lundi 7 novembre 2016

d'un ami religieux, prêtre venant d'arriver en Irak, ministère de quelques années pas loin de Mossoul, je reçois ceci.




Depuis mon arrivée en septembre, j'ai commencé plusieurs fois un mot, jamais terminé, toujours trop personnel, souvent sans recul, parfois l'orgueil m'empêchant d'oser dire que certains soirs, c'est dur, c’est solitaire.
Plus je remets le moment de me mettre à écrire, plus j'ai l'illusion que je vais pouvoir mieux dire demain et cette procrastination devient silence.

Et puis ce soir comme tous les vendredis (et parfois d'autres jours en semaine) je suis allé dire la messe dans la petite base française. C'est pour moi une vraie joie : rencontrer des gens nouveaux, hommes de troupe et officiers, célébrer en français, et surtout  prêcher. Ça se termine souvent par une bière à la popote du camp. Petit à petit des liens se tissent, fragiles, pudiques et vrais.

Ce soir, avant le début de la messe, alors qu'on attendait encore quelques participants, un militaire s'est avancé et m'a tendu une boite en carton de ration de combat individuelle réchauffable disant qu'au nom de tous il me faisait un cadeau. Quelle n' pas été mon émotion d'ouvrir et de trouver ce crucifix cassé ramassé dans l'église du village de Bartallah. Bartallah village à une vingtaine de km à l’est de Mossoul a été libéré fin octobre. Daesh en quittant les villages a souvent partiellement incendié les églises (où depuis leur arrivée les crucifix avaient été cassés, jetés à terre, détruits). Saccager les lieux religieux et les maisons qu’avaient dû fuir les chrétiens par haine de l’autre. Mais on ne détruit pas le Christ même si certains gestes auraient cru pouvoir l'anéantir.
On pourrait faire des discours sur la profanation au risque d'attiser les haines. Cela serait vain, déplacé et probablement inutile.

Je suis surtout bouleversé par ce bout de crucifix (ce n'est qu'un morceau de fonte) i est le Christ tout entier. Je repense à cette femme syro-phénicienne, une "vraie" païenne, dans l'évangile de Marc  (Mc 7, 24-30) qui vient supplier Jésus de guérir sa fille et se voit rabrouer : "il n'est pas bon de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiots" et cette mère de répondre " les chiots sous la table mangent bien les miettes des petits enfants." Jésus émerveillé dit alors " "A cause de cette parole, le mal est sorti de ta fille" 
Les miettes tombées sous la table ne sont pas un petit bout de la miséricorde du Christ, elles sont TOUTE sa miséricorde. 
Ce morceau de crucifix est TOUT le Christ qui souffre en Irak (et il souffre pour tous, pas que pour les chrétiens)
Ce bout de crucifix jeté à terre, abandonné comme mort, tombé comme une miette à laquelle on n'attache plus d'importance, n'est que la croix. Jésus, Lui va ressusciter, et j'espère l'Irak avec lui, TOUT l'Irak.

Et je pense aussi à Paul dans la 2 ème aux corinthiens et à cette splendide phrase si souvent dite lors de la célébration de sacrement des malades : ma puissance s'accomplit dans la faiblesse. 

Priez pour que la Paix trouve une place dans le cœur de tous.
Priez pour que les faiblesses des uns et des autres deviennent une force de Résurrection.

Merci

Emmanuel

Devant tous les reportages des média européens, beaucoup s’inquiètent pour moi. Soyez rassurés, Ankawa, faubourg chrétien d’Erbil où nous habitons semble mener une vie calme de bourgade de province. Quelques « réfugiés » ont pu aller passer quelques heures dans des villages libérés. Partout mêmes images de dévastation et de désolation. Des photos des maisons des uns et des autres circulent et s’échangent. Cela entretient évidemment de très fors ressentiments. Tout à l’heure on m’a montré une courte vidéo d’un village qui vient d’être libéré. Les femmes, jeunes et agées, se débarassent avec rage des voiles qu’on devait les forcer à porter et les jettent sur les barbelés qui entourent le village !

La vraie reconstruction de l’Irak, en dehors de toutes les tractations politiques ou économiques va devoir se faire dans les cœurs. Pour cela il n’y a pas de subventions internationales. Il  reste la prière, encore la prière et la conviction que chacun doit être artisan de paix. 

Aucun commentaire: