non pas ce qui n’a pas fonctionné comme nous l’espérions, mais le succès de défis technologiques inouïs. Philae a été conçu il y a près de 30 ans. Pensons au niveau de certaines technologies alors disponibles, en particulier en ce qui concerne les systèmes électroniques miniaturisées. La mémoire de masse de Philae, pour stocker toutes les informations nécessaires au fonctionnement autonome d’un système si complexe, la gestion de ses ressources énergétiques, de son système de communication, de ses 10 instruments, l’acquisition, le stockage et l’envoi de toutes leurs données  etc…,  ne dépassait pas 4 Mo ! Pour analyser cette comète loin du Soleil, il fallait faire travailler des systèmes et des instruments à des températures jamais endurées précédemment. Les caméras par exemple ont pris des images à des températures inférieure à -100°C. Tout cela avec des puissances électriques disponibles dérisoires (moins de 20 W). Une grande partie des instruments développés pour cette mission serait encore parfaitement au niveau des exigences actuelles !
La photo finalement obtenue de Philae par la sonde Rosetta aurait-elle pu permettre de relancer l’expérience de forage si elle avait été réussie plus tôt ?
Jean-Pierre Bibring : Nous avons tenté d’obtenir de l’ESA qu’une image de ce type soit réalisée dès le début de l’année, afin de définir la localisation et l’orientation de Philae avec suffisamment de précision pour optimiser les liaisons possibles avec Rosetta, et tenter de communiquer pour relancer les opérations scientifiques tant que Philae n’était pas trop loin du Soleil pour disposer de chaleur et recharger ses batteries. Cela n’a pas été possible, car le dégazage de la comète rendait très risqués des survols à basse altitude, qui auraient permis cette caractérisation (Note de SH : lire ici un article de février 2015 sur le survol le plus rapproché lors de la mission, à 6 km du noyau). Cela demeurera l’un de nos regrets les plus profonds. Il n’est pas exclu en effet que Philae ait conservé la capacité de dérouler des séquences scientifiques de longs mois après le passage au périhélie, et des expériences critiques restaient à être réalisées, et auraient pu l’être.
Philae Crédit ESA Rosetta-MPS-for-OSIRIS-Team-MPS-UPD-LAM-IAA-SSO-INTA-UPM-DASP-IDA
Nous n’avions pas mis le forage en tête des priorités, car il nous semblait probable que le matériau soulevé par Philae lors de ses rebonds avait déjà rempli certains des creusets destinés à leur analyse, sans qu’il ait été nécessaire d’actionner la foreuse pour les remplir, ce qui aurait fait gagner énormément de temps et d’énergie. La première expérience aurait été celle de l’extraction par chauffage de ces composés carbonés et leur analyse, y compris de leur chiralité.
Pour autant, nous ne pouvons blâmer les responsables qui ont privilégié la sécurité de la mission en refusant des survols à trop basse altitude. Cela a rendu possible l’utilisation de tous les instruments de la sonde pour caractériser à distance le noyau cométaire. Nous avions conscience, en développant Philae, que travailler dans la durée serait un défi extrême. C’est pourquoi l’objectif premier était de travailler, avec des piles non rechargeables, 60 heures après s’être posé, pour réaliser le maximum d’observations et d’analyses. Ce choix s’est avéré le bon, en permettant la première exploration in situ d’un noyau cométaire !
(1) Aussi appelée Churiumov Gerasimenko du nom de ses deux découvreurs.
Ci dessous quelques notes plus anciennes sur Rosetta et Philae :
Tchoury est dure et froide.
Philae s’est endormi.
La cabriole cosmique de Philae.
La note publiée le 6 août, lors de l’arrivée de Rosetta près de la comète, avec vidéo, images et graphiques.
 Le 20 janvier 2014, après 31 mois d’hibernation, la sonde Rosetta se réveille. Et tout fonctionne à bord, à la grande joie des scientifiques.
► En septembre 2008, la sonde réussit un rendez-vous avec l’astéroïde Steins et le photographie.
La saga de la sonde Rosetta peut se suivre sur le site de l’ESA qui y est consacré. Ici un résumé de son voyage à travers le système solaire.
Tempête de neige sur la comète Hartley vu par la sonde Epoxi.
  •  
La Une de Science annonçant les découvertes de Rosetta
Les laboratoires français impliqués dans les publications scientifiques issues de Rosetta et Philae :
• Laboratoire d’astrophysique de Marseille (CNRS/ Aix-Marseille Université)
• Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (CNRS/Observatoire de Paris/UPMC/Université Paris Diderot)
• Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (CNRS/UPMC/UVSQ)
• Institut de recherche en astrophysique et planétologie (CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier)
• Laboratoire de physique et de chimie de l’environnement et de l’espace (CNRS/Université d’Orléans)
• Institut de planétologie et astrophysique de Grenoble (CNRS/Université Joseph Fourier)
• Laboratoire d’étude du rayonnement et de la matière en astrophysique et atmosphères (CNRS/Observatoire de Paris/UPMC/ENS/Université de Cergy-Pontoise)
• Institut d’astrophysique spatiale (CNRS/Université Paris-Sud)
• Centre de recherches pétrographiques et géochimiques (CNRS/Université de Lorraine)

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