dimanche 28 mai 2017

la gloire au sens théologique


 

j.leveque-ocd.pagesperso – orange.fr/doxa.htm

interrogé via google – soir du dimanche 28 mai 2017

La gloire du Fils dans l'Évangile de Jean


  Souvent l'Écriture évoque la gloire de Dieu ou la gloire du Christ, et la notion de gloire nous semble tellement familière que nous oublions parfois de nous interroger sur son véritable contenu théologique.
Dans le langage courant, la gloire est "une grande renommée, tenant à des mérites, des actions ou des œuvres jugés remarquables" 1 . Mais, appliquée à Dieu, cette définition de la gloire nous semble tout de suite insuffisante, car la gloire de Dieu est bien autre chose que son renom, même universel. La langue littéraire connaît un autre sens, que l'on retrouve sous-jacent à de nombreux textes bibliques : la gloire est "l'éclat prestigieux dont la grandeur est environnée" 2, d'où les sens, fréquents dans la littérature religieuse : la gloire comme "splendeur des manifestations divines", ou encore comme "béatitude des élus" 3.
Ces diverses nuances que nous pouvons distinguer à partir des données de la culture contemporaine sont toutes nécessaires au lecteur de la Bible ; mais ce dernier, pour entrer vraiment dans les textes et pour vivre de la Parole, sent le besoin d'élaborer pour elle-même la notion biblique de gloire.

Nous amorcerons ce travail par une enquête en trois étapes : - nous préciserons d'abord rapidement le champ sémantique couvert par la notion hébraïque de kābōd et les valeurs nouvelles induites par la traduction grecque doxa, adoptée massivement par la Septante;  - puis nous étudierons les emplois du mot gloire dans l'Évangile de Jean, spécialement quand il s'agit de la gloire de Jésus, - pour terminer par les emplois du verbe glorifier, dans ce même Évangile de Jean.
Enquête partielle par conséquent ; enquête modeste, mais qui suffira à mettre en alerte notre intelligence pour mieux éveiller notre cœur au mustèrion, au plan d'amour de Dieu,  longtemps caché et maintenant dévoilé dans le Christ 4 .

Données sémantiques  


Commençons donc par quelques remarques linguistiques. Le mot hébreu que nous traduisons par gloire, kābōd, vient d'une racine dont le sens fondamental est "être lourd".
Le mot kābōd retient rarement le sens de "poids matériel, pesanteur" (ex. Is 22,24, déjà au figuré); mais la plupart de ses significations ne font que transposer la notion de poids à divers niveaux de l'existence humaine. De la notion de poids on passe immédiatement à celle d'importance ou de valeur:
- importance ou valeur économique : le kābōd d'un homme peut être sa fortune, ses possessions, son patrimoine, sa richesse ;
- importance ou valeur sociale ou relationnelle : en ce sens, le kābōd d'un homme peut être son crédit, son prestige, son influence, le "poids" de son autorité, ou encore son renom, sa célébrité, sa réputation, sa notabilité, l'honneur ou l'estime qu'il s'attire ou qu'on lui accorde ;
- valeur esthétique : kābōd peut signifier alors la prestance, la magnificence la splendeur ou l'éclat, d'où l'on glisse vers l'idée de somptuosité, de pompe ou de faste..
Bien évidemment ces diverses nuances de signification peuvent confluer, tout comme dans nos langues, sur un même personnage. Ainsi le kābōd de Joseph en Egypte (Gn 45,13) renvoie en même temps à sa richesse, à son prestige et à son autorité. Et cela vaut également lorsque la Bible parle du kābōd, non pas d'un homme, mais d'une nation, d'une institution ou de tout autre chose, par exemple lorsqu'il est question de la gloire du Liban, d'Israël, de Sion, du Temple (Ag 2,5.7.9), de la forêt (Is 10,18) ou d'un arbre (Ez 31,18). À plus forte raison le mot kābōd est-il surdéterminé quand il reçoit une charge théologique, par exemple lorsque Yahweh dit "ma gloire", ou lorsque des psalmistes ou des prophètes disent "Ta gloire, Sa gloire", et surtout dans les nombreux textes où "gloire de Yahweh" devient une expression technique et désigne, non pas seulement un attribut de Dieu, mais Dieu lui-même en tant qu'il se manifeste aux hommes.
Employé à propos de Dieu, le mot kābōd suggère à la fois plusieurs aspects de son mystère, sans chercher à l'épuiser. La gloire de Dieu, c'est, tout à la fois, la densité de sa vie et de sa présence, l'éclat de ses manifestations, le rayonnement saisissant de sa beauté et de sa sainteté, la majesté et la puissance de son action dans 1a nature et dans l'histoire.
Lorsque les Juifs d'Alexandrie, aux IIIe et IIe siècles avant notre ère, ont traduit en grec la plupart des livres de la Bible hébraïque, ils ont rendu constamment le mot hébreu kābōd par le grec doxa. Ce choix est surprenant, car dans la langue grecque classique, le premier sens de doxa était "opinion, jugement, avis, sentiment", ou encore "croyance, doctrine". La doxa, ce pouvait être aussi une bonne ou une mauvaise opinion sur quelqu'un, ou encore la réputation de quelqu'un auprès des autres, éventuellement la gloire, mais toujours au sens de renommée.
Voilà donc une première différence, de grande portée : alors qu'en hébreu la gloire est avant tout une réalité objective, ce que "pèse" une personne dans l'existence, le poids de richesses, d'autorité ou d'influence qu'elle représente, la doxa grecque, au sens de renommée, n'est jamais qu'un reflet dans l'appréciation des autres.
Une autre différence saute aux yeux, c'est 1a relative étroitesse du champ sémantique occupé par doxa, surtout en regard de la polyvalence de l'hébreu kābōd. Après avoir jeté leur dévolu sur le mot grec doxa, les traducteurs juifs l'ont remodelé à leur guise jusqu'à le rendre partiellement méconnaissable; ce qui représente une mutation linguistique assez rare à ce degré. On peut résumer tout le processus en une phrase : ils ont gardé pour doxa toutes les significations et rien que les significations du mot hébreu kābōd . 1) la vieille signification grecque doxa ="opinion" a complètement disparu ; 2) le sens connu en grec: doxa =  "renommée, honneur" est gardé, puisque existant également pour l'hébreu kābōd ; 3) apparaissent, pour doxa, des sens totalement nouveaux, et que l'on ne décèle que chez Josèphe et Philon; par exemple : éclat, majesté, splendeur lumineuse et céleste, sublimité de Dieu.
À quelques nuances près, c'est encore ainsi que le mot doxa se présente dans le Nouveau Testament ; et pour comprendre, en particulier, les usages johanniques de ce mot, il faut garder en mémoire la densité théologique que lui a conférée la Septante.


La gloire: un mot-clef du quatrième évangile



Comment l'Évangile de Jean emploie-t-il le mot doxa? C'est la question qui va orienter toute la deuxième partie de notre recherche.

La gloire de Dieu


À plusieurs reprises le quatrième évangile emploie le mot doxa au sujet de Dieu. Tout d'abord dans le texte, marginal pour notre propos, de Jn 9,24, où les Pharisiens interpellent l'aveugle-né guéri par Jésus, en lui disant :"Rends gloire à Dieu!", formule par laquelle, en contexte juridique 5, on adjurait quelqu'un de dire la vérité ou de confesser sa faute (Jos 7,19 ; 1 S 6,5 ; 2 Ch 30,8 (LXX); Esd 10,11; 3 Esd 9,8). Plus loin, en 11,4a, à la nouvelle de la maladie de Lazare, Jésus réagit en disant :" Cette maladie n'aboutira pas à la mort, mais elle est pour la gloire de Dieu", sous-entendu : à cause du miracle dont elle va être l'occasion, et que le Fils de Dieu va accomplir par la force que le Père lui donne (v.4b ; cf. 5,21-23 ; 7,18 ; 8,54 ; 9,3). La même idée revient, en fin de chapitre (11,40), lorsque Jésus dit à Marthe :"Ne t'ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu?". Là encore il s'agit de la puissance de Dieu qui va se manifester dans un "signe" de Jésus.
Ailleurs Jésus oppose 1a gloire (qui vient) des hommes à la gloire (qui vient) de Dieu . C'est le cas en 12,43 à propos des chefs qui croyaient en Jésus, mais n'osaient l'avouer, de peur d'être exclus de la synagogue. Pour Jésus, toute doxa venant des hommes est d'avance disqualifiée. Seule mérite ce nom et doit être "cherchée" 6 la gloire qui vient du Dieu unique (5,44). La doxa que les hommes "reçoivent" les uns des autres empêche de croire (5,44a), parce qu'elle fixe la personne sur l'image d'elle-même; la foi, au contraire, décentre l'homme de lui-même et lui fait tout attendre de Dieu :"Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez gloire les uns des autres, alors que la gloire (qui vient) du Dieu unique 7, vous ne la cherchez pas?". La seule gloire que l'on puisse chercher pour soi est celle dont Dieu est la source.
Toutefois, renoncer à recevoir des autres une fausse gloire n'est encore que le premier pas de la conversion proposée par Jésus; car l'attitude fondamentale dont il donne l'exemple consiste à ne pas chercher du tout sa propre gloire, mais uniquement la doxa de Dieu qui envoie ses témoins (7,18). Et ce dépouillement est libération, car il détourne l'homme de faire fond sur sa propre parole: aucune parole venant de lui-même ne saurait construire sa propre gloire. "Celui qui parle de son propre chef cherche sa gloire à lui" (7,18a); il la cherche, mais il se leurre, car la gloire pour l'homme est toujours don de Dieu. Celui, au contraire, qui consacre tout son dynamisme à la gloire du Dieu de la mission, celui-là s'établit dans la vérité ; sa parole d'envoyé n'interfère plus avec la parole de Dieu, et rien en lui ne fait écran ni obstacle à la volonté de Dieu qui sauve :" celui qui cherche la gloire de Celui qui l'a envoyé, celui-là est vrai, et il n'y a pas en lui d'injustice".

L'étude de ces quelques passages où Jésus parle de la gloire de Dieu et de la fausse gloire de l'homme nous amène à pied d'œuvre pour approfondir les textes où il est question spécifiquement de la gloire de Jésus. Nous envisagerons d'abord les versets où l'évangéliste nous fait part de sa vision théologique de la doxa de Jésus (1,14 ; 2,11 ; 12,41), puis les passages qui sont l'écho des paroles de Jésus lui-même (8,50.54 ; 17,5.22.24).

"Sa gloire"


Dans le Prologue, Jean met la doxa en rapport étroit avec le mystère de la Personne du Fils de Dieu:
"Le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous,
et nous avons contemplé sa gloire,
gloire comme celle que tient de son Père un Fils unique,
plein de grâce et de vérité"(1,14)
Plusieurs traits essentiels de la doxa johannique ressortent clairement de ce verset.
1° C'est l'Incarnation du Verbe et sa venue parmi les hommes qui a permis à ceux-ci de voir, de contempler (théāsthai) sa gloire. I1 s'agit bien, comme pour le kābōd de l'Ancien Testament, d'une manifestation divine : parce que le Logos divin s'est incarné un jour du temps, sa gloire est devenue visible aux hommes. Le mot choisi par Jean : eskènôsen, "il a planté sa tente", rappelle d'ailleurs discrètement le mot hébreu shekināh,"l'habitation", utilisé dans les deux derniers siècles avant notre ère pour évoquer Dieu présent à son peuple.
2° Cette doxa est reçue par le Fils monogène ; elle lui vient du Père (para patros) ; elle est liée à la relation filiale qui l'unit au Père et manifeste aux hommes cette relation unique de filiation.
3° La doxa du Fils unique s'est donnée à voir; mais le regard des disciples a dû, pour cela, traverser les signes et les réalités quotidiennes de la vie de Jésus pour s'ouvrir au mystère de sa personne. C'est ce regard intuitif et scrutateur, ce regard de foi vive, qu'expriment souvent chez Jean des verbes comme théāsthai ou théōrein .
4° En percevant la doxa du Fils unique, les disciples l'ont découvert "plein 8 de grâce et de vérité". L'Incarnation du Fils a fait advenir sur la terre, et cette fois en plénitude, la kharis et l'alèthéia, ce que l'Ancien Testament désignait par le couple hesed 9 wě’ěmet10, c'est-à-dire d'une part la grâce, la faveur, la bienveillance de Dieu, et d'autre part sa fidélité à son propos d'alliance. C'est à cette plénitude (plèrôma) du Logos incarné que les croyants vont puiser "grâce sur grâce" (v.17).
5° La gloire est rapportée ici par Jean au Logos préexistant, au Fils monogène éternellement dans le sein du Père (v.18); c'est la doxa que le Fils avait auprès du Père avant que le monde fût (17,5 ; cf.17,24).

C'est lors du changement de l'eau en vin, aux noces de Cana, que Jésus manifeste (éphanérôsen) sa gloire pour la première fois (2,11); pour la première fois une action éclatante de Jésus oriente ses contemporains vers son mystère personnel.
Déjà reconnu comme l'Agneau de Dieu (1,29) et comme le Messie (1,40), Jésus est maintenant l'objet de la foi des disciples, une foi timide encore, mais déjà capable de s'appuyer sur les signes pour adhérer à la personne de Jésus :"ses disciples crurent en lui, eis auton". Lu à la lumière du Prologue, ce verset final de l'épisode de Cana en reçoit toute sa force théologique. Pour Jean, en effet, la gloire que Jésus Messie (1,17) commence de manifester est bien la gloire du Logos devenu chair, la gloire que, Fils unique, il tient de son Père. La gloire de Jésus est toujours liée à son être de Fils, et c'est bien son mystère éternel qui affleure au milieu de la joie des noces.
En même temps ce verset 2,11 annonce les développements que l'Évangile de Jean, dans son ensemble, apportera à l'idée de foi au Christ. Une première manifestation de Jésus permet un premier réflexe de foi, et c'est déjà toute la structure de la foi chrétienne qui se révèle ainsi: désormais, croire, ce sera toujours reconnaître la gloire de Jésus, et entrer dans sa relation au Père; croire, ce sera acquiescer à la gloire qui nous visite, qui nous habite, et qui s'offre à travers des signes. À Cana le premier des signes de Jésus amorce le dévoilement progressif de sa doxa filiale, jusqu'à ce que l'Heure soit venue, l'Heure de la Passion glorifiante, qui marquera le sommet de l'œuvre du Père par le Fils incarné.

Une troisième fois, en 12,41, il est question de la gloire de Jésus dans un aparté de l'évangéliste. En épilogue au livre des Signes (Jn 2-12), Jean dresse en 12,37-43 un bilan du ministère de Jésus. Il s'étonne de l'incrédulité de ses adversaires: "Quoiqu'il eût opéré devant eux tant de signes, ils ne croyaient pas en lui" (v.37). Puis, pour éclairer l'énigme de ce refus, il fait appel à deux textes d'Isaïe : le premier, Is 53,1, rappelle l'échec du Serviteur souffrant; le second, Is 6,9-10, fait suite immédiatement à la grande vision dans le Temple qui inaugure la mission du prophète. Isaïe s'entend dire:
"Va, et tu diras à ce peuple:
Écoutez bien, mais sans comprendre;
et regardez bien, mais sans saisir!
Engraisse le cœur de ce peuple,
alourdis ses oreilles, colle ses yeux,
en sorte qu'il ne voie point de ses yeux
et n'entende pas de ses oreilles,
que son cœur ne comprenne point,
qu'il ne revienne point et ne puisse être guéri!"
Isaïe lui aussi est donc placé d'avance devant l'échec de sa prédication, et le prophète, dans son langage passionné, rapporte comme une mission d'endurcissement ce qui sera en fait la découverte désolante qui s'imposera à lui au long des années: le peuple restera sourd aux appels de Dieu, il ne voudra pas de la guérison.
Mais, comme réconfort dans sa mission de prophète souffrant, Isaïe gardera en mémoire la vision des six "brûlants" clamant l'un vers l'autre :"Saint, saint, saint est Yahweh des Armées; sa gloire emplit toute la terre!" (Is 6,3).
Le quatrième évangile reprend donc, à propos des auditeurs incrédules de Jésus, le texte isaïen sur l'endurcissement, en le démarquant assez librement. Mais il ajoute, et c'est la phrase qui présentement a de quoi nous dérouter : "Cela, Isaïe l'a dit parce qu'il a vu sa gloire et qu'il a parlé de lui" (v.41). Ici Jean opère un double décrochement par rapport au texte d'Isaïe : 1° Jean semble s'appuyer sur un texte où Isaïe voit la gloire de Yahweh. Or,dans le texte hébreu et la Septante, Isaïe voit Dieu lui-même :"mes yeux ont vu le Roi, Yahweh des Armées". Il est donc possible que Jean suive ici le Targum araméen des Prophètes, qui fait dire à Isaïe :" mes yeux ont vu l'éclat de la shekināh du roi des mondes" 12. 2°  Jean suppose, au v.41, qu'Isaïe, lors de la théophanie dans le Temple, a vu la gloire de Jésus, comme déjà, en 8,56, Abraham avait vu le jour de Jésus. La gloire divine qu'Isaïe a vue dans le Temple était donc aussi, équivalemment, la gloire du Christ préexistant13, celle-là même que, dans les jours de sa manifestation, le Logos a voilée sous la chair et dévoilée dans ses signes.
Ainsi le Fils, éternellement tourné vers le Père (pros ton théon, 1,1), surplombe également toutes les phases de l'histoire du salut. C'est de lui qu'Isaïe a parlé, ajoute l'Évangéliste. Sans doute vise-t-il surtout la dernière phrase de la citation :"Je les aurais guéris!" (LXX). Au temps du prophète, Dieu aurait voulu guérir son peuple, mais il s'est heurté à un refus. Le même endurcissement se renouvelle durant le ministère de Jésus sur terre, et alors qu'Isaïe avait su discerner prophétiquement la gloire de l'Envoyé dans la théophanie, beaucoup parmi les contemporains de Jésus rejettent celui qu'ils voient et entendent, et refusent de se laisser guérir. Ils ne viennent pas à lui par la foi, alors même que ses signes manifestent sa gloire de Fils.

 

"Ma gloire"

 

Après ces commentaires théologiques amorcés par l'Évangéliste lui-même, venons-en aux quelques textes où Jésus dit :"ma gloire".

"Pour moi, dit Jésus en 8,50, je ne cherche pas ma gloire; il y a Quelqu'un qui la cherche et qui juge". Nous sommes ici en pleine controverse de Jésus avec ses adversaires qui se disent fils d'Abraham et fils de Dieu. Ils accusent Jésus d'être un Samaritain et d'avoir un démon (v.48). À quoi Jésus répond :"J'honore mon Père, et vous, vous me déshonorez, atimazèté "; puis, glissant du thème de l'honneur (timè) â celui de la gloire, Jésus ajoute :"Je ne cherche pas ma gloire", tout comme il disait déjà en 5,41 :"Je ne reçois pas de gloire venant des hommes". La gloire-renommée n'a aucune valeur aux yeux de Jésus. Nulle également la gloire qu' il tirerait d'un regard qui reviendrait sur lui-même, comme il le déclare dans un texte que nous retrouverons plus loin: "Si je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien" (8,54). Mais si Jésus écarte ainsi la gloire creuse qui vient des autres et la gloire vaine qui serait un arrêt sur lui-même, c'est qu'il s'en remet totalement au Père de ce qui concerne son honneur, son bonheur, sa valeur. Il est ce qu'il est dans le regard du Père, et il n'attend pas d'autre valorisation. Seule lui importe la gloire qui vient du Père, la gloire que le Père cherche pour lui, sa doxa de Fils, que Dieu ne laissera ni attaquer ni ternir : " il y a Quelqu'un qui la cherche et qui juge". Ainsi se dessine entre le Père et le Fils, à propos de la gloire, une réciprocité qui fait toute la joie du Christ : Jésus cherche la gloire de Celui qui l'a envoyé (7,18), et Dieu, qui l'envoie, cherche la gloire de Jésus (8,50).
Les deux derniers versets où revient le thème de la gloire indépendamment du verbe doxazein (glorifier), les v.17, 22 et 17,24, se trouvent vers la fin de la prière sacerdotale de Jésus. Après avoir prié pour sa propre glorification par le Père (v.1-8), puis pour les disciples que le Père lui a donnés (v.9-19), Jésus intercède pour ceux qui croiront grâce à la prédication des disciples (v.20-26). Relisons d'abord les v.20-23 où, d'une manière inattendue, le mot doxa apparaît en contrepoint du thème de l'unité.

20            Ce n'est pas pour ceux-là seulement que je prie       22 a     Et moi, la gloire que tu m'as donnée
mais aussi pour ceux                                                            b     je la leur ai donnée,
qui, par leur parole, croiront en moi.

21  a       afin que tous soient un                                                       c     afin qu'ils soient un
b      comme Toi, Père, tu es en moi et moi en Toi.,             23 a     comme nous sommes un, moi en eux et Toi en moi.,
      c      afin qu'ils soient en nous eux aussi,                                  b     afin qu'ils se trouvent consommés dans l'unité,
      d      afin que le monde croie                                                       c      afin que le monde reconnaisse
      e      que c'est Toi qui m'as envoyé.                                           d     que c'est Toi qui m'as envoyé,
               e      et que Tu les as aimés
               f      comme Tu m'as aimé.

Les versets 21 et 23 se placent aisément en synopse. Chacun d'eux, avec un triple "afin que", énonce trois buts, et les deux premiers buts concernent l'union des croyants, union fraternelle qui trouvera dans l'unité du Père et du Fils non seulement son modèle (v.21b.23a), mais son lieu ("en nous", v.21c); cohésion tellement étroite de tous les disciples dans le Christ que la communauté unie deviendra à son tour le lieu où le Père et le Fils vivront leur unité :" moi en eux et Toi en moi", dit Jésus (v.23a). Deux intériorités l'une dans l'autre, qui situent au cœur de la communauté le Christ unifiant, et à l'intime du Christ, le Père, source de toute vie, de tout amour (v.23ef), de toute mission (v.21e.23d).
Cette union des croyants sera le résultat de la prière du Christ (v.20), mais aussi, comme le souligne, dans la structure, le parallélisme des v.20 et 22, elle sera l'effet du don de la gloire : "Et moi, la gloire que tu m'as donnée, je la leur ai donnée, pour qu'ils soient un" (v.22). La gloire que Jésus avait auprès du Père avant que le monde fût (17,5), cette gloire que le Père lui a donnée 14 parce qu'Il l'a aimé avant la fondation du monde (17,24), Jésus l'a donnée pour toujours aux disciples. Quand l'a-t-il donnée? - à l'Heure de sa Passion glorifiante. Jésus parle au passé parce qu'il est déjà confronté à cette Heure (13,1) et qu'il en dëploie déjà, dans sa prière, toutes les virtualités de salut.
Ce verset 17,22 sur la gloire deux fois donnée nous introduit au cœur de la théologie johannique. La doxa donnée par le Père appartient en propre, de toute éternité, au Fils monogène; c'est la densité d'être et de vie que le Fils reçoit constamment de son Père, c'est l'empreinte de sa filialité. Et cette gloire filiale, non seulement le Logos incarné la rend visible aux yeux de la foi, non seulement il la manifeste par ses signes, mais il la donne aux croyants pour qu'ils ne fassent plus qu'un. Ce qui va unir les disciples et les consommer dans l'unité, c'est donc leur commune participation au mystère filial de Jésus. Par le don de sa gloire que Jésus fait aux hommes, la communion du Père et du Fils devient pour nous communion au Père par le Fils. Seul le Christ est huios, Fils de Dieu un avec le Père, mais à tous ceux qui l'ont reçu il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu (tekna théou, 1,12).

Le verset 17,24, le dernier de l'Évangile de Jean sur la doxa de Jésus, ouvre la perspective sur le futur:
" Père, ce15 que tu m'as donné,
je veux que là où je suis, moi,
ceux-là aussi soient avec moi,
pour qu'ils voient ma gloire, la mienne,
que tu m'as donnée,
parce que tu m'as aimé avant la fondation du monde".
Dans l'Évangile de Jean, quand Jésus dit :"là où je suis16","là où je vais17", il évoque sa demeure auprès du Père, là où il va préparer une place pour ses disciples (14,2-4). Jésus a prié jusqu'ici pour les disciples, confrontés durant leur vie terrestre à l'hostilité du monde. Il envisage maintenant leur réunion avec lui dans le ciel où ils verront sa gloire. Après avoir sur terre discerné et contemplé la doxa du Fils (1,14) par la foi et à travers les signes, ils la verront directement, sans plus de distance ni d'opacité, quand ils seront avec lui là où déjà il est, là où il vit depuis toujours: auprès du Père. Et leur participation à la gloire du Fils, qui aura grandi ici bas en même temps que leur unité, atteindra sa plénitude lorsque, fascinés directement par cette gloire, ils découvriront à quel mystère filial ils sont conviés, et que Dieu les a aimés comme Il a aimé son Unique (v.23).
À quel moment sera possible cette rencontre plénière de la gloire de Jésus? Sûrement pas, comme le voudrait C.H.Dodd , dès le retour de Jésus au Père; car il faut, d'après Jn 17,24, que les disciples soient avec lui, et donc qu'eux aussi ne soient plus dans ce monde. Plusieurs auteurs pensent à la Parousie18 ; mais, en l'absence de tout renvoi à l'eschatologie future, on peut tout aussi bien admettre que chaque croyant, à sa mort, en rejoignant le Christ là où il est, verra sa gloire de Fils19,  même si la résurrection des corps demeure liée à la Parousie du Seigneur.


Le verbe glorifier dans l'évangile johannique

Nous venons d'interroger tous les textes où le quatrième évangile mentionne la doxa de Jésus, et la moisson théologique s'avère déjà abondante; mais avant de l'engranger il nous faut encore couper quelques gerbes dans le champ voisin et rassembler dans une troisième partie les textes où Jean emploie le verbe glorifier (doxazein). Nous pourrons le faire plus succinctement, puisque nous allons en partie côtoyer ou recouper des thèmes déjà rencontrés.
Partons d'un texte central, le verset 12,23. Après l'accueil triomphal de Jésus à Jérusalem, quelques Grecs demandent à voir Jésus. André et Philippe transmettent leur requête, et Jésus leur répond :"Elle est venue, l'Heure où le Fils de l'Homme doit être glorifié". L'allusion, qui suit immédiatement, au grain de blé qui meurt en terre pour porter beaucoup de fruit ne laisse aucun doute : il s'agit bien de l'Heure de Jésus telle que l'entend l'Évangile de Jean. L'Heure, c'est le tournant majeur dans le destin du Fils de Dieu fait homme; c'est un moment théologique qui est en prise à la fois sur le temps et l'éternité, et qui englobe la passion de Jésus, sa mort, son élévation auprès du Père, et même la transmission de l'Esprit. En cette Heure, par cette Heure et à travers elle, s'opère la glorification de Jésus, c'est-à­dire son passage pascal de ce monde au Père (13,1), cette métamorphose où la mort par amour est inséparable de la vie nouvelle.
C'est là, dans le IVe évangile, un premier sens du verbe glorifier. Il éclaire deux autres textes qui se réfèrent à la Passion glorifiante comme à une ligne de crête dans le destin de Jésus. D'abord 7,39 où Jean explique :"Il n'y avait pas encore d'Esprit, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié". Puis 12,16, à propos du sens messianique du geste de Jésus s'asseyant sur l'ânon :"Cela, les disciples ne le comprirent pas tout de suite, mais lorsque Jésus eut été glorifié, ils se souvinrent que cela se trouvait écrit à son sujet, et que cela, on l'avait fait pour lui". La glorification, en ce premier sens, prend donc place entre le temps où il n'y avait pas encore d'Esprit et le temps où le Paraclet assure l'anamnèse actualisante de l'Écriture et des paroles de Jésus.
Poursuivons maintenant notre enquête en suivant l'ordre des chapitres.
En 8,54 les besoins de la controverse obligent Jean à tabler sur la polyvalence du verbe doxazein."Si je me glorifie moi-même, dit Jésus, ma gloire n'est rien": c'est le thème marginal, déjà repéré, de la gloire inauthentique, de l'autovalorisation. En revanche, lorsque Jésus ajoute : "c'est mon Père qui me glorifie", le verbe glorifier prend immédiatement de la densité théologique : il ne s'agit pas seulement, pour le Père, de veiller à la renommée de Jésus, mais de manifester en Jésus, aux yeux de tous, son Monogène plein de grâce et de vérité.
En 11,4, de nouveau, le verbe glorifier voisine avec le mot gloire 20, mais cette fois il est question de la gloire de Dieu: "Cette maladie (de Lazare) n'aboutira pas à la mort, mais elle est pour la gloire de Dieu; par elle le Fils de Dieu doit être glorifié". Le retour de Lazare à la vie va rendre éclatante la puissance de Dieu et donc contribuer à sa gloire. Mais en quel sens le Christ va-t-il être glorifié? On pourrait dire qu'en se rendant à Béthanie malgré les menaces qui pèsent sur lui (cf.11,8) Jésus entre résolument dans l'Heure de sa Passion glorifiante. Mais il y a plus : en appelant Lazare hors du tombeau, Jésus va être glorifié comme Fils de Dieu; Dieu va le glorifier comme son Fils en manifestant déjà le pouvoir qu'Il lui donne sur toute chair, le pouvoir de donner la vie éternelle (cf.17,2).
Plus loin le verset 12,28 utilise par trois fois le verbe glorifier. Devant l'imminence de sa Passion, Jésus vient de dire, anticipant Gethsémani :"Maintenant mon âme est troublée. Et que dire? Père, sauve-moi de cette heure! Mais c'est pour cela que je suis arrivé à cette heure!" (v.27). Jésus se soumet donc à la volonté du Père; il ne veut qu'une chose : que Dieu achève par lui toute son œuvre de salut: "Père, glorifie ton Nom!", s'écrie Jésus (v.28), et sa prière sonne ici comme une reprise personnalisée de la demande du Pater :"Que ton Nom soit sanctifié!" (Mt 6,9 ; Lc11,2). Le Nom de Dieu, son Nom de Père, dit à la fois son être, sa sainteté ("Père saint", 17,11) et sa justice salvifique ("Père juste",17,25), c'est-à-dire sa permanence dans son propos d'amour (17,23.26). Jésus, face à son Heure, acquiesce totalement au plan de salut par lequel Dieu veut se montrer Père ; et à ce oui du Christ répond solennellement le oui du Père, qui parvient du ciel comme lors des théophanies: " Je l'ai glorifié et je le glorifierai de nouveau" (v.28b). Déjà le Père a glorifié son Nom à travers toute l'activité de Jésus révélateur, spécialement par les signes qui ont manifesté la gloire de Dieu à travers celle de son Fils (2,11 ; 9,3 ; 11,4. 40). De nouveau (palin) le Nom du Père va être glorifié par l'obéissance aimante de Jésus, lors de la Passion glorifiante.
La réciprocité entre le Père et le Fils, qui se dit déjà implicitement dans ce dialogue de 12,28 entre Jésus et la voix venue du ciel, va s'exprimer sans réserve, et avec une sorte d'exultation hymnique, dans le cadre du discours après la Cène, en 13,31-32. Judas vient de sortir et de s'enfoncer dans la nuit, et Jésus, conscient que son Heure est là, déclare

v.31            a            Maintenant le Fils de l'Homme a été glorifié,
            b            et Dieu a été glorifié en lui.
v.32            a            Si Dieu a été glorifié en lui,
            b            Dieu aussi le glorifiera en Lui,
            c            et c'est bientôt qu'Il le glorifiera.

La structure de ces deux versets est par elle-même expressive. Le stique 32a, simple répétition du précédent, sert de charnière à l'ensemble, et sépare les deux stiques 31 a et b, où l'action va du Fils de l'Homme à Dieu, des deux derniers stiques, 32 b et c, où l'action va de Dieu au Fils de l'Homme.
En dépit de quelques difficultés de détail 21, l'opposition majeure ressort clairement : maintenant le Fils de l'Homme est entré dans son Heure, et le processus de sa glorification est entamé (encore que lui-même n'ait pas d'autre but que la glorification de Dieu); en retour, Dieu, glorifié suprêmement par la liberté avec laquelle Jésus assume son Heure, n'aura de cesse qu'Il ne l'ait glorifié en Lui-même, source de toute gloire ; et Il le fera "euthus": bientôt, sans délai, sur le champ.

C'est cette même théologie de la glorification réciproque du Père et du Fils que nous retrouvons au début de la Prière sacerdotale, en 17,1.4.5.
Les versets 17,4 et 5 reprennent le processus dans l'ordre que nous venons de voir: Jésus a glorifié le Père sur la terre, en accomplissant l'œuvre que le Père lui a donnée à faire, et dont le sommet a été la mort en croix, "et maintenant, dit Jésus, Toi, Père, glorifie-moi auprès de Toi, de la gloire que j'avais auprès de Toi avant que le monde fût". La gloire d'avant le monde, la gloire qui n'est pas de ce monde, et qui était auprès du Père un attribut du Logos éternel, devient, auprès du Père, et au-delà de la Passion rédemptrice, la possession éternelle du Logos incarné.
Au verset 17,1 la glorification réciproque était présentée dans l'ordre inverse: "Père, elle est venue, l'Heure! Glorifie ton Fils pour que le Fils te glorifie". Ce qui induisait une nouveauté théologique de première importance, car le Fils, dans ces conditions, est amené à glorifier le Père après l'Heure du passage pascal, c'est­à-dire dans le temps de l'Église. Mieux encore : la gloire de Jésus va déborder sur le monde, puisqu'elle inclut désormais le pouvoir de donner la vie: "... pour que le Fils te glorifie et que, selon le pouvoir que tu lui as donné sur toute chair, à tout ce que tu lui as donné, il leur donne, à eux, la vie éternelle" (v.1b).

C'est également dans le temps de l'Église que nous situent les trois versets 14,3 ; 15,8 et 16,14, si riches de portée théologique et spirituelle.
"Tout ce que vous demanderez en mon nom, dit Jésus en 14,13, je le ferai, pour que le Père soit glorifié dans le Fils". Demander "au nom de Jésus", c'est prier en se référant, dans la foi, à sa personne et à sa mission de Fils de Dieu venu dans la chair; c'est prier avec la certitude d'être soi-même envoyé par Jésus et de lui demeurer uni. Celui qui croit en Jésus et qui prie de la sorte en son nom fera lui aussi les œuvres que Jésus fait 22 (v.12), et Jésus fera ce que le disciple demandera dans sa prière (v.14). Ainsi les œuvres du disciple seront aussi les œuvres de Jésus. Le Christ exaucera la prière en continuant d'agir, et il le fera "afin que le Père soit glorifié dans le Fils" (v.13b). Tout comme, sur terre, il glorifiait le Père en accomplissant son œuvre (17,4), Jésus, retourné auprès du Père, continuera de le glorifier en agissant conjointement avec les disciples.
En définitive, c'est le Père qui accomplira ses œuvres dans et par les disciples comme il les accomplissait en et par Jésus (v.10c). C'est ainsi qu'Il sera glorifié dans le Fils et dans ses fils.
On comprend alors la parole de Jésus en 15,8, où Jésus conclut l'apologue de la vigne et des sarments. Il vient de rappeler la force de la prière pour tous ceux qui lui sont unis : "Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et vous l'aurez" (15,7). Et immédiatement ce thème de la prière exaucée est mis en résonance avec les œuvres des disciples et la gloire du Père: " Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous deveniez pour moi des disciples" (15,8).
Mais comment porter les fruits de la foi, comment demeurer dans le Christ, quelle force nous fera devenir une demeure de sa parole? Ici intervient, avec sa divine discrétion, le Paraclet :"Celui-là me glorifiera, dit Jésus en 16,14, car c'est de ce qui est à moi qu'il prendra pour vous l'annoncer". La parole révélatrice, qui est le bien commun et le don commun du Père et du Fils (v.15), le Paraclet la ressaisit pour l'annoncer au cœur de l'Église et pour la rendre vivante à l'intime de chaque cœur. Ce faisant il glorifie Jésus tout au long de l'histoire, si bien que toute annonce et tout accueil de la parole de Jésus nous font entrer mystérieusement, et pauvrement, au-delà de ce que l'on peut percevoir ou sentir, dans la dynamique trinitaire: la glorification du Fils par l'Esprit Paraclet.
Seul ce rôle actif du Paraclet rend totalement compte de la parole de Jésus en 17,10. Au moment où il confie au Père les disciples reçus de Lui et qui sont leur bien à tous deux, Jésus ajoute :"En eux j'ai été glorifié" (dedoxasmai)" ; il faut entendre: "j'ai été et je continue d'être glorifié"). Jésus a été glorifié dans les disciples parce qu'ils ont accueilli ses paroles comme parole de Dieu, parce qu'ils ont cru en Jésus comme envoyé du Père (v.8); et dans la mesure où cette glorification est appelée à durer dans le temps de l'Église, elle implique la remémoration constante des paroles de Jésus par l'Esprit Paraclet. Partout où Jésus fait reconnaître sa personne et sa mission de Fils, l'Esprit est en acte de glorification. Et cela se passe en nous.

                                                                   *

Cette écoute patiente des textes évangéliques nous a laissé pressentir déjà toute la charge théologique qui affecte les mots doxa et doxazein. Essayons en terminant de manifester, à propos de ce thème précis de la gloire, la forte cohérence de la pensée johannique, sous l'impressionnisme de surface.

Il nous suffira de trois constatations.

1°    Jean se montre constant dans l'usage qu'il fait des mots gloire et glorifier. Alors qu'il parle de la doxa du Fils auprès de Dieu de toute éternité, il emploie toujours doxazein dans des contextes où il s'agit du Verbe incarné, soit tout au long de son ministère, soit au cours de la Passion glorifiante, soit dans sa condition céleste, après son élévation auprès du Père.
2°    À plusieurs reprises Jean donne au verbe glorifier un sens quasi technique à l'intérieur de sa christologie : la glorification de Jésus est son élévation auprès du Père, qui coïncide avec son élévation sur la Croix.
Le verbe glorifier pointe donc vers l'Heure de Jésus, dont il englobe à la fois toutes les composantes. C'est pourquoi sans doute le mot disparaît lorsque Jean, dans son récit, en vient à retracer sous forme de séquence chronologique les événements ponctuels de la Passion et de Pâques.
3°    Dans l'Évangile de Jean le vocabulaire de la gloire et de la glorification permet à Jésus d'évoquer plusieurs aspects de son mystère de Fils:
- doxa (gloire) dit surtout ce que le Fils a en commun avec le Père depuis l'éternité et pour l'éternité, puis ce qui fait de lui, parmi les hommes, une manifestation de la grâce et de la vérité de Dieu, et enfin ce qu'il peut donner en partage aux hommes qui en lui deviennent enfants de Dieu ;
- doxazein (glorifier) exprime de multiples façons la réciprocité avec le Père vécue par le Fils en sa sainte humanité ; et les textes johanniques nous permettent de saisir cette réciprocité tant à partir du Père qu'à partir de Jésus.
Dieu glorifie son Fils. Il le glorifie sur terre (8,54), puis, l'Heure étant venue, il le glorifie auprès de Lui (17,5) et en Lui (13,32).
Dieu est glorifié par son Fils : - sur la terre, lorsque Jésus accomplit l'œuvre du Père (17,4), - à travers l'Heure de la Passion glorifiante (13,32), - puis tout au long du temps de l'Église, quand Jésus agit en donnant la vie aux hommes et en exauçant leur prière (17, 2; 14,13), et quand les hommes, devenant de vrais disciples de Jésus, portent beaucoup de fruit (15,8).
Jésus glorifie le Père. Sur terre, jusqu'à la fin de son activité messianique, Jésus a glorifié le Père en réalisant son œuvre qui culmine à la Croix (17,4); il a cherché la gloire de Celui qui l'a envoyé (7,18) et par ses miracles il a procuré cette gloire de Dieu (11,4.40). Après l'Heure, après la Passion glorifiante qui l'a fait passer au Père, et tout au long du temps de l'Église, Jésus, Fils de Dieu, dans sa condition céleste, continue de glorifier le Père en donnant la vie à ceux que le Père lui a confiés (17,2).
Jésus a été glorifié sur terre, de son vivant parmi nous, par le Père qui cherchait la gloire de son Fils (8,54). Puis, à travers la Passion et la Croix, Jésus a été glorifié auprès du Père (17,5) et en Lui (13,32). Et maintenant que Jésus, le Saint de Dieu, accueille éternellement dans son humanité sainte la gloire qu'éternellement il tient du Père comme Fils unique, sa glorification se poursuit également sur la terre: Jésus est glorifié dans les hommes qui reconnaissent en lui l'Envoyé et le Sauveur du monde. Cela se passe en nous, et c'est l'œuvre du Paraclet, dans l'aujourd'hui de l'Église.

C'est l'Esprit Paraclet qui, à l'intime de notre cœur de croyants, manifeste la gloire de Jésus, le mystère de son unité indicible avec le Père qui l'a aimé avant la fondation du monde, le mystère de sa totale réciprocité avec le Père, vécue parmi nous aux jours de sa chair.
C'est le même Esprit Paraclet qui, insensiblement, épanouit en nous la gloire que Jésus nous a donnée (17,22), gloire en promesse qui déjà nous tourne vers le Père, mais participation très réelle à sa gloire de Fils, qui marque notre vie personnelle et fraternelle du sceau de son unité avec le Père
"Et moi, disait Jésus, la gloire que Tu m'as donnée, je la leur ai donnée,
pour qu'ils soient un comme nous sommes un,
moi en eux et Toi en moi".


NOTES



1 . P.Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris 1967, p.788.
2 . Ib.
3 . Ib.
4 . C'est le sens quasi technique et théologiquement très dense que Paul donne au mot mustèrion ; cf. par exemple : E 1,9 ; 3,3.4.9 ; 5,32 ; 6,19.
5 . Dans d'autres passages, hymniques et non juridiques, c'est une exhortation à rendre à Dieu seul le culte qui lui revient; cf. la Septante pour 1 Ch 16,28s ; Ps 65,2 ; Is 42,12 ; Ez 27,10 ; Mal 2,2 ; Ba 2,17s.
6 . Zètein : Jn 5,44 ; 7,18 ; 8,50.
7 . Non pas: "qui vient de Dieu seul".
8 Plèrès, considéré parfois comme forme indéclinable (cf. Blass-Debrunner, § 137,1 ; Zerwick, Graecitas, n° 6), pourrait titre un génitif, accordé à monogénoûs.
9 . Bien que la Septante rende la plupart du temps hesed par éléos, la traduction kharis se fait jour dans les textes tardifs: Est 2,9 (cf.17); Si 7,33 ; 40,17; cf. R.Schnackenburg, Das Johannesevangelium, vol.I, Freiburg 31972, p.248, n.3.
10 . Pour ce couple, voir Ex 34,6 ; 2 S 2,6 ; Ps 25,10 ; 40,12 ; 61,8 ; 85,11 ; 89,15 ; 115,1 ; 138,2 ; Pr 3,3 ; 14,22 , etc.
11 . Cf. E.Jacob, Esaïe 1-12, Com.AT VIIIa, Genève 1987, p.103.
12   Yeqar šekinat melek ‘almayya’.
13 . Cf. Schnackenburg, op.cit., vol.II, 1971, p.520 ; W.Thüsing, Die Erhöhung und Verherrlichung Jesu im Johannesevangelium, Münster i.W. 21970, p.218s. L'idée d'une doxa du Christ préexistant affleure de nouveau en Jn 17,5.24 et rejoint les affirmations du Prologue. Plusieurs commentateurs préfèrent pour le texte de12,41 une exégèse moins affirmative; ainsi W.Grossouw: " Pour 12,41 on peut s'en tenir à la conclusion courante : Isaïe a vu prophétiquement la future manifestation de la doxa messianique du Christ dans le kebod Yahweh qu'il contemplait ; et peut-être pouvons-nous expliquer de manière satisfaisante le mystérieux verset 17,5 en disant que l'évangéliste avait en vue la doxa qui, de toute éternité, était destinée au Christ" ("La glorification du Christ dans le IVe évangile", dans : M.E.Boismard éd., L'Evangile de Jean. Etudes et problèmes, coll. Recherches Bibliques, III, Paris 1958,p.137.)
14 . Donnée de manière permanente : dédōkas moi.
15 . Comme au début de la prière, en 17,2, le pronom neutre "ce que" (tu m'as donné) est repris par un masculin pluriel: "ceux-là". Jésus envisage donc ici le sort de tous ceux, présents ou futurs, à qui il donnera la vie éternelle (v.2).
16 . Jn 7,34.36 ; 12,26 ; 14,3.
17 . Jn 8,21s ; 13,33.36 ; 14,4.
18 . Th. Zahn ; C.K.Barrett ; B.Lindars ; E.Hoskyns (ed. F.N.Davey).
19 . Cf. R.Schnackenburg, III, 222-223.
20 . Ce sera le cas une dernière fois en 17,5.
21 . L'expression "en lui" (en autō), qui revient trois fois, se rapporte d'abord à Jésus (v.31b.32a), puis au Père 32b). Ce troisième emploi est à rapprocher de para séautō, en 17,5.
22 . Il en fera même "de plus grandes". L'expression est surprenante, car la guérison de l'aveugle-né et le rappel de Lazare à la vie terrestre sont déjà des miracles insurpassables et des signes éloquents. du pouvoir qu'a Jésus de donner la lumière et la vie (cf. 5,22). Si les œuvres des disciples peuvent "dépasser" celles de Jésus, c'est en ce sens qu'en eux et par eux le Ressuscité va continuer d'agir, d'illuminer et de vivifier. Les œuvres "plus grandes" englobent bien l'expansion missionnaire de l'Église, mais cette expansion, qui requiert la foi et la prière des disciples (14,13s), n'est jamais que le plein épanouissement des pouvoirs du Christ qui, retourné auprès du Père, continue d'attirer à lui tous les hommes (12,31) de rassembler les enfants de Dieu dispersés (11,52) et de donner la vie éternelle (17,2).



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