lundi 17 octobre 2016

saint Ignace d'Antioche, patriarche d'Antioche, martyr, docteur de l'Église . vers 35 + vers 110.115



Certains auteurs assurent qu'Ignace fut ce petit enfant que Notre-Seigneur plaça au milieu des apôtres lorsque, pour leur donner une leçon d'humilité, Il leur dit : « Si vous ne devenez semblables à de petits enfants, vous n'entrerez jamais dans le royaume des Cieux ». Ce qui est certain, c'est qu'il était un familier des premiers disciples du Sauveur, disciple lui-même de saint Jean, l'apôtre bien-aimé.
Ignace fut un grand évêque, un homme d'une rare sainteté ; mais sa gloire est surtout son martyre. Conduit devant l'empereur Trajan, il subit un long interrogatoire :
« C'est donc toi, vilain démon, qui insultes nos dieux?
Nul autre que vous n'a jamais appelé Théophore un mauvais démon.
Qu'entends-tu par ce mot Théophore ?
Celui qui porte Jésus-Christ dans son cœur.
Crois-tu donc que nous ne portons pas nos dieux dans notre cœur ?
Vos dieux ! Ce ne sont que des démons ; il n'y a qu'un Dieu Créateur, un Jésus-Christ, Fils de Dieu, dont le règne est éternel.
Sacrifie aux dieux, je te ferai pontife de Jupiter et père du Sénat.
Tes honneurs ne sont rien pour un prêtre du Christ.
”»

Trajan, irrité, le fait conduire en prison. « Quel honneur pour moi, Seigneur, s'écrie le martyr, d'être mis dans les fers pour l'amour de Vous ! » et il présente ses mains aux chaînes en les baisant à genoux.
L'interrogatoire du lendemain se termina par ces belles paroles d'Ignace : « Je ne sacrifierai point ; je ne crains ni les tourments, ni la mort, parce que j'ai hâte d'aller à Dieu. »
Condamné aux bêtes, il fut conduit d'Antioche à Rome par Smyrne, Troade, Ostie. Son passage fut partout un triomphe ; il fit couler partout des larmes de douleur et d'admiration  :
« Je vais à la mort avec joie, pouvait-il dire. Laissez-moi servir de pâture aux lions et aux ours. Je suis le froment de Dieu ; il faut que je sois moulu sous leurs dents pour devenir un pain digne de Jésus-Christ. Rien ne me touche, tout m'est indifférent, hors l'espérance de posséder mon Dieu. Que le feu me réduise en cendres, que j'expire sur le gibet d'une mort infâme ; que sous la dent des tigres furieux et des lions affamés tout mon corps soit broyé ; que les démons se réunissent pour épuiser sur moi leur rage : je souffrirai tout avec joie, pourvu que je jouisse de Jésus-Christ. »
Saint Ignace, dévoré par un lion, répéta le nom de Jésus jusqu'au dernier soupir. Il ne resta de son corps que quelques os qui furent transportés à Antioche.

Pour approfondir, lire la Catéchèse du Pape Benoît XVI :
>>> Saint Ignace d'Antioche
[Allemand, Anglais, Croate, Espagnol, Français, Italien, Portugais]



©Evangelizo.org


BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 14 mars 2007

Saint Ignace d'Antioche
Chers frères et sœurs!
Comme nous l'avons déjà fait mercredi, nous parlons des personnalités de l'Eglise naissante. La semaine dernière, nous avons parlé du Pape Clément I, troisième Successeur de saint Pierre. Aujourd'hui, nous parlons de saint Ignace, qui a été le troisième Evêque d'Antioche, de 70 à 107, date de son martyre. A cette époque, Rome, Alexandrie et Antioche étaient les trois grandes métropoles  de  l'empire  romain. Le Concile de Nicée parle de trois "primats":  celui de Rome, mais Alexandrie et Antioche également participent, d'une certaine manière, à un "primat". Saint Ignace était Evêque d'Antioche, qui se trouve aujourd'hui en Turquie. Là, à Antioche, comme nous l'apprenons des Actes des Apôtres, se développa une communauté chrétienne florissante:  le premier Evêque fut l'apôtre Pierre - c'est ce que nous rapporte la tradition - et là, "pour la première fois, les disciples reçurent le nom de chrétiens" (Ac 11, 26). Eusèbe de Césarée, un historien du IV siècle, consacre un chapitre entier de son Histoire ecclésiastique à la vie et à l'œuvre littéraire d'Ignace (3, 36). "De Syrie", écrit-il, "Ignace fut envoyé à Rome pour être livré en pâture aux bêtes sauvages, à cause du témoignage qu'il avait rendu du Christ. En accomplissant son voyage à travers l'Asie, sous la surveillance sévère des gardes" (qu'il appelle les "dix léopards" dans sa Lettre aux Romains, 5, 1), "dans toutes les villes où il s'arrêtait, à travers des prédications et des avertissements, il renforçait les Eglises; et surtout, il exhortait, avec la plus grande vigueur, à se garder des hérésies, qui commençaient alors à se multiplier, et recommandait de ne pas se détacher de la tradition apostolique". La première étape du voyage d'Ignace vers le martyre fut la ville de Smyrne, où était Evêque saint Polycarpe, disciple de saint Jean. Ici, Ignace écrivit quatre lettres, respectivement  aux  Eglises  d'Ephèse, de Magnésie, de Tralles et de Rome. "Parti de Smyrne", poursuit Eusèbe "Ignace arriva à Troade, et de là, envoya de nouvelles lettres":  deux aux Eglises de Philadelphie et de Smyrne, et une à l'Evêque Polycarpe. Eusèbe complète ainsi la liste des lettres, qui nous sont parvenues de l'Eglise du premier siècle comme un trésor précieux. En lisant ces textes, on sent la fraîcheur de la foi de la génération qui avait encore connu les Apôtres. On perçoit également dans ces lettres l'amour ardent d'un saint. Enfin, de Troade, le martyr arriva à Rome où, dans l'amphithéâtre Flavien, il fut livré aux bêtes féroces.
Aucun Père de l'Eglise n'a exprimé avec autant d'intensité qu'Ignace l'ardent désir d'union avec le Christ et de vie en Lui. C'est pourquoi nous avons lu le passage de l'Evangile sur la vigne qui, selon l'Evangile de Jean, est Jésus. En réalité, en Ignace confluent deux "courants" spirituels:  celui de Paul, entièrement tendu vers l'union avec le Christ, et celui de Jean, concentré sur la vie en Lui. A leur tour, ces deux courants débouchent sur l'imitation du Christ, proclamé plusieurs fois par Ignace comme "mon" ou "notre Dieu". Ainsi, Ignace supplie les chrétiens de Rome de ne pas empêcher son martyre, car il est impatient d'être "uni au Christ". Et il explique:  "Il est beau pour moi de mourir en allant vers (eis) Jésus Christ, plutôt que de régner jusqu'aux confins de la terre. Je le cherche lui, qui est mort pour moi, je le veux lui, qui est ressuscité pour moi... Laissez-moi imiter la Passion de mon Dieu!" (Romains 5, 6). On peut saisir dans ces expressions ardentes d'amour le "réalisme" christologique prononcé, typique de l'Eglise d'Antioche, plus que jamais attentive à l'incarnation du Fils de Dieu et à son humanité véritable et concrète:  Jésus Christ, écrit Ignace aux Smyrniotes, "est réellement de la  souche  de  David", "il  est  réellement né d'une vierge", "il fut réellement cloué pour nous" (1, 1).
L'irrésistible aspiration d'Ignace vers l'union au Christ donne naissance à une véritable "mystique de l'unité". Lui-même se définit comme "un homme auquel est confié le devoir de l'unité" (Philadelphiens, 8, 1). Pour Ignace, l'unité est avant tout une prérogative de Dieu qui, existant dans trois personnes, est Un dans l'unité absolue. Il répète souvent que Dieu est unité, et que ce n'est qu'en Dieu que celle-ci se trouve à  l'état  pur  et originel. L'unité à réaliser sur cette terre de la part des chrétiens n'est qu'une imitation, la plus conforme possible à l'archétype divin. De cette façon, Ignace arrive à élaborer une vision de l'Eglise qui rappelle de près certaines des expressions de la Lettre aux Corinthiens de Clément l'Evêque de Rome. "Il est bon pour vous", écrit-il par exemple aux chrétiens d'Ephèse, "de procéder ensemble en accord avec la pensée de l'Evêque, chose que vous faites déjà. En effet, votre collège des prêtres, à juste titre célèbre, digne de Dieu, est si harmonieusement uni à l'Evêque comme les cordes à la cithare. C'est pourquoi Jésus Christ est chanté dans votre concorde et dans votre amour symphonique. Et ainsi, un par un, vous devenez un chœur, afin que dans la symphonie de la concorde, après avoir pris le ton de Dieu dans l'unité, vous chantiez d'une seule voix" (4, 1-2). Et après avoir recommandé aux Smyrniotes de ne "rien entreprendre qui concerne l'Eglise sans l'évêque" (8, 1), confie à Polycarpe:  "J'offre ma vie pour ceux qui sont soumis à l'Evêque, aux prêtres et aux diacres. Puissé-je avec eux être uni à Dieu. Travaillez ensemble les uns pour les autres, luttez ensemble, courez ensemble, souffrez ensemble, dormez et veillez ensemble comme administrateurs de Dieu, ses assesseurs et ses serviteurs. Cherchez à plaire à Celui pour lequel vous militez et dont vous recevez la récompense. Qu'aucun de nous ne soit jamais surpris déserteur. Que votre baptême demeure comme un bouclier, la foi comme un casque, la charité comme une lance, la patience comme une armure" (6, 1-2).
D'une manière générale, on peut percevoir dans les Lettres d'Ignace une sorte de dialectique constante et féconde entre les deux aspects caractéristiques de la vie chrétienne:  d'une part, la structure hiérarchique de la communauté ecclésiale, et de l'autre, l'unité fondamentale qui lie entre eux les fidèles dans le Christ. Par conséquent, les rôles ne peuvent pas s'opposer. Au contraire, l'insistance sur la communauté des croyants entre eux et avec leurs pasteurs est continuellement reformulée à travers des images et des analogies éloquentes:  la cithare, la corde, l'intonation, le concert, la symphonie. La responsabilité particulière des Evêques, des prêtres et des diacres dans l'édification de la communauté est évidente. C'est d'abord pour eux que vaut l'invitation à l'amour et à l'unité. "Ne soyez qu'un", écrit Ignace aux Magnésiens, en reprenant la prière de Jésus lors de la Dernière Cène:  "Une seule supplique, un seul esprit, une seule espérance dans l'amour; accourez tous à Jésus Christ comme à l'unique temple de Dieu, comme à l'unique autel; il est un, et procédant du Père unique, il est demeuré uni à Lui, et il est retourné à Lui dans l'unité" (7, 1-2). Ignace, le premier dans la littérature chrétienne, attribue à l'Eglise l'adjectif de "catholique", c'est-à-dire "universelle":  "Là où est Jésus Christ", affirme-t-il, "là est l'Eglise catholique" (Smyrn. 8, 2). Et c'est précisément dans le service d'unité à l'Eglise catholique que la communauté chrétienne de Rome exerce une sorte de primat dans l'amour:  "A Rome, celle-ci préside, digne de Dieu, vénérable, digne d'être  appelée  bienheureuse... Elle préside à la charité, qui reçoit du Christ  la loi et porte le nom du Père" (Romains, prologue).
Comme on le voit, Ignace est véritablement le "docteur de l'unité":  unité de Dieu et unité du Christ (au mépris des diverses hérésies qui commençaient à circuler et divisaient l'homme et Dieu dans le Christ), unité de l'Eglise, unité des fidèles "dans la foi et dans la charité, par rapport auxquelles il n'y a rien de plus excellent" (Smyrn. 6, 1). En définitive, le "réalisme" d'Ignace invite les fidèles d'hier et d'aujourd'hui, il nous invite tous à une synthèse progressive entre la configuration au Christ (union avec lui, vie en lui) et le dévouement à son Eglise (unité avec l'Evêque, service généreux de la communauté et du monde). Bref, il faut parvenir à une synthèse entre communion de l'Eglise à l'intérieur d'elle-même et mission proclamation de l'Evangile pour les autres, jusqu'à ce que, à travers une dimension, l'autre parle, et que les croyants soient toujours davantage "dans la possession de l'esprit indivis, qui est Jésus Christ lui-même" (Magn. 15).  En  implorant du Seigneur cette "grâce de l'unité", et dans la conviction de présider à la charité de toute l'Eglise (cf. Romains, prologue), je vous adresse le même souhait que celui qui conclut la lettre d'Ignace aux chrétiens de Tralles:  "Aimez-vous l'un l'autre avec un cœur non divisé. Mon esprit s'offre en sacrifice pour vous, non seulement à présent, mais également lorsqu'il aura rejoint Dieu... Dans le Christ, puissiez-vous être trouvés sans tache" (13). Et nous prions afin que le Seigneur nous aide à atteindre cette unité et à être enfin trouvés sans tache, car c'est l'amour qui purifie les âmes.
* * *
Je salue cordialement les pèlerins de langue française, en particulier les jeunes, les Petites Sœurs de Jésus en session de renouveau et les membres de l’Association internationale des Charités contre les pauvretés. Je vous invite à trouver dans l’unité entre vous le dynamisme et la force pour témoigner de l’amour du Christ. Avec ma Bénédiction apostolique.

© Copyright 2007 - Libreria Editrice Vaticana



wikipédia – à  jour au 19 février 2016

Ignace d'Antioche

Saint Ignace d'Antioche
Image illustrative de l'article Ignace d'Antioche
Saint Ignace (Fresque d'Hosios Loukas)

Évêque, Martyr et Père apostolique
Naissance
vers 35
province de Syrie
Décès
vers 110
Rome
Nationalité
grec ou syrien
Vénéré par
l'Église universelle
Fête
17 octobre
Saint patron
Églises du Proche-Orient, Églises d'Afrique du Nord
Ignace1 d'Antioche2, en grec ancien : Ἰγνάτιος Ἀντιοχείας ou Ίγνάτιος ό Θεοφόρος, Ignace le Théophore, né vers 35 dans la province de Syrie, mort à Rome, en martyr, probablement en 107 ou 113. Il fut le troisième évêque d'Antioche, après saint Pierre et Evode, à qui il succéda vers 68. Probablement disciple direct des apôtres Pierre et Jean, il est surtout connu pour ses lettres apostoliques, associant le martyre pour la Foi aux grains de blé moulus pour devenir le pain de l'Eucharistie.
Ses lettres apostoliques développant une première théologie eucharistique le font ranger parmi les Pères apostoliques, première génération de Pères de l'Église.
C'est un saint pour l'Église catholique latine, qui le fête le 17 octobre (pendant longtemps le 1er février), et pour les Églises orthodoxes et catholiques orientales, qui le fêtent le 20 décembre.

Sommaire

Histoire

Seul le récit tardif du Martyre de Saint Ignace nous donne un récit de sa vie. On déduit, d'après Eusèbe de Césarée qu'il serait né vers 35 dans la province de Syrie. Il fut le troisième évêque d'Antioche, après saint Pierre et Evode, à qui il succéda vers 683. Selon le Martyre de St Ignace, Ignace fut arrêté par les autorités et transféré à Rome pour être mis à mort dans l'arène, pendant la persécution de Trajan. On espérait ainsi faire un exemple afin de freiner l'expansion du christianisme. Au contraire, il rencontra et encouragea de nombreux chrétiens sur son chemin et il écrivit des lettres aux Éphésiens, aux Magnésiens, Tralliens, Philadelphiens, Smyrniens, et aux Romains, de même que la lettre à Polycarpe, qui selon la tradition était évêque de Smyrne et un disciple de Saint Jean l'Évangéliste.

Le martyre de St Ignace dans le manuscrit du Ménologe de Basile II (vers l'an 1000)
Son désir très fort de martyre sanglant dans l'arène, que lui attribue le récit, peut sembler étrange au lecteur moderne : il conçoit le martyre comme une libation, un sacrifice envers le Christ comme le veut l'Évangile.

Lettres authentiques et apocryphes

Les lettres d'Ignace d'après les témoignages primitifs

- Eusèbe de Césarée, qui écrit deux siècles plus tard, consacre un chapitre entier de son Histoire ecclésiastique à la vie et aux sept lettres écrites par Ignace sur le chemin de Rome  :
« De Syrie, Ignace fut envoyé à Rome pour être livré en pâture aux bêtes sauvages, à cause du témoignage qu'il avait rendu du Christ. En accomplissant son voyage à travers l'Asie, sous la surveillance sévère des gardes dans toutes les villes où il s'arrêtait, à travers des prédications et des avertissements, il renforçait les Eglises; et surtout, il exhortait, avec la plus grande vigueur, à se garder des hérésies, qui commençaient alors à se multiplier, et recommandait de ne pas se détacher de la tradition apostolique. » 4
La première étape du voyage d'Ignace vers le martyre fut la ville de Smyrne, où était évêque Polycarpe, disciple de saint Jean. Ignace y écrivit quatre lettres, respectivement  aux  Églises  d'Éphèse, de Magnésie, de Tralles et de Rome. « Parti de Smyrne », poursuit Eusèbe « Ignace arriva à Troade, et de là, envoya de nouvelles lettres »  deux aux Églises de Philadelphie et de Smyrne, et une à l'évêque Polycarpe.
- Le témoignage de Polycarpe de Smyrne.
Quelques jours après le passage d'Ignace à Philippes, les Philippiens prièrent Polycarpe de leur communiquer les lettres de l’évêque d’Antioche qu’il possédait. Polycarpe répond à cette demande :
« Comme vous nous l'avez demandé, nous vous envoyons les lettres d'Ignace, celles qu'il nous a adressées et toutes celles que nous avons chez nous... » 5.

Consensus sur la fausseté d'une partie du corpus

Vu le faible nombre d'écrits de cette période de l'Église, ces lettres (CPG 1025-1036) eurent une influence dans le développement de la théologie chrétienne. Elles semblent avoir été écrites en grande hâte et sans véritable plan, comme une succession non systématique de pensées.
Ignace est le premier écrivain chrétien dont les écrits nous sont parvenus et qui insiste fortement sur la loyauté à l'évêque de la ville, assisté par les presbytres (prêtres) et les diacres. Les écrits antérieurs mentionnent en effet soit les évêques soit les presbytres, et donnent l'impression qu'il y avait plusieurs évêques par communauté. Ignace insiste aussi sur la valeur de l'Eucharistie, et l'appelle un « médicament pour la vie éternelle ». Il montrait que l'Église romaine avait primauté sur les autres Églises, car elle présidait à l'amour.
Cependant, sur la quinzaine d'épîtres qui nous sont parvenues sous le nom d'Ignace d'Antioche, seules sept, celles citées par Eusèbe de Césarée, sont aujourd'hui considérées couramment comme authentiques. Les problèmes d'authenticité ne concernent pas seulement le nombre d'écrits, mais aussi leur contenu.
En effet, certaines de ces lettres nous sont parvenues sous trois « formes » : une brève, une moyenne et une longue. L'ensemble des critiques – parmi lesquels il convient de nommer Tischendorf – s'accordent pour reconnaître à la forme « moyenne » (on dit aussi « recension moyenne ») les caractères d'originalité, la forme brève (pour les lettres à Polycarpe, aux Romains et aux Éphésiens, en syriaque) s'avérant une forme abrégée de ces lettres, tandis que la forme longue (présente dans les manuscrits contenant les lettres reconnues comme pseudépigraphes) est une recension interpolée dans une optique théologique ultérieure. Les lettres, dans la forme « moyenne », nous sont parvenues en différentes langues : quelques manuscrits grecs présentent les lettres à Polycarpe, aux Éphésiens, Magnésiens, Tralliens, Philadelphiens, et Smyrniotes, un autre la Lettre aux Romains. Cette lettre « aux Romains » se trouve aussi insérée dans un manuscrit syriaque du Martyre de St Ignace. Une version latine, faite sur le grec, de ces lettres est aussi connue, ainsi qu'une version arménienne, faite sur une traduction syriaque. Enfin, la Lettre aux Smyrniotes est aussi connue par une version copte. L'ensemble de ces versions a permis de rétablir le texte des épîtres dans un degré de probabilité tout à fait remarquable. Signalons aussi une version arabe de la forme "moyenne" des sept lettres dépendant du texte syriaque qui n'a guère été remarquée6.
Par contre, les lettres aux Tarsiens, Antiochiens, Philippiens, au diacre Héron, à l'apôtre Jean, à la Vierge Marie, ainsi que la correspondance avec la prosélyte Marie, présentes dans les manuscrits offrant la forme « longue » (interpolée) des lettres d'Ignace sont reconnues comme des pseudépigraphes nettement plus tardifs.
Quant au récit du Martyre de St Ignace, quoiqu'il ait été abondamment utilisé pour rédiger les « biographies » d'Ignace, il est malheureusement tardif. Les divers anachronismes qu'il comporte ne permettent absolument pas d'y voir un document historiquement fiable : c'est un de ces innombrables "actes de martyrs" où l'imagination du rédacteur supplée au manque d'information.

Débat sur l'authenticité des lettres de la recension moyenne

Le martyre de St Ignace
En 1979, le philologue Robert Joly affirme, au terme d'un examen en grande partie philologique, que même les sept Lettres couramment tenues pour authentiques d'Ignace d'Antioche, personnage forgé dont il conclut à la non existence7, seraient « un faux issu du milieu smyrniote vers 1658 ». L'abbé Roger Gryson, professeur de patristique et d'histoire de l'Église ancienne à l'Université catholique de Louvain-la-Neuve, reconnaît que R. Joly a au moins montré que la thèse traditionnelle n'est pas aussi certaine qu'on le croyait9.
La thèse de R. Joly ne convainc cependant pas tout le monde. Par exemple, W.R. Schoedel la rejette en 198010 et Charles Munier en 199311.
Reinhard M. Hübner en 199712 et Thomas Lechner en 199913 reviennentt, contre Ch. Munier et W.R. Schoedel, à une thèse proche de celle de R. Joly14.
En 2000, C. Moreschini et E. Norelli écrivent : « La majorité des savants (à laquelle nous nous rallions) n’a toutefois pas accepté ces propositions ; aucun élément décisif n’oblige à considérer comme un faux tout ou partie de la recension moyenne des lettres d’Ignace (cf. Munier cité dans la bibliographie15). » Paul Foster, en 200716, souligne que les arguments de Hübner et Lechner n’ont pas modifié le consensus entre chercheurs, qui conserve la datation proche de 110; Foster ajoute que les partisans de cette datation ne se montrent pas conscients de sa fragilité. En 201317, Bart D. Ehrman déclare ne pas trouver convaincants les arguments contre l'authenticité, mais il ne les discute pas.

Théologie de saint Ignace

Le martyre de St Ignace
À partir de ses lettres tenues pour authentiques, il est possible de brosser un tableau de la pensée théologique d'Ignace.
À titre d'exemple, nous nous bornerons à indiquer sa christologie et sa théologie eucharistique.
Tout en affirmant l'Unité de Dieu (Magn 8.2), Ignace évoque la Trinité soit par la formule "le Fils, le Père et l'Esprit" (Magn 13.1) soit "le Christ, le Père et l'Esprit" (Magn 13.2). Le St Esprit est cité à diverses reprises, outre les deux précédentes : Phil "suscr" et 7.1-2, Eph 18.2, Eph 9.1.
Tout en affirmant (contre les docètes) la réalité de la vie humaine de Jésus Christ (Smyrn 4.2, 5.2 ; Eph 7.2, 18.2, 20.2 ; Smyrn 3.1, 4.2, voir aussi Magn 11 ; Trall 9, Smyrn chap 1 à 6), Ignace affirme avec non moins de force sa divinité (Smyrn 1.1 ; Trall 7.1 ; Eph "suscr", 1.1, 15.1, 19.3 ; Rom "suscr", 3.3, 6.3 ; Polyc 3.2, 8.3 ; Magn 6.1, 7.2…)
Sa théologie eucharistique est par ailleurs très précise : Il définit en effet l'eucharistie comme un "remède d'immortalité, un antidote contre la mort" (Eph 20.2) dénonçant au passage ceux (en l'occurrence des docètes) qui "s'abstiennent de l'Eucharistie parce qu'ils ne veulent pas reconnaître en elle la chair de Jésus Christ" (Smyrn 7.1). Il prévient de ne reconnaître comme "valide que l'eucharistie célébrée sous la présidence de l'évêque ou de son délégué". (Smyrn 8.2 ; voir aussi Philad chap 4)
Source : Les Pères apostoliques, texte grec, traduction, introduction et notes par A. Lelong, 1927

Éditions modernes

  • Ignace d'Antioche, Polycarpe de Smyrne, Lettres, Martyre de Polycarpe, texte grec, introduction, traduction et notes par P.T. Camelot, o.p., Paris, Éditions du Cerf, Coll. Sources chrétiennes, 2007. (Reproduction identique, non mise à jour, d'une édition de 1969. Les études postérieures à 1969 ne sont pas mentionnées.)
  • Lettres d'Ignace d'Antioche, traduction et notes par P.Th. Camelot, o.p., dans Les écrits des Pères apostoliques, Texte intégral, Cerf, 2001.

Bibliographie

  • Robert Joly, « Le dossier d'Ignace d'Antioche. Réflexions liminaires », dans Mélanges Armand Abel, vol. 3, Brill Archive, 1974, p. 116-125, partiellement consultable sur Google Livres. (Prémices de l'ouvrage de 1979.)
  • Robert Joly, Le dossier d'Ignace d'Antioche, Bruxelles, Éditions de l'université de Bruxelles, 1979.
  • Robert Joly, « Le dossier d'Ignace d'Antioche. Réflexions méthodologiques », Problèmes d'Histoire du Christianisme 9, Bruxelles 1980, 31-44.
  • W.R. Schoedel, « Are the Letters of Ignatius of Antioch Authentic ? », Religious Studies Review, vol. 6 (1980), p. 196-201.
  • Charles Munier, « Où en est la question d'Ignace d'Antioche ? Bilan d'un siècle de recherches 1870-1988 », dans W. Haase, Aufstieg und Niedergang der Romischen Welt, vol. II.27.1, p. 359-484, Walter de Gruyter, 1993, partiellement consultable sur Google Livres.
  • Reinhard M. Hübner, « Thesen zur Echtheit und Datierung der sieben Briefe des Ignatius von Antiochien », Zeitschrift für Antikes Christentum, vol. 1, n° 1 (1997), p. 44-72.
  • Thomas Lechner, Ignatius adversus Valentinianos? Chronologische und theologiegeschichtliche Studien zu den Briefen des Ignatius von Antiochien, vol. 47 des Supplements to Vigiliae Christianae, Brill, 1999, partiellement consultables sur Google Livres. Voir recension dans Bernard Sesboüé « Bulletin de théologie patristique grecque », Recherches de Science Religieuse 2/2002 (Tome 90), p. 249-287, en ligne.
  • Claudio Moreschini, Enrico Norelli, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine. I . De Paul à l’ère de Constantin, Labor et fides, Genève, 2000.
  • (en) Paul Foster, The Writings of the Apostolic Fathers, T&T Clark Biblical Studies, 2007.
  • (en) Bart D. Ehrman, Forgery and Counter-forgery: The use of literary deceit in early christian polemics, Oxford University Press, 2013.
  • Jacques de Voragine, La Légende dorée, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2004, publication sous la direction d'Alain Boureau.
  • Édouard Cothenet, "L'Église d'Antioche" in Coll., Aux origines du Christianisme, Paris, Gallimard, Folio Histoire, 2000, p. 373-377.

Lien

Liens externes

Notes et références

Sur les autres projets Wikimedia :
  1. Ignatius est un nom romain hellénisé et non pas grec ni syriaque. (Plutarque, Crassus, 27. Anthologie Palatine, XV, 29).
  2. La ville d'Antioche fut fondée en 300 a. J.-C. par Séleucus Ier Nicator et fut peuplée principalement par 3500 familles macédoniennes et grecques
  3. Eusèbe de Césarée, H.E. 3.22
  4. H.E. 3, 36
  5. Lettre aux Philippiens XIII, 1.
  6. Voir "Un ancien témoin arabe des lettres d'Ignace d'Antioche" [archive] dans la revue Parole de l'Orient, 1968
  7. Charles Munier, « Où en est la question d'Ignace d'Antioche ? Bilan d'un siècle de recherches 1870-1988 », dans W. Haase, Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, vol. II.27.1, p. 379 : « R. Joly ajoute qu'Ignace d'Antioche n'a jamais existé. Comme point de départ de son entreprise, le faussaire smyrniote (Marcion, mentionné dans le Martyre de Polycarpe, 20,1) a emprunté le nom d'un martyr de Philippes, dont il est question au chapitre 9 de la lettre de Polycarpe aux Philippins ».
  8. Robert Joly, Le dossier d'Ignace d'Antioche, Éditions de l'université de Bruxelles, Bruxelles, 1979. Les mots cités sont sur la dernière page de couverture. Voir aussi p. 115.
  9. « il conclut à juste titre qu'on n'est pas fondé, en tout cas, à considérer l'authenticité comme assurée et qu'elle doit être tenue, à tout le moins, pour sujette à caution » (Roger Gryson, dans Revue théologique de Louvain, t. X, 1979, p. 450. Cité par Robert Joly, « À propos d'Ignace d'Antioche. Réflexions méthodologiques. », Problèmes d'histoire du christianisme, n° 9, 1980, p. 31.)
  10. W.R. Schoedel, « Are the Letters of Ignatius of Antioch Authentic ? », Religious Studies Review, vol. 6 (1980), p. 196-201.
  11. Charles Munier, « Où en est la question d'Ignace d'Antioche ? Bilan d'un siècle de recherches 1870-1988 », dans W. Haase, Aufstieg und Niedergang der Romischen Welt, vol. II.27.1, pp. 359-484, spéc. 378-379, Walter de Gruyter, 1993, partiellement consultable sur Google Livres [archive].
  12. Reinhard M. Hübner, « Thesen zur Echtheit und Datierung der sieben Briefe des Ignatius von Antiochien », Zeitschrift für Antikes Christentum, vol. 1, n° 1 (1997), p. 44-72.
  13. Thomas Lechner, Ignatius adversus Valentinianos? Chronologische und theologiegeschichtliche Studien zu den Briefen des Ignatius von Antiochien, vol. 47 des Supplements to Vigiliae Christianae, Brill, 1999, partiellement consultables sur Google Livres [archive].
  14. Pour une discussion des thèses de Hübner et de Lechner, voir : Andreas Lindemann, « Antwort auf die ‘Thesen zur Echtheit und Datierung der sieben Briefe des Ignatius von Antiochien’ », Zeitschrift für Antikes Christentum, vol. 1, n° 2 (1997), p. 185–94; Georg Schöllgen, « Die Ignatianen als pseudepigraphisches Briefcorpus : Anmerkung zu denThesen von Reinhard M. Hübner », Zeitschrift für Antikes Christentum, vol.2, no. 1 (1998), p. 16-25; Mark J. Edwards, « Ignatius and the Second Century: An Answer to R. Hübner », Zeitschrift für Antikes Christentum, vol. 2, no. 2 (1998), p. 214–26; Hermann Josef Vogt, « Bemerkungen zur Echtheit der Ignatiusbriefe », Zeitschrift für Antikes Christentum, vol. 3, no. 1 (1999), p. 50–63.
  15. C. Moreschini et E. Norelli, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine. I . De Paul à l’ère de Constantin, Labor et fides, Genève, 2000p. 138.
  16. Paul Foster, op. cité : «  So far the scholarly concensus has not shifted to any marked extend because of the arguments mounted by Lechner and Hübner…The majority of scholars retain the traditional dating proposed by Lightfoot of around 110 CE, without showing awareness of its flimsy basis. » p. 88.
  17. Bart D. Ehrman, op. cité : « I will not be discussing literary texts that have been taken by some scholars to be forgeries but that I consider to be authentic. Thus, for example, I will certainly be dealing with the fourth-century Pseudo-Ignatian letters, but I will not be discussing the seven letters of the Middle Recension, even though there is an history – some of it quite recent – of taking these letters also as forgery. I do not find the recent arguments of Hübner and Lechner to be any more persuasive than the older arguments by Weijenborg, Joly, and Rius Camps on the matter ; I think the seven letters are authentic, and so I will not discuss them as polemical forgeries. » pp. 5-6.
  • Dernière modification de cette page le 19 février 2016, à 10:42.


LETTRE D'IGNACE D'ANTIOCHE AUX MAGNÉSIENS
  Ignace, dit aussi Théophore, à celle qui est bénie dans la grâce de Dieu le Père en Jésus-Christ notre Sauveur, en lequel je salue l'Église qui est à Magnésie du Méandre, et lui souhaite toute joie en Dieu le Père et en Jésus-Christ.
1, 1. Ayant appris que votre charité est parfaitement ordonnée selon Dieu, je m'en réjouis et j'ai résolu de vous adresser la parole dans la foi en Jésus-Christ. 2. Honoré d'un nom d'une divine splendeur, dans les fers que je porte partout, je chante les Églises, je leur souhaite l'union avec la chair et l'esprit de Jésus-Christ, notre éternelle vie, l'union dans la foi et la charité, à laquelle rien n'est préférable, et ce qui est plus important, l'union avec Jésus et le Père, en qui nous résisterons à toutes les menaces du prince de ce monde ; nous y échapperons et nous atteindrons Dieu. II. Puisque j'ai eu l'honneur de vous voir par l'intermédiaire de Damas, votre évêque digne de Dieu, et des dignes presbytres Bassus et Apollonius, et de mon compagnon de service le diacre Zotion.... puissé-je jouir de lui, car il est soumis à l'évêque comme à la grâce de Dieu, et au presbyterium comme à la loi de Jésus-Christ.
III, 1. Et à vous il convient de ne pas profiter de l'âge de votre évêque, mais par égard à la puissance de Dieu le Père, lui accorder toute vénération ; je sais en effet que vos saints presbytres n'ont pas abusé de la jeunesse qui paraît en lui, mais comme des gens sensés en Dieu, ils se soumettent à lui, non pas à lui, mais au Père de Jésus-Christ, à l'évêque de tous. 2. Par respect pour celui qui nous a aimés, il convient d'obéir sans aucune hypocrisie ; car ce n'est pas seulement cet évêque visible qu'on abuse, mais c'est l'évêque invisible qu'on cherche à tromper. Car dans ce cas, ce n'est pas de chair qu'il s'agit, mais de Dieu qui connaît les choses cachées.
IV. Il convient donc de ne pas seulement porter le nom de chrétiens, mais de l'être aussi ; certains, en effet, parlent toujours de l'évêque, mais font tout en dehors de lui. Ceux-là ne me paraissent pas avoir une bonne conscience, car leurs assemblées ne sont pas légitimes, ni conformes au commandement du Seigneur.
V, 1. Car les choses ont une fin, et voici devant nous toutes deux également, la mort et la vie, et chacun doit aller a à son lieu propre " (cf. Ac 1, 25) ; 2. de même qu'il y a deux monnaies, celle de Dieu et celle du monde, et que chacune d'elles a son empreinte propre, les infidèles celle de ce monde, mais les fidèles qui sont dans la charité portent par Jésus-Christ l'empreinte de Dieu le Père ; si nous ne choisissons pas librement, grâce à lui, de mourir pour avoir part à sa passion, sa vie n'est pas en nous.
VI, 1. Ainsi, puisque dans les personnes que j'ai nommées plus haut, j'ai dans la foi vu et aimé toute votre communauté, je vous en conjure, ayez à coeur de faire toutes choses dans une divine concorde, sous la présidence de l'évêque qui tient la place de Dieu, des presbytres qui tiennent la place du sénat des Apôtres, et des diacres qui me sont si chers, à qui a été confié le service de Jésus-Christ, qui avant les siècles était près de Dieu, et s'est manifesté à la fin. 2. Prenez donc tous les moeurs de Dieu, respectez-vous les uns les autres, et que personne ne regarde son prochain selon la chair, mais aimez-vous toujours les uns les autres en Jésus-Christ. Qu'il n'y ait rien en vous qui puisse vous séparer, mais unissez-vous à l'évêque et aux présidents en image et leçon d'incorruptibilité.
VII, 1. De même donc que le Seigneur n'a rien fait, ni par lui-même, ni par ses Apôtres, sans son Père (cf. Jn 5, 19, 30 ; 8, 28), avec qui il est un, ainsi vous non plus ne faites rien sans l'évêque et les presbytres; et n'essayez pas de faire passer pour raisonnable ce que vous faites à part vous, mais faites tout en commun : une seule prière, une seule supplication, un seul esprit, une seule espérance dans la charité (cf. saint Paul, Ep 4, 4-6), dans la joie irréprochable ; cela, c'est Jésus-Christ, a qui rien n'est préférable. 2. Tous accourez pour vous réunir comme en un seul temple de Dieu, comme autour d'un seul autel, en l'unique Jésus-Christ, qui est sorti du Père un, et qui était en lui l'unique, et qui est allé vers lui.
VIII, 1. Ne vous laissez pas séduire par les doctrines étrangères ni par ces vieilles fables qui sont sans utilité. Car si maintenant encore nous vivons selon la foi, nous avouons que nous n'avons pas reçu la grâce. 2. Car les très divins prophètes ont vécu selon Jésus-Christ ; c'est pourquoi ils ont été persécutés. Ils étaient inspirés par sa grâce, pour que les incrédules fussent pleinement convaincus qu'il n'y a qu'un seul Dieu, manifesté par Jésus-Christ son Fils qui est son Verbe sorti du silence, qui en toutes choses s'est rendu agréable à celui qui l'avait envoyé (cf. In 8, 29).
IX, 1. Si donc ceux qui vivaient dans l'ancien ordre de choses sont venus à la nouvelle espérance, n'observant plus le sabbat, mais le jour du Seigneur, jour où notre vie s'est levée par lui et par sa mort, --quelques-uns le nient; mais c'est par ce mystère que nous avons reçu la foi, et c'est pour cela que nous tenons ferme, afin d'être trouvés de véritables disciples de Jésus-Christ, notre seul maître -- 2. comment pourrions-nous vivre sans lui, puisque les prophètes aussi, étant ses disciples par l'esprit, l'attendaient comme leur maître ? et c'est pourquoi celui qu'ils attendaient justement les a, par sa présence, ressuscités des morts.
X, 1. Ne soyons donc pas insensibles à sa bonté. Car s'il nous imite selon ce que nous faisons, nous n'existons plus. C'est pourquoi faisons-nous ses disciples et apprenons à vivre selon le christianisme. Car celui qui s'appelle d'un autre nom en dehors de celui-ci, n'est pas à Dieu (cf. Ac 4, 12). 2. Rejetez donc le mauvais levain, vieilli et aigri (cf. 1 Co 5, 6) et transformez-vous en un levain nouveau, qui est Jésus-Christ. Qu'il soit le sel de votre vie, pour que personne parmi vous ne se corrompe, car c'est à l'odeur que vous serez jugés. 3. Il est absurde de parler de Jésus-Christ et de judaïser. Car ce n'est pas le christianisme qui a cru au judaïsme, mais le judaïsme au christianisme, en qui s'est réunie toute langue qui croit en Dieu.
XI. Tout ceci, mes bien-aimés, ce n'est pas que j'aie appris que quelques-uns parmi vous soient mal disposés ; mais, bien qu'étant plus petit que vous, je veux que vous soyez en garde pour ne pas vous laisser prendre aux hameçons de la vanité. Au contraire, soyez pleinement convaincus de la naissance, et de la passion, et de la résurrection arrivée sous le gouvernement de Ponce Pilate. Toutes ces choses ont été véritablement et certainement accomplies par Jésus-Christ notre espérance (cf. 1 Tm 1, 1) ; puisse aucun de vous ne jamais se détourner d'elles.
XII. Puissé-je jouir de vous en toutes choses, si j'en suis digne. Car, bien qu'étant enchaîné, je ne suis comparable a aucun de vous qui êtes libres. Je sais que vous ne vous gonflez pas d'orgueil ; car vous avez Jésus-Christ en vous. Et davantage, quand je vous loue, je sais que vous en êtes confus, comme il est écrit: XIII. 1. Ayez donc soin de vous affermir dans les enseignements du Seigneur et des Apôtres, afin qu' " en tout ce que vous ferez vous réussissiez " (Ps 1, 3) de chair et d'esprit, dans la foi et la charité, dans le Fils et le Père et l'Esprit, dans le principe et dans la fin, avec votre si digne évêque, et la précieuse couronne spirituelle de votre presbyterium, et avec vos saints diacres. 2. " Soyez soumis " à l'évêque et " les uns aux autres " (cf. Paul, Ep 5, 21), comme le Christ selon la chair fut soumis au Père, et les Apôtres au Christ et au Père et à l'Esprit, afin que l'union soit à la fois charnelle et spirituelle.
XIV. Sachant que vous êtes pleins de Dieu, je vous ai exhortés brièvement. Souvenez-vous de moi dans vos prières, afin que je trouve Dieu, et aussi de l'Église de Syrie ; je ne suis pas digne d'en être appelé un membre, --car j'ai besoin de votre prière et de votre charité tout unies en Dieu, --pour que Dieu daigne, par votre Église, faire tomber sa rosée sur l'Église de Syrie.
XV. De Smyrne d'où je vous écris, les Éphésiens vous saluent. Ils y sont venus pour la gloire de Dieu ; comme vous, ils m'ont réconforté en toutes choses avec Polycarpe, l'évêque de Smyrne. Et les autres Églises vous saluent aussi en l'honneur de Jésus-Christ. Portez-vous bien dans la concorde de Dieu, possédant cet esprit inséparable qu'est Jésus-Christ.


Lettre d'Ignace d'Antioche aux Smyrniotes

Ignace, dit aussi Théophore, à l'Église de Dieu le Père et de son fils bien-aimé Jésus-Christ, qui a obtenu par miséricorde tous les dons, remplie de foi et de charité, qui n'est privée d'aucun don, divinement magnifique et porteuse des objets sacrés, qui est à Smyrne d'Asie, dans un esprit irréprochable et dans la parole de Dieu, toute sorte de joie.
I, 1. Je rends grâces à Jésus-Christ Dieu, qui vous a rendus si sages. Je me suis aperçu, en effet, que vous êtes achevés dans une foi inébranlable, comme si vous étiez doués de chair et d'esprit à la croix de Jésus-Christ, et solidement établis dans la charité par le sang du Christ, fermement convaincus au sujet de notre Seigneur qui est véritablement de la race " de David selon la chair " (cf. Rm 1, 3), Fils de Dieu selon la volonté et la puissance de Dieu, véritablement né d'une vierge, baptisé par Jean " pour que ", par lui, " fût accomplie toute justice " (Mt 3, 15). 2. Il a été véritablement cloué pour nous dans sa chair sous Ponce Pilate et Hérode le tétrarque, -- c'est grâce au fruit de sa croix, et à sa passion divinement bienheureuse que nous, nous existons, --pour " lever son étendard " (Is 5, 26 s) dans les siècles par sa résurrection, et pour rassembler ses saints et ses fidèles, venus soit des Juifs soit des gentils, dans l'unique corps de son Église.
II. Tout cela, il l'a souffert pour nous, pour que nous soyons sauvés. Et il a véritablement souffert, comme aussi il s'est véritablement ressuscité, non pas, comme disent certains incrédules, qu'il n'ait souffert qu'en apparence: eux-mêmes n'existent qu'en apparence, et il leur arrivera un sort conforme à leurs opinions, d'être sans corps et semblables aux démons.
III, 1. Pour moi, je sais et je crois que même après sa résurrection il était dans la chair. 2. Et quand il vint a Pierre et à ceux qui étaient avec lui, il leur dit : " Prenez, touchez-moi, et voyez que je ne suis pas un démon sans corps. " Et aussitôt ils le touchèrent, étroitement unis à sa chair et à son esprit. C'est pour cela qu'ils méprisèrent la mort, et qu'ils furent trouvés supérieurs à la mort. 3. Et après sa résurrection, Jésus mangea et but avec eux comme un être de chair, étant cependant spirituellement uni à son Père.
IV, 1. Voilà ce que je vous recommande, bien-aimés, sachant bien que vous aussi vous pensez ainsi. Mais je veux vous mettre en garde contre ces bêtes à face humaine : non seulement il vous faut ne pas les recevoir, mais s'il est possible ne pas même les rencontrer et seulement prier pour eux, si jamais ils pouvaient se convertir, ce qui est difficile. Mais Jésus-Christ en a le pouvoir, lui notre véritable vie. 2. Car si c'est en apparence que cela a été accompli par notre Seigneur, moi aussi, c'est en apparence que je suis enchaîné. Pourquoi donc, moi aussi, me suis-je livré à la mort, pour le feu, pour le glaive, pour les bêtes ? Mais près du glaive, près de Dieu : avec les bêtes, avec Dieu ; seulement que ce soit au nom de Jésus-Christ. C'est pour souffrir avec lui que je supporte tout, et c'est lui qui m'en donne la force, lui qui s'est fait homme parfait.
V, 1. Certains, par ignorance, le renient, mais ils ont plutôt été reniés par lui, avocats de la mort plus que de la vérité, eux qui n'ont réussi à persuader ni les prophéties ni la Loi de Moïse, ni même jusqu'à présent l'Évangile, ni les souffrances de chacun de nous. 2. Car ils pensent la même chose de nous. 2. Car que me sert que quelqu'un me loue, s'il blasphème mon Seigneur, en ne confessant pas qu'il a pris chair ? Celui qui ne dit pas cela le renie absolument, étant lui-même un croque-mort. 3. Leurs noms, puisqu'ils sont infidèles, il ne m'a pas plu de les écrire. Mais puissé-je même ne pas me souvenir d'eux, jusqu'à ce qu'ils se repentent pour croire à la passion, qui est notre résurrection.
VI, 1. Que personne ne se trompe : même les êtres célestes, et la gloire des anges, et les archontes visibles et invisibles, s'ils ne croient pas au sang du Christ, pour eux aussi il y a un jugement : " Que celui qui peut comprendre, comprenne " (Mt 19, 12). Que personne ne s'enorgueillisse de son rang, car l'essentiel, c'est la foi et la charité, auxquelles rien n'est préférable. 2. Considérez ceux qui ont une autre opinion sur la grâce de Jésus-Christ qui est venue sur nous : comme ils sont opposés à la pensée de Dieu ! De la charité, ils n'ont aucun souci, ni de la veuve, ni de l'orphelin, ni de l'opprimé, ni des prisonniers ou des libérés, ni de l'affamé ou de l'assoiffé.
VII, 1. Ils s'abstiennent de l'eucharistie et de la prière, parce qu'ils ne confessent pas que l'eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ, chair qui a souffert pour nos péchés, et que dans sa bonté le Père a ressuscitée. Ainsi ceux qui refusent le don de Dieu meurent dans leurs disputes. Il leur serait utile de pratiquer la charité pour ressusciter eux aussi. 2. Il convient de vous tenir à l'écart de ces gens-là, et de ne parler d'eux ni en privé ni en public, mais de vous attacher aux prophètes, et spécialement à l'Évangile, dans lequel la passion nous est montrée et la résurrection accomplie. Et les divisions, fuyez-les comme le principe de tous les maux.
VIII, 1. Suivez tous l'évêque, comme Jésus-Christ suit son Père, et le presbyterium comme les Apôtres ; quant aux diacres, respectez-les comme la loi de Dieu. Que personne ne fasse, en dehors de l'évêque, rien de ce qui regarde l'Église. Que cette eucharistie seule soit regardée comme légitime, qui se fait sous la présidence de l'évêque ou de celui qu'il en aura chargé. 2. Là où paraît l'évêque, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l'Église catholique. Il n'est pas permis en dehors de l'évêque ni de baptiser, ni de faire l'agape, mais tout ce qu'il approuve, cela est agréable à Dieu aussi Ainsi tout ce qui se fait sera sûr et légitime.
IX, 1. Il est raisonnable de retrouver désormais notre bon sens, et, pendant que nous en avons encore le temps, de nous repentir pour retourner à Dieu. Il est bon de reconnaître Dieu et l'évêque. Celui qui honore l'évêque est honoré de Dieu ; celui qui fait quelque chose à l'insu de l'évêque sert le diable. 2. Que la grâce vous fasse abonder en toutes choses, car vous en êtes dignes vous m'avez réconforté en toutes manières et que Jésus en fasse autant pour vous. Absent et présent, vous m'avez aimé : que Dieu vous le rende. Si vous supportez tout pour lui, vous arriverez à le posséder.
X, 1. Vous avez bien fait de recevoir comme des diacres du Christ de Dieu Philon et Rhéos Agathopous, qui m'ont accompagné pour l'amour de Dieu. Eux aussi rendent grâces au Seigneur à votre sujet, parce que vous les avez réconfortés de toutes manières. Rien de cela n'est perdu pour vous. 2. Mon esprit est votre rançon, et mes liens que vous n'avez pas méprisés, et dont vous n'avez pas rougi. Jésus-Christ, qui est la foi parfaite, ne rougira pas non plus de vous.
XI, 1. Votre prière est allée vers l'Église qui est à Antioche de Syrie. C'est de là que je suis parti enchaîné de chaînes très précieuses à Dieu, et je vous salue tous. Je ne suis pas digne d'être de cette Église, étant le dernier d'entre eux. Mais selon la volonté de Dieu , j'en ai été jugé digne, non d'après le jugement de ma conscience, mais par la grâce de Dieu ; je souhaite qu'elle me soit donnée entière, pour qu'avec votre prière je puisse obtenir Dieu. 2. Afin donc que votre oeuvre soit parfaite et sur terre et dans le ciel, il convient que, à l'honneur de Dieu, votre Église élise un envoyé de Dieu pour aller jusqu'en Syrie se réjouir avec eux de ce qu'ils possèdent la paix et ont retrouvé leur grandeur, et de ce que leur corps a été rétabli. 3. Il m'a paru que ce serait une chose digne si vous envoyiez quelqu'un des vôtres avec une lettre pour célébrer avec eux le calme qui leur est revenu grâce à Dieu, et de ce que leur Église a atteint le port grâce à vos prières. Étant parfaits, ayez aussi des pensées parfaites. Car si vous désirez faire le bien, Dieu est prêt à vous l'accorder.
XII, 1. La charité des frères qui sont à Troas vous salue ; c'est de là que je vous écris par l'intermédiaire de Burrhus qu'avec les Éphésiens vos frères vous m'avez envoyé pour être avec moi ; il m'a réconforté de toutes manières. Il faudrait que tous l'imitassent, car il est un modèle du service de Dieu. La grâce le récompensera de toute manière. 2. Je salue votre évêque digne de Dieu, votre presbyterium si respectable, les diacres mes compagnons de services, et tous individuellement et en commun, au nom de Jésus-Christ, et en sa chair et en son sang, en sa passion et sa résurrection, en unité de chair et d'esprit avec Dieu et entre vous. A vous grâce, miséricorde, paix et patience pour toujours.
XIII. Je salue les familles de mes frères avec leurs femmes et leurs enfants, et les vierges appelées veuves. Soyez forts par la vertu de l'Esprit. Philon qui est avec moi vous salue. Je salue la maison de Tavia, je souhaite qu'elle soit affermie dans la foi et dans la charité de chair et d'esprit. Je salue Alcé, nom qui m'est cher, et Daphnos l'incomparable, et Eutecnos, et tous par leur nom. Portez-vous bien dans la grâce de Dieu.



 Lettre d'Ignace d'Antioche aux Ephésiens
   
   Ignace, dit aussi Théophore, à celle qui est bénie en grandeur dans la plénitude de Dieu le Père, prédestinée avant les siècles à être en tout temps, pour une gloire qui ne passe pas, inébranlablement unie et élue dans la passion véritable du Christ, par la volonté du Père et de Jésus-Christ notre Dieu, --à l'Église digne d'être appelée bienheureuse, qui est à Éphèse d'Asie, salut en Jésus-Christ et dans une joie irréprochable.
I, 1. J'ai accueilli en Dieu votre nom bien-aimé, que vous vous êtes acquis par votre nature juste, selon la foi et la charité dans le Christ Jésus, notre Sauveur ; " imitateurs de Dieu " (cf. Paul, Ep 6, 1), ranimés dans le sang de Dieu (cf. Ac. 20, 28), vous avez achevé en perfection l'oeuvre qui convient à votre nature. 2. Vous avez appris en effet que je venais de Syrie enchaîné pour le Nom et l'espoir qui nous sont communs, espérant avoir le bonheur, grâce à vos prières, de combattre contre les bêtes à Rome, pour pouvoir, si j'ai ce bonheur, être un véritable disciple ; et vous vous êtes empressés de venir me voir. 3. C'est donc bien toute votre communauté que j'ai reçue au nom de Dieu, en Onésime, homme d'une indicible charité, votre évêque selon la chair. Je souhaite que vous l'aimiez en Jésus-Christ, et que tous vous lui soyez semblables. Béni soit celui qui vous a fait la grâce, à vous qui en étiez dignes, d'avoir un tel évêque.
Il, 1. Pour Burrhus, mon compagnon de service, votre diacre selon Dieu, béni en toutes choses, je souhaite qu'il reste près de moi pour faire honneur à vous et à votre évêque. Quant à Crocus, digne de Dieu et de vous, que j'ai reçu comme un exemplaire de votre charité, il a été pour moi un réconfort en toutes choses : puisse le Père de Jésus-Christ le réconforter lui aussi avec Onésime, et Burrhus, et Euplous et Fronton ; en eux c'est vous tous que j'ai vus selon la charité. 2. Puissé-je jouir de vous en tout temps, si je puis en être digne. Il convient donc de glorifier en toutes manières Jésus-Christ, qui vous a glorifiés, afin que rassemblés dans une même soumission, soumis à l'évêque et au presbyterium, vous soyez sanctifiés en toutes choses.
III,1. Je ne vous donne pas des ordres comme si j'étais quelqu'un. Car si je suis enchaîné pour le Nom, je ne suis pas encore accompli en Jésus-Christ. Maintenant, je ne fais que commencer à m'instruire, et je vous adresse la parole comme à mes condisciples. C'est moi qui aurais besoin d'être oint par vous de foi, d'exhortations, de patience, de longanimité. 2. Mais puisque la charité ne me permet pas de me taire à votre sujet, c'est pour cela que j'ai pris les devants pour vous exhorter à marcher d'accord avec la pensée de Dieu. Car Jésus-Christ, notre vie inséparable, est la pensée du Père, comme aussi les évêques, établis jusqu'aux extrémités de la terre, sont dans la pensée de Jésus-Christ.
IV, 1. Aussi convient-il de marcher d'accord avec la pensée de votre évêque, ce que d'ailleurs vous faites. Votre presbyterium justement réputé, digne de Dieu, est accordé à l'évêque comme les cordes à la cithare ; ainsi, dans l'accord de vos sentiments et l'harmonie de votre charité, vous chantez Jésus-Christ. 2. Que chacun de vous aussi, vous deveniez un choeur, afin que, dans l'harmonie de votre accord, prenant le ton de Dieu dans l'unité, vous chantiez d'une seule voix par Jésus-Christ un hymne au Père, afin qu'il vous écoute et qu'il vous reconnaisse, par vos bonnes oeuvres, comme les membres de son Fils. Il est donc utile pour vous d'être dans une inséparable unité, afin de participer toujours à Dieu.
V, 1. Si en effet, moi-même j'ai en si peu de temps contracté avec votre évêque une telle intimité, qui n'est pas humaine, mais toute spirituelle, combien plus je vous félicite de lui être si profondément unis, comme l'Église l'est à Jésus-Christ, et Jésus-Christ au Père, afin que toutes choses soient en accord dans l'unité. 2. Que personne ne s'égare ; si quelqu'un n'est pas à l'intérieur du sanctuaire, il se prive " du pain de Dieu " (Jn 6, 33). Car si la prière de deux personnes ensemble a une telle force (cf. Mt 18, 20), combien plus celle de l'évêque et de toute l'Église. 3. Celui qui ne vient pas à la réunion commune, celui-là déjà fait l'orgueilleux et il s'est jugé lui-même, car il est écrit : " Dieu résiste aux orgueilleux " (Pr 3, 34 ; cf. Jc 4, 6 ; 1 P 5, 5). Ayons donc soin de ne pas résister à l'évêque, pour être soumis à Dieu.
VI, I. Et plus on voit l'évêque garder le silence, plus il faut le révérer ; car celui que le maître de maison envoie pour administrer sa maison (cf. Lc 12, 42 ; Mt 24, 25), il faut que nous le recevions comme celui-là même qui l'a envoyé (cf. Mt 10, 40 ; Mc 1, 37 ; Lc 7, 48 ; Jn 13, 20). Donc il est clair que nous devons regarder l'évêque comme le Seigneur lui-même. 2. D'ailleurs, Onésime lui-même loue très haut votre bon ordre en Dieu disant que tous vous vivez selon la vérité, et qu'aucune hérésie ne demeure chez vous, mais que vous n'écoutez personne qui vous parle d'autre chose que de Jésus-Christ dans la vérité.
VII, 1. Car des hommes à la ruse perverse ont l'habitude de porter partout le nom de Dieu, mais agissent autrement et de manière indigne de Dieu ; ceux-là, il vous faut les éviter comme des bêtes sauvages. Ce sont des chiens enragés, qui mordent sournoisement. Il faut vous en garder, car leurs morsures sont difficiles à guérir. 2. Il n'y a qu'un seul médecin, charnel et spirituel, engendré et inengendré, venu en chair, Dieu,  en la mort vie véritable, né de Marie et né de Dieu, d'abord passible et maintenant impassible, Jésus-Christ notre Seigneur.
VIII, 1. Que personne donc ne vous trompe, comme d'ailleurs vous ne vous laissez pas tromper, étant tout entiers à Dieu. Quand aucune querelle ne s'est abattue sur vous qui puisse vous tourmenter, alors vraiment vous vivez selon Dieu. Je suis votre victime expiatoire, et je m'offre en sacrifice pour votre Église, Éphésiens, qui est renommée à travers les siècles. 2. Les charnels ne peuvent pas faire les oeuvres spirituelles (cf. Rm 8, 5 ; 1 Co 2, 14), ni les spirituels les oeuvres charnelles, comme la foi non plus ne peut faire les oeuvres de l'infidélité, ni l'infidélité celles de la foi. Et celles-là même que vous faites dans la chair sont spirituelles, car c'est en Jésus-Christ que vous faites tout.
IX, 1. J'ai appris que certains venant de là-bas sont passés chez vous, porteurs d'une mauvaise doctrine, mais vous ne les avez pas laissés semer chez vous, vous bouchant les oreilles, pour ne pas recevoir ce qu'ils sèment, dans la pensée que vous êtes les pierres du temple du Père, préparés pour la construction de Dieu le Père, élevés jusqu'en haut par la machine de Jésus-Christ, qui est la croix, vous servant comme câble de l'Esprit-Saint ; votre foi vous tire en haut, et la charité est le chemin qui vous élève vers Dieu. 2. Vous êtes donc aussi tous compagnons de route, porteurs de Dieu et porteurs du temple, porteurs du Christ, porteurs des objets sacrés, ornés en tout des préceptes de Jésus-Christ. Avec vous, je suis dans l'allégresse, puisque j'ai été jugé digne de m'entretenir avec vous par cette lettre et de m'en réjouir avec vous de ce que vivant d'une vie nouvelle, vous n'aimez rien que Dieu seul.
X, 1. " Priez sans cesse " (1 Th 5, 17) pour les autres hommes. Car il y a en eux espoir de repentir, pour qu'ils arrivent à Dieu. Permettez-leur donc au moins par vos oeuvres d'être vos disciples. 2. En face de leurs colères, vous, soyez doux ; de leurs vantardises, vous, soyez humbles ; de leurs blasphèmes, vous, montrez vos prières ; de leurs erreurs, vous, soyez " fermes dans la foi " (Col 1, 23) ; de leur sauvagerie, vous, soyez paisibles, sans chercher à les imiter. 3. Soyons leurs frères par la bonté et cherchons à être les " imitateurs du Seigneur " (1 Th 1, 6) : --qui davantage a été objet d'injustice ? qui dépouillé ? qui repoussé ? --pour qu'aucune herbe du diable ne se trouve parmi vous, mais qu'en toute pureté et tempérance, vous demeuriez en Jésus-Christ, de chair et d'esprit.
XI, 1. Ce sont les derniers temps (cf. 1 Jn 2, 18) ; désormais rougissons, et craignons que la longanimité de Dieu ne tourne à notre condamnation. Ou bien craignons la colère à venir (cf. Mt 3, 7), ou bien aimons la grâce présente : de deux choses l'une. C'est seulement si nous sommes trouvés dans le Christ que nous entrerons dans la vie véritable. 2. En dehors de lui (cf. saint Paul, Ph 3, 9) que rien n'ait valeur pour vous, lui en qui je porte mes chaînes, perles spirituelles ; je voudrais ressusciter avec elles, grâce à votre prière, à laquelle je voudrais toujours participer pour être trouvé dans l'héritage des chrétiens d'Éphèse, qui ont été toujours unis aux Apôtres, par la force de Jésus-Christ.
XII, 1. Je sais qui je suis et à qui j'écris : moi je suis un condamné ; vous, vous avez obtenu miséricorde ; moi, je suis dans le danger ; vous, vous êtes affermis. Vous êtes le chemin par où passent ceux qui sont conduits à la mort pour aller à Dieu, initiés aux mystères avec Paul le saint, qui a reçu témoignage, et est digne d'être appelé bienheureux. Puissé-je être trouvé sur ses traces quand j'obtiendrai Dieu ; dans toutes ses lettres, il se souvient de vous dans le Christ Jésus.
XIII, 1. Ayez donc soin de vous réunir plus fréquemment pour rendre à Dieu actions de grâces et louange. Car quand vous vous rassemblez souvent, les puissances de Satan sont abattues et son oeuvre de ruine détruite par la concorde de votre foi. 2. Rien n'est meilleur que la paix qui réduit à rien toute guerre que nous font les puissances célestes et terrestres.
XIV, 1. Rien de tout cela ne vous est caché, si vous avez parfaitement pour Jésus-Christ la foi et la charité, qui sont le commencement et la fin de la vie : le commencement, c'est la foi, et la fin, la charité (cf. 1 Tm 1, 5). Les deux réunies, c'est Dieu, et tout le reste qui conduit à la perfection de l'homme ne fait que suivre. 2. Nul, s'il professe la foi, ne pèche ; nul, s'il possède la charité, ne hait. " On connaît l'arbre à ses fruits " (Mt. 12, 33) : ainsi ceux qui font profession d'être du Christ se feront reconnaître à leurs oeuvres. Car maintenant l'oeuvre qui nous est demandée n'est pas simple profession de foi, mais d'être trouvés jusqu'à la fin dans la pratique de la foi.
XV, 1. Mieux vaut se taire et être que parler sans être. Il est bon d'enseigner, si celui qui parle agit. Il n'y a donc qu'un seul maître (cf. Mt 23, 8), celui qui " a dit et tout a été fait " (Ps 32, 9 ; 148, 5) et les choses qu'il a faites dans le silence sont dignes de son Père. 2. Celui qui possède en vérité la parole de Jésus peut entendre même son silence, afin d'être parfait, afin d'agir par sa parole et de se faire connaître par son silence. Rien n'est caché au Seigneur, mais nos secrets mêmes sont près de 1ui. 3. Faisons donc tout dans la pensée qu'il habite en nous, afin que nous soyons ses temples (cf. 1 Co 3, 16 ; 6, 19), et que lui soit en nous notre Dieu (cf. Ap 21, 3), ce qu'il est en effet, et ce qu'il apparaîtra devant notre face si nous l'aimons justement.
XVI, 1. " Ne vous y trompez pas ", mes frères : ceux qui corrompront les familles n'hériteront pas du Royaume de Dieu " (1 Co 6, 9.10). 2. Si donc ceux faisaient cela ont été mis à mort, combien plus celui qui corromprait par sa mauvaise doctrine la foi de Dieu, pour laquelle Jésus-Christ a été crucifié ? Celui qui s'est ainsi souillé ira au feu inextinguible et de même celui qui l'écoute.
XVII, 1. Si le Seigneur a reçu une onction sur la tête, c'est afin d'exhaler pour son Église un parfum d'incorruptibilité. Ne vous laissez donc pas oindre de la mauvaise odeur du prince de ce monde (cf. Jn 12, 31 ; 14, 30), pour qu'il ne vous emmène pas en captivité loin de la vie qui vous attend. 2. Pourquoi ne devenons-nous pas tous sages, en recevant la connaissance de Dieu, qui est Jésus-Christ ? Pourquoi périr follement, en méconnaissant le don que le Seigneur nous a véritablement envoyé ?
XVIII, 1. Mon esprit est la victime de la croix, qui est scandale pour les incroyants, mais pour nous salut et vie éternelle (cf . 1 Co 1, 23, 25) : " Où est le sage ? où le disputeur ? " (1 Co 1,20) où la vanité de ceux qu'on appelle savants ? 2. Car notre Dieu, Jésus-Christ, a été porté dans le sein de Marie, selon l'économie divine, né " de la race de David " (Jn 7,42 ; Rm 1,3 ; 2 Tm 2,8) et de l'Esprit-Saint. Il est né, et a été baptisé pour purifier l'eau par sa passion.
XIX, 1. Le prince de ce monde (Jn 12, 31 ; 14, 30) a ignoré la virginité de Marie, et son enfantement, de même que la mort du Seigneur, trois mystères retentissants, qui furent accomplis dans le silence de Dieu. 2. Comment donc furent-ils manifestés aux siècles ? Un astre brilla dans le ciel plus que tous les astres, et sa lumière était indicible, et sa nouveauté étonnait, et tous les autres astres avec le soleil et la lune se formèrent en choeur autour de l'astre et lui projetait sa lumière plus que tous les autres. 2. Et ils étaient troublés, se demandant d'où venait cette nouveauté si différente d'eux-mêmes. 3. Alors était détruite toute magie, et tout lien de malice aboli, l'ignorance était dissipée, et l'ancien royaume ruiné, quand Dieu apparut en forme d'homme, " pour une nouveauté de vie " éternelle (Rm 6, 4) ; ce qui avait été décidé par Dieu commençait à se réaliser. Aussi tout était troublé, car la destruction de la mort se préparait.
XX, 1. Si Jésus-Christ m'en rend digne grâce à vos prières, et si c'est la volonté de Dieu, je vous expliquerai dans le second livret que je dois vous écrire l'économie dont j'ai commencé à vous parler, concernant l'homme nouveau, Jésus-Christ. Elle consiste dans la foi en lui et dans l'amour pour lui, dans sa souffrance et sa résurrection... 2. Surtout si le Seigneur me révèle que chacun en particulier et tous ensemble, dans la grâce qui vient de son nom, vous vous réunissez dans une même foi, et en Jésus-Christ " de la race de David selon la chair " (Rm 1,3), fils de l'homme et fils de Dieu, --pour obéir à l'évêque et au presbyterium, dans une concorde sans tiraillements, rompant un même pain qui est remède d'immortalité, antidote pour ne pas mourir, mais pour vivre en Jésus-Christ pour toujours.
XXI, 1. Je suis votre rançon, pour vous et pour ceux que, pour l'honneur de Dieu, vous avez envoyés à Smyrne, d'où je vous écris, rendant grâces au Seigneur, et aimant Polycarpe comme je vous aime vous aussi. Souvenez-vous de moi comme Jésus-Christ se souvient de vous. 2. Priez pour l'Église qui est en Syrie, d'où je suis conduit à Rome dans les chaînes, car étant le dernier des fidèles de là-bas, j'ai été jugé digne de servir à l'honneur de Dieu. Portez-vous bien en Dieu le Père, et en Jésus-Christ, notre commune espérance.

cathobiblique.unblog.fr

 

Ignace d’Antioche lettre aux Romains

Ignace, dit aussi Théophore 2, à l’Église qui a reçu miséricorde par la magnificence du Père très haut et de Jésus-Christ son Fils unique, « l’Église » bien-aimée et illuminée par la volonté de celui qui a voulu tout ce qui existe, selon la foi et l’amour pour Jésus-Christ notre Dieu ; « l’Église » qui préside dans la région des Romains, digne de Dieu, digne d’honneur, digne d’être appelée bienheureuse, digne de louange, digne de succès, digne de pureté, qui préside à la charité, qui porte la loi du Christ, qui porte le nom du Père ; je la salue au nom de Jésus-Christ, le fils du Père ; aux « frères » qui, de chair et d’esprit, sont unis à tous ses commandements, remplis inébranlablement de la grâce de Dieu, purifiés de toute coloration étrangère, je leur souhaite en Jésus-Christ notre Dieu toute joie irréprochable.
I
1. Par mes prières j’ai obtenu de Dieu de voir vos saints visages, car j’avais demandé avec insistance de recevoir cette faveur ; car, enchaîné dans le Christ Jésus, j’espère vous saluer, si du moins c’est la volonté de Dieu que je sois trouvé digne d’aller jusqu’au terme.
2. Car le commencement est facile ; si du moins j’obtiens la grâce de recevoir sans empêchement la part « qui m’est réservée ». Mais je crains que votre charité ne me fasse tort. Car à vous il est facile de faire ce que vous voulez, mais à moi il est difficile d’atteindre Dieu, si vous ne m’épargnez pas.
II
1. Car je ne veux pas que vous plaisiez aux hommes, mais que vous plaisiez à Dieu, comme, en fait, vous lui plaisez. Pour moi, jamais je n’aurai une telle occasion d’atteindre Dieu, et vous, si vous gardez le silence, vous ne pouvez souscrire à une œuvre meilleure. Si vous gardez le silence à mon sujet, je serai à Dieu ; mais si vous aimez ma chair, il me faudra de nouveau courir.
2. Ne me procurez rien de plus que d’être offert en libation à Dieu (cf. Php 2.17; 2Ti 4.6), tandis que l’autel est encore prêt, afin que, réunis en chœur dans la charité, vous chantiez au Père dans le Christ Jésus, parce que Dieu a daigné faire que l’évêque de Syrie fût trouvé « en lui », l’ayant fait venir du levant au couchant. Il est bon de se coucher loin du monde vers Dieu, pour se lever en lui.
III
1. Jamais vous n’avez jalousé personne, vous avez enseigné les autres. Je veux, moi, que ce que vous commandez aux autres par vos leçons garde sa force.
2. Ne demandez pour moi que la force intérieure et extérieure, pour que non seulement je parle, mais que je veuille, pour que non seulement on me dise chrétien, mais que je le sois trouvé « de fait ». Si je le suis de fait, je pourrai me dire tel, et être un « vrai » croyant, quand je ne serai plus visible au monde.
3. Rien de ce qui est visible n’est bon. Car notre Dieu, Jésus-Christ, étant en son Père, se fait voir davantage. Car ce n’est pas une œuvre de persuasion que le christianisme, mais une œuvre de puissance, quand il est haï par le monde.
IV
1. Moi, j’écris à toutes les Églises, et je mande à tous que moi c’est de bon cœur que je vais mourir pour Dieu, si du moins vous vous ne m’en empêchez pas. Je vous en supplie, n’ayez pas pour moi une bienveillance inopportune. Laissez-moi être la pâture des bêtes, par lesquelles il me sera possible de trouver Dieu. Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour être trouvé un pur pain du Christ.
2. Flattez plutôt les bêtes, pour qu’elles soient mon tombeau, et qu’elles ne laissent rien de mon corps, pour que, dans mon dernier sommeil, je ne sois à charge à personne. C’est alors que je serai vraiment disciple de Jésus-Christ, quand le monde ne verra même plus mon corps. Implorez le Christ pour moi, pour que, par l’instrument « des bêtes », je sois une victime « offerte » à Dieu. Je ne vous donne pas des ordres comme Pierre et Paul : eux, ils étaient libres, et moi jusqu’à présent un esclave (cf. 1Co 9.1). Mais si je souffre, je serai un affranchi de Jésus-Christ (1Co 7.22) et je renaîtrai en lui, libre. Maintenant enchaîné, j’apprends à ne rien désirer.
V
1. Depuis la Syrie jusqu’à Rome, je combats contre les bêtes (cf. #1Co 15.32), sur terre et sur mer, nuit et jour, enchaîné à dix léopards, c’est-à-dire à un détachement de soldats ; quand on leur fait du bien, ils en deviennent pires. Mais, par leurs mauvais traitements, je deviens davantage un disciple, mais « je n’en suis pas pour autant justifié » (1Co 4.4).
2. Puissé-je jouir des bêtes qui me sont préparées. Je souhaite qu’elles soient promptes pour moi. Et je les flatterai, pour qu’elles me dévorent promptement, non comme certains dont elles ont eu peur, et qu’elles n’ont pas touchés. Et, si par mauvaise volonté elles refusent, moi, je les forcerai.
3. Pardonnez-moi ; ce qu’il me faut, je le sais, moi. C’est maintenant que je commence à être un disciple. Que rien, des êtres visibles et invisibles, ne m’empêche par jalousie, de trouver le Christ. Feu et croix, troupeaux de bêtes, lacérations, écartèlements, dislocation des os, mutilation des membres, mouture de tout le corps, que les pires fléaux du diable tombent sur moi, pourvu seulement que je trouve Jésus-Christ.
VI
1. Rien ne me servira des charmes du monde ni des royaumes de ce siècle. Il est bon pour moi de mourir (cf. 1Co 9.15) « pour m’unir » au Christ Jésus, plus que de régner sur les extrémités de la terre. C’est lui que je cherche, qui est mort pour nous ; lui que je veux, qui est ressuscité pour nous. Mon enfantement approche,
2. Pardonnez-moi, frères ; ne m’empêchez pas de vivre, ne veuillez pas que je meure. Celui qui veut être à Dieu, ne le livrez pas au monde, ne le séduisez pas par la matière. Laissez-moi recevoir la pure lumière ; quand je serai arrivé là, je serai un homme.
3. Permettez-moi d’être un imitateur de la passion de mon Dieu. Si quelqu’un a Dieu en lui, qu’il comprenne ce que je veux, et qu’il ait compassion de moi, connaissant ce qui m’étreint (cf. Php 1.23).
VII
1. Le prince de ce monde veut m’arracher, et corrompre les sentiments que j’ai pour Dieu. Que personne donc, parmi vous qui êtes là, ne lui porte secours ; plutôt soyez pour moi, c’est-à-dire pour Dieu. N’allez pas parler de Jésus-Christ, et désirer le monde.
2. Que la jalousie n’habite pas en vous. Et si, quand je serai près de vous, je vous implore, ne me croyez pas. Croyez plutôt à ce que je vous écris. C’est bien vivant que je vous écris, désirant de mourir. Mon désir terrestre a été crucifié, et il n’y a plus en moi de feu pour aimer la matière, mais en moi une « eau vive » (cf. Jn 4.10; 7.38; Ap 14.25) qui murmure et qui   dit au-dedans de moi : « Viens vers le Père » (cf. Jn 14.12, etc.).
3. Je ne me plais plus à une nourriture de corruption ni aux plaisirs de cette vie ; c’est le pain de Dieu que je veux, qui est la chair de Jésus-Christ, de la race de David (Jn 7.42; Ro 1.3), et pour boisson je veux son sang, qui est l’amour incorruptible. VIII
1. Je ne veux plus vivre selon les hommes. Cela sera, si vous le voulez. Veuillez-le, pour que vous aussi, vous obteniez le bon vouloir de Dieu.
2. Je vous le demande en peu de mots : croyez-moi, Jésus-Christ vous fera voir que je dis vrai, il est la bouche sans mensonge par laquelle le Père a parlé en vérité.
3. Demandez pour moi que je l’obtienne. Ce n’est pas selon la chair que je vous écris, mais selon la pensée de Dieu. Si je souffre, vous m’aurez montré de la bienveillance ; si je suis écarté, de la haine.
IX
1. Souvenez-vous dans votre prière de l’Église de Syrie, qui, en ma place, a Dieu pour pasteur. Seul Jésus Christ sera son évêque, et votre charité.
2. Pour moi, je rougis d’être compté parmi eux, car je n’en suis pas digne, étant le dernier d’entre eux, et un avorton (cf. 1Co 14.8, 9). Mais j’ai reçu la miséricorde d’être quelqu’un, si j’obtiens Dieu.
3. Mon esprit vous salue, et la charité des Églises qui m’ont reçu, au nom de Jésus-Christ (cf. Mt 18.40, 41), non comme un simple passant. Et celles-là mêmes qui n’étaient pas sur ma route selon la chair, allaient au-devant de moi de ville en ville.
X
1. Je vous écris ceci de Smyrne par l’intermédiaire d’Éphésiens dignes d’être appelés bienheureux. Il y a aussi avec moi, en même temps que beaucoup d’autres, Crocus, dont le nom m’est si cher.
2. Quant à ceux qui m’ont précédé de Syrie jusqu’à Rome pour la gloire de Dieu, je crois que vous les connaissez maintenant : faites-leur savoir que je suis proche. Tous sont dignes de Dieu et de vous, et il convient que vous les soulagiez en toutes choses.
3. Je vous écris ceci le neuf d’avant les calendes de septembre. Portez-vous bien jusqu’à la fin dans l’attente de Jésus-Christ.




Cours de patrologie de soeur Gabriel Peters o.s.b., chapitre 2
Vous trouverez ici le chapitre sur saint Ignace d’Antioche publié dans le manuel de patrologie de Soeur Gabriel Peters. Les Pères apostoliques sont ceux qui sont réputés avoir connu les apôtres.
Introduction
I. Ignace d’Antioche
- 1. D’après les témoignages anciens
- 2. D’après les lettres d’Ignace
- 3. D’après la lettre de Polycarpe de Smyrne aux Philippiens
- 4. Quelques déductions et hypothèses
- 5. D’après les légendes
- 6. Le culte d’Ignace
II. Les sept lettres authentiques
- 1. La question de l’authenticité
- 2. Le style des lettres
- 3. Aperçu sur le texte des lettres
- 4. La doctrine des lettres
Conclusion : L’âme d’Ignace d’Antioche
Appendice
  • Honoré du titre le plus glorieux, dans les fers que je promène, je chante les Églises. Je leur souhaite l’union avec la chair et l’esprit de Jésus-Christ, notre éternelle vie ; l’union dans la foi et la charité, cette charité que rien n’égale ; l’union bien plus importante encore avec Jésus et le Père en qui nous résisterons à toutes les menaces du Prince de ce monde ; nous y échapperons et nous atteindrons Dieu.
Magnésiens, 1, 2.

INTRODUCTION

Ignace d’Antioche
gnace, évêque d’Antioche, fut condamné à être livré aux bêtes à Rome. Il y subit le martyre sous le règne de Trajan. Enchaîné et mené au supplice, il écrivit, pendant son long parcours, sept lettres, soit six à des Églises locales et une à l’évêque de l’une d’elles qui l’avait accueilli : Polycarpe de Smyrne.
Les sept lettres authentiques d’Ignace
Ces sept lettres authentiques d’Ignace d’Antioche nous renseignent sur la vie des Églises au début du second siècle, sur leur organisation hiérarchique et sur les hérésies menaçantes. La lettre aux Romains témoigne aussi de la primauté de Rome.
Ces lettres nous révèlent l’âme ardente du grand martyr et la pureté de sa doctrine imprégnée des pensées de saint Paul souvent cité, et tout autant de celles que nous retrouvons dans les écrits johanniques.

I - IGNACE D’ANTIOCHE

L’âme d’Ignace nous apparaîtra tout entière dans ses lettres très personnelles.
Quant à sa vie, en dehors des nombreux détails que ses lettres nous donnent sur la route vers le supplice, nous n’en savons pour ainsi dire rien. Il nous faut donc classer, d’après les sources consultées, les renseignements fournis, afin d’être mieux à même d’en évaluer la portée.

1. d’après les témoignages anciens les plus autorisés

Remarquons que seuls ces témoignages nous confirment le martyre d’Ignace que nul, bien entendu, ne met en doute. Seuls aussi, ils nous fournissent le cadre chronologique des événements ; tout d’ailleurs invite à l’accepter.
• Irénée et Origène
Vers 180, Irénée (Adv. Haer., 5, 28) et vers 235 Origène (In Luc., 6) assurent qu’Ignace fut livré aux bêtes. Origène nous dit qu’Ignace fut le deuxième évêque d’Antioche [1].
• Eusèbe
La Chronique d’Eusèbe place le martyre d’Ignace la dixième année de Trajan, soit en 107. Cette précision n’a qu’une valeur approximative, mais tous les savants s’accordent pour accepter les environs de l’an 110.
L’Histoire Ecclésiastique (3, 22) nous apprend, d’accord avec Origène, qu’Ignace, deuxième évêque d’Antioche, succéda au successeur immédiat de saint Pierre, Evodius. Or, Eusèbe avait sous les yeux les anciennes listes épiscopales d’Antioche (dans la Chronique de Jules l’Africain ( après 240), ami d’Origène.
Le chapitre de l’Histoire Ecclésiastique, au livre 3, est consacré tout entier à Ignace, mais les renseignements proviennent visiblement des lettres du martyr ; c’est donc là que nous préférons les rechercher.

2. d’après les lettres d’Ignace

L’évêque d’Antioche, Ignace, appelé aussi Théophore, condamné à être livré aux bêtes à Rome, y fut conduit enchaîné.
  • Depuis la Syrie jusqu’à Rome, je combats contre les bêtes, sur terre et sur mer, de nuit et de jour, enchaîné que je suis à dix léopards, je veux parler des soldats qui me gardent. A mesure qu’on leur fait plus de bien, ils en deviennent pires. Mais par leurs mauvais traitements, je deviens davantage un disciple.
Lettre aux Romains, 5, 1
Pendant ce douloureux voyage, le saint évêque, exultant de joie, écrivit aux Églises sept lettres qui nous dévoilent son âme ardente et nous révèlent aussi ses préoccupations - assurer l’union des Églises à leurs évêques, leur union entre elles et la fuite de l’hérésie.
Il est aisé de retracer, d’après les détails donnés, l’itinéraire parcouru par le condamné (voir carte page suivante).
Il y eut trois escales plus importantes : Philadelphie, Smyrne et Troas.
A Smyrne, Ignace fut accueilli par l’évêque Polycarpe. Des délégations importantes d’autres Églises d’Asie s’empressèrent de venir le saluer.
  • … Les charitables Églises m’ont accueilli au nom de Jésus-Christ, non comme un simple passant. Et celles-là mêmes qui n’étaient pas sur ma route selon la chair venaient au devant de moi de ville en ville.
Lettre aux Romains, 9, 3.
Itinéraire d'Ignace
De Smyrne, Ignace écrit quatre lettres
  • les lettres aux communautés d’Éphèse, de Magnésie, de Tralles pour les remercier de l’avoir fait saluer par leurs délégués.
  • et l’incomparable lettre aux Romains pour supplier instamment ceux-ci de ne tenter aucune démarche en sa faveur.
  • Je crains que votre charité ne me fasse tort… Jamais je ne retrouverai une pareille occasion d’aller à Dieu… Si vous vous taisez, je deviendrai une parole de Dieu, mais si vous aimez trop ma chair, je ne serai plus qu’une voix [2]… Je ne vous demande qu’une chose, c’est de laisser offrir à Dieu la libation de mon sang tandis que l’autel est encore prêt : alors, réunis tous en chœur par la charité, vous pourrez chanter dans le Christ Jésus unE hymne à Dieu le Père pour avoir daigné faire venir l’évêque de Syrie du levant au couchant. Il est bon de se coucher loin du monde en Dieu pour se lever en Lui.
Lettre aux Romains, 1 et 2
À Troas, Ignace reçoit une heureuse nouvelle : toute persécution a cessé dans son Église d’Antioche. Il écrit alors trois lettres : les lettres aux communautés de Philadelphie et de Smyrne
  • la lettre à l’évêque de Smyrne : Polycarpe.
Très semblables aux lettres de remerciement et de conseils écrites de Smyrne, - celle aux Romains exceptée -, ces lettres écrites de Troas n’en diffèrent que sur un point : elles se terminent par la recommandation d’envoyer à Antioche un diacre, un « courrier de Dieu ».
  • On m’a annoncé que grâce à votre prière et à la miséricorde que vous avez dans le Christ Jésus, l’Église d’Antioche de Syrie est en paix ; il convient donc que vous, en tant qu’Eglise de Dieu, vous élisiez un diacre, pour qu’il y aille en messager de Dieu, pour se réjouir avec ceux qui sont rassemblés et glorifier le Nom.
Lettre aux Philippiens, 10, 1.
  • J’ai appris que l’Église d’Antioche en Syrie a, grâce à votre prière, recouvré la paix. Cette nouvelle a relevé mon courage, et maintenant que Dieu m’a rendu la tranquillité, je n’ai plus qu’un seul souci : celui d’arriver à lui par le martyre et d’être, grâce à vous, compté parmi les vrais disciples au jour de la résurrection. Il convient, bienheureux Polycarpe, de convoquer une assemblée agréable à Dieu et d’élire quelqu’un qui vous soit très cher et qui soit actif, on pourra l’appeler le courrier de Dieu, il serait chargé d’aller porter en Syrie, pour l’honneur de Dieu, le glorieux témoignage de votre ardente charité. Un chrétien ne s’appartient pas, il appartient au service de Dieu.
À Polycarpe, 7, 1-3.
Ignace se proposait d’écrire bien d’autres lettres encore.
  • J’écris à toutes les Eglises : je mande à tous que je mourrai de grand cœur pour Dieu, si vous ne m’en empêchez.
Lettre aux Romains 4, 1.
N’avait-il pas annoncé, dans sa lettre aux Éphésiens, la plus longue, un « deuxième livret » qui leur exposerait plus en détail « l’économie concernant l’homme nouveau Jésus-Christ » (Éph. 20, 1) ?
Les derniers mots de la lettre à Polycarpe sont les derniers que nous entendrons d’Ignace :
  • Je vous dis un éternel adieu en Jésus-Christ notre Dieu. Puissiez-vous demeurer toujours en Lui, dans l’unité de Dieu et sous sa surveillance [3]. Je salue Alcé dont le nom m’est si cher. Adieu dans le Seigneur.
8, 2
3. d’après la lettre de S. Polycarpe aux Philippiens
Les Philippiens ont eux aussi reçu Ignace sur son passage, ils écrivent à Polycarpe, demandant l’envoi des précieuses lettres du martyr. Et Polycarpe répond à leur désir :
  • Les épîtres d’Ignace, tant celles qu’il nous a adressées que d’autres que nous possédons de lui, nous vous les envoyons toutes selon votre demande, elles sont jointes à la présente lettre. Vous pourrez en tirer un grand profit car elles sont pleines de foi, de patience, de tout ce qui peut édifier et porter à Notre Seigneur. De votre côté, si vous avez des nouvelles sûres d’Ignace et de ses compagnons, veuillez me les communiquer.
13, 2
Polycarpe n’a donc aucune nouvelle sûre de l’évêque d’Antioche, cependant, il n’en doute pas : il a, comme ses compagnons, subi le martyre.
  • Montrez cette indéfectible patience que vous avez contemplée de vos propres yeux, non seulement dans les bienheureux Ignace, Zosime et Rufus, mais aussi en d’autres qui étaient de chez vous, en Paul lui-même et dans les autres apôtres, bien persuadés que ces hommes n’ont pas couru en vain (Phil., 2, 16), mais dans la foi et la justice, et que maintenant, ils occupent auprès du Seigneur, dont ils ont partagé les souffrances, la place qui leur est due.
9, 1-2
C’est la lettre de Polycarpe qui nous apprend que, du moins à son arrivée à Philippes, d’autres condamnés furent adjoints à Ignace (1, 1 ; 9, 1 ; 13, 2).
4. quelques déductions et hypothèses plausibles
Ignace semble bien être Syrien d’origine. Il n’est pas citoyen romain, car jamais un citoyen romain ne fut condamné aux bêtes. Rien n’indique qu’il soit Juif : il s’oppose avec fermeté aux coutumes juives (Magn., 8 et 9) et aux judaïsants.
On considère volontiers Ignace comme un converti et on le met en parallèle sur ce point avec Paul, l’ancien persécuteur. De part et d’autre, mêmes protestations d’humilité, même vive conscience des grâces reçues.
  • Je ne vous donne pas des ordres comme si j’étais un personnage. Je suis bien, il est vrai, chargé de fers pour le Nom, mais je n’ai pas encore atteint la perfection en Jésus-Christ. Je ne fais que débuter à son école et si je m’adresse à vous, c’est comme à mes condisciples.
Lettre aux Éphésiens, 3, 1
  • Bien que je sois le dernier des fidèles dAntioche, Dieu a daigné me choisir pour le glorifier.
Lettre aux Éphésiens, 21, 2
  • Bien que je sois dans les fers et que vous, vous soyez libres, je ne suis pas à comparer à un seul d’entre vous.
Lettre aux Magnésiens, 12
  • J’ai de grandes pensées en Dieu, mais je m’impose à moi-même une mesure, pour ne pas me perdre par ma vanterie. Car c’est maintenant surtout que je dois me tenir sur mes gardes et éviter de prêter l’oreille à la flatterie. Ceux qui me flattent me flagellent. Assurément je désire souffrir, mais j’ignore si j’en suis digne, car si mon irritation échappe aux yeux d’un grand nombre, elle ne m’en fait pas moins une guerre très acharnée… Oui, je pourrais, dans cette lettre, vous parler des choses du ciel. Mais vous êtes si enfants encore et je crains de vous faire mal. Excusez-moi donc : incapables d’avaler, vous pourriez vous étrangler. Moi-même, bien que prisonnier, et en état de concevoir les choses du ciel, de connaître les hiérarchies des anges, les armées des principautés, les choses visibles et invisibles, je ne suis pas encore pour autant un vrai disciple. Nous manquons de tant de choses pour que Dieu ne nous manque pas.
Lettre aux Tralliens, 4 et 5
  • Je ne suis pas digne de faire partie de cette Église (= Antioche) moi, le dernier de ses membres. C’est à la volonté de Dieu que je dois cet honneur, non à mes mérites, mais à sa grâce. Puissé-je, grâce à vos prières, la recevoir dans toute sa plénitude pour parvenir enfin à atteindre Dieu.
Lettre aux Smyrniotes, 11.
Une loi du Digeste romain spécifie que les hommes (gladiateurs ou condamnés) dirigés vers Rome doivent être « dignes d’être exhibés au peuple romain » (si eius roboris vel artifis sint ut digne populo romano exhiberi possint, Digeste, 48, 19, 31). Ignace fut donc désigné comme une victime de choix.
5. d’après les légendes
Il existe cinq récits différents ou « Actes » du martyre d’Ignace : les deux principaux sont les Actes antiochiens (le Martyrium Colbertinum) et les Actes romains (le Martyrium Vaticanum). On les consulte pour fixer la suite de l’itinéraire d’Ignace, la date du martyre, etc., mais tout y est légendaire.
Une légende tardive (IXe s. - d’Anastase le Bibliothécaire) a souligné l’humilité d’Ignace : elle voit en lui le petit enfant que Jésus prit entre ses bras pour le montrer en exemple à ses apôtres et justifie ainsi son nom de Théophore [4]. Une autre légende étrange (de saint Vincent de Beauvais, dominicain du XIIIe s.) prétend que sur chacun des morceaux du cœur d’Ignace, on lisait une lettre en or : ces lettres recomposaient le nom de Jésus-Christ… On ne se trompe pas en affirmant que le cœur d’Ignace était possédé de l’amour du Christ, mais ceci est exprimé par trop naïvement ! Les lettres d’Ignace nous le disent bien mieux.
6. le culte d’Ignace
Des reliques d’Ignace seraient conservées à Antioche et d’autres à Rome, à l’église de S. Clément. Ce qui est sûr, c’est que le culte d’Ignace se répandit aussitôt après sa mort. Saint Jean Chrysostome prononça à Antioche le panégyrique du saint martyr en son dies natalis, le 17 octobre [5] : « Rome fut arrosée de son sang, vous avez recueilli ses dépouilles… Vous aviez envoyé un évêque, on vous a rendu un martyr » In sanct. mart. Ignatium, 5

II - LES SEPT LETTRES AUTHENTIQUES D’IGNACE

1. La question de l’authenticité

Pendant plus de deux siècles, la question de l’authenticité des sept lettres d’Ignace d’Antioche fut âprement débattue. Vers la fin du XIXe s., la quasi unanimité se fit : la force et la convergence des arguments, tant externes qu’internes, qui plaident en faveur de l’authenticité, fit cesser la bataille.
Eusèbe de Césarée, au livre III de l’Histoire Ecclésiastique, consacre, nous l’avons vu, tout le chapitre 36 à Ignace et à ses lettres. Il les a manifestement sous les yeux et la liste qu’il en dresse est exactement celle des sept lettres que nous étudions. Il cite en outre le témoignage si précieux de Polycarpe, l’évêque de Smyrne qui accueillit Ignace lorsque celui-ci s’acheminait vers le martyre. Polycarpe, dont l’écrit est aussi venu jusqu’à nous, envoie aux Philippiens qui la lui demandent la collection des lettres d’Ignace. Eusèbe nous rappelle encore qu’Irénée cite dans ses œuvres la lettre d’Ignace aux Romains.
Comment, devant de tels témoignages, a-t-on même pu douter de l’authenticité des sept lettres ?
Deux motifs furent à la base de la controverse
a) Trois recensions différentes des lettres d’Ignace existent. L’une (la recension courte) ne comprend que des extraits, la troisième (la recension longue) contient nos lettres, mais aussi six lettres additionnelles apocryphes. La critique dut donc déchiffrer l’énigme et elle a admis comme seule authentique la recension moyenne, celle qui correspond en tous points au relevé d’Eusèbe.
b) Renan voyait, dans les lettres d’Ignace, « un plaidoyer pour l’orthodoxie et l’épiscopat ». De fait, les lettres d’Ignace sont la source unique qui permet de retracer l’organisation hiérarchique si ferme de l’Église à une époque aussi ancienne. Chaque Église est réunie autour de la hiérarchie : évêque, presbytres, diacres. La plupart des savants se refusaient à admettre ce fait.

2. Le style des lettres

Le style des lettres d’Ignace d’Antioche est d’une originalité saisissante.
Ce style, « qualités et défauts, grammaire et vocabulaire, est exactement le même dans les sept lettres et sa parfaite unité, d’un bout à l’autre de la collection, trahit l’unité d’auteur » [6].
Rien de composé ni d’étudié, bien au contraire, mais un langage direct et ardent. L’évêque d’Antioche sait que ces mots heurtés, qu’il dicte à la hâte, sous le regard hostile de ses malveillants gardiens, seront son testament spirituel et, tandis que son esprit embrasse tout l’horizon de l’Église catholique qui se soude dans l’unité, il lègue ce testament, toujours identique, à chacune des Églises locales qu’il peut atteindre.
Répétitions incessantes, images maladroites et trop fortes, phrases inachevées, brisées soudain par le jaillissement d’une idée nouvelle : ces défauts littéraires, que l’on a signalés à l’envi, ne lasseront que ceux qui ne peuvent communier aux convictions profondes de cette âme passionnée, tendue vers le Christ et vers Dieu.
Le jugement d’un fin littérateur comme Renan fut sévère : « Si l’on excepte en effet l’épître aux Romains, pleine d’une énergie étrange, d’une sorte de feu sombre, et empreinte d’un caractère particulier d’originalité, les six autres épîtres, à part deux ou trois passages sont froides, sans accent, d’une désespérante monotonie » [7].
Il est très vrai que l’incomparable Lettre aux Romains est d’une beauté unique : « On n’écrit pas dans sa vie deux lettres comme celle-là », mais « la différence est de degré, non de nature » et ce que Renan nomme monotonie, d’autres le nommeront insistance [8].
Le jugement de Tixeront nous semble si juste et si bien exprimé que nous le transcrivons ici : « Ignace ignore l’atticisme et l’art des périodes harmonieuses et savantes. Mais nul auteur, si ce n’est saint Paul à qui il ressemble beaucoup, n’a fait, mieux que lui, passer dans ses écrits toute sa personnalité et toute son âme. Un mouvement que l’on sent irrésistible entraîne cette composition incorrecte et heurtée, un feu court sous ses phrases où, parfois, un mot à l’emporte-pièce jaillit comme un éclair. La beauté de l’équilibre classique a fait place à une beauté d’ordre supérieur, parfois étrange, dont la source est dans l’intensité du sentiment et dans les profondeurs de la piété du martyr » [9].

3. Aperçu sur les différentes lettres

Voici comment se présente la collection des lettres d’Ignace :
a) Les quatre lettres écrites de Smyrne : • aux Éphésiens • aux Magnésiens • aux Tralliens • aux Romains
b) Les trois lettres écrites de Troas : • aux Philadelphiens • aux Smyrniotes • à l’évêque de Smyrne : Polycarpe.
Cinq de ces lettres ont, en ce qui concerne les idées traitées, un contenu absolument identique. Ce sont les lettres 1 - 2 - 3 et 5 - 6, soit toutes les lettres écrites aux Églises, celle aux Romains mise à part.
En voici, non pas le plan - car la disposition des sujets traités varie quelque peu -, mais le relevé des idées :
·         
    • Salutation
    • Éloge des qualités de la communauté
    • Recommandations pressantes : fuir l’hérésie, s’attacher à l’unité dans la soumission à l’évêque
    • Salut final et demande de prières pour la Syrie ou de l’envoi d’un diacre (les lettres de Troas).
Quant à la lettre à l’évêque de Smyrne, Polycarpe, elle est bien semblable aux cinq lettres aux Églises, mais les conseils y ont évidemment un accent plus personnel et direct. Ignace se rend compte cependant que cette lettre aussi sera lue à toute l’assemblée, car, en une deuxième partie, il la termine en s’adressant à toute l’Église, lui recommandant la soumission à l’évêque.
Contre quelle hérésie Ignace met-il en garde les chrétiens ?
Ignace s’attaque à deux erreurs : le judéo-christianisme qui consiste à mêler les rites et les pratiques du judaïsme au christianisme et le docétisme qui ne voit dans le corps de Jésus-Christ qu’un fantôme sans réalité objective.
Nous allons passer en revue chacune des lettres d’Ignace. Dans les citations, nous suivrons l’ordre des chapitres.
a) Les quatre lettres écrites de Smyrne
1 - LA LETTRE AUX ÉPHÉSIENS
Cette lettre est la plus longue, presque le double des autres et Ignace y annonce une deuxième lettre. Il y exhorte les Éphésiens à l’unité entre eux et avec leur évêque, il les met en garde contre l’hérésie et les remercie de l’envoi de leurs représentants.
Soumission à l’évêque :
  • Vous ne devez avoir avec votre évêque qu’une seule et même pensée… Votre vénérable presbyterium vraiment digne de Dieu est uni à l’évêque comme les cordes à la lyre et c’est ainsi que du parfait accord de vos sentiments et de l’harmonie de votre charité, s’élève un chant vers Jésus-Christ. Que chacun de vous entre dans ce chœur. Alors, dans l’harmonie de la concorde, vous prendrez par votre unité même le ton de Dieu, et vous chanterez tous d’une seule voix par Jésus-Christ, les louanges du Père qui vous entendra et, à vos bonnes œuvres, vous reconnaîtra pour les membres de son Fils. Il vous est bon de vous tenir dans une irréprochable unité : c’est par là que vous jouirez d’une constante unité avec Dieu lui-même.
4, 2
L’unité :
  • Quel n’est pas votre bonheur à vous qui êtes étroitement unis à l’évêque comme l’Église l’est à Jésus-Christ et Jésus-Christ à son Père, dans l’harmonie de l’universelle unité.
5, 1
Mise en garde contre l’hérésie :
  • Ne vous laissez jamais séduire par personne… car vous vous êtes donnés tout entiers à Dieu.
8
À Éphèse, les processions en l’honneur de la grande Artémis étaient célèbres. Ignace s’empare de l’image et montre dans les chrétiens les « théophores », les « christophores », les porteurs des objets sacrés :
  • Vous êtes tous compagnons de route, portant votre Dieu et son temple, le Christ, les objets sacrés, et parés des préceptes de Jésus-Christ.
9, 2
Bonté pour tous :
  • Priez aussi sans cesse pour les autres hommes : on peut espérer les voir arriver à Dieu par la pénitence. Donnez-leur au moins la leçon de vos exemples. À leurs emportements, opposez la douceur, à leur orgueil, l’humilité ; à leurs blasphèmes, la prière ; à leurs erreurs, la fermeté dans la foi ; à leur caractère sauvage, l’humilité, sans jamais chercher à rendre le mal qu’ils vous font. Montrons-nous vraiment leurs frères par la bonté. Efforçons-nous d’imiter le Seigneur en rivalisant à qui souffrira davantage l’injustice, le dépouillement et le mépris.
10
Amour du Christ :
  • L’essentiel, c’est d’être trouvé par notre union avec le Christ Jésus dignes de la véritable vie. N’aimez rien en dehors de Lui. C’est pour Lui que je promène mes chaînes qui sont mes perles spirituelles. Puissé-je ressusciter avec elles grâce à vos prières
11
Le silence de Jésus :
  • Celui qui entend en vérité la parole de Jésus, celui-là peut entendre en vérité son silence même ; c’est alors qu’il sera parfait : il agira par sa parole et se manifestera par son silence.
15
  • Si le Seigneur s’est laissé répandre un parfum sur la tête, c’est pour communiquer à l’Église son incorruptibilité.
17
  • Pourquoi ne pas acquérir tous la sagesse en recevant la connaissance de Dieu qui est Jésus-Christ ? Pourquoi courir follement à notre perte en méconnaissant le don que le Seigneur nous a véritablement envoyé ?
17
Au chapitre 19, Ignace fait mention d’une étoile miraculeuse « qui fit pâlir toutes les autres » et manifesta « les mystères éclatants que Dieu opéra dans le silence » (la virginité de Marie, son enfantement, la mort du Seigneur). Cette croyance, écho de celle qui se trouve dans l’Évangile de Matthieu, se retrouvera encore dans un évangile apocryphe (le Protévangile de Jacques) et dans Clément d’Alexandrie.
2 - LA LETTRE AUX MAGNÉSIENS
Ignace remercie les Magnésiens de l’envoi de leurs représentants, il les exhorte au respect et à la soumission envers leur évêque et, leur recommandant de garder l’unité de la foi, il les met en garde contre l’hérésie des judaïsants.
Damas, le saint évêque de Magnésie, est très jeune encore, aussi Ignace met-il en garde les fidèles :
  • La jeunesse de votre évêque ne doit pas être pour vous le prétexte d’une trop grande familiarité : c’est la puissance même de Dieu le Père que vous devez pleinement révérer en lui… Ce n’est pas à lui que va la soumission des presbytres, mais au Père de Jésus-Christ, à l’évêque universel.
3, 1
De qui est cette monnaie ?
  • Il y a pour ainsi dire deux sortes de monnaies : celle de Dieu et celle du monde, et chacune d’elles a son effigie propre ; les infidèles portent l’effigie de ce monde ; les fidèles, que la charité anime, l’empreinte de Dieu le Père.
5
Faire tout « en commun » dans l’unité :
  • De même que le Seigneur n’a rien fait, ni par lui-même, ni par ses apôtres, sans son Père (cf. Jn, 5, 19) avec lequel il est un, ainsi, vous non plus, ne faites rien sans l’évêque et les presbytres. C’est en vain que vous essaierez de faire passer pour raisonnable une action accomplie à part vous, faites donc tout en commun : une même prière, une même supplication, un seul et même esprit, une même espérance animés par la charité dans une joie innocente. Tout cela, c’est Jésus-Christ au-dessus duquel il n’y a rien… Accourez tous vous réunir dans le même temple de Dieu, au pied du même autel, en Jésus-Christ un, qui est sorti du Père un et qui demeurait dans l’unité du Père et qui est retourné à Lui (cf. Jn, 16, 28).
7
Comment pourrions-nous vivre sans Jésus-Christ ?
  • Ce mystère (la résurrection de Jésus) nié par plusieurs est la source de notre foi et par là de la patience avec laquelle nous souffrons pour devenir de vrais disciples de Jésus-Christ, notre unique Maître. Comment donc pourrions-nous vivre sans lui quand les prophètes eux-mêmes, ses disciples en esprit, l’attendaient comme leur Maître ?
9
  • Ne restons donc pas insensibles à sa bonté. S’il vient à régler sa conduite sur la nôtre, c’en est fait de nous. Apprenons donc à son école à vivre selon le christianisme [10].
10, 1
3 - LA LETTRE AUX TRALLIENS
Ignace remercie les Tralliens de l’envoi de leurs représentants, il fait l’éloge des Tralliens, les félicitant surtout de leur soumission à leur évêque. Il les met en garde contre l’hérésie et leur recommande de demeurer dans l’unité.
Ignace a une réelle affection, presque une prédilection, pour ses chers diacres. Il a une conception très haute de leur service :
  • Ils ne sont pas en effet de simples distributeurs d’aliments et de boissons, ils sont les serviteurs de l’Église de Dieu.
2, 1
Nous rappelons que nous avons déjà cité, emprunté à la lettre aux Tralliens (ch. 9), un texte important qui est à l’origine du Symbole des apôtres : profession de foi dont les termes se fixent déjà [11]. Au chapitre 10, on relève une vive protestation contre le docétisme et ce lyrisme passionné est bien semblable à celui qui anime toute la lettre aux Romains :
  • S’il (= Jésus-Christ) n’a souffert qu’en apparence, comme le prétendent certains athées, c’est-à-dire certains incrédules qui ne sont eux-mêmes qu’une apparence, à quoi bon alors les fers que je porte ? Pourquoi brûler de combattre contre les bêtes ? C’est donc en vain que je meurs ! Ce que je dis du Seigneur n’est donc qu’une fable !
10
C’est dans les lettres d’Ignace que se rencontre pour la première fois l’image devenue si courante de « l’arbre de la croix », arbre de vie [12] :
  • Fuyez les rameaux parasites et dangereux (= les incrédules) ils portent des fruits qui donnent la mort, si quelqu’un en goûte, il meurt sur-le-champ. Ceux-là ne sont pas la plantation du Père. S’ils l’étaient, ils apparaîtraient comme des rameaux de la croix, et leur fruit serait incorruptible [13].
11, 1-2
Et ce texte se poursuit par cet émouvant appel à l’unité :
  • Par sa croix, dans sa passion, Jésus-Christ vous appelle à lui, vous qui êtes ses membres. La tête, en effet, ne peut pas être engendrée sans les membres et c’est Dieu qui nous promet cette unité : Dieu qui est lui-même unité.
11, 2
4 - LA LETTRE AUX ROMAINS
Cette lettre a un seul but : implorer les Romains de ne pas intervenir pour éloigner d’Ignace le supplice qu’il considère comme la grâce suprême de sa vie. Elle est tout entière un cri passionné d’amour. Elle est la première et la plus belle expression de ce « désir du martyre » qui enflammera les chrétiens fervents des premiers siècles, qui dictera à un Origène et à un saint Cyprien leur Exhortation au martyre et sera à l’origine de la naissance et de la diffusion du monachisme ancien.
Il faut aussi retenir le témoignage que cette lettre apporte à la primauté romaine.
  • Contentez-vous de demander pour moi la force intérieure et extérieure, pour que je sois chrétien, non seulement de bouche mais de cœur ; non seulement de nom mais de fait, car si je me montre chrétien de fait, je mériterai aussi ce nom, et c’est quand j’aurai disparu de ce monde que ma foi apparaîtra avec le plus d’éclat. Rien de ce qui se voit n’est bon : même notre Dieu, Jésus-Christ ne s’est jamais mieux manifesté que depuis qu ’il est retourné au sein du Père. Le christianisme, en butte à la haine du monde, n’est plus objet de persuasion (humaine) mais œuvre de puissance.
3, 1-2
  • Laissez-moi devenir la pâture des bêtes : c’est par elles qu’il me sera donné d’arriver à Dieu. Je suis le froment de Dieu et je suis moulu par, la dent des bêtes pour devenir le pain immaculé du Christ. Caressez-les plutôt, afin « elles soient mon tombeau et qu’elles ne laissent rien subsister de mon corps, mes funérailles ne seront ainsi à charge à personne.
4, 1-2
  • Il m’est bien plus glorieux de mourir pour le Christ Jésus que de régner jusqu’aux extrémités de la terre. C’est lui que je cherche, qui est mort pour nous ! C’est lui que je veux, qui est ressuscité pour nous ! Voici le moment où je vais être enfanté. De grâce, frères, épargnez-moi : ne m’empêchez pas de naître à la vie, ne cherchez pas ma mort… Laissez-moi arriver à la pure lumière : c’est alors que je serai vraiment homme. Permettez-moi d’imiter la passion de mon Dieu.
6
  • Mes passions terrestres ont été crucifiées, il n’existe plus en moi de feu pour la matière il n’y a plus qu’une eau vive qui murmure au-dedans de moi « Viens vers le Père ».
7
La lettre aux Romains est datée, Ignace veut annoncer son arrivée :
  • Je vous écris de Smyrne, par l’intermédiaire d’Éphésiens… Je vous écris le neuvième jour avant les calendes de septembre (= 24 août).
10
b) Les trois lettres écrites de Troas
5 - LA LETTRE AUX PHILADELPHIENS
Après avoir fait l’éloge de leur évêque, Ignace recommande aux Philadelphiens de fuir l’hérésie, il signale surtout celle des judaïsants, il exhorte à rechercher l’unité dans l’eucharistie et il demande d’envoyer un diacre comme délégué à Antioche.
Il est remarquable qu’Ignace, malgré la sévérité de sa mise en garde constante contre l’hérésie et les hérétiques, demeure profondément bienveillant pour les personnes dont il ne cesse d’espérer le retour à la vérité, à l’unité :
L’hérésie :
  • Abstenez-vous de ces plantes vénéneuses : Jésus-Christ ne les cultive pas parce qu’elles n’ont point été plantées par le Père… Tous ceux qui appartiennent à Dieu et à Jésus-Christ restent unis à l’évêque ; et tous ceux que le repentir ramène dans l’unité de l’Église appartiendront, eux aussi, à Dieu, pour vivre selon Jésus-Christ.
3, 1-2
La charité :
  • Serrez-vous les uns contre les autres dans l’indivisible unité de vos cœurs.
6, 2
Le repentir :
  • Dieu pardonne toujours au repentir pourvu que ce repentir ramène à l’union avec Dieu et à la communion avec l’évêque.
8, 1
Nous citons ci-après un passage important dont le sens est très discuté : il semble bien qu’il s’agit de répondre à ceux qui opposent l’autorité de l’Ancien Testament à celle de l’Évangile [14].
  • Je vous en prie, inspirez-vous toujours dans votre conduite, non de l’esprit de discorde, mais de la doctrine du Christ. J’ai entendu dire à certaines gens : « Ce que je ne trouve pas dans nos archives, je ne l’admets pas dans l’Évangile ». Et quand je leur disais : « Mais, c’est écrit », ils me répondaient : « Là est justement toute la question ». Mes archives à moi, c’est Jésus-Christ ; mes inviolables archives, c’est sa croix, sa mort, sa résurrection et la foi dont il est l’auteur. Voilà d’où j’attends, avec l’aide de vos prières, d’être justifié.
8, 2
Il n’y a d’ailleurs chez Ignace aucune opposition entre l’Ancien Testament et l’Évangile, c’est à plusieurs reprises qu’il parlera avec grand éloge des prophètes :
  • Tout cela [15] n’a qu’un but : notre union avec Dieu, mais il y a dans l’Évangile un trait tout particulier : c’est l’avènement du Sauveur, notre Seigneur Jésus-Christ, sa passion et sa résurrection. Car les bien-aimés prophètes n’avaient fait que l’annoncer, tandis que l’Évangile est la consommation de la vie éternelle.
9, 2
6 - LA LETTRE AUX SMYRNIOTES
Ignace met les Smyrniotes en garde contre l’hérésie du docétisme. Il leur recommande l’union à l’évêque et les prie d’envoyer un délégué à Antioche.
La lettre débute par un passage qui, lui aussi, est bien proche d’une profession de foi : voir chap. 1 et 2 (cf. Trall. 9).
Nouvelle mise en garde contre le docétisme :
  • Mon but est de vous mettre en garde contre les bêtes féroces à figure humaine, que non seulement vous ne devez pas accueillir, mais dont vous devez même, si c’est possible, éviter la rencontre, vous contentant de prier pour leur conversion, chose d’ailleurs bien difficile, mais possible pourtant à Jésus-Christ, notre véritable vie. Si c’est seulement en apparence que notre Seigneur a agi, ce n’est aussi qu’en apparence que je suis chargé de fers. Alors, pourquoi me suis-je voué à la mort, par le feu, le glaive, les bêtes ?… C’est pour m’associer à sa passion que j’endure tout et c’est lui qui m’en donne la force, lui qui s’est fait complètement homme.
4
Ignace souhaite que la pénitence ramène les infidèles
  • à la foi en la passion qui est notre résurrection.
5, 3
Nous citons le texte qui est le plus ancien exemple de l’emploi du mot Église catholique dans le sens d’Église universelle [16] :
  • Ne regardez comme valide que l’Eucharistie célébrée sous la présidence de l’évêque ou de son délégué. Partout où paraît l’évêque, que là aussi soit la communauté, de même que partout où est le Christ-Jésus, là est l’Église catholique.
8
Nous avons la preuve qu’Ignace dictait ses lettres, car il dit qu’il écrit aux Smyrniotes par la main de Burrhus (ch. 12).
7 - LA LETTRE A POLYCARPE
On a toujours remarqué que le ton de la lettre d’Ignace à Polycarpe, s’il est bienveillant certes, est aussi quelque peu protecteur : tout suggère que Polycarpe est plus jeune qu’Ignace et encore assez inexpérimenté.
L’évêque de Smyrne « est soumis lui-même à l’épiscopat de Dieu le Père et du Seigneur Jésus-Christ », il lui est dit « d’avancer avec plus d’ardeur dans sa course » et de demander « une sagesse plus grande que celle qu’il a » (ch. 1).
  • Prends soin de l’unité, le plus grand de tous les biens. Aide tous les autres, comme le Seigneur t’aide toi-même. Parle à chacun en particulier à l’exemple de Dieu. Quant aux choses invisibles, prie pour qu’elles te soient révélées, tu ne manqueras ainsi de rien et tu auras les dons spirituels en abondance.
2, 2
En faisant semblable recommandation à Polycarpe, Ignace nous livre un secret de son âme qui a la « révélation de l’invisible ».
  • Comme le pilote réclame les vents et comme l’homme livré à la tempête réclame le port, ainsi le moment présent te réclame pour te mener jusqu’à Dieu.
2, 3
  • J’offre pour toi ma vie et ces fers pour lesquels tu as montré tant de charité.
2, 3
  • Tiens ferme comme l’enclume sous le marteau. Un grand athlète triomphe malgré les coups qui le déchirent.
3, 1
Le texte cité ci-dessus est bien émouvant lorsqu’on le rapproche de la pensée du martyre de Polycarpe. On a d’ailleurs souvent souligné combien cette lettre d’Ignace convenait au futur martyr qui eut en une vision la « révélation de l’invisible », qui est loué pour sa piété solidement établie comme sur un roc inébranlable et qui est appelé à deux reprises un athlète (« Porte, en athlète accompli, les infirmités de tous » ch. 1).
A partir du ch. 6, la lettre s’adresse à tous :
  • Écoutez votre évêque pour que Dieu lui-même vous écoute… soyez les uns pour les autres indulgents et doux, comme Dieu l’est pour vous.
6
La lettre se termine en annonçant le départ précipité :
  • Je ne puis écrire à toutes les Églises car on nous fait embarquer précipitamment à Troas pour Néapolis, ainsi l’ordonne la volonté.
8, 1

4. La doctrine des lettres

Les lettres d’Ignace « ont une importance incalculable pour l’histoire du dogme » [17].
« Comme à ses grands docteurs, l’Église lui doit certains traits qui resteront acquis pour toujours : pour la doctrine de l’Incarnation et de la Rédemption, de l’Église ou de l’Eucharistie, Ignace a apporté à la construction du dogme catholique des pierres solides et bien appareillées qui resteront à la base de l’édifice » [18].
« Du IIe au IVe s., la langue théologique a changé, mais la pensée est la même » [19].
On voit suffisamment par ces trois citations l’importance doctrinale des lettres d’Ignace d’Antioche : elle est d’autant plus remarquable qu’il s’agit de lettres hâtivement rédigées et occasionnelles.
Nous allons rapidement dresser ci-après un relevé de quelques textes majeurs soulignant les sujets suivants :
  • Unité de Dieu et Trinité
  • Divinité de Jésus
  • Réalité de l’Incarnation
  • Rédemption
  • Eucharistie
  • Église
  • Virginité de Marie
Unité de Dieu
  • Magn. 8, 2 - Il n’y a qu’un Dieu qui s’est manifesté par Jésus-Christ, son Fils qui est son Verbe sorti du silence [20].
Trinité
  • Éph. 9, 1 - Vous êtes les pierres du temple du Père, destinées à l’édifice que construit Dieu le Père, élevées jusqu’au faîte par la machine de Jésus-Christ qui est sa croix, avec le Saint-Esprit pour câble [21].
Magn. 13, 1 - Ayez soin de vous tenir dans la foi et la charité avec le Fils, le Père et l’Esprit.
Magn. 13, 2 - Soyez soumis à l’évêque… comme les apôtres le furent au Christ, au Père et à l’Esprit [22].
Divinité de Jésus-Christ [23]
  • Éph. 1, 1 Après vous être retrempés dans le sang de Dieu…
Éph. 7, 2 Il n’y a qu’un seul médecin, à la fois chair et esprit, engendré et non engendré [24], Dieu fait chair, vraie vie au sein de la mort, né de Marie et de Dieu, d’abord passible et maintenant impassible, Jésus-Christ Notre-Seigneur.
Éph. 18, 2 - Notre Dieu Jésus-Christ a été selon le plan divin porté dans le sein de Marie, issu du sang de David et aussi du Saint-Esprit. Il est né et a été baptisé pour purifier l’eau par sa passion.
Magn. 6, 1 - Jésus-Christ qui était auprès du Père avant les siècles et qui s’est révélé à la fin des temps.
Rom. 3, 3 - Rien de ce qui est visible n’est bon. Même notre Dieu Jésus-Christ ne s’est jamais mieux manifesté que depuis qu’il est retourné au sein du Père.
Rom. 6, 3 - Permettez-moi d’imiter la passion de mon Dieu.
Réalité de l’Incarnation
On pourrait relever ici tous les textes qui visiblement s’opposent au docétisme. Rappelons la fervente exclamation :
  • Smyrn. 4, 1-2 - Il faut prier pour leur conversion (des docètes), chose bien difficile mais possible pourtant à Jésus-Christ, notre véritable vie. Si c’est seulement en apparence que Notre-Seigneur a agi, ce n’est aussi qu’en apparence que je suis chargé de fers. Alors pourquoi me suis-je voué à la mort, par le feu, le glaive, les bêtes ?.. C’est pour m’associer à sa passion que j’endure tout, et c’est lui qui m’en donne la force, lui qui s’est fait complètement homme.
Rédemption
Quelques textes cités à la suite l’un de l’autre prouveront l’insistance d’Ignace sur ce point :
  • Jésus-Christ est mort pour nous afin de vous préserver de la mort par la foi en sa mort (Trall., 2, 1). C’est pour notre salut qu’il a enduré toutes ces souffrances (Smyrn., 2, 1). Il est mort pour nous, ressuscité à cause de nous (Rom., 6, 1). Il a été réellement percé de clous pour nous en sa chair sous Ponce-Pilate et Hérode le Tétrarque ; c’est au fruit de sa croix, à sa sainte et divine passion que nous devons la vie (Smyrn, 1, 2). Ceux qui sont plantés par le Père sont des rejetons de la croix et leur fruit est incorruptible (Trall., 11, 2).
Le Christ révèle son Père
  • Rom. 8, 2 - Jésus-Christ, Lui, la bouche infaillible par laquelle le Père a vraiment parlé.
Le Christ, tête du corps de l’Église
  • Éph. 4, 2 - À vos bonnes œuvres, le Père vous reconnaîtra pour les membres de son Fils. Trall. 11, 2 - Par sa croix, dans sa passion, Jésus-Christ vous appelle à lui, vous qui êtes ses membres.
Eucharistie
  • Éph. 13, 1 - Ayez donc soin de tenir des réunions plus fréquentes pour offrir à Dieu votre Eucharistie et vos louanges. Éph. 20, 2 -… si le Seigneur me fait savoir que, chacun en particulier et tous ensemble… vous êtes unis de cœur dans une inébranlable soumission à l’évêque et au presbyterium, rompant tous un même pain, ce pain qui est un remède d’immortalité, un antidote destiné à nous préserver de la mort et à nous assurer pour toujours la vie en Jésus-Christ. Philad. 4 - Ayez donc soin de ne participer qu’à une seule Eucharistie. Il n’y a en effet qu’une seule chair de Notre Seigneur, une seule coupe pour nous unir dans son sang, un seul autel comme il n’y a qu’un seul évêque, entouré du presbyterium et des diacres, les associés de mon ministère. Smyrn. 7, 1 - Ils (les docètes) s’abstiennent de l’Eucharistie et de la prière parce qu’ils ne veulent pas reconnaître dans l’Eucharistie la chair de Jésus-Christ notre Sauveur, cette chair qui a souffert pour nos péchés et que le Père, dans sa bonté, a ressuscitée.
Église
Ignace a souvent nommé les trois degrés de la hiérarchie ecclésiastique :
  • Magn. 6, 1 - Je vous en conjure, accomplissez toutes vos actions dans cet esprit de concorde qui plaît à Dieu, sous la présidence de l’évêque qui tient la place de Dieu, des presbytres qui représentent le sénat des apôtres, des diacres, objets de ma particulière affection, chargés du service de Jésus-Christ qui était auprès du Père avant les siècles et qui s’est révélé à la fin des temps. Trall. 3 - Vous devez tous révérer les diacres comme Jésus-Christ lui-même, l’évêque comme l’image du Père, les presbytres comme le sénat de Dieu et le collège des Apôtres ; sans eux, il n’y a point d’Église.
Il ne cesse de recommander l’union à l’évêque
  • Philad. 7, 1 - Pendant mon séjour parmi vous, j’ai crié, j’ai dit bien haut d’une voix qui était la voix même de Dieu : Tenez-vous étroitement unis à votre évêque, au presbyterium et aux diacres… C’est l’Esprit qui disait bien haut : n’agissez jamais en dehors de votre évêque… aimez l’unité, fuyez les divisions.
Il voit l’Église dans son unité et dans sa catholicité, cette unité est à la fois intérieure et extérieure :
  • Magn. 13, 2 - Soyez soumis à l’évêque et les uns aux autres, comme Jésus-Christ dans sa chair le fut à son Père, et comme les Apôtres le furent au Christ, au Père et à l’Esprit, et qu’ainsi votre union soit à la fois extérieure et intérieure. Smym. 1, 2 - Par sa résurrection, il a levé son étendard sur les siècles pour grouper ses saints et ses fidèles, tant du sein du judaïsme que de celui de la gentilité en un seul et même corps qui est l’Église. Éph. 3, 2 - Les évêques établis jusqu’aux extrémités du monde ne sont qu’un avec l’Esprit de Jésus-Christ. Smyrn. 8, 2 - Là où paraît l’évêque, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Église catholique.
Virginité de Marie
  • Éph. 19, 2 - Le prince de ce monde n’eut connaissance ni de la virginité de Marie, ni de son enfantement, ni de la mort du Seigneur : trois mystères éclatants que Dieu opéra dans le silence. Éph. 7, 2 - Il n’y a qu’un seul médecin… né de Marie et de Dieu. Éph.18, 2 - Jésus-Christ a été selon le plan divin, porté dans le sein de Marie, issu du sang de David et aussi du Saint-Esprit…

CONCLUSION : L’ÂME D’IGNACE D’ANTIOCHE

Le nom d’Ignace, on le souligne volontiers, vient du mot latin : ignis, le feu. Une âme de feu, telle est bien l’âme passionnée de l’humble et mystique évêque d’Antioche, et sa passion suprême, c’est le Christ, c’est lui que cherche Ignace, « Lui qui est mort pour nous ; lui qui est ressuscité à cause de nous » [25].
Dans les lettres de saint Ignace d’Antioche, les pensées dominantes de saint Paul et de saint Jean fusionnent : union du Christ et de l’Église et vie dans le Christ. Le thème majeur qui les parcourt est celui de l’union : union à Dieu et au Christ, union à l’évêque et entre tous les chrétiens.
Cette intime union à son Dieu qui l’appelle est la source vive où Ignace puise le désir ardent et la force de l’imiter dans sa patience et jusque dans sa mort glorieuse. Mais c’est en pleine conscience de son absolue faiblesse que « dernier des fidèles d’Antioche » [26], il s’élance à la suite de son Maître : « Pour s’associer à sa passion, il endure tout » mais - il le sait et le proclame -, seul « lui en donne la force celui qui s’est fait parfaitement homme » [27].
Dans une foi ferme, animée d’espérance et d’amour, Ignace contemple son « Sauveur » [28] « né de Marie et de Dieu » [29], « l’invisible qui à cause de nous s’est rendu visible » [30], et cette foi le mène à l’imitation du Christ.
Par cette imitation, et comme d’étape en étape, tel le prisonnier mené d’Antioche à Rome, l’humble disciple sera mené à la plus haute contemplation : c’est ce que met si bien en valeur le beau tropaire de la liturgie byzantine [31] :
  • Émule des apôtres dans leur vie, leur successeur sur leurs trônes, tu as trouvé dans la pratique des vertus, ô inspiré de Dieu, la voie qui mène à la contemplation. Aussi, dispensant fidèlement la parole de vérité, tu as lutté pour la foi jusqu’au sang, ô Pontife martyr Ignace. Prie le Christ-Dieu de sauver nos âmes.

APPENDICE

1. Ignace d’Antioche : emprunts johanniques

d’après M.J. Lagrange, Évangile selon S. Jean, Paris, 1925, p. XXVI.
JEAN
IGNACE
Le vent souffle où il veut, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. 3, 8
On ne trompe pas l’Esprit, car il vient de Dieu, il sait d’où il vient et où il va, il pénètre les secrets les plus cachés. Ph. 7, 1
Le Fils ne peut rien faire de lui-même rien qu’il ne voit faire au Père. 5, 19 Le Père qui demeure en moi, accomplit les œuvres. 14, 10 En dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. 15, 5
De même que le Seigneur, soit par lui-même, soit par ses apôtres, n’a rien fait sans le Père avec lequel il n’est qu’un, vous non plus, en dehors de l’évêque et des presbytres. Magn. 8, 1
Travaillez, non pour la nourriture périssable. 6, 27 Car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel. 6, 33 Qui mange ma chair et boit mon sang. 6, 54
Je ne prends plus plaisir à la nourriture corruptible ce que je veux, c’est le pain de Dieu, ce pain qui est la chair de J.C., le Fils de David, et pour breuvage je veux son sang qui est l’amour incorruptible. Rom. 7, 3
J’ai manifesté ton nom… 17, 6 Le Verbe. 1, 1 Le Fils unique, lui, l’a fait connaître. 1, 18 Celui qui m’a envoyé est avec moi… Je fais toujours ce qui lui plaît. 8, 29
Il n’y a qu’un Dieu et ce Dieu s’est manifesté par J.C., son Fils, qui est son Verbe sorti du silence, celui qui accomplit fidèlement les volontés de celui qui l’a envoyé. Magn. 8, 2
… Pour qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux et toi en moi, pour qu’ils soient parfaitement un. 17, 22
Quel n’est pas votre bonheur à vous qui lui (Le. à l’évêque) êtes étroitement unis, comme 1’Eglise l’est à J.C. et J.C.à son Père, dans l’harmonie de l’universelle unité. Éph. 5, 1
Et le pain que moi je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde 6, 51 Si vous ne mangez la chair du Fils de l’Homme… vous n’aurez pas la vie en vous. 6, 53 Qui mange ma chair, je le ressusciterai. 6, 54
Ils s’abstiennent de l’Eucharistie et de la prière, parce qu’ils ne veulent pas reconnaître dans l’Eucharistie la chair de J.C. notre Sauveur… Cette chair qui a souffert pour nos péchés… ceux qui le nient n’ont pas la vie. Ils feraient mieux de pratiquer la charité (agapè) pour avoir part à la résurrection. Smyrn. 7, 1

2. Lettre aux Romains, 7, 2

Le sens des mots : « Eau vive »
  • Mes passions terrestres ont été crucifiées et il n’existe plus en moi de feu pour la matière, il n’y a qu’une eau vive (Jn 4, 10 & 7, 38) qui murmure au-dedans de moi : « Viens vers le Père ».
Si, comme semble l’indiquer, la dépendance des lettres d’Ignace par rapport à la doctrine johannique, les mots « eau vive » sont empruntés au vocabulaire de Jean (Cf. aussi Za 14, 8 et Jr 2, 3), le sens en est certainement, selon saint Jean lui-même, l’Esprit Saint ; dès lors, la beauté de l’expression se revêt d’une forme doctrinale très importante.
  • Or le dernier jour, le plus solennel de la fête, Jésus se tenait debout et il s’écria : « Si quelqu’un a soif qu’il vienne vers moi et qu’il boive, celui qui croit en moi. Comme a dit l’Ecriture : des fleuves d’eau vive couleront de son sein ». Il dit cela de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui ; car il n’y avait pas encore d’Esprit, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié.
Jn 7, 37-39
À l’appui de cette hypothèse, nous citons deux textes de saint Irénée qui, au second siècle, désigne certainement l’Esprit Saint par l’eau vive.
  • L’Esprit ramène à l’Unité les races éloignées, il offre au Père les prémices des nations. Le Seigneur nous a promis le Paraclet pour nous adapter à Dieu : comme la farine sèche ne peut, sans eau, devenir une seule pâte, un seul pain, ainsi, nous tous, nous ne pouvions non plus devenir un dans le Christ Jésus, sans l’eau qui vient du ciel. La terre aride, si elle ne reçoit l’eau, ne fructifie point, ainsi nous-mêmes qui étions d’abord du bois sec, nous n’aurions jamais porté de fruits de vie sans cette eau, pluie librement donnée d’en haut. Dans le baptême, nos corps, par le bain de l’eau, ont reçu l’Unité qui les rend incorruptibles, et nos âmes la reçoivent par l’Esprit. La Samaritaine avait forniqué en des noces multiples, Notre-Seigneur lui a montré et Il lui a promis l’Eau vive. Désormais elle aura en elle le breuvage qui jaillit pour la vie éternelle, ce breuvage que le Seigneur Jésus a reçu en don du Père et qu’il a donné lui aussi, à ceux qui participent de lui, en envoyant son Esprit Saint sur la terre entière.
Irénée, Adv. Haer., II, 17, 2.
  • … ceux qui ne participent pas à l’Esprit ne puisent pas au sein de leur Mère (I’Eglise) la nourriture de Vie ; ils ne reçoivent rien de la source très pure qui coule du corps du Christ.
Irénée, Adv. Haer., III, 24, 1.

3. Lettre aux Philadelphiens, 6, 1

Le sens de l’Ancien Testament
  • Si quelqu’un vous interprète les prophètes dans le sens du judaïsme, ne l’écoutez pas : mieux vaut entendre le christianisme prêché par un circoncis, que le judaïsme par un incirconcis. S’ils ne vous parlent ni l’un ni l’autre de Jésus-Christ, ils ne sont à mes yeux que des cippes funéraires et des tombeaux sur lesquels ne sont inscrits que des noms d’hommes.
Il nous semble ne pouvoir mieux commenter ce passage très important d’Ignace d’Antioche qu’en citant le Père Durwell [32] : « Pour faire un juste départ dans l’interprétation des textes messianiques et donner son dû à chacun des deux peuples, il faut les entendre successivement en un sens « charnel » et en un sens « spirituel » ; il faut accorder à l’économie ancienne le bénéfice des promesses terrestres, puis faire mourir ces textes à leur signification charnelle, les ensevelissant avec le Christ pour les ressusciter avec lui dans l’Esprit et les donner ainsi à l’Église ».
« Il ne faut cependant pas soumettre ces prophéties à une désincarnation, mais à une résurrection corporelle spiritualisante. »

4. Lettre aux Éphésiens, 18, 2

Le baptême du Christ
  • Notre Dieu, Jésus-Christ… a été baptisé pour purifier l’eau par sa passion.
Il ne nous est pas habituel de voir dans la scène du baptême du Christ une anticipation, une préfiguration de la Passion et du baptême chrétien en tant qu’il nous plonge dans cette Passion rédemptrice. Or, seule cette perspective explique ce texte d’Ignace d’Antioche. Nous citons une nouvelle fois le Père Durwell qui explicite ce point de vue : « Deux logia de Jésus (Mc 10, 38 ; Lc 12, 50) relient l’idée de baptême à celle de la passion et posent pour les synoptiques le problème des relations du baptême à la mort et à la résurrection.
Une tradition très ancienne se prévaut par contre du récit des synoptiques, pour placer, dans le baptême de Jésus au Jourdain, l’institution du baptême chrétien et en faire le prototype, au détriment de la doctrine baptismale de saint Paul et des relations du sacrement avec la mort et la résurrection.
Le baptême de Jésus est une préfiguration du rite chrétien, mais loin de revendiquer pour lui l’institution du baptême aux dépens de la mort et de la résurrection, il est lui-même dans la pensée de Jésus et selon la comparaison des faits, tourné vers l’acte rédempteur et expliqué par lui.
La théophanie du Jourdain marque l’inauguration de la vie publique du Christ. Dieu accrédite Jésus de Nazareth : la voix d’en haut le manifeste comme le Fils ; la présence de l’Esprit révèle en lui le Messie, l’Oint de Yahvé sur lequel repose la force divine. Sous l’impulsion de l’Esprit, pareil aux héros des anciens temps, Jésus entre dans sa carrière (Lc 4, 1.14).
Telle est la portée de l’apparition divine. Mais, pris dans son ensemble, le sens du baptême de Jésus déborde en une signification plus complexe.
Quand le Baptiste se voit pour la première fois, en présence de celui dont il avait contemplé la terrible grandeur (Mt 3, 11), il s’écrie : « C’est à moi d’être baptisé par toi, et tu viens à moi » ? Jésus répond : « Laisse-moi faire en ce moment, car c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice » (Mt 3, 14 s.). Quel est ce devoir imposé à tous deux ? Jean est le héraut qui ouvre la voie, l’ami qui introduit. Pour lui, la justice à parfaire, c’est le chemin à frayer, le grand ami à introduire. Pour Jésus, c’est d’être le sauveur du peuple pécheur (Mt 1, 21 et Lc 1, 77). En cette rencontre, Jean atteint au sommet de sa mission, il introduit le Christ dans son œuvre rédemptrice. Et Jésus s’y engage. Le baptême est le prélude de la rédemption, là est son mystère.
Ce prélude est significatif en même temps que réel, l’acte rédempteur s’y reflète tout entier et s’y trouve inauguré. Jésus devait se ranger parmi les pécheurs et se soumettre au « baptême dans la pénitence ». Plus tard, il aura à subir un autre baptême : « J’ai à recevoir un baptême » (Lc 12, 50). « Êtes-vous capables de recevoir le baptême que je vais recevoir ? » (Mc 10, 38). L’immersion dans les eaux de la pénitence anticipait et figurait le bain de sang et d’angoisse. A l’abaissement momentané répond aussitôt la glorification : « Dès qu’il fut baptisé, Jésus remonta de l’eau. » Et voici que le ciel s’ouvrit à lui et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venant sur lui. Et une voix du ciel disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je prends mes complaisances » (Mt 3, 16 ; Mc 1, 10 s.). Jésus sort des eaux du Jourdain comme plus tard il ressuscitera dans la gloire de l’Esprit, dans la manifestation de la divine filiation ; déjà s’annonce la création nouvelle qui se réalisera dans la résurrection
Le baptême d’eau auquel Jésus doit se soumettre se relie donc au devoir essentiel, celui de la mort et de la résurrection : du geste rédempteur, il est une première esquisse. Depuis lors, Jean-Baptiste, qui ne l’avait pas connu (Jn 1, 33) sinon comme un juge redoutable, l’appelle « l’Agneau de Dieu, celui qui ôte les péchés du monde » (Jn 1, 29). Par ailleurs, cette anticipation du drame rédempteur est réalisée par un rite d’eau : Jésus expérimente sa mort et sa résurrection par l’immersion et l’émersion baptismales.
La doctrine baptismale des synoptiques est donc pleine de suggestions. Le baptême chrétien se relie à la grandiose promesse des prophètes et du précurseur, au baptême eschatologique dans l’Esprit dont naîtra le peuple messianique. La théologie ultérieure rattachera cette effusion de l’Esprit à la glorification de Jésus. Mais déjà le récit du baptême de Jésus évoque tout le drame rédempteur et permet aux chrétiens de voir dans le sacrement de l’eau une extension sur eux de l’événement eschatologique, de la mort et de la Résurrection » [33].
Quelques témoignages des Pères
  • Jean baptise, Jésus s’approche… pour ensevelir dans l’eau tout le vieil Adam.
Saint Grégoire de Nazianze, Or. 39, In sancta lumina, 25.
  • Tu verras Jésus se purifiant dans le Jourdain pour une purification, ou plutôt (car il n’avait pas besoin d’être purifié, lui qui ôte les péchés du monde), purifiant les eaux par sa purification…
Saint Grégoire de Nazianze, Or. 38, In Theophania, 16.
  • Le Seigneur a donc été baptisé ; il voulait non pas être purifié, mais purifier les eaux, afin que lavées par la chair du Christ qui n’a pas commis le péché, elles eussent le pouvoir de baptiser. Ainsi quiconque vient au baptême du Christ y laisse ses péchés.
Saint Ambroise, Traité sur l’Évangile de saint Luc, II, 83
  • Pour nous le Christ s’est lavé, ou mieux, il nous a lavés dans son corps. Seul il s’est plongé, mais il a relevé le monde entier.
Saint Ambroise, Traité sur l’Évangile de saint Luc, II, 91
  • Jésus est baptisé, bénissant les eaux et les purifiant pour nous…
Saint Cyrille d’Alexandrie, Comm. in Luc, 3, 21
L’iconographie orientale illustre au mieux cette doctrine.
Sources :
Soeur Gabriel Peters, Lire les Pères de l’Église. Cours de patrologie, DDB, 1981.
Avec l’aimable autorisation des Éditions Migne.
[1Lire dans les Actes des apôtres, ch. 11, le récit de la fondation de l’Église d’Antioche.
[2Nous avons adopté le texte des anciennes versions : parole… voix. Si nous le signalons, c’est parce que ce texte est discuté.
[3Il faudrait oser traduire « sous son épiscopat » car le rapprochement est certainement voulu par Ignace : le Père de Jésus-Christ est « l’évêque universel » (Magn., 3, 1). Le mot grec episcopos signifie surveillant.
[4Selon l’accentuation du mot grec, Théophore signifie qui porte Dieu ou porté par Dieu. C’est la première signification qui est celle d’Ignace Théophore. La liturgie des Églises d’Orient fête saint Ignace Théophore le 20 décembre et a choisi comme évangile : Mc 9, 33-4 1.
[5La fête de saint Ignace qui se célébrait le 1er février dans la liturgie latine, est désormais fixée plus justement au 17 octobre.
[6Voir Lelong, Les Pères apostoliques, III, Paris, 1927, Introduction.
[7Voir Renan, Les Évangiles, 1877, Préface, p. XVII. Renan n’acceptait l’authenticité que de la seule lettre aux Romains, reconnaissant cependant que de « fortes présomptions » existaient en faveur de l’authenticité. En effet, Lucien de Samosate, un rhéteur anti-chrétien, vers 165-170, fait dans son œuvre des emprunts évidents aux lettres d’Ignace.
[8Voir Lelong, Les Pères apostoliques, III, Paris, 1927, Introduction.
[9Dictionnaire des Connaissances religieuses, Bricout, art. « Ignace d’Antioche », par Tixeront.
[10C’est ici le premier emploi connu de ce mot. Le terme « chrétien » est fréquent chez Ignace. D’après les Ac 11, 26, c’est à Antioche que fut employé la première fois le nom de « chrétien ».
[11Voir au chapitre I de ce cours, les textes patristiques.
[12D’après Th. Camelot, Ignace d’Antioche, Paris, 1944, SC N° 10, p. 120, note 1, « A notre connaissance », dit Camelot.
[13La mosaïque de l’abside de l’église de saint Clément à Rome est une illustration de ce thème.
[14Ignace parle plusieurs fois de l’Évangile. Certains veulent y voir une mention des écrits évangéliques. Il n’est pas douteux que ces écrits circulaient déjà, mais il est plus probable qu’Ignace parle de la doctrine du Seigneur. On sait que le canon des Écritures ne sera défini qu’au Concile de Trente (en 1546) qui sanctionnait ainsi un très long usage. Vers 130 déjà, le canon comprenant les quatre Évangiles et le recueil des épîtres de saint Paul est constitué en fait. Le Canon de Muratori est la plus ancienne liste qui soit parvenue jusqu’à nous (fin du second siècle). Ces listes, collections d’écrits dits inspirés, ne seront pas partout identiques durant les premiers siècles. Plus haut déjà, dans la même lettre, Ignace disait : « Mon refuge, c’est l’Évangile qui est pour moi Jésus lui-même en chair, et les Apôtres qui sont à mes yeux le presbyterium de l’Église. Aimons de même les prophètes, car eux aussi c’est l’Évangile qu’ils avaient en vue dans leurs prophéties ; c’est le Christ qui faisait l’objet de leur espérance et de leur attente… » Phil., 5, 1 et 2. - Cf. Saint Jérôme, Ad psalm. 147 : Ego corpus Jesu evangelium puto, sanctas scripturas puto doctrinam ejus. « L’Évangile, d’après ma pensée, c’est le corps de Jésus, les saintes Écritures sont sa doctrine ».
[15Tout cela = l’Ancien Testament.
[16Dans le Martyre de S. Polycarpe, ce mot employé encore, prendra sa seconde acception : Église orthodoxe (par opposition aux sectes hérétiques ou schismatiques).
[17Cf. J. Quasten, Initiation aux Pères de l’Église, Paris 1955, 1, p.76.
[18Cf. Th. Camelot, Ignace d’Antioche, Paris 1958, SC N° 10, p. 58.
[19Cf. J. Lebreton, Histoire du dogme de la Trinité, Paris 1928, tome 2 p. 311.
[20Ce texte fameux a été rétabli ainsi par Lightfoot sur l’autorité de la version arménienne et d’une citation de Sévère d’Antioche. D’autres témoins du texte portent « qui est son Verbe non sorti du silence » : ce texte serait alors postérieur au gnosticisme valentinien (vers 140-160) qui disait que le Verbe était émané de la Vérité procédant du Silence.
[21Ceci est l’exemple le plus frappant du style parfois étrange d’Ignace.
[22Remarquez que dans ces deux derniers textes, Ignace place le Christ en premier lieu.
[23Les textes sont extrêmement nombreux, on en trouvera la liste exhaustive dans J. Lebreton, Histoire du dogme de la Trinité, Paris 1928, tome 2, p. 297-298.
[24Ce texte a fait couler des flots d’encre. Pour étudier de plus près sa portée théologique, on pourra se reporter à J. Lebreton, op. cit., 11, p.314 et p. 635-647. Qu’il suffise ici de souligner que le vocabulaire théologique - genitum non factum - tel qu’il se fixera au Concile de Nicée (325) n’a pas encore cette précision au début du second siècle. Saint Athanase, qui a pris une telle part à l’élaboration de ce vocabulaire, reconnaît, en s’y arrêtant, la parfaite orthodoxie du texte de S. Ignace : le sens qu’Ignace a en vue, nous dit-il, n’est pas celui-ci : « qui n’a aucune cause, aucun principe », mais bien celui-ci : « non fait, non créé, éternel ». Emprunté à la langue philosophique grecque, le terme inengendré d’Ignace se rapporte à l’essence divine, sans envisager le mystère de la génération du Verbe procédant du Père.
[25Rom., 6.
[26Éph., 21.
[27Smyrn., 4. Ce serait fausser les perspectives que de voir en Ignace un surhomme ou même un modèle inimitable. N’ira-t-il pas jusqu’à avouer qu’il se sent capable de reculer à l’heure de l’épreuve : « Si, quand je serai parmi vous, il m’arrive de vous supplier, ne m’écoutez pas. Faites plutôt ce que je vous écris aujourd’hui, car c’est en pleine vie que je vous exprime mon ardent désir de la mort » (Rom., 7, 2). Ce désir naît en lui de la voix de Dieu qui l’appelle : « Si quelqu’un possède Dieu dans son cœur, que celui-là comprenne mes désirs et qu’il compatisse, puisqu’il la connaît, à l’angoisse qui me serre ». « Une eau vive murmure au-dedans de moi : viens vers le Père » (Rom., 5-6).
[28Éph., 1 et Magn., adresse.
[29Éph., 7.
[30Polyc., 3.
[31Au 20 décembre, mémoire du saint martyr Ignace le Théophore. Remarquez aussi le choix de l’Évangile. Il fait allusion à la touchante légende qui veut que l’humble « Théophore » ait été ce petit enfant porté et embrassé par Jésus : Mc 9, 33-41 « Puis, prenant un petit enfant, il le plaça au milieu d’eux et, l’ayant embrassé, il leur dit… ».
[32Cf. F.X. Durwell, La Résurrection de Jésus, Mystère de salut, Paris 1950, p. 237 et note 82.
[33Cf. F.X. Durwell, op. cit., p. 363 à 365.

Menu de la section

Rechercher sur le site
Les mots-clés

Navigation secondaire

À l’écoute des Pères
L’amour que Dieu répand dans nos cœurs n’est pas celui dont il nous aime, mais celui par lequel il nous donne la grâce de l’aimer.
Augustin d’Hippone

Aucun commentaire: